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Date: 19980303

Dossier: 97-1665-IT-I

ENTRE :

CHERYL LYNNE KUCHTA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] L'appelante fait appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour son année d'imposition 1995. Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1995, l'appelante avait déduit des frais de garde d'enfants de 5 160 $. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la déduction parce que l'appelante était l'épouse de Theodore Kuchta, qu'elle habitait avec son époux, soit une personne assumant les frais d'entretien au sens du paragraphe 63(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), et que, pour cette année-là, le revenu de Theodore Kuchta était réputé égal à zéro en vertu de l'alinéa 3f) de la Loi. Ainsi, le revenu de l'appelante était supérieur à celui de son époux, et ce dernier n'entrait pas dans le cadre de l'une quelconque des dispositions de l'alinéa 63(2)b) de manière à supprimer l'effet du revenu supérieur de l'appelante concernant l'admissibilité à la déduction des frais de garde d'enfants.

[2] L'appelante a déclaré dans son témoignage qu'elle habite à Richmond (Colombie-Britannique) et qu'elle travaille comme infirmière autorisée. Elle a déposé, sous la cote A-1, une copie de l'accord de séparation en date du 19 janvier 1990 entre elle-même — elle s'appelait alors Cheryl Lynne Watkins — et son ex-mari, James Robert Watkins. Au sujet des quatre enfants issus du mariage, l'appelante et son ex-mari avaient convenu d'une garde partagée, qui a été maintenue aux termes du jugement de divorce en date du 19 octobre 1992. Ils avaient aussi convenu qu'ils se consulteraient sur toutes les questions touchant la santé, l'éducation et le bien-être général des enfants. James Robert Watkins avait consenti à verser à l'appelante 2 000 $ par mois pour subvenir aux besoins des enfants. Ils avaient en outre convenu de partager — également — l'allocation familiale versée à l'égard des enfants. En 1995, l'accord de séparation de 1990 ne s'appliquait qu'à deux des enfants issus du mariage, Heather, qui avait 14 ans, et Anne (Annie), qui avait 13 ans. Gregory Kuchta — né le 4 juin 1993 — est l'enfant de l'appelante et de Theodore (Ted) Kuchta, soit l'époux actuel de l'appelante. L'appelante a dit que Ted Kuchta n'est pas responsable de Heather et Annie pour ce qui est du soutien financier ou de la discipline. L'appelante a dit que, en 1995, elle travaillait comme infirmière dans un service de soins intensifs à l'hôpital général de Vancouver. Elle travaillait par quarts de 12 heures, soit des quarts qui, de temps à autre, étaient prévus à l'horaire pour des fins de semaine ou des jours fériés. Pour un quart de jour, elle quittait la maison à 6 h 30 et revenait à 20 heures; pour le quart de nuit, elle partait à 19 heures et revenait à 8 heures le lendemain matin. En incluant le temps de déplacement entre chez elle et l'hôpital, sa journée de travail durait 14 heures. S'occuper des enfants posait donc des difficultés. Gregory était dans une garderie de 9 heures à 17 heures, et Heather et Annie, qui étaient plus vieilles, participaient à des activités en soirée, soit des activités à des endroits où l'appelante était convaincue que Heather et Annie étaient bien surveillées, de sorte qu’il n’était pas nécessaire d'engager une gardienne pour ces périodes. L'appelante a renvoyé à sa déclaration de revenu pour 1995 — pièce A-3 — dans laquelle elle avait indiqué — à la ligne 214 — le montant de 5 160 $ comme frais de garde d'enfants, montant qu'elle avait déduit de son revenu déclaré, soit 53 075,02 $. Elle avait en outre rempli un formulaire T778(E), dans lequel elle indiquait les détails relatifs aux diverses sommes payées, formulaire qu'elle avait joint à sa déclaration de revenu. Elle avait inclus certains paiements faits au titre de la participation des enfants à des activités tenues le soir sous surveillance, considérant qu'il s'agissait d'activités équivalentes à celles d'une école de sports ou d'une colonie de vacances, soit des établissements mentionnés dans un passage du Guide d'impôt général de 1995 (pièce A-4). L'appelante a expliqué que ses quarts de travail — de jour ou de nuit — coïncidaient encore avec les heures pendant lesquelles les enfants s'adonnaient à des activités sous surveillance, jouant à la ringuette ou suivant des cours de gymnastique ou de karaté. L'appelante a dit qu'elle considérait son époux, Ted Kuchta, comme une personne assumant les frais d'entretien uniquement à l'égard de leur enfant, Gregory. Elle doutait avoir été au courant de la définition de « personne assumant les frais d'entretien » figurant dans la Loi avant de remplir sa déclaration de revenu pour 1995. Son ex-mari, James Robert Watkins, était la personne qui versait de l'argent pour subvenir aux besoins des enfants issus de leur mariage. Ted Kuchta, soit un avocat travaillant à son compte, exerçait le droit en 1995. Bien qu'ayant eu un revenu brut, il avait — à cause de frais généraux élevés de son bureau du centre-ville de Vancouver et à cause d'autres facteurs — indiqué dans sa déclaration de revenu pour 1995, soit la pièce A-5, un revenu négatif. Cela avait été confirmé dans l'avis de cotisation en date du 27 juin 1996 établi à son égard — pièce A-6 — qui disait que son revenu net pour l'année d'imposition 1995 était de moins 2 048 $, soit un revenu imposable de zéro. Comme il avait liquidé son cabinet de Vancouver pour se réinstaller à leur résidence de Richmond, il y avait eu déclaration d'un revenu sur une période de 21 mois donnant lieu à une perte — provenant du cabinet d'avocat — de 17 824,43 $. En outre, il y avait eu une perte en capital de 1 368,70 $. Le revenu comprenait 4 690,29 $ de pension de sécurité de la vieillesse, 7 105,44 $ de prestations du Régime de pensions du Canada et 4 171,96 $ de dividendes imposables, soit un total de 15 967,69 $. L'appelante a dit qu'il était évident que Ted Kuchta n'avait aucun revenu duquel déduire des paiements au titre de la garde d'enfants. Il gardait les enfants le soir et la fin de semaine lorsqu'il pouvait le faire, mais, d'autres fois, une gardienne était engagée. En 1995, Ted Kuchta — né en 1926 — a travaillé toute l'année comme avocat. L'appelante a dit que, lorsqu'elle avait reçu la lettre — pièce A-7 — de Revenu Canada en date du 28 août 1996 demandant certains reçus à l'appui de sa demande de déduction de frais de garde d'enfants, elle avait déjà reçu un remboursement fondé sur la déclaration qu'elle avait produite. Le 15 octobre 1996, elle a reçu un avis de nouvelle cotisation rejetant sa demande de déduction de frais de garde d'enfants.

