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Date: 19990528

Dossier: 98-97-UI

ENTRE :

RAYMONDE JEAN,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 19 février 1999, dans le but de déterminer si l'appelante a exercé un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ), du 17 juin au 20 septembre 1996 et du 5 mai au 18 juillet 1997, lorsqu'elle était au service de 9018-7683 Québec inc. exploitant une entreprise sous la raison sociale Passion-Krafts International (le payeur).

[2] Par lettre du 13 janvier 1998, l'intimé informa l'appelante que cet emploi n'était pas assurable, car il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il n'y avait pas de relation employeur-employée entre elle et le payeur durant les périodes en litige.

Exposé des faits

[3] Les faits sur lesquels s'est basé l'intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

« a) Le payeur, constitué en corporation en avril 1995, exploite une entreprise oeuvrant dans diverses activités dont : répulsif animal, foyers extérieurs, transformation de filet (terrain de golf) et la capture et relocalisation de petits mammifères. (admis)

b) Le seul actionnaire du payeur est M. Théodore Davidson, ex-conjoint de l'appelante. (admis)

c) L'appelante a été embauchée dans le secteur d'activité concernant la répulsion animale; elle devait confectionner des biscuits servant d'appât pour capturer de petits mammifères (ratons laveurs, mouffettes). (admis)

d) L'appelante demeurait à Ste-Flavie (près de Rimouski) alors que le payeur avait ses bureaux à Neuville (près de Québec). (admis)

e) L'appelante effectuait son travail dans sa résidence personnelle et fabriquait des biscuits devant servir à attirer de petites bêtes pour les capturer. (admis)

f) Le payeur a aussi embauché M. Jean Nadeau pour travailler sur le même projet que l'appelante; il devait effectuer des tests sur les biscuits préparés par l'appelante. (admis)

g) M. Jean Nadeau est chercheur et était directeur général de la SPCA (Québec); le payeur l'a embauché en raison de 8 heures par semaine, pour 100 $ par semaine, jusqu'en juillet 1997. (admis)

h) L'appelante faisait des recherches sur les goûts des animaux; elle a fait des tests avec des pâtes non cuites et cuites, a vérifié la forme, l'épaisseur et la saveur des biscuits (boeuf, poisson, beurre d'arachides). (admis)

i) Le payeur avait convenu de verser une rémunération fixe de 320 $ par semaine à l'appelante basée sur des semaines de 40 heures. (admis)

j) L'appelante travaillait seule à la maison et était entièrement libre de ses heures de travail qui n'étaient pas comptabilisées par le payeur. (nié)

k) L'appelante préparait ses recettes et retournait ses biscuits, une trentaine à la fois, par courrier au payeur qui en faisait l'essai sur le terrain. (admis)

l) Le payeur pouvait rembourser quelques dépenses à l'appelante (farine, beurre d'arachides et téléphones), mais il ne versait rien à l'appelante pour l'utilisation de sa résidence, son électricité, ses plats et équipements. (admis)

m) Durant les périodes en litige, l'appelante travaillait aussi pour un terrain de golf à raison de deux, parfois trois, journées par semaine. (nié)

n) Le payeur ne contrôlait d'aucune façon le travail et les heures de travail de l'appelante; il n'était intéressé que par le produit fini. (nié)

o) L'appelante rendait des services au payeur dans le cadre d'un contrat d'entreprise et non en vertu d'un contrat de louage de services. » (nié)

[4] L'appelante a reconnu la véracité de tous les faits allégués aux alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'elle a niés ou déclaré ignorer, comme il est indiqué entre parenthèses à la fin de chaque alinéa.

