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Date: 19991119

Dossier: 98-1223-IT-G

ENTRE :

JAMES WATT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel institué sous le régime de la procédure générale, qui a été entendu à Prince Albert (Saskatchewan), les 5 et 6 octobre 1999. L'appelant a témoigné. L'avocat de l'intimée a donné lecture de certaines parties de l'interrogatoire préalable de l'appelant.

[2] L'appel porte sur les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 de l'appelant. Les questions en litige sont les suivantes :

[TRADUCTION]

a) Le revenu de l'appelant pour chacune des années pertinentes provenait-il principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source de revenu?

Le coût du tracteur John Deere, modèle 8960, acheté par l'appelant est-il en vertu du paragraphe 13(33) de la Loi de l'impôt sur le revenu limité à la juste valeur marchande du bien transféré pour les fins du calcul de la déduction pour amortissement et du crédit d'impôt à l'investissement?

c) Le coût du tracteur John Deere, modèle 8970, acheté par l'appelant est-il en vertu du paragraphe 13(33) de la Loi de l'impôt sur le revenu limité à la juste valeur marchande du bien transféré pour les fins du calcul de la déduction pour amortissement et du crédit d'impôt à l'investissement?

d) Les dépenses de location de véhicule engagées en 1994 sont-elles assujetties à la limite prévue à l'art. 67.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu? Les dépenses de location supérieures au montant dont la déduction est permise étaient-elles :

i) des dépenses personnelles;

ii) des dépenses raisonnables dans les circonstances ?

Avant l'audience, les parties se sont entendues sur le règlement de la question énoncée au paragraphe d).

[3] L'appelant a obtenu son diplôme en dentisterie en 1965 et a commencé à exercer sa profession à Shellbrook (Saskatchewan), une ville située à 50 km à l'ouest de Prince Albert. En 1967, il a déménagé son cabinet dentaire à Prince Albert. L'appelant s'est marié la même année. Son épouse avait grandi sur une ferme avoisinante exploitée à l'époque du mariage par le frère et la mère veuve de l'épouse de l'appelant. L'appelant a participé aux travaux à la ferme et a financé la mise en culture de 200 acres. Il était entendu qu'une partie du produit net des récoltes de 1968, de 1969, de 1970 et des récoltes suivantes lui serait versée jusqu'à ce qu'il soit intégralement remboursé. Durant ces années, le couple a aussi travaillé sur la ferme pour enlever les racines et les roches dans les parties défrichées.

[4] En 1970, l'appelant était malade et incapable d'accomplir le moindre travail. En 1971 et 1972, il s'est mis à la recherche de terres agricoles qu'il pouvait acheter. De telles terres se vendaient à relativement bas prix, et le prix des céréales commençait à augmenter. L'appelant et son épouse ont constitué Jay Bee Farms Ltd. (“ JB ”) en personne morale. Le coût des terres et du matériel agricoles que la compagnie a achetés ainsi que les modalités de leur acquisition sont inscrits au tableau suivant :

Terres

Matériel agricole

1973

160 acres – 24 000 $

Le beau-frère de l'appelant exploitait cette ferme. Le 31 juillet 1974, le prix d'achat était complètement payé grâce à la récolte, au salaire de l'épouse comme professeur et au revenu de l'appelant comme dentiste.

1974

480 acres

Tracteur, moissonneuse-batteuse tractée, camion d'une demi-tonne avec boîte à grains, cultivateur à disques, des vis a grain, herses, faucheuse-andaineuse, cultivateur et semoir

La terre et le matériel agricole ont coûté la somme de 60 000 $ qui a été empruntée à la Banque de Montréal.

1975

Tracteur John Deere, modèle 4430

Somme de 22 500 $ empruntée à la Banque de Montréal

1976

Pulvériseur

tandem     6 700 $

(comptant)

Cultivateur    6 700 $

Chariot à grains 15 250 $

Séchoir à céréales 13 000 $

(Toutes les sommes ont été empruntées à la Banque de Montréal)

Mme Watt a encaissé ses cotisations au régime de pension des professeurs et a remboursé la somme empruntée pour acheter le séchoir à céréales.

1978

160 acres

Somme de 55 000 $ emprunté à la Banque de Montréal. Le prêt a été refinancé par la société Cooperative Trust Co.