[3] En contre-interrogatoire, l'appelante a dit que le numéro d'assurance sociale de son époux, Ted Kuchta, était inscrit sur l'étiquette que Revenu Canada avait envoyée et qu'elle avait apposée sur sa déclaration de revenu. Heather jouait à la ringuette, avait fréquenté un camp d'été pendant une semaine et participait à des tournois dans d'autres municipalités, ce qui l'obligeait à passer la nuit là-bas. Elle voyageait avec l'équipe, les instructeurs et les surveillants, et les frais d'hébergement étaient inclus dans la somme payée par l'appelante au titre des frais d'inscription. L'appelante a dit qu'elle n'avait indiqué que la partie des paiements relatifs aux leçons de karaté ou de gymnastique correspondant aux périodes où elle était au travail et ne pouvait s'occuper de Heather et Annie pendant la soirée. Par exemple, l'appelante a expliqué que le coût des cours de karaté que suivait Heather au centre communautaire était de 30 $ par mois et qu'elle n'avait toutefois déduit que 120 $ pour l'année. Les cours commençaient entre 18 h 30 et 20 heures et duraient deux heures et demie. Annie faisait de la gymnastique cinq jours par semaine. Elle prenait l'autobus à l'école pour se rendre dans une école privée de Richmond où elle suivait un programme intensif de formation en gymnastique et elle participait à des compétitions en Colombie-Britannique. Le samedi — toute la journée — elle suivait un programme de sports nautiques, c'est-à-dire qu'elle allait dans un « camp de sports nautiques » . Le cours durait 10 semaines et comprenait une formation en canotage et en plongée en scaphandre autonome ainsi que des activités connexes.

[4] Theodore Kuchta, qui était l'avocat de l'appelante, soutenait que la véritable personne assumant les frais d'entretien relatifs à Heather et Annie était l'ex-mari de l'appelante, et ce, en vertu de l'accord en date du 19 janvier 1990. Calculé conformément aux dispositions de la Loi, le revenu de Theodore Kuchta avait été de moins 2 048 $, ce qui n'est assurément pas le revenu nul ou égal à zéro qui est prévu. Chercher à ce que le revenu soit considéré autrement, a fait valoir l'avocat de l'appelante, revenait à créer une absurdité qui ne devrait pas être permise, malgré la récente jurisprudence faisant suite à la modification de l'article 63 de la Loi.