Témoignage de Raymonde Jean

[5] Cuisinière et serveuse de métier, l'appelante travaille pour le payeur du 17 juin au 20 septembre 1996 et du 5 mai au 18 juillet 1997 à faire des recherches afin de trouver une recette de base pour l'obtention d'un produit comestible et naturel; un moyen pour la conservation du produit à long terme; des essences naturelles pouvant attirer les espèces animales ciblées par le produit; la durée de cuisson adéquate; un concept d'emballage permettant la conservation et offrant des attraits intéressants pour la vente; et fabriquer le produit et l'expédier au centre de distribution de Québec pour qu'il soit testé (pièce A-1). Son horaire de travail est de 40 heures par semaine payées à 8 $/heure (de 8 h à 12 h et de 13 h à 17 h). L'appelante accomplit son travail à la maison, fournit les essences et ingrédients nécessaires et les moules représentant les formes de diverses espèces d'animaux. Elle travaille, en outre, au casse-croûte du golf de La Pointe les fins de semaine, à la cuisine et comme serveuse, quand elle est demandée. Le payeur lui téléphone quatre ou cinq fois par semaine. Quand le produit est terminé, l'appelante l'expédie au payeur par la poste ou par messager. À part quelques ingrédients, le payeur ne rembourse rien à l'appelante pour l'usage de sa maison, de l'électricité, de l'équipement et des ustensiles de cuisine. Jean Nadeau, biologiste, vérifie la toxicité des produits utilisés. L'appelante est payée par chèque par le payeur qui décide de la date du début et de la fin des travaux. Elle fait en moyenne 100 biscuits par semaine de différentes essences, habituellement sept ou huit, selon les instructions de Théodore Davidson, l'unique actionnaire, représentant du payeur. Le produit doit plaire aux animaux, parce que le payeur veut fabriquer un mets délicieux, non pas un poison. À cause des occupations multiples de Théodore Davidson, ce dernier embauche Jean Nadeau pour faire le lien avec l'appelante : quatre ou cinq fois par semaine, ce dernier communique avec elle, même plus souvent, pour lui transmettre les ordres de Théodore Davidson.

[6] Avant l'engagement de l'appelante par Théodore Davidson, ce dernier lui payait une pension alimentaire mensuelle de 350 $, qu'il a continué à verser même durant les périodes en litige. Par ailleurs, l'appelante gagne aussi un revenu de 130 $ par semaine au golf de La Pointe. Durant sa période de chômage, entre les deux périodes de travail, l'appelante reçoit des prestations d'assurance-chômage. Outre les appels téléphoniques de Jean Nadeau, l'appelante le rencontre à deux reprises. Cette dernière demeurant à Mont-Joli et le payeur à Neuville, une distance de trois heures de route les sépare.

Témoignage de Théodore Ludger Davidson

[7] La raison d'être de l'emploi de l'appelante était de mettre au point différents produits susceptibles d'attirer les animaux nuisibles dans des cages pour les relocaliser. Les ingrédients employés étaient la sardine, le beurre d'arachides, les confitures aux fraises et aux framboises, etc... Le temps le plus propice pour capturer ces animaux va du mois de mai à septembre. Depuis qu'il travaille dans le domaine de l'invention, Théodore Davidson a réussi à mettre sept inventions à son crédit. S'étant déjà fait voler deux inventions, il avait besoin d'une personne de confiance qu'il dénicha dans l'appelante. À cause des mauvaises odeurs dégagées par les huiles essentielles utilisées dans la fabrication de ces produits, il ne pouvait pas embaucher l'appelante et la loger dans son usine de Cap Santé. Alors, il décida d'embaucher l'appelante et de lui permettre d'effectuer ses recherches et travaux chez-elle. Elle devait trimer 40 heures par semaine au taux horaire de 8 $, de 8 h à 16 h chaque jour. Théodore Davidson savait que l'appelant travaillait à temps partiel au golf de La Pointe, mais n'en avait cure. Le payeur exerçait un contrôle sur son employée en exigeant des rapports réguliers et des échantillons des divers biscuits obtenus. Il était en contact téléphonique régulièrement avec l'appelante pour parler d'affaires concernant le projet. Cette dernière lui faisait parvenir des échantillons de ses biscuits par messager ou l'autobus. L'appelante a travaillé du 17 juin au 20 septembre 1996 et l'année suivante à compter du 5 mai 1997, aux heures de la journée qui lui convenaient le mieux. Le payeur a mis fin à ses expériences, parce que, pour commercialiser ce produit, il devait le faire homologuer quant à la toxicité et l'efficacité. Le payeur donne ses directives à l'appelante quant à la fabrication du produit et lui impose les changements à faire dans la recette. Le payeur rembourse les frais téléphoniques de l'appelante et autres déboursés. C'est aussi lui qui décide quand et quelles recettes seront expérimentées. Les dates de la mise à pied de l'appelante sont fixées en fonction de la température, de la saison et de la météo. L'appelante a rendu des services au payeur en dehors des périodes en litige (pièce I-2). La fin de la saison 1997, elle, a été décidée en fonction des disponibilités financières du payeur. Au cours des périodes en litige, Théodore Davidson communiquait avec l'appelante de trois à cinq fois par semaine.

