Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991029

Dossier: 1998-11-IT-I

ENTRE :

CHRISTOPHER A. KENNEDY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario) le 4 octobre 1999)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appel dont il s'agit concerne l'année d'imposition 1996, et l'appelant a demandé que la procédure informelle régisse son appel. L'appelant est professeur adjoint de génie civil à l'Université de Toronto; il a obtenu son doctorat en science à l'été 1996. Cet appel, toutefois, se rapporte à une certaine rémunération qui lui a été versée en novembre et décembre 1996, alors qu'il travaillait en Allemagne comme chercheur.

[2] L'appelant a quitté l'Angleterre pour venir au Canada en septembre 1991, comme étudiant étranger. Il a entrepris des études supérieures dans le domaine scientifique. Il a par ailleurs demandé le statut d'immigrant reçu, qui lui a été accordé en 1994 ou 1995. Il a poursuivi ses études supérieures à l'Université de Waterloo, au niveau du doctorat. Il a obtenu un doctorat en science de l'Université de Waterloo à l'été 1996. Également à l'été 1996, il a reçu la citoyenneté canadienne. À l'automne 1996, il a sollicité un poste de chercheur en Allemagne, dans un établissement qui, je crois, est une université allemande, mais qui a simplement été appelé l'“ UFZ ”, soit une sorte d'institution scientifique située à Leipzig. On lui a offert le poste, et il l'a accepté, le poste lui étant accordé pour une durée de six mois; il a quitté le Canada à la fin d'octobre pour entreprendre cet engagement de six mois, qui s'est déroulé du 1er novembre 1996 au 30 avril 1997. À la fin d'avril 1997, il est revenu au Canada, où il a exercé un emploi pendant à peu près un mois. Il a ensuite été en chômage environ trois mois, puis il a obtenu un poste de professeur de génie civil à l'Université de Toronto, où il travaille toujours.

[3] Le présent appel concerne le mode de rémunération de l'appelant dans cette affectation de six mois en Allemagne, notamment pour les deux premiers mois de cette affectation, soit les deux derniers mois de l'année civile 1996. Ont été déposés sous les cotes A-2 et A-3 des documents en allemand; il n'y avait personne dans la salle d'audience pour en donner des traductions certifiées, mais l'appelant les a interprétés pour la Cour, avec sa connaissance pratique et fragmentaire de la langue allemande. La pièce A-2 est ce que l'appelant appelait un avis de rémunération, qui indiquait que la valeur de son poste sur une base annuelle était de 60 000 marks. L'allocation s'élevait en fait à 3 000 marks par mois, dont 750 marks étaient déduits pour son logement à l'établissement. L'appelant a déposé sous la cote A-3 une copie du contrat écrit (tout en allemand). Il a, encore là de façon approximative, interprété le paragraphe 3, indiquant qu'il recevrait 3 000 marks par mois et que 750 marks seraient déduits pour son logement, ainsi qu'un passage indiquant que les 3 000 marks par mois étaient considérés selon les normes allemandes comme un montant non imposable et un passage indiquant qu'aucune charge sociale ne serait prélevée sur cette somme. À toutes fins, les 3 000 marks par mois représentaient un paiement exonéré d'impôt aux yeux des autorités fiscales allemandes.

[4] L'appelant était préoccupé quant à la manière dont la rémunération qu'il recevait en Allemagne serait considérée du point de vue de l'impôt canadien. Il a écrit au centre fiscal de Sudbury le 27 janvier 1997, à la fin de son troisième mois en Allemagne, demandant de quelle façon il devrait rendre compte de cette rémunération. Il est indubitable que l'appelant a toujours agi de bonne foi. Il a produit une déclaration canadienne de revenu pour 1996 le 5 avril 1997, alors qu'il n'avait pas encore eu de réponse à la lettre du 27 janvier qu'il avait envoyée à Revenu Canada. Dans la lettre accompagnant sa déclaration de revenu pour 1996, il disait notamment :

[TRADUCTION]

[...] Veuillez noter que, les deux derniers mois de l'année, je travaillais à Leipzig, en Allemagne. Je n'ai pas inclus les revenus pour ces deux mois-là dans ma déclaration de revenu, car ces revenus sont exonérés d'impôt d'après mon contrat. À ce sujet, je vous fais parvenir ci-joint une copie d'une lettre précédente (27 janvier 1997). [...]

[5] Le 22 mai 1997, l'appelant a reçu de Revenu Canada une lettre anodine ne répondant pas à la question posée, incluant une série de brochures et disant que, s'il lisait toutes les brochures, il pourrait être mieux informé, mais cette lettre n'aidait pas vraiment et n'était pas très utile aussi longtemps après coup. Au bout du compte, le 3 novembre 1997, Revenu Canada a délivré à l'égard de l'appelant un avis de cotisation indiquant que, au revenu total de 14 028 $ figurant dans la déclaration de revenu produite par l'appelant, Revenu Canada avait ajouté 5 440 $, ce qui portait le revenu total à 19 468 $. Les deux parties conviennent que le montant que Revenu Canada a ajouté (5 440 $) est l'équivalent en monnaie canadienne des 6 000 marks que l'appelant a reçus pour novembre et décembre 1996, soit 3 000 marks pour chaque mois.