[5] L'avocat de l'intimée soutenait que le contribuable doit calculer son revenu conformément à l'article 3 de la Loi. En raison de l'alinéa 3f), le revenu de Theodore Kuchta, soit l'époux de l'appelante, a été réputé égal à zéro. Ainsi, ce revenu était inférieur à celui de l'appelante, et cette dernière n'était donc pas admissible à la déduction de frais de garde d'enfants.

[6] Avant la modification apportée à l'article 3 de la Loi en 1990, la Cour fédérale du Canada, dans l'affaire The Queen v. McLaren, 90 DTC 6566, ainsi que, précédemment, la Cour canadienne de l'impôt, dans l'affaire Fiset v. M.N.R., 88 DTC 1226, avaient statué que le mot « revenu » désignait un montant positif et non un revenu nul ou inexistant. Ces décisions indiquaient que, après qu'un contribuable eut suivi le processus décrit à l'article 3 de la Loi, il fallait que le revenu se dégageant du processus soit une somme positive. Puis, l'alinéa 3f) a été ajouté, aux fins de la partie I, concernant les règles fondamentales relatives à la détermination du revenu; l'alinéa 3f) se lit comme suit :

« f) sinon, le revenu du contribuable pour l'année est réputé égal à zéro. »

[7] Dans l'affaire Fromstein v. The Queen, 93 DTC 726, le juge Sobier, de la C.C.I., a traité de l'effet de l'alinéa 3f) de la Loi; à la page 726, il disait :

Jusqu'à l'adoption de l'alinéa 3f), la Cour fédérale ainsi que la présente Cour, par l'entremise du juge en chef, le juge Couture, ont précisé qu'il fallait un montant positif pour constituer un revenu aux fins de l'application de l'article 63. L'article 63 est un procédé visant à permettre la déduction des frais de garde d'enfants. L'article dont il s'agit prévoit, comme question de politique, que la partie qui assume les frais d'entretien et qui gagne le revenu le moins élevé aura droit à la déduction des frais de garde d'enfants. Ce principe a été interprété dans les affaires McLaren et Fiset comme étant applicable à un montant positif et, dans ce qui semblait être une réaction automatique à ces affaires, la Loi de l'impôt sur le revenu a été mal modifiée, avec rapidité et sans procéder à un bon examen de ce qui était fait. J'estime qu'en adoptant l'alinéa 3f), tel qu'il l'a été, c'est-à-dire sans bien examiner l'objet recherché par l'article 63, équivalait à un rafistolage fait à la hâte en vue d'annuler les effets des arrêts McLaren et Fiset. Ils ont procédé ainsi en se servant d'un marteau de forgeron plutôt que d'un scalpel. J'estime qu'on aurait pu faire face aux problèmes et les régler d'une façon plus raffinée, mais ça n'a pas été le cas. Ils ont utilisé une épée mal effilée pour trancher au coeur des décisions McLaren et Fiset. Ils ont, en effet, atteint le point essentiel de ces décisions.

J'inciterais vivement le ministère des Finances et le ministère du Revenu national à réfléchir davantage à la façon maladroite employée pour tenter de contourner les décisions McLaren et Fiset, et à examiner le but véritable de ces décisions qui consiste à permettre à une famille dont les deux parents travaillent, de tirer un avantage, ce qui, comme en l'espèce et dans les autres causes que j'ai entendues, ont produit un effet contraire.

[8] Dans l'affaire Ladico v. The Queen, [1994] A.C.I. no 812, le juge Taylor, de la C.C.I., était parvenu à la conclusion que la modification apportée à la Loi — soit l'alinéa 3f) — supprimait effectivement toute ambiguïté et que la personne assumant les frais d'entretien et dont le revenu était de zéro était celle qui devait indiquer les frais de garde d'enfants. Dans l'affaire Metcalf v. The Queen, [1995] A.C.I. no 726, la juge Lamarre Proulx, de la C.C.I., était parvenue à la même conclusion; elle disait à la page 7 :

Il semble clair que l'objet de l'article 63 de la Loi est et était d'atténuer les frais financiers assumés, afin d'assurer la garde des enfants, par les parents au travail qui cherchent à réaliser un revenu. Toutefois, le résultat des dispositions législatives en cause, telles qu'elles sont libellées à l'heure actuelle, est que les parents dont le revenu d'emploi est élevé bénéficieront, en tant que cellule familiale, d'une déduction pour la garde de leurs enfants. Cependant, une cellule familiale dans laquelle un conjoint tire un revenu de son emploi alors que l'autre, qui a perdu un emploi pour lequel il était bien rémunéré, s'efforce le plus possible d'assurer le succès d'une entreprise qui ne produit encore aucun revenu, ne bénéficie d'aucune déduction pour la garde des enfants, bien que les mêmes dépenses soient engagées, mais avec moins d'avoirs.