Compacteurs 3 250 $

(comptant)

Caisses à

grains 8 000 $

(comptant)

Faucheuse-

andaineuse 14 580 $ (Emprunt à la Banque fédérale de développement)

1979

Herse et compacteur

Flexi Coil 13 500 $ (comptant)

1979

L'appelant et son épouse ont vendu leur maison à Prince Albert et remboursé la Banque de Montréal. Ils ont loué une maison mobile, l'ont installée sur la ferme et y ont résidé pendant trois ans et demi pendant qu'ils construisaient une maison à faible consommation d'énergie sur la ferme. Cette maison est en ce moment évaluée à 350 000 $ environ.

1980

160 acres

Somme de 85 000 $ empruntée à la Banque Canadienne Impériale

de Commerce

Bâtiment Quonset prêt à monter 24 000 $ (comptant)

1982

Moissonneuse-batteuse New Holland, modèle TR75. Somme de 85 000 $ empruntée à la New Holland Finance Corp.

1983

Semoir John Deere

18 000 $ (comptant)

1985

Tracteur Versatile

Somme de 109 000 $ empruntée à la Versatile Finance Corporation

Bourgault de 50 pi.

Somme de 32 500 $ empruntée à la Banque Canadienne Impériale de Commerce

Moissonneuse-batteuse, modèle TRNH

77 000 $*

Moissonneuse-batteuse

100 000 $*

Semoir

20 000 $*

*La société New Holland Credit a financé tous ces achats.

L'appelant a encaissé ses REER et remboursé la CIBC et la Versatile Finance Corp. Tous les achats au comptant ont été effectués avec des sommes d'argent que l'appelant avait prêtées à JB en puisant dans le revenu de son cabinet dentaire.

[5] Le 15 novembre 1985, l'appelant a acheté à JB toute la machinerie agricole ainsi qu'une terre agricole de 160 acres (“ SE18 ”). Par la suite, JB louait les terres qui lui appartenaient à l'appelant. L'appelant était propriétaire du matériel agricole et sa dette s'élevait à 400 000 $. Il est alors devenu l'exploitant de l'entreprise agricole et il l'est toujours. L'appelant cultive du blé, des pois, du colza canola et de l'orge et il produit également des graines de luzerne. En outre, il élève et vend des abeilles coupeuses de feuilles utilisées dans la pollinisation de la luzerne.

[6] Ainsi, le 15 novembre 1985, l'appelant a pris en charge le solde de la dette contractée pour l'acquisition des terres et s'élevant à la somme totale de 200 000 $. Le reste de sa dette agricole de 400 000 $ avait été contracté pour l'achat du matériel. Il a pris en main l'entreprise en exploitation qu'il avait auparavant administrée pour le compte de JB. JB conservait le reste des terres et était libre de toute dette. Compte tenu du fait que l'appelant avait déjà géré JB et qu'il a pris la direction d'une entreprise en exploitation, en 1992 il n'était plus en période de démarrage depuis longtemps.

[7] Le paragraphe 23 de l'avis d'appel fait état des prix du blé et de l'orge de 1985 jusqu'au 31 juillet 1994. Ce paragraphe est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

23. Malheureusement, le prix des céréales a alors commencé à fléchir et a continué à baisser jusqu'en 1995.

Blé

Tonne métrique

Déductions

Le boisseau

1985-1986

146 $

27

3,24

1986-1987

110

27

2,26

1987-1988

105

27

2,13

1988-1989

187

27

4,36

1989-1990

161

27

3,65

1990-1991

117

27

2,45

1991-1992

123

27

2,62

1992-1993

145

27

3,22

1993-1994

143

41

2,78

1994-1995

180

41

3,79

Ces prix doivent être comparés avec celui de 6 $ le boisseau au moment de l'achat de la première terre.

Orge

Tonne métrique

Déductions

Le boisseau

1985-1986

110 $

26,50

1,82

1986-1987

80

26,50

1,17

1987-1988

1988-1989

69

124

26,50

26,50

0,93

2,12

1989-1990

112

26,50

1,86

1990-1991

90

26,50

1,38

1991-1992

107

26,50

1,75

1992-1993

102

26,50

1,64

1993-1994

119

40,50

2,02

1994-1995

101

26,50

1,62

Ces prix doivent être comparés avec celui de 3,30 $ le boisseau au moment de l'achat de la première terre.

