Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19981217

Dossier: 97-3607-IT-I

ENTRE :

JOHN F. VANTYGHEM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] La question soulevée dans le présent appel par John F. Vantyghem contre une cotisation d’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1996 est de savoir si l’installation d’une cuve thermale dans la maison qu’il partageait avec son épouse, Karen Vantyghem, près d’Eden, en Ontario, peut être considérée comme comprise dans les “ rénovations ou transformations apportées à l’habitation ” au sens de l’alinéa 118.2 (2)(l.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) pour permettre à Mme Vantyghem, qui a un handicap moteur prolongé, de s’y déplacer ou d’y accomplir les tâches de la vie quotidienne.

[2] Les parties conviennent que Mme Vantyghem avait un handicap moteur grave et prolongé en 1996 à la suite d’une chute d’une plate-forme de douze pieds de haut en 1991. Lors de sa chute, Mme Vantyghem a subi une fracture de la première vertèbre lombaire ainsi qu’une blessure à la colonne vertébrale supérieure et au crâne. Elle a aussi souffert de malaises internes.

[3] Après son accident, Mme Vantyghem a suivi diverses thérapies, comme l’hydrothérapie et la physiothérapie pour soulager sa douleur. Elle a déclaré que l’hydrothérapie l’aidait à accroître sa mobilité, mais tout soulagement disparaissait du moment qu’elle quittait l’établissement de traitement pour revenir chez elle par temps froid. Son médecin lui a prescrit divers analgésiques pour diminuer la douleur.

[4] Divers spécialistes, dont un chirurgien orthopédiste, ont prodigué des traitements à Mme Vantyghem. Un de ses médecins, le Dr Brown, lui a dit que même les analgésiques perdraient leur efficacité un jour ou l’autre. Un certain Dr Vincent VanHooydonk lui a recommandé de se procurer une cuve thermale pour faciliter le soulagement de la douleur et réduire sa dépendance à l’égard des analgésiques. Mme Vantyghem a également déclaré qu’elle éprouvait des réactions indésirables aux analgésiques à mesure que la dose augmentait.

[5] Mme Vantyghem a constaté que, de toutes les thérapies offertes, l’hydrothérapie était celle qui lui faisait le plus de bien et lui permettait d’avoir la plus grande liberté de mouvements. Avant l’installation de la cuve thermale, Mme Vantyghem éprouvait de la difficulté à se rendre au deuxième étage de sa maison. Grâce aux traitements dans la cuve thermale, elle peut se dispenser de prendre des analgésiques et se déplacer dans sa maison. Elle affirme qu’elle est en mesure de calmer sa douleur en utilisant la cuve thermale et en restreignant ses activités.

[6] La famille Vantyghem habite une ferme, et il faudrait presque une heure à Mme Vantyghem pour se rendre à un hôpital à London et y recevoir la physiothérapie dont elle a besoin. En 1992, elle a été informée que la physiothérapie lui serait dorénavant inutile et elle a discontinué les traitements.

[7] M. Vantyghem a confirmé que son épouse a continué à faire des exercices à la maison après qu’elle eût été informée que la physiothérapie lui serait dorénavant inutile. Toutefois, a-t-il remarqué, “ son était se détériorait et elle consommait plus de médicaments ”. Il a aussi déclaré qu’elle ressentait plus de douleur par temps variable. Il a confirmé que le fait pour son épouse de passer du temps dans la cuve thermale lui permettait de calmer sa douleur et de se déplacer dans la maison. Il a aussi ajouté qu’aucune thérapie n’était disponible pour son épouse à proximité de leur résidence et que la cuve thermale constituait la seule thérapie qui soulageait la douleur de son épouse et accroissait sa mobilité.

[8] Les parties s’entendent pour dire que la cuve thermale n’est pas un des dispositifs ou équipements médicaux prescrits par l’article 5700 du Règlement pris en vertu de la Loi.