Il incombe au législateur de remédier à la solution [sic]. Le tribunal peut uniquement attirer l'attention du législateur sur ce point. Les dispositions pertinentes de la Loi étant fort claires, je me vois malheureusement obligée de rejeter l'appel.

[9] L'avocat de l'appelante a renvoyé à divers jugements concernant le mot « réputé » , y compris le jugement Hickey v. Stalker, (1924) 53 OLR 414, à la page 418, où le juge Middleton disait :

[TRADUCTION]

« Le mot [...] « réputé » [...] n'est pas inflexible. Il peut vouloir dire « jugé et déterminé » , mais n'a pas toujours ce sens. »

[10] De plus, l'avocat invoquait l'effet du jugement Crédit Foncier Franco-Canadien v. Bennett and A-G (BC), (1963) 43 WWR 545, dans lequel il avait été statué que le mot « réputé » pouvait signifier « présumé tel, sauf réfutation » ou présumé tel jusqu'à preuve du contraire.

[11] Il est bien clair que le législateur a adopté l'alinéa 3f) pour obvier à l'effet des jugements McLaren et Fiset, précités, et on trouve rarement une expression plus directe de l'intention visée, qui est de faire en sorte que la personne ayant le revenu le plus bas — que le revenu calculé conformément aux règles fondamentales prévues à l'article 3 soit nul ou en fait négatif — soit réputée avoir un revenu « pour l'année égal à zéro » . Ainsi, en vertu du paragraphe 63(2), le revenu de l'autre conjoint — soit un montant positif — est évidemment supérieur au revenu réputé égal à zéro, c'est-à-dire en fait de zéro, j'imagine. On a également soulevé la question de savoir s'il est raisonnable — vu la preuve — de considérer l'époux de l'appelante comme une « personne assumant les frais d'entretien » alors que, selon toutes normes raisonnables, il ne l'était manifestement pas. Le père des enfants versait de l'argent pour subvenir aux besoins de ces derniers et prenait pleinement part à leur éducation, ainsi qu'aux soins à leur prodiguer, du fait qu'il en avait la garde partagée avec l'appelante. Toutefois, le législateur a jugé bon de considérer une personne assumant les frais d'entretien uniquement en fonction du fait que la personne est le conjoint du contribuable, ce qui n'est réfuté que si le conjoint entre dans l'une des exemptions prévues à l'alinéa 63(2)b) et aux sous-alinéas subséquents. Il n'y a absolument aucune ambiguïté, et on n'a pas à recourir à la méthodologie indiquée dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Corporation Notre-Dame de Bon-Secours v. Communauté urbaine de Québec et al., 95 DTC 5017.

[12] Il y a des circonstances, comme en l'espèce, dans lesquelles le conjoint ayant un revenu de zéro cherchait activement à gagner un revenu et s'est retrouvé, à cause des modes de calcul du revenu, sans un montant positif à indiquer au titre des efforts faits durant l'année d'imposition. Je doute que le législateur ait envisagé un tel scénario et je crois qu'il a simplement présumé qu'une personne sans revenu devait être libre pour s'occuper des enfants en cause dans la relation. Ou encore, le législateur peut avoir été conscient que de tels résultats étaient possibles dans de rares cas et peut avoir toutefois jugé qu'il était plus important de se préoccuper de l'incidence de l'adoption d'une règle générale qui ne serait pas inéquitable pour un grand nombre de contribuables. C'est une chose que la personne qui a le revenu le plus faible — et qui, souvent, se trouve dans une tranche d'imposition inférieure — soit tenue d'indiquer la déduction, mais c'en est une autre — digne de figurer parmi les pires impasses — que la personne sans aucun revenu soit la seule qui puisse se prévaloir de la déduction. Quiconque réaliserait en fait un tel exploit serait considéré comme un rival du grand Reveen, maître de l'impossible, magicien connu dans tout le pays depuis une quarantaine d'années.

[13] En l'espèce, l'appelante et son époux tombent sous le coup de la stricte formulation de l'article, et l'appel est par les présentes rejeté.

Signé à Edmonton (Alberta) ce 3e jour de mars 1998.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de juin 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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