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Date: 19981209

Dossiers: 96-4370-IT-G; 96-4371-IT-G

ENTRE :

JEAN-MARIE BASTILLE, J.M. BASTILLE INC.,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels relatifs à l'année d'imposition 1989 pour ce qui est de la compagnie “J.M. Bastille Inc.” et pour les années d'imposition 1989 et 1990 pour M. Jean-Marie Bastille personnellement. Il a été convenu de procéder au moyen de la même preuve pour les deux dossiers.

[2] Il s'agit d'avis de cotisations établies en vertu du procédé AVOIR NET. Le litige porte également sur le bien-fondé des pénalités imposées aux appelants.

[3] Le procureur des appelants a d'abord indiqué que le litige concernait principalement les points suivants :

Estimation du coût de vie de l'appelant et de sa famille.

Affectation du montant de 16 934 $ représentant le montant cumulatif des trois chèques émis par les assureurs à la suite d'un vol de bijoux.

Pensions payées par les enfants de l'appelant.

Montant de 8 000 $ obtenu lors de la vente d'une motoneige très particulière.

Montant de l'encaisse au 31 décembre 1990.

Solde du compte de banque de l'appelant auprès de la First American Bank au 31 décembre 1990.

Le placement de l'appelant dans la corporation “Carillons Touristiques de R.D.L.” au 31 décembre 1990.

Faits et circonstances entourant l'achat de trois lots à bois.

[4] À ces éléments litigieux, s'ajoute évidemment le bien-fondé ou non de l'imposition des pénalités prévues par la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”).

[5] Il m'apparaît important de rappeler qu'en cette matière, le fardeau de la preuve incombe aux appelants, à l'exception toutefois de la question des pénalités où le fardeau de preuve est imputable à l'intimée.

[6] Une cotisation établie en vertu de la formule AVOIR NET ne peut jamais découler de la rigueur mathématique souhaitée et souhaitable en matière de cotisation. Il y a généralement une certaine partie d'arbitraire provenant de la détermination de la valeur des composantes. Le Tribunal doit décider de la raisonnabilité de cet arbitraire.

[7] Le recours à ce procédé n'est d'ailleurs pas la règle. Il constitue en quelque sorte une exception utilisée dans les situations où le contribuable n'a pas en sa possession toutes les informations, documents et pièces justificatives pour permettre une vérification plus conforme aux règles de l'art et surtout plus précise quant au résultat.

[8] Les assises ou fondements des calculs élaborés dans le cadre d'un avoir net sont tributaires en très grande partie des informations transmises par le contribuable faisant l'objet de la vérification.

[9] La qualité, la vraisemblance, la raisonnabilité des informations ont donc une importance absolument fondamentale.

[10] En l'espèce, la preuve a été constituée des témoignages de trois personnes soit - l'appelant pour lui-même et ès-qualité d'actionnaire unique de la compagnie appelante, J.M. Bastille Inc., M. Lucien Lauzier, comptable et fiscaliste, auteur de la comptabilité AVOIR NET soutenant le bien-fondé des prétentions des appelants et finalement, M. Jean-Luc Proulx, vérificateur de la comptabilité à l'origine des cotisations.

M. J.M. Bastille

[11] M. Bastille a longuement témoigné. Il a expliqué avec précision, assurance et fermeté certains faits dont notamment – le fait de n'avoir jamais eu d'argent liquide, ni de petite caisse; qu'il ne connaissait rien en comptabilité et que le produit d'assurance n'avait pas servi au rachat d'autres bijoux. Il a pu expliquer avec une précision remarquable certaines données exigeant une mémoire exceptionnelle.

[12] Sur certains autres points, il a été beaucoup moins explicite; il a d'abord imputé à son épouse la responsabilité d'imposer une pension aux enfants qui travaillaient et demeuraient chez lui et ce, pour leur apprendre à s'assumer. Quant aux montants, nombres et périodes, les explications étaient assez ambiguës spécialement au niveau des montants qu'il a établis entre 25 $ et 35 $ par semaine par enfant.

[13] Il en fut ainsi au niveau de la vente de la motoneige. Il a affirmé l'avoir vendue à l'automne 1990, à un vendeur d'huile de Trois-Rivières, pour un montant de 8 000 $ ou 10 000 $. Il a indiqué avoir exigé d'être payé comptant. Il n'a pu préciser si c'était 8 000 $ ou 10 000 $. Il ne se rappelait pas si le montant lui avait été payé en petits, moyens ou gros billets de banque. Sa mémoire était aussi et surtout, défaillante quant au nom de l'acheteur.