[9] L’intimée s’est appuyée sur l’affaire Richard Craig v. The Queen, [1996] 3 CTC 2037, dans laquelle cette cour a rejeté la demande du contribuable d’un crédit d’impôt pour frais médicaux liés à l’installation d’une cuve thermale à l’intérieur de la maison familiale pour son épouse qui souffrait d’un trouble débilitant connu sous le nom de fibromyalgie. Le rhumatologue de l’épouse avait recommandé la cuve thermale mais ne l’avait pas prescrite.

[10] Dans l’affaire Craig, ma collègue la juge Lamarre-Proulx a accepté l’argument de l’avocat de l’intimée selon lequel le paragraphe 118.2(2) de la Loi s’applique aux modifications destinées à aider une personne déficiente à se déplacer dans une habitation. Elle a conclu que le paragraphe fait allusion à un dispositif technique ou mécanique axé sur le transport d’une personne plutôt qu’à un dispositif visant à assurer le bien-être de celle-ci.

[11] La juge Lamarre-Proulx a également fait référence à la note technique du mois de mai 1991 et aux Renseignements supplémentaires sur le budget de 1991 concernant la modification apportée à l’alinéa 118.2(2)(l.2). La note technique contient l’explication suivante sur la modification :


...que les frais raisonnables afférents aux modifications apportées à l’habitation d’un particulier qui ne jouit pas d’un développement physique normal ou qui est obligé de demeurer dans un fauteuil roulant constituent des frais médicaux. La modification qui est apportée à cet alinéa [...] étend le champ d’application de cette disposition à tous les particuliers atteints d’un handicap moteur grave et prolongé.

[12] Dans les Renseignements supplémentaires sur le budget, il est expliqué que la modification vise à augmenter la liste de dépenses médicales pour qu’elle comprenne “ les modifications apportées à un logement afin de permettre à une personne dont la mobilité est restreinte de façon sérieuse et permanente (par exemple, une personne atteinte de sclérose en plaques ou de paralysie cérébrale) d’avoir accès à la maison ou aux pièces de celle-ci – un élargissement de la disposition dont seules bénéficient à l’heure actuelle les personnes qui doivent demeurer dans un fauteuil roulant ”.

[13] Les Renseignements supplémentaires sur le budget et la note technique susmentionnés font allusion à “ des modifications apportées au logement ”. Le dictionnaire The Shorter Oxford Dictionary on Historical Principles, 1983 ( “ Shorter Oxford”) définit le verbe “ modify ” (modifier) de la façon suivante : “ apporter des modifications partielles à; modifier sans apporter des changements radicaux ”. Ainsi, une modification apportée à un logement peut comprendre un très large éventail de changements en autant qu’aucune modification substantielle n’est apportée au logement. L’emploi du mot “ modification ”, un mot d’une très vaste portée, dans les Renseignements supplémentaires sur le budget et la note technique implique que les mots “ transformations ” et “ rénovations ” employés à l’alinéa 118.2(2)(l.2) doivent recevoir une interprétation très libérale.

[14] Le Shorter Oxford définit les verbes “ alter ” (transformer) et “ renovate ” (rénover) de la manière suivante :

[TRADUCTION]
transformer : 1. Changer ou modifier une chose d’une manière quelconque sans en altérer l’essence. 2. Devenir différent, subir une modification...

rénover : l. Renouveler. 2. Renouveler d’une manière importante; réparer, restaurer en remplaçant les parties perdues ou endommagées; créer de nouveau.

[15] Pris dans son sens ordinaire, le mot “ transformations ” semblerait comprendre presque toutes sortes de modifications. Ainsi, le verbe “ transformer ” semble assez large pour comprendre des installations. En outre, le fait que les mots “ transformations ” et “ rénovations ” soient utilisés d’une manière disjonctive à l’alinéa 118.2(2)(l.2) incite à les interpréter de manière à ce que ni l’un ni l’autre ne soit superflu.[1] Il est tout à fait raisonnable de donner au mot “ transformations ” un sens qui s’étend à d’autres modifications que celles qui sont comprises dans le mot “ rénovations ”. Une installation peut être une “ transformation ” qui n’est pas simplement une “ rénovation ”.

