Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980925

Dossier: 97-441-UI

ENTRE :

LUCIE CORMIER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'appel d'une décision en date du 22 novembre 1996. La décision indiquait à l'appelante que l'emploi exécuté entre le 15 mai et le 26 août 1995, pour le compte et bénéfice de son fils « Yves Cormier » exploitant un commerce de restaurant sous le nom et raison sociale de « Restaurant La Grande Cale Enr. » , était exclu des emplois assurables à cause du lien de dépendance.

[2] Bien que la Réponse à l'avis d'appel ait indiqué que la décision résultait également de l'application de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ),à savoir qu'il ne s'agissait pas d'un véritable contrat de louage de services, la procureure de l'intimé a indiqué au Tribunal que l'emploi de l'appelante avait été exclu des emplois assurables essentiellement par l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi qui se lit comme suit :

(2) Les emplois exclus sont les suivants

..

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[3] Le Tribunal a longuement expliqué à l'appelante que la Cour canadienne de l'impôt avait une juridiction très restreinte en matière de révision d'une décision portant sur l'assurabilité d'un emploi, lorsqu'une telle décision découlait de l'exercice discrétionnaire prévu par la Loi. Cette juridiction a été décrite par la Cour d'appel fédérale comme étant une juridiction s'apparentant à celle d'un contrôle judiciaire.

[4] Les limites et étendues de la juridiction de ce tribunal ont été définies et décrites notamment dans les dossiers suivants :

Tignish Auto Parts Inc. c. le Ministre du Revenu national (25 juillet 1994, 185 N.R. 73)

La Ferme Émile Richard et Fils Inc. et le Ministre du Revenu national (1er décembre 1994, 178 N.R. 361):

Procureur Général du Canada et Jencan Ltd. (24 juin 1997, 215 N.R. 352)

Bayside Drive-In Ltd. et Sa Majesté la Reine (25 juillet 1997, 218 N.R. 150)

Procureur Général du Canada etJolyn Sport Inc. (24 avril 1997, A-96-96, C.A.F.)

[5] La jurisprudence qui lie ce Tribunal a clairement indiqué, lors des arrêts précités, que la Cour canadienne de l'impôt devait avant d'évaluer les faits sous l'angle d'un procès de novo d'abord vérifier et décider si l'exercice discrétionnaire avait été légalement utilisé.

[6] En d'autres termes, l'appelante doit d'abord faire la preuve que l'intimé a agi d'une manière illégale, qu'il a agi d'une manière abusive. L'intimé a-t-il exercé sa discrétion d'une manière raisonnable, respectant les règles d'objectivité mais en étant aussi complète? L'exercice discrétionnaire a-t-il été empreint de mauvaise foi?

[7] En l'espèce, l'appelante a-t-elle établi d'une manière prépondérante que l'exercice discrétionnaire avait été mal exercé au point d'en vicier le résultat?

[8] Dans un premier temps, l'appelante a reconnu comme bien fondés les faits allégués au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel qui se lisent comme suit :

a) depuis l'année 1992, le payeur exploite une entreprise de restauration sous la raison sociale Restaurant La Grande Cale Enr.;

b) le 10 mars 1992, le payeur a acquis les droits d'utilisation de la raison sociale de Jean-Louis et Annette Perron pour la somme de 3 500 $;

c) l'appelante a payé ladite somme de 3 500 $ à même son compte de banque personnel;

d) le payeur est le fils de l'appelante;

e) la période d'activité de l'entreprise correspond à la saison touristique soit de mai à septembre de chaque année;

f) à chaque saison de 1992 à 1995, le payeur sert de 105 à 150 repas par jour;

g) de 1992 à 1994, l'appelante est gérante du restaurant du payeur;

...

i) durant la période en litige, l'appelante est gérante et cuisinière du restaurant;

j) durant la période en litige, l'appelante prétend être rémunérée 630 $ par semaine pour environ 60 heures de travail;

k) les heures d'ouverture du restaurant sont de 7 h à 23 h, 7 jours par semaine;

...

m) durant la période en litige, certains chèques de paye de l'appelante ont été directement déposés au compte bancaire du payeur;

n) les états financiers du payeur pour les années se terminant en 1993, 1994 et 1995, montrent des pertes d'entreprise consécutives de 9 257 $, 12 774 $ et 8 845 $;

...

q) le 5 mai 1992, l'appelante a cautionné un emprunt de 6 000 $ fait par le payeur à la Caisse Populaire de Lavernière;

r) en 1993, 1994 et 1995, l'appelante a travaillé pour le payeur respectivement 14, 16 et 15 semaines;

...

t) l'appelante et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

[9] À partir de l'admission d'autant d'allégués, il devenait assez périlleux de relever le fardeau de preuve donnant accès à la deuxième étape soit l'analyse sous l'angle d'un procès de novo.

