Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980409

Dossier: 97-3443-IT-I

ENTRE :

SCOTT L. FROESE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance est interjeté à l'encontre d'une cotisation établie pour l'année 1996, par laquelle le ministre du Revenu national a refusé à l'appelant le crédit d'impôt pour personnes handicapées prévu à l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2] À la suite d'un accident de motocyclette survenu en 1982, la jambe gauche de M. Froese a été amputée deux pouces environ sous le genou. Il a reçu le crédit d'impôt en question de 1985 à 1996; cette année­-là, on le lui a refusé. M. Froese est aujourd'hui âgé de 36 ans.

[3] Il ne m'est pas nécessaire de faire la genèse des dispositions relatives au crédit d'impôt pour personnes handicapées. D'autres juges l'ont fait dans d'autres affaires, en particulier le juge Lamarre Proulx dans l'affaire Landry v. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2030 (C.C.I.), et le juge Létourneau, de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Johnston c. La Reine, numéros du greffe A-347-97 et A-348-97, 6 février 1998.

[4] Aux termes de l'article 118.4, la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne (dans ce cas-ci, la marche) est limitée de façon marquée

seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif.

[5] Si l'on se reporte à la preuve, il est évident que la déficience de M. Froese est prolongée. Il l'a depuis 1982 et il l'aura jusqu'à la fin de ses jours. Elle ne s'améliore pas ni ne se détériore. Aussi, selon la preuve et compte tenu des documents soumis, de ce que j'ai pu observer moi-même et du témoignage de l'appelant, la capacité de marcher de ce dernier est limitée de façon marquée. Il marche avec une canne et porte une jambe artificielle (une prothèse). Il marche lentement et avec difficulté. Il ne peut courir. Il ne peut se rendre nulle part à pied sans consacrer à cette activité un temps excessif. Monter les escaliers constitue une épreuve particulièrement difficile pour lui. Il ressent fréquemment des douleurs. Lorsqu'il rentre à la maison le soir, il retire sa jambe artificielle et se déplace avec l'aide de béquilles.

[6] Le matin, il lui faut environ une demi-heure pour remettre sa jambe. Il utilise un pansement appelé SPENCO 2nd SKIN, qui tient la prothèse en place. Puis, il couvre le moignon de plusieurs épaisseurs de chaussettes, et l'insère ensuite dans la jambe artificielle.

[7] Il s'agit en l'espèce d'un cas évident; de fait, le ministère du Revenu national a dû penser de même jusqu'en 1996. Cette année-là, un problème est survenu.

[8] Aux termes du paragraphe 118.3(1), un contribuable a droit à un crédit pour déficience mentale ou physique si les conditions suivantes sont réunies :

a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée; [de toute évidente, M. Froese a une telle déficience]

a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée; [de toute évidence, c'est le cas dans la présente affaire]

a.2) un médecin [...] atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

[...]

[9] Le Dr Kusch a signé l'attestation pour 1996 le 30 mars 1997 et, en réponse à la question 9, libellée dans les termes suivants :

La déficience est-elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l'activité essentielle de la vie quotidienne même si le patient utilise des appareils appropriés, prend des médicaments ou suit une thérapie?

il a coché la case « Non » . Il a écrit aussi : « Ne peut soulever 20 livres et marcher en même temps » .

[10] À la page 1 du certificat, le Dr Kusch a coché « Permanente » après les termes :

La limitation est :

[11] À la question : « Veuillez indiquer de quelle façon marquée votre patient est limité : » , il a coché la case : « marche » .

[12] À la partie B du certificat, le Dr Kusch a décrit le diagnostic dans les termes suivants :

G - Amputation au-dessus du genou en 1982 - AVA

Pt [patient, je suppose] ne peut se passer de sa canne - Le pt éprouve des douleurs chroniques constantes. (moignon et membre fantôme).

En fait, l'amputation a été faite sous le genou.

[13] Le 18 juillet 1997, le ministère a écrit au Dr Kusch et lui a fait parvenir un questionnaire. Au nombre des questions et des réponses figure ce qui suit :

[TRADUCTION]

Votre patient doit-il consacrer un temps excessif* à la marche même s'il utilise des appareils appropriés, prend des médicaments ou suit une thérapie?

* Un temps excessif s'entend d'un temps si long que le patient n'accomplirait pas l'activité si cela n'était pas nécessaire.

Le médecin a répondu par l'affirmative.

[TRADUCTION]

Pendant combien de temps votre patient était-il incapable de marcher même s'il utilisait des appareils appropriés, prenait des médicaments ou suivait une thérapie?

Le médecin a répondu « 16 heures par jour » .

[14] Les documents du Dr Kusch étaient clairement contradictoires.

[15] Dans l'arrêt Narsing c. La Reine, la Cour d'appel fédérale, numéros du greffe A-939-96 et A-942-96, 26 janvier 1998, on a dit oralement à l'audience :

[4] Il est indéniable qu'au vu uniquement des certificats médicaux ambigus versés au dossier et que ne venait clarifier aucune autre preuve médicale, le juge de la Cour de l'impôt ne pouvait pas réfuter ou infirmer les conclusions du ministre.

[16] Dans la présente affaire, cependant, il y a une preuve considérable.

[17] La question de l'effet déterminant d'une réponse cochée sur un certificat médical en vertu de l'article 118.3 devra être résolue à un autre moment. Il semble par ailleurs plutôt étrange que le ministère du Revenu national rejette systématiquement les certificats sur lesquels les médecins ont indiqué qu'un patient a une déficience grave et prolongée, mais que dans les cas où, en dépit de toute la preuve, le médecin coche une case qui ne favorise pas la personne déficiente, le ministère y voie un obstacle insurmontable pour faire droit à la demande du contribuable. Une telle position constitue une utilisation inacceptable de considérations d'ordre technique dans le but de refuser des demandes légitimes. Ainsi que le juge Létourneau l'a dit dans l'arrêt Johnston, précité :

[10] L'objectif des articles 118.3 et 118.4 ne vise pas à indemniser la personne atteinte d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée, mais plutôt à l'aider à défrayer les coûts supplémentaires liés au fait de devoir vivre et travailler malgré une telle déficience. Comme le juge Bowman le dit dans l'arrêt Radage v. R.1, à la page 2528 :

L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

Le juge poursuit à la p. 2529 en faisant la remarque suivante, à laquelle je souscris :

Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante.

[11] En effet, même si elles ne s'appliquent qu'aux personnes gravement limitées par une déficience, ces dispositions ne doivent pas recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l'intention du législateur, voire irait à l'encontre de celle-ci.

______________________________________________________

1 [1996] 3 C.T.C. 2510.

[18] Peut-être Roger Casement a­-t-­il été pendu pour une virgule. Je ne suis cependant pas disposé à rejeter la présente demande, qui est de toute évidence méritoire, à cause d'une case cochée par erreur.

[19] L'appel est admis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 1998.

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17 e jour de juillet 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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