[8] Le paragraphe 25 de l'avis d'appel fait état des frais d'intérêts de 1986 à 1995. Le paragraphe est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

25. L'appelant a payé chaque année au titre de la dette à long terme (principalement des acquisitions d'immobilisations) et de la dette à court terme ou la dette courante (principalement des dépenses d'exploitation) les montants d'intérêts suivants :

1986 Dette à long terme 39 533 $

1987 Dette à long terme 34 248 $

1988 Dette à long terme 28 642 $

Dette courante 8 365 $

37 017 $

1989 Dette à long terme 34 616 $

Dette courante 6 618 $

41 234 $

1990 Dette à long terme 41 354 $

Dette courante 4 612 $

45 966 $

1991 Dette à long terme 25 182 $

Dette courante 5 468 $

30 570 $

1992 Dette à long terme 19 646 $

Dette à court terme 4 954 $

24 500 $

1993 Dette à long terme 16 281 $

Dette à court terme 3 247 $

19 528 $

1994 Dette à long terme 21 583 $

1995 Dette à long terme 26 113 $

[9] En 1990, la société JB et l'appelant ont recommencé à acheter des terres et du matériel agricoles. Ils ont effectué les transactions suivantes :

Terres

Matériel agricole

1990

Moisonneuse-batteuse New Holland, modèle TR80

25 000 $ (comptant)

Caisse à engrais 6 700 $

(comptant)

(L'appelant s'était servi du revenu de son cabinet dentaire pour prêter les fonds)

1991

252 acres

(Achetées à la belle-mère et à la Société du crédit agricole)

Prix 130 000 $

140 acres

Achetées à la belle-mère par l'appelant et son épouse

Prix 50 000 $ (prise en charge d'un prêt)

1992

JB a vendu 98 acres

Prix 40 000 $

Tracteur John Deere, modèle 8960

178 355 $ (67 000 $ en espèces et transfert au vendeur d'un tracteur Versatile, modèle 936, et d'une faucheuse-andaineuse New Holland)

Diverses pièces de matériel pour le prix total de 19 288 $

1993

Tracteur John Deere, modèle 8970

188 800 $ (transfert au vendeur du tracteur, modèle 8960, acheté en 1992. Valeur de reprise de ce tracteur : 160 250 $)

Pulvérisateur Versatile 5 000 $

Semoir pneumatique 27 250 $

Ramasseuse John Deere 561 $

[10] En 1994 et 1995, l'appelant a acheté diverses pièces de matériel agricole. En 1995, il a commencé à construire une usine de nettoyage de semences et un séchoir à céréales, mais il a arrêté lorsque le processus d'établissement des nouvelles cotisations a débuté. En 1996, il a acheté une terre attenante de 192 acres pour 130 000 $ et pour laquelle il avait obtenu un financement. En 1999, il a acheté 120 acres additionnelles au même voisin.

[11] L'exploitation agricole a toujours entraîné des pertes pour l'appelant après que les frais d'intérêts et la déduction pour amortissement eurent été défalqués de son revenu agricole. Il a l'intention de continuer à exploiter l'entreprise agricole comme il l'a toujours fait. Durant les années en question, il a consacré environ 2 000 heures par année à l'exploitation agricole et à peu près 1 500 heures par année à son cabinet dentaire. Il cultivait alors 1 298 acres et il en cultive maintenant 1 790. De 1992 à 1994, il a cultivé une superficie qui dépassait de presque 20 % la moyenne en Saskatchewan.

[12] En contre-interrogatoire, l'appelant a admis que les renseignements figurant dans l'annexe “ B ” jointe à la réponse à l'avis d'appel étaient exacts. Cette annexe est ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

Annexe “B”

Comparaison entre le revenu agricole et les autres sources de revenu

Année d'imposition

Revenu brut du cabinet dentaire

Revenu net

du cabinet dentaire

Revenu agricole brut

Revenu (perte) agricole net

Autres revenus

1987

271 371 $

118 269 $

97 757 $

(91 985) $

9 857 $

1988

293 502

119 482

89 403

(62 404)

3 107

1989

319 191

131 968

98 280

(53 409)

1 401

1990

323 690

120 339

99 686

(65 353)