[14] Pour ce qui est du montant obtenu des compagnies d'assurance, il s'est replié derrière le contrôleur Ouellet à qui il aurait remis les chèques endossés sans aucune instruction, ajoutant qu'il ne savait pas ce que ce dernier en avait fait. Plus tard, il a affirmé que les argents avaient sans doute servi à l'achat des terrains. Il s'agissait, encore là, d'un montant relativement important de près de 17 000 $.

[15] Quant au placement dans la corporation “Carillons Touristiques de R.D.L”, M. Bastille a fourni des explications dont la cohérence est douteuse. Il a d'abord indiqué que les clochettes avaient été achetées dans un but promotionnel pour la compagnie, J.M. Bastille Inc.; il a aussi mentionné qu'un certain nombre de ces cloches pouvaient avoir été vendues. Il a finalement soutenu avoir payé 1 000 $ pour les cloches restantes au moment où il a donné l'entreprise à ses fils.

[16] M. Bastille a également témoigné sur ses habitudes et sa façon de vivre. Les explications, à ce chapitre, ont anéanti complètement la déjà faible valeur de son témoignage. Non seulement, je n'ai pas cru l'appelant lorsqu'il a mentionné qu'il n'allait jamais au restaurant, sauf dans le cadre des affaires de la compagnie, je suis d'avis que ses prétentions qu'il n'a jamais été au restaurant lors de son séjour de quelques mois en Floride sont tout à fait mensongères. Il en est ainsi au niveau des justifications relatives au très faible montant dépensé pour l'achat de vêtements.

[17] Finalement, l'appelant a systématiquement refusé de répondre, avec une note d'agressivité, à plusieurs questions prétextant qu'il ne savait pas lire, qu'il n'avait pas beaucoup d'instruction, qu'il ne se souvenait pas en raison de séquelles causées par un grave problème de santé et finalement, qu'il ne voulait pas mentir. En résumé, le témoignage de l'appelant ne constitue pas une preuve convaincante, raisonnable ou même crédible justifiant le bien-fondé de ses prétentions.

[18] La présente affaire doit s'apprécier d'après la prépondérance de la preuve. Il ne suffisait pas à l'appelant de soulever un doute dans l'esprit du Tribunal pour avoir gain de cause. Il devait soumettre une prépondérance de preuve à l'effet que ses prétentions étaient raisonnables, vraisemblables et crédibles.

[19] Je ne crois pas que les enfants aient payé quelque montant de pension alimentaire que ce soit. D'ailleurs, même si l'explication était retenue, elle ne changerait strictement rien puisque l'effet serait nul du fait que les revenus égalaient les dépenses.

[20] Quant aux placements dans la corporation “Carillons Touristiques de R.D.L.”, je suis convaincu que la dépense a été assumée par la compagnie, J.M. Bastille Inc., alors que l'inventaire a profité essentiellement à la corporation qui vendait sans doute les cloches en question comme souvenirs lors de la visite du musée. Si ces fameuses cloches avaient été offertes gracieusement comme l'a soutenu l'appelant, il aurait été simple, facile, efficace et surtout rentable d'indiquer le nom de quelques bénéficiaires qui n'avaient strictement rien à craindre d'une telle dénonciation.

[21] La piètre qualité du témoignage de l'appelant corrobore d'une façon significative à quel point il a dû être difficile et pénible d'obtenir les informations requises pour constituer les AVOIRS NETS.

[22] Le témoignage de l'appelant était cousu de fil blanc. Il n'a dit que ce qu'il a bien voulu dire utilisant toutes sortes de prétextes pour expliquer certaines incohérences. Fort curieusement, sa mémoire devenait remarquable quand il s'agissait d'énoncés favorisant sa thèse. Dans son ensemble, le témoignage de M. Bastille n'est pas crédible.

[23] Il aurait été intéressant mais surtout très pertinent de faire témoigner les personnes directement et expressément concernées par les faits constituants du dossier. Les explications fournies par l'appelant à savoir qu'il n'avait pas cru bon les inviter à venir témoigner sont tout à fait inacceptables.

[24] Je ne crois pas utile et nécessaire de poursuivre l'analyse du témoignage de l'appelant alors que mon appréciation se résume simplement comme suit : le Tribunal ne croit ni ne retient strictement rien de ce témoignage tout à fait invraisemblable.

[25] Conséquemment, je ne retiens pas les énoncés et conclusions de l'AVOIR NET préparés par M. Lucien Lauzier puisque les données et composantes fondamentales émanaient d'une source non crédible soit l'appelant, J.M. Bastille.

[26] Le témoignage de M. Lucien Lauzier a été assez clair et cohérent. Malgré la logique des explications fournies, ce témoignage n'est pas pour autant déterminant.