Nouveau témoignage de l'appelante

[8] Les factures produites sous la cote I-2 représentent l'achat de paraffine et d'autres marchandises pour la prochaine saison du 5 mai au 18 juillet 1997, mais l'appelante n'a pas travaillé entre le 20 septembre 1996 et le 5 mai 1997.

Témoignage de Sylvie Côté

[9] Vérificateur à Revenu Canada, Sylvie Côté a communiqué avec l'appelante le 22 décembre 1997 et avec Théodore Davidson le 19 décembre 1997 et le 5 janvier 1998. L'appelante affirme que : « C'est moi qui ai fait les recherches et c'est moi qui les garde » parlant des recettes qu'elle avait utilisées pour fabriquer les biscuits. À la page 100 des notes, ligne 69, elle ne se souvient plus. L'appelante avait droit de toucher 29 semaines d'assurance-chômage et c'est ce qu'elle a reçu. Quant à son horaire de travail, madame Jean déclare qu'elle ne bossait pas toujours 40 heures par semaine, mais que cela compensait pour la location de son équipement et de sa maison, etc... Elle pouvait travailler le soir, le jour ou les fins de semaine. C'est elle qui décidait de son horaire de travail.

[10] Théodore Davidson, lui, déclare aussi que l'appelante peut faire son travail quand bon lui semble. L'appelante lui a remis toutes les recettes. L'appelante gagnait 320 $ par semaine de 40 heures.

Analyse des faits en regard du droit

[11] Il y a lieu maintenant de déterminer si l'activité de l'appelante est incluse dans la notion d'emploi assurable, c'est-à-dire s'il existe un contrat de travail ou non.

[12] La jurisprudence a énoncé quatre critères indispensables pour reconnaître un contrat de travail. La cause déterminante en cette matière est celle de City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd. [1947] 1 D.L.R. 161. Ces critères sont les suivants : 1) le contrôle; 2) la propriété des instruments de travail; 3) la possibilité de profit et 4) le risque de perte. La Cour d'appel fédérale y a ajouté le degré d'intégration dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. [1986] 3 C.F. 553, mais cette énumération n'est pas exhaustive.

[13] Or, la preuve a démontré que le travail exécuté par l'appelante l'était sous la direction du payeur et qu'il existait un lien de subordination entre eux. C'est le payeur qui possède l'entreprise nécessaire à son exploitation. C'est le payeur qui seul peut réaliser des bénéfices ou des pertes dans l'exploitation de son entreprise et non l'appelante qui ne reçoit qu'un salaire fixe. Enfin l'appelante exécutait son travail chez elle, vu que le payeur n'avait pas de local permanent et disponible à lui offrir. Les instruments lui appartiennent et le payeur la paye pour leur usage. L'appelante est bien intégrée dans le travail du payeur.

[14] J'en conclus donc que le payeur exploitait une entreprise et l'appelante était à son service durant les périodes en cause.

[15] En conséquence, l'appel est accueilli et la décision de l'intimé est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mai 1999.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.

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