4 043

1991

336 510

150 707

129 680

(47 047)

19 810

1992

338 699

135 736

92 196

(72 935)

26 379

1993

379 216

147 673

153 064

(42 345)

12 555

1994

396 488

145 252

146 306

(86 561)

13 989

[13] La Cour d'appel fédérale a dit dans la décision The Queen v. Andrew Donnelly, 97 DTC 5499, à la page 5501, que, dans un cas où s'applique l'article 31, l'appelant doit fournir assez d'éléments de preuve pour permettre d'évaluer à combien son profit aurait pu s'élever si pour l'année il avait obtenu les résultats escomptés. L'appelant a témoigné sur les profits estimés qu'il prévoyait tirer de l'agriculture par année civile (son année d'imposition) durant les années en litige. Dans ses prévisions, l'appelant n'avait pas tenu compte des ses activités d'élevage et de vente d'abeilles coupeuses de feuilles ou de vente de graines de luzerne. Il n'avait pas tenu compte non plus de la déduction des frais d'intérêts ni de la déduction pour amortissement.

[14] L'appelant avait établi les prévisions suivantes :

1992

1993

1994

(prévisions

moins optimistes)

Revenu prévu

168 000 $

96 000 $

175 000 $

Dépenses prévues

96 800 $

73 000 $

108 500 $

Profit prévu

71 000 $

23 000 $

66 500 $

Profits prévus selon les prévisions optimistes

28 500 $

321 000 $

Profit (perte) réelle

(31 000 $)

51 860 $

(27 000 $)

L'appelant a déclaré pour les mêmes années les revenus nets suivants tirés de l'élevage et de la vente des abeilles ainsi que de la vente de graines de luzerne :

1992

1993

1994

Abeilles

Néant

4 425 $

Graines de luzerne

Néant

(400 $)

“Autres produits” (brut)

Néant

9 360 $

Totaux selon les prévisions moins optimistes

(31 000 $)

55 885 $

(17 640 $)

[15] De ces totaux fondés sur des prévisions moins optimistes les frais d'intérêts et la déduction pour amortissement doivent être défalqués de la même façon que l'appelant l'a fait durant les années en question. (Pour certaines années l'appelant a déduit des frais d'intérêts relatifs à des transactions immobilières, comme il est indiqué ci-dessous.)

1992

1993

1994

Totaux selon les prévisions moins optimistes

(31 000 $)

55 885 $

(17 640 $)

Moins :

Intérêt - Immeubles

(19 646 $)

(16 281 $)

- Autre

(4 954 $)

(3 247 $)

(21 583 $)

Déduction pour amor-tissement

(40 966 $)

(46 062 $)

(39 499 $)

Revenu ou (pertes)

selon les prévisions

(96 566 $)

9 705 $

(78 622 $)

Montants des pertes agricoles figurant dans l'Annexe “B” et admis par l'appelant

(72 935 $)

(42 345 $)

(86 561 $)

Montants déclarés, après rajustement

(72 935 $)

(36 994 $)

(76 589 $)

[16] Les raisons invoquées par l'appelant, lors de son témoignage, pour expliquer l'échec subi chaque année se trouvent énoncées dans les paragraphes de son avis d'appel qui suivent :

[TRADUCTION]

1992

40. En 1992, la région où sont situées les terres de l'appelant a connu des précipitations très peu abondantes, et la pousse a été inférieure à la moyenne. Le gel qui a frappé la région le 21 août a causé aux récoltes des dégâts sérieux se traduisant par un rendement diminué et une baisse de qualité. Quand l'appelant a planifié ses activités pour 1992 il avait prévu un bénéfice de 68 000 $ en se fondant sur les rendements quantitatifs et qualitatifs moyens ainsi que sur les prix courants. Toutefois, à cause des fléaux naturels, toutes les exploitations agricoles de la région ont été déficitaires cette année-là.