[27] En effet le témoignage, dans sa dimension la plus fondamentale, s'appuie sur des assises imprécises, non documentées et émanant essentiellement d'explications verbales obtenues de l'appelant et des membres de sa famille. Tout au cours de son témoignage et, à de nombreuses reprises, M. Lauzier a indiqué qu'il avait pris pour acquis, qu'il avait présumé, qu'il s'était fié aux réponses obtenues de M. Bastille; il a aussi utilisé les phrases suivantes “D'après ce qu'il m'a dit, j'ai demandé c'est quoi ça, d'après les informations que j'ai eues, je n'ai pas vérifié, peut-être, je ne peux pas garantir, je ne sais pas qui a préparé ça, j'ai mis ce montant pour que ça balance, ça pourrait être n'importe quoi, il m'a dit ça, ça se peut.”

[28] Je crois que le comptable a bien exécuté son mandat qui consistait à faire une présentation relativement claire et logique en prenant pour acquis toute une série d'hypothèses qui, elles, étaient cependant incertaines, imprécises et très douteuses. Quelle est la valeur probante d'un travail, d'une présentation dont les assises sont imprécises, douteuses ou invraisemblables? Absolument nulle.

[29] De son côté, l'intimée a préparé un travail qui n'est certes pas parfait. L'appelant a d'ailleurs reproché au vérificateur d'avoir procédé de manière arbitraire et inhabituelle pour l'élaboration des AVOIRS NETS.

[30] Le Tribunal souscrit en partie à ce grief; j'ajoute toutefois que cela a été rendu nécessaire essentiellement par l'absence de collaboration de l'appelant. Ce dernier a refusé de fournir plusieurs pièces et informations susceptibles de consolider ou même annuler certaines déductions qui auraient pu être confirmées ou infirmées dans l'hypothèse d'une collaboration honnête, sérieuse et raisonnable.

[31] Tout contribuable est parfaitement libre de collaborer ou non. Dans l'hypothèse où quelqu'un refuse, pour des raisons que je ne discute même pas, de collaborer, il ne peut pas dans un deuxième temps reprocher à ceux qui élaborent un ouvrage de reconstitution d'avoir procédé de manière arbitraire et injustifiée si l'information et la documentation n'étaient pas disponibles.

[32] La prépondérance de la preuve est à l'effet que les AVOIRS NETS ont été établis par un procédé raisonnable, équitable et sérieux. Il n'y a aucune preuve ou élément de preuve qui discrédite ou disqualifie le travail exécuté.

[33] Les faiblesses et l'arbitraire décriés découlent essentiellement des informations incomplètes ou invraisemblables transmises par l'appelant; il a toujours gardé un contrôle serré sur l'information pertinente en livrant des informations confuses, boiteuses et douteuses par la voie d'intermédiaires, dont le contrôleur Ouellet, qu'il n'a pas jugé nécessaire de faire témoigner.

[34] Dans les circonstances, je confirme le bien-fondé des cotisations établies pour l'année d'imposition 1989 en ce qui a trait à la compagnie J.M. Bastille Inc. et pour les années d'imposition 1989 et 1990, en ce qui concerne l'appelant.

[35] Pour ce qui est des pénalités, le Tribunal est d'avis que l'intimée a relevé le fardeau de preuve qui lui incombait; en effet, il n'y a aucun doute que l'appelant a sciemment élaboré et inventé toutes sortes d'explications farfelues pour permettre à ses comptables de produire un travail dont le seul but était de disqualifier le bien-fondé et la raisonnabilité de celui élaboré par l'intimée. D'ailleurs le Tribunal est convaincu que l'appelant a caché délibérément plusieurs données indispensables et maquillé d'autres informations.

[36] La preuve constituée principalement du témoignage de l'appelant a établi de manière nettement prépondérante qu'il était le seul distributeur de l'information, tant pour sa situation personnelle que pour celle de la compagnie. Sous le couvert de l'ignorance, il a voulu éviter de répondre à certaines questions pourtant très simples alors qu'il a répondu avec précision à des questions dont les réponses avantageaient sa position.

[37] L'ensemble des réponses et son comportement à l'audition ne laissent aucun doute quant aux difficultés qu'il a dû faire aux vérificateurs qui tentaient de reconstituer le cheminement économique de l'appelant personnellement et de la compagnie qu'il contrôlait.

[38] Le fait de ne pas collaborer en livrant de l'information incomplète ou invraisemblable constitue une preuve que l'appelant a expressément et activement choisi de soustraire des informations essentielles à la détermination des revenus.

[39] Pour ces motifs, les appels sont rejetés, le tout avec dépens en faveur de l'intimée dans les deux dossiers.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 1998.

“ Alain Tardif ”

J.C.C.I.

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