[10] Or, je crois que l'appelante a relevé le fardeau de preuve par son témoignage et celui du payeur, complétés et confirmés par une preuve documentaire hautement pertinente.

[11] Je voudrais d'abord indiquer que les deux témoins, qui ont témoigné l'un en l'absence de l'autre, me sont apparus très crédibles, d'où je n'ai aucune raison de ne pas retenir la totalité de leurs témoignages.

[12] Cette preuve a démontré que le payeur, le jeune Yves Cormier, fils de l'appelante était, lors de la période en litige, bel et bien propriétaire du restaurant; cela réfute du même coup la présomption qu'il s'agissait d'une sorte de stratagème pour maquiller le fait que l'appelante était en réalité propriétaire du restaurant.

[13] Cette suspicion de l'intimé ressort tout particulièrement des allégués c), g), i), l), m), o), p) et q).

[14] La preuve a cependant permis de modifier totalement la perception dégagée par ces allégués. D'autre part, de nouveaux faits hautement déterminants ont été mis en lumière.

[15] Je fais notamment référence à la déclaration de raison sociale, à la demande de renseignements adressée, lors de l'acquisition, à Revenu Canada mais aussi et surtout à la demande et obtention de la marge de crédit auprès de la Caisse Populaire de Lavernière.

[16] En matière de financement, il est habituel que les banquiers exigent facilement toutes sortes de garanties dont des cautions; or, la signature de l'appelante n'a pas été requise pour ce qui constitue un élément essentiel des opérations d'un restaurant : la marge de crédit. Ce fait, replacé dans le contexte d'une très petite collectivité, dissipe, quant à moi, tout doute sur le titre de propriété réelle de l'entreprise. Pourquoi l'intimé a-t-il allégué le sous-paragraphe q) se lisant comme suit :

q) le 5 mai 1992, l'appelante a cautionné un emprunt de 6 000 $ fait par le payeur à la Caisse Populaire de Lavernière;

et ignoré totalement l'absence de cautionnement relatif à la marge de crédit? La preuve de l'intimé n'a pas permis d'en connaître les raisons. L'intimé a toutefois créé par cette présentation incomplète des faits une sorte de fausse présomption quant au rôle véritable du fils de l'appelante.

[17] D'autre part, les explications fournies relatives à certains faits, retenus comme déterminants, discréditent non seulement l'interprétation de l'intimé mais vicie la valeur objective de la décision. Je fais notamment référence aux paragraphes c), m) et q) :

c) l'appelante a payé ladite somme de 3 500 $ à même son compte de banque personnel;

m) durant la période en litige, certains chèques de paye de l'appelante ont été directement déposés au compte bancaire du payeur;

q) le 5 mai 1992, l'appelante a cautionné un emprunt de 6 000 $ fait par le payeur à la Caisse Populaire de Lavernière;

[18] À ces éléments s'ajoute le fait d'avoir ignoré que l'appelante n'avait jamais cautionné la marge de crédit. Les faits allégués démontrent que l'intimé a choisi de ne retenir seulement certains faits incomplets, d'ailleurs interprètés d'une façon tendancieuse. Conséquemment et pour ces raisons, je détermine que la décision du Ministre n'est pas légale en ce que l'analyse des faits a été incomplète, biaisée et tendancieuse.

[19] L'appelante a convaincu le Tribunal qu'il devait intervenir.

[20] À cet égard la preuve a aussi établi, de manière prépondérante, que l'appelante avait exécuté son travail dans le cadre d'un véritable contrat de louage de services; le lien de dépendance n'a eu aucun effet ou distorsion ni sur la prestation de travail ni au niveau de la rétribution.

[21] L'appelante était bel et bien assujettie à l'autorité du propriétaire; ce dernier misait certes sur l'expérience et expertise de l'appelante, qui oeuvrait dans la restauration depuis très longtemps. Il ne surpayait pas pour autant sa mère; il a effectivement indiqué que le salaire payé correspondait à la moyenne payée dans le domaine de la restauration. Il a aussi indiqué avoir fait des vérifications auprès des autres restaurants pour déterminer le salaire versé à sa mère. D'ailleurs le salaire actuel de l'appelante est comparable à celui qu'elle recevait lorsqu'elle travaillait pour son fils.

[22] La legislation a accordé un pouvoir discrétionnaire à l'intimé dans le but évident de sanctionner les abus, et les fraudes, il n'a pas voulu faire disparaître l'entraîde, la collaboration et solidarité familiale dans tous les dossiers où il s'effectue du travail rémunéré entre les membres d'une même famille.

[23] Dans les circonstances, l'appel est accueilli en ce que l'emploi occupé au cours de la période en litige était un emploi assurable au sens de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada ce 25e jour de septembre 1998.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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