1993

41. En 1993, l'appelant n'a pas mis en culture une superficie de 500 acres afin de s'attaquer aux problèmes de chiendent et de chardons sur des terres qu'il avait achetées. Comme l'appelant avait cultivé de 1000 à 1100 acres auparavant, il a réduit ses activités de moitié en cessant d'en exploiter 500. Au printemps, l'appelant a pulvérisé de l'herbicide Roundup sur la superficie inexploitée et il l'a ensuite mise en jachère. Il a de nouveau pulvérisé du Roundup à l'automne. La décision de ne pas exploiter cette superficie était dictée par une situation qui se serait seulement beaucoup aggravée si l'appelant ne s'en était pas occupé, et la mise en jachère a permis aux terres de se reposer en prévision de la récolte de 1994.

42. La non-exploitation des 500 acres était, bien entendu, prévue, mais il s'est manifesté en 1993 des difficultés imprévues. L'appelant avait ensemencé 300 acres de pois. Malheureusement, il a dû retarder la récolte à cause du mauvais temps et, après le fauchage les pois ont dû rester en andain pendant une période excessivement longue avant d'être prêts à être récoltés à la moissonneuse-batteuse. La récolte laissée dans les champs avait attiré les oies. L'appelant a emprunté et entretenu 5 canons à oies (explosifs à retardement fonctionnant au propane) et les a fait fonctionner pendant des semaines. L'organisme Ducks Unlimited a versé à l'appelant une indemnité de 11 553 $, soit 35 % des pertes subies, mais il a dû supporter lui-même le reste de la perte, qui s'élevait à environ 30 000 $. L'appelant a ensemencé 285 acres d'orge et a eu la chance de récolter 100 boisseaux à l'acre sur 200 acres et de voir cette orge acceptée pour le malt. L'orge de brasserie n'étant pas requise avant mai 1994, l'appelant n'a tiré aucun revenu de cette récolte en 1993.

1994

43. En 1994, l'appelant avait 500 acres en jachère à ensemencer et il y a semé du colza canola. Il a plu beaucoup au début de la saison, et la croissance a été bonne. Toutefois, les plantes, n'ayant pas eu à faire des racines profondes, n'en avaient qu'en surface et, à l'arrivée du temps chaud et sec en août, au stade de la formation des graines, celles-ci ont été grillées et les plantes n'ont produit que de petites graines. L'appelant n'a donc récolté qu'environ la moitié de la récolte moyenne, soit moins de 20 boisseaux à l'acre au lieu de 40 à 45. En 1994, il a récolté de 50 à 55 boisseaux d'orge à l'acre. L'orge a de nouveaux été d'une qualité suffisante pour le maltage, toutefois, comme de l'orge Bonanza était mélangé à de l'orge Robust, la récolte a dû être vendue comme provende. L'appelant avait prévu une récolte de 18 000 boisseaux de colza canola à 8 $ le boisseau, 200 acres d'orge de brasserie produisant 90 boisseaux à l'acre à 3, 50 $ le boisseau, et 350 acres de pois produisant 50 boisseaux à l'acre à 6 $ le boisseau. Selon ces prévisions, la récolte allait lui rapporter en tout la somme de 321 000 $ et cet objectif aurait été atteint s'il avait plu au bon moment en août.

[17] En ce qui concerne ces raisons invoquées par l'appelant pour expliquer les échecs dans les années mentionnées, la Cour tire les conclusions suivantes :

1992 Il n'est pas inhabituel qu'il y ait un gel en Saskatchewan à la fin du mois d'août, et cela se reproduira de temps en temps.

1993 Le problème de chiendent était prévisible, et les dépenses engagées visaient à assurer un revenu à long terme. Des ravages faits par des oies, ou un autre phénomène semblable, se produiront de temps à autre au fil des ans puisque les terres sont adjacentes à la rivière North Saskatchewan. Cela a occasionné une perte de 30 000 $.

1994 Les aléas de l'agriculture sont à l'origine des difficultés éprouvées avec le colza canola. Le mélange des variétés d'orge cette année-là était un accident qui ne se reproduira probablement jamais.

[18] Ainsi, le gel de 1992 est un événement normal qui se produit de temps en temps. La perte subie en 1993 a été évaluée à 30 000 $. Les difficultés de 1994 étaient fortuites; toutefois, en prévoyant une récolte rapportant 322 000 $, l'appelant a été excessivement optimiste. Les explications de l'appelant ne décrivent donc que les aléas de l'agriculture dans le Nord de la Saskatchewan. Même si la perte de 30 000 $ n'était pas prise en compte en 1993, il resterait tout de même une perte de 12 345 $ qu'a subie l'appelant.