[6] La question est de savoir si Revenu Canada était en droit dans les circonstances de l'espèce d'ajouter les 5 440 $ au revenu déclaré par l'appelant pour 1996. L'appelant a plaidé lui-même sa cause et, comme on pouvait s'y attendre, il n'avait pas dans son avis d'appel soulevé tous les points techniques qu'il aurait pu faire valoir. Il a déclaré dans le cadre de son témoignage qu'il ne contestait pas le fait qu'il était résident du Canada en novembre et décembre 1996, mais, à écouter l'argumentation qu'il a ensuite présentée, j'ai conclu qu'il y avait au moins un certain doute quant à sa situation de résident du Canada. Il a dit que, lorsqu'il avait été accepté comme chercheur en Allemagne, il avait laissé certains de ses effets personnels chez un ami à Waterloo, qu'il avait emporté certains de ses effets personnels avec lui pour aller vivre en Allemagne pendant six mois et que certains de ses effets personnels étaient chez ses parents en Angleterre. Il semble qu'il n'avait pas de logis au Canada de novembre 1996 à avril 1997. Il n'était pas marié à l'époque, et sa déclaration de revenu pour 1996 indique qu'il était célibataire. En tant que personne n'ayant jamais été propriétaire d'une maison au Canada et ayant vécu ici depuis cinq ans seulement, son lien avec le Canada n'était pas aussi permanent que celui d'une personne née et élevée au Canada. En outre, lorsqu'il est allé en Allemagne, il n'avait pas d'emploi fixe qui l'attendait au Canada. Pendant qu'il était en Allemagne, il avait présenté des demandes d'emploi en Angleterre et au Canada, et il y avait la possibilité que son contrat de six mois en Allemagne soit prolongé par l'établissement où il travaillait à Leipzig. En fait, on lui a offert la possibilité de prolonger son séjour en Allemagne, mais il a refusé, choisissant de revenir au Canada pour chercher un emploi.

[7] Je soulève ces faits parce que j'estime que l'appelant aurait pu porter un argument, s'il s'y était pris dès le début, sur la proposition selon laquelle il n'était pas résident du Canada en novembre et décembre 1996 parce qu'il n'avait pas d'habitation permanente ici et qu'il n'avait pas de famille ici. L'appelant détenait un permis de conduire de l'Ontario, mais aussi un permis de conduire de l'Angleterre. Il avait vendu sa voiture au Canada. Il avait un compte bancaire au Canada et avait de modestes dépôts à terme ainsi qu'un certain placement dans un fonds commun, mais ses liens avec le Canada étaient beaucoup moins fermes que ceux d'une personne née et élevée ici ou ayant ici une famille dans laquelle revenir.

[8] Bien que l'on n'ait pas présenté beaucoup d'éléments de preuve sur cette question, je dirais que l'appelant pourrait être considéré comme résident du Canada vu son statut d'immigrant reçu et de citoyen. L'appelant a quitté l'Angleterre pour venir ici aux fins de ses études supérieures, a obtenu un doctorat d'une université canadienne de grand renom et a refusé l'offre de rester en Allemagne après les six mois, pour revenir au Canada et non pour aller ailleurs, et il y a assez d'éléments de preuve pour statuer qu'il était résident du Canada tout au long de la période de six mois pendant laquelle il travaillait en Allemagne, conclusion à laquelle j'arrive avec certaines réserves. Toutefois, aux fins du présent appel, je conclus que l'appelant était résident du Canada en novembre et décembre 1996. Cela dit, il pouvait en même temps être résident de l'Angleterre (son lieu de naissance), car une personne peut avoir une double résidence. Quoi qu'il en soit, je statue que l'appelant était résident.

[9] Comme résident du Canada, l'appelant est imposable au Canada sur son revenu de toutes provenances. Il est indubitable du point de vue du droit canadien que la rémunération ou les sommes versées mensuellement à l'appelant en Allemagne étaient un revenu d'emploi, car l'appelant était payé par l'établissement en Allemagne pour des services fournis comme chercheur. Je suis convaincu que, aux yeux de l'établissement lui-même et des autorités fiscales allemandes, l'appelant était considéré comme ayant une valeur économique de 5 000 marks par mois pour l'établissement. C'est ce qu'indiquent un certain nombre de pièces, c'est-à-dire principalement la pièce A-2, qui fait état du montant de la rémunération, ainsi que la pièce A-3, soit le contrat proprement dit, et la pièce R-2, soit un relevé de l'établissement allemand qui dit :

[TRADUCTION]

État de paiements de subvention (novembre 1996 à avril 1997)

faits à M. Christopher Kennedy

Six paiements mensuels de 3 000 marks chacun ont été faits à M. Kennedy pour les mois de novembre 1996 à avril 1997 (inclusivement) au titre de services fournis comme chercheur.

Les paiements de subvention étaient exonérés d'impôt (et de charges sociales).