[16] Le mot “ rénover ” a fait l’objet d’un examen dans l’arrêt Edinburgh Parish Council v. Edinburgh Assessor, 43 S.L.R., p. 442. Lord Dundas a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

La notion de dépenses de rénovations apportées aux bâtisses, aux réservoirs à gaz et aux conduites maîtresses, même si elle est peut-être ambiguë, s’entend probablement des renouvellements résultant de réparations et non des remplacements impliquant l’addition d’éléments transmissibles.

[17] D’après le Shorter Oxford et l’arrêt Edinburgh, “ rénovation ” signifie le renouvellement ou la restauration d’un élément existant à l’exclusion de l’addition d’un nouvel élément important. Dans son sens ordinaire et selon les circonstances, “ rénovation ” peut avoir un sens opposé ou complémentaire à “ installation ”. “ Rénovation ” s’emploie couramment dans les conversations de tous les jours pour décrire les modifications apportées à un logement, lesquelles pourraient comprendre les installations. Ainsi, “ rénover ” une salle de bain pourrait signifier l’addition d’appareils qui n’ont pas été installés lors de la construction.

[18] Dans l’arrêt Williams c. Canada [1997] A.C.I. No 1346 au paragraphe 9, le tribunal a conclu que les rénovations et les transformations dont il est question à l’alinéa 118.2(2)(l.2) ne se limitent pas à celles qui visent à fournir un accès au logement.[2] Le tribunal a plutôt conclu que la disposition pouvait s’appliquer aux rénovations ou aux transformations qui permettent à une personne ayant un handicap de “ se déplacer ou de fonctionner dans son habitation de manière à pouvoir y accomplir les tâches de la vie quotidienne ”.

[19] Les dispositions de la Loi portant sur les frais médicaux et les crédits d’impôts pour personnes handicapées doivent recevoir l’interprétation la plus juste et la plus libérale qui soit compatible avec la réalisation de leur objet et l’intention du législateur lorsqu’il les a adoptées[3]. Tout texte “ s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ”.[4] Dans les cas où il n’est pas déraisonnable, selon les circonstances de l’affaire, de conclure qu’une somme payée par un contribuable représente des frais médicaux, le tribunal doit examiner si la somme ainsi payée se qualifie comme des frais médicaux aux termes du paragraphe 118.2(2) de la Loi.

[20] Le mot “ transformations ” à l’alinéa 118.2(2)(l.2) comprend l’“ installation ”; une personne typique trouverait que cette interprétation est raisonnable étant donné la situation de Mme Vantyghem.

[21] Dans le présent appel, M. Vantyghem a engagé des dépenses liées à une transformation apportée à la maison, soit l’installation d’une cuve thermale pour permettre à Mme Vantyghem, qui en 1996 avait un handicap moteur grave et prolongé, de se déplacer dans leur maison. C’est la preuve qui m’a été présentée et je l’accepte.

[22] L’appel est admis avec dépens, le cas échéant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de décembre 1998.

“Gerald J. Rip”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de juillet 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]Dans Construction of Statutes, 2nd. ed. (Toronto: Butterworths, 1983) E.A. Dreidger écrit ce qui suit à la p. 92 :

                [TRADUCTION] L’interprétation qui permet la réalisation intégrale des objets de la loi en entier ou de la disposition examinée devrait l’emporter sur celle qui aurait pour effet de vider une partie de la loi ou de la disposition de son sens.

[2] Dans l’affaire Craig, précitée, la juge Lamarre-Proulx arrive à une conclusion différente.

[3] Voir Radage v. R., 96 DTC 1615 (C.C.I.) et Noseworthy v. R. 96 DTC 3235 (C.C.I.)

[4] La Loi d’interprétation, L.R.C. ch. I-21, art.12.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.