[19] Fait encore plus important, l'appelant a subi continuellement des pertes à partir de 1986 jusqu'à aujourd'hui sans modifier ses activités ni ses pratiques agricoles. L'appelant a, au contraire, agrandi l'exploitation, et par conséquent, ses pertes ont augmenté proportionnellement. En contre-interrogatoire, l'appelant a admis qu'il s'attendait à ce que le revenu de sa pratique dentaire serve à payer l'intérêt sur ses emprunts agricoles. Il a aussi admis que, mis à part son optimisme à l'égard de 1994, il s'attendait à tirer la majeure partie de son revenu de la dentisterie durant ces années.

[20] Les prévisions du Dr Watt pour 1992, 1993 et 1994, si l'on prend les chiffres plus réalistes, auraient donné une perte de 96 566 $, un revenu de 9 705 $ et une perte de 78 622 $ respectivement. De fait, chaque année, l'appelant a déclaré une perte excédant 40 000 $. De plus, le Dr Watt a admis en contre-interrogatoire qu'il comptait sur le revenu de son cabinet dentaire pour payer les frais d'intérêts se rapportant à son exploitation agricole. Enfin, selon la politique qu'il a adoptée lors de sa prise en charge de toute la dette agricole en 1985, l'appelant avait prévu déduire ces frais d'intérêts du revenu du cabinet dentaire. Jusqu'en 1992, le ministre du Revenu national a permis ces déductions.

[21] Le seul bénéfice prévu, la somme de 9 705 $ pour 1993, représente un montant insignifiant par rapport à l'investissement de l'appelant dans l'agriculture, à ses constantes pertes agricoles importantes et à son revenu tiré de la dentisterie toujours supérieur à 100 000 $. En outre, l'appelant a admis que ses prévisions par année civile n'étaient pas réalistes en pratique puisque les récoltes n'étaient pas vendues durant l'année civile pour laquelle les prévisions avaient été établies. Les pertes effectivement subies confirment cette admission. Selon la preuve, le revenu de l'appelant ne provenait pas principalement de l'agriculture en 1992, 1993 ou 1994. Son revenu ne provenait pas non plus principalement d'une combinaison de l'agriculture et d'une autre source. Quantitativement, l'appelant ne pouvait s'attendre à tirer un bénéfice de son exploitation agricole durant les années en question, en partie, parce qu'il continuait à faire des dépenses en immobilisations qui occasionnaient des frais d'intérêts. Ces dépenses en capital ont été engagées parce que l'appelant continuait d'acheter du matériel agricole et d'agrandir son exploitation agricole même s'il subissait toujours des pertes considérables. Un homme d'affaires raisonnable n'adopte pas une telle ligne de conduite.

[22] Même si l'appelant a témoigné avoir consacré plus de temps à l'agriculture qu'à la dentisterie durant les années en question, les faits démontrent que le revenu brut tiré de son cabinet dentaire a augmenté constamment au cours de 1992, 1993 et 1994. Selon la preuve, il a continué à travailler de la même façon qu'auparavant et sa profession principale était celle de dentiste. De plus, la preuve ne démontre pas qu'il pouvait s'attendre à tirer un revenu de l'agriculture en 1992, en 1993 et en 1994. Malgré cela, il a investi personnellement environ 1,3 M $ dans l'exploitation agricole (sans compter sa maison) ou 13 fois la somme investie dans son cabinet dentaire et il a continué d'investir après 1994. L'exploitation agricole était subordonnée à la pratique dentaire de l'appelant. Il comptait sur le revenu tiré de la dentisterie pour subvenir aux besoins de sa famille, payer les frais d'intérêts sur sa dette agricole et acquérir des immobilisations pour la ferme. En outre, la dentisterie est demeurée le pivot de sa vie professionnelle. Il en tirait son revenu. Sa pratique a pris de l'expansion et il l'a orientée vers les soins dentaires préventifs, vu la demande croissante de ce genre de services. Il était membre actif de son association professionnelle des dentistes. Par contre, il a continué d'exploiter la ferme céréalière sans modifier ses pratiques de façon importante et d'y investir malgré les pertes répétées. Rien dans la preuve ne démontre qu'il a participé aux activités d'organisations agricoles.