Ce document est signé par une personne qui, je présume, est membre de la direction de l'établissement allemand où l'appelant a travaillé. Question de politique interne, il semble que l'on payait en franchise d'impôt les chercheurs de l'étranger et peut-être aussi ceux de l'Allemagne elle-même. Si ces personnes n'avaient pas été des chercheurs ou avaient été embauchées à temps plein, elles auraient pu recevoir 5 000 marks par mois. On veut peut-être éviter à ces établissements de devoir payer 5 000 marks par mois et en verser 2 000 au gouvernement allemand, mais, quelle qu'en soit la raison, les chercheurs sont payés en franchise d'impôt en Allemagne.

[10] Le fait que cette rémunération est considérée en Allemagne comme exonérée d'impôt n'a pas d'incidence sur la manière dont elle est considérée au Canada. Autrement dit, une personne qui est résidente du Canada et qui est imposable sur son revenu de toutes provenances doit déclarer son revenu de toutes sources. L'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu exige qu'une personne déclare ses revenus de toutes sources. Il précise que cela comprend le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien. Donc, l'appelant était tenu d'inclure ce montant dans son revenu. Si l'appelant avait pu être considéré comme ayant gagné 5 000 marks par mois, dont 2 000 étaient retenus à la source pour le fisc allemand, le ministre aurait pu ajouter à son revenu pour 1996 l'équivalent canadien de 10 000 marks et lui accorder un crédit d'impôt basé sur le fait qu'il avait payé 4 000 marks d'impôt en Allemagne, tous les montants étant convertis en monnaie canadienne. Cela pourrait avoir été préférable pour l'appelant. L'appelant pourrait avoir été en meilleure posture si tel avait été l'arrangement conclu en Allemagne.

[11] Malheureusement, tel n'est pas l'arrangement que l'appelant avait conclu en Allemagne, et nous devons composer avec les faits tels qu'ils sont. L'arrangement était que l'appelant recevrait 3 000 marks par mois et qu'aucun impôt ne serait prélevé là-dessus en Allemagne, bien que l'appelant ait déclaré — et les documents l'appuient à cet égard — que la valeur économique du poste qu'il occupait en Allemagne était de 5 000 marks par mois, soit 60 000 marks par année. Dans les faits, l'appelant n'a pas reçu 5 000 marks par mois et aucune somme n'a été versée aux autorités fiscales allemandes pour ce qui est du reste de la rémunération, de sorte que l'appelant ne peut bénéficier d'un crédit pour impôt étranger à l'égard d'impôt payé en Allemagne, puisqu'aucun impôt n'avait été payé. L'appelant est donc imposable au Canada à l'égard des sommes qu'il a reçues en Allemagne, lesquelles étaient exonérées d'impôt en Allemagne.

[12] L'appelant a présenté au cours de son argumentation un tableau utile qui indique en quoi sa situation est pire que celle d'une personne qui aurait eu comme paye la somme complète de 5 000 marks par mois en Allemagne, qui aurait été imposée là-dessus au taux de 40 p. 100 et qui se serait retrouvée avec un revenu après impôt de 3 000 marks. D'après l'avis de cotisation, qui, ferais-je remarquer, accroît son fardeau fiscal de plus de 1 200 $, il semble que l'appelant aura probablement en fait un revenu après impôt de 2 300 $ ou 2 400 $ par mois. Les 1 200 $ supplémentaires d'impôt répartis sur deux mois représentent 600 $ par mois, et les 600 $ par mois soustraits de l'équivalent canadien de 3 000 marks laisseront probablement à l'appelant une somme d'environ 2 200 $ canadiens par mois. Donc, le fait que le Canada impose cette somme et que les autorités fiscales allemandes ne l'ont pas imposée influe sensiblement sur l'appelant. L'appelant étant résident du Canada, c'est une conséquence qu'il ne peut éviter.

[13] En terminant, l'appelant a fait remarquer l'anomalie tenant au fait que, à son retour au Canada au printemps 1997, il avait travaillé pendant un mois, puis avait été en chômage un certain temps, mais n'avait pu recevoir de prestations d'assurance-chômage au Canada, parce que l'on considérait au Canada qu'il n'avait gagné aucun revenu au Canada l'année précédente. L'appelant a à juste titre souligné l'iniquité de ce résultat, car il va être imposé au Canada sur la rémunération qu'il a gagnée en Allemagne pendant ces six mois-là, mais, malgré le fait que ces six mois entraient dans la période de douze mois précédant le mois de juillet 1997, on lui a refusé des prestations d'assurance-chômage, parce qu'il n'avait pas été employé au Canada. C'est simplement une des anomalies qui surviennent de temps à autre. Il est impossible à un tribunal d'accorder un redressement équitable dans ces cas-là. Je dois interpréter la législation fiscale telle qu'elle est. Cela donne parfois lieu à des résultats irréguliers, qu'ils soient équitables ou non, et voilà une de ces situations.

[14] Ainsi, l'appelant n'a pas gain de cause, car la somme doit être incluse dans son revenu pour 1996. L'appelant étant résident du Canada, cette somme fait partie de son revenu de toutes provenances. Un crédit pour impôt étranger ne peut être accordé à l'appelant. L'appel pour 1996 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'octobre 1999.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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