[23] Ainsi, l'appel est rejeté en ce qui concerne la question en litige a). En 1992, 1993 et 1994, le revenu de l'appelant ne provenait principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source.

[24] En ce qui concerne les questions b) et c), le paragraphe 13(33) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit ce qui suit :

Il est entendu que lorsqu'une personne acquiert un bien amortissable pour une contrepartie qui, d'après ce qu'il est raisonnable de considérer, comprend le transfert d'un bien, la partie du coût du bien amortissable pour la personne qui est imputable au transfert ne peut dépasser la juste valeur marchande du bien transféré.

Ce paragraphe s'applique aux biens acquis après novembre 1992. Ainsi, ce sont les biens transférés visés dans les hypothèses 18 k) et n) qui font l'objet de ces questions. Les hypothèses 18i) à n) inclusivement sont ainsi rédigées :

[TRADUCTION]

i) Le 28 décembre 1992, l'appelant a acheté un tracteur John Deere (modèle 8960, numéro de série 004325) chez Long Tractor Inc. pour lequel il a payé la somme de 67 000 $ en espèces et transféré au vendeur un tracteur Versatile 1985 (modèle 936, numéro de série 227132);

j) Le contrat signé par l'appelant et Long Tractor Inc. relativement à la vente visée à l'alinéa i) ci-dessus indique un prix courant et un prix comptant total de 178 355 $ pour le tracteur John Deere, modèle 8960, et accorde 111 355 $ de reprise pour le tracteur Versatile 1985, modèle 936;

k) Le tracteur Versatile 1985, modèle 936, visé à l'alinéa i) ci-dessus avait à l'époque une juste valeur marchande de 60 459 $;

l) Le 15 octobre 1993, l'appelant a acheté un tracteur John Deere (modèle 8970, numéro de série 002026) chez Long Tractor Inc. pour lequel il a payé 25 000 $ en espèces et transféré au vendeur un tracteur John Deere (modèle 8960, numéro de série 004325);

m) Le contrat signé par l'appelant et Long Tractor Inc. relativement à la vente visée à l'alinéa l) ci-dessus indique un prix courant et un prix comptant total de 188 800 $ pour le tracteur John Deere, modèle 8970, et accorde 175 300 $ de reprise pour le tracteur John Deere, modèle 8960;

n) Le tracteur John Deere, modèle 8960, visé à l'alinéa l) ci-dessus avait à l'époque une juste valeur marchande de 111 176 $.

[25] L'appelant n'a cité aucun expert pour témoigner concernant les biens transférés. Il s'est plutôt appuyé sur son propre témoignage et sur le fait qu'il avait fait des affaires avec un distributeur agréé de machinerie agricole. Or, il est bien connu qu'il se peut que le prix de vente et la valeur de reprise ne correspondent pas à la juste valeur marchande. Souvent, la somme versée en espèces représente le seul indicateur de la valeur relative, s'il y en a une. Mais à l'époque actuelle, où le financement et la location sont des pratiques courantes, il se peut que même la somme versée comptant ne reflète pas la juste valeur marchande.

[26] Puisqu'aucun expert qualifié n'a témoigné sur la valeur des biens transférés, je conclus que les hypothèses du ministre n'ont pas été réfutées. En conséquence, les appels sont rejetés pour ce qui est des questions en litige b) et c).

[27] L'avocat de l'appelant a terminé son argumentation orale en faisant valoir subsidiairement que les éléments intérêts et déduction pour amortissement compris dans les pertes agricoles dont l'appelant a demandé la déduction peuvent tout de même être déduits du revenu de son cabinet dentaire du fait que les articles 18 et 20 de la Loi de l'impôt sur le revenu n'exigent pas que ces éléments se rapportent à une source de revenu. Cet argument est rejeté suivant la maxime expressio unius est exclusio alterius, et ce, pour deux motifs :

(1) L'article 31 est un article particulier qui s'applique à des situations particulières dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu.

(2) Le paragraphe 9(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu dit que la perte subie relativement à une entreprise ou à un bien est calculée “ sous réserve de l'article 31 ” et vient donc appuyer le premier motif.

[28] L'appel est rejeté en entier. Les dépens entre parties sont adjugés à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de novembre 1999.

“ D.W. Beaubier ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour d'août 2000.

Erich Klein, réviseur

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