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Date: 19980116

Dossier: 96-4547-IT-I

ENTRE :

YUN KAI CHAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Il s'agit de déterminer en l'espèce si, en 1991 et en 1992, l'appelant avait le droit de déduire la totalité des pertes d'entreprise découlant de la poursuite d'une activité d'achat et de vente de chevaux arabes ou si, comme le soutient le ministre du Revenu national (le ministre), ses pertes devaient être restreintes aux montants prévus au paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

[2] En décembre 1989, l'appelant et son épouse ont acheté à Silver Unicorn Inc. (Unicorn) des fractions d'intérêt dans quatre juments arabes. Trois autres personnes ont acheté le reste des fractions d'intérêt dans ces juments.

[3] En décembre 1990, l'appelant et son épouse ont converti ou échangé leurs fractions d'intérêt dans les deux juments contre une participation de 100 p. 100 dans un étalon et une pouliche arabes. Pendant toutes les périodes pertinentes, c'est Unicorn qui s'est occupée de l'entretien des chevaux moyennant des honoraires.

[4] Dans les années 1991 et 1992, l'appelant était un médecin agréé et il tirait de cette occupation un revenu substantiel.

[5] L'entreprise de chevaux n'a produit aucun revenu de 1989 à 1992. L'appelant a déduit sa part des pertes subies en 1991, à savoir le montant de 28 753,46 $, qui inclut des intérêts de 12 697 $ sur l'argent emprunté pour acheter les chevaux et, en 1992, le montant de 12 882,55 $, qui représente les intérêts payés sur l'argent emprunté pour acheter les chevaux. À part les intérêts en question, l'appelant n'a pas payé de frais relativement aux chevaux en 1992 car Unicorn a manqué à ses obligations.

[6] Les deux chevaux de l'appelant et de son épouse ont été apportés en Floride, où une action a été intentée contre Unicorn. Le litige mettait en cause d’autres investisseurs. L'appelant n'y a pas pris part. Par suite de ce litige, plusieurs chevaux, dont les deux chevaux de l'appelant et de son épouse, ont été inclus dans une vente forcée. Aucun produit de cette vente n'a été versé à l'appelant et à son épouse. L'appelant avait voulu que les chevaux soient enregistrés à son nom et à celui de son épouse, mais, pour diverses raisons, cela n'avait jamais été fait, et c'est probablement la raison pour laquelle les chevaux ont été inclus dans la vente forcée en dépit du fait que c'est l'appelant et son épouse qui en étaient les propriétaires à titre bénéficiaire.

[7] Avant d'investir dans les chevaux arabes, l'appelant avait effectué certaines recherches qui l'avaient amené à conclure qu'il s'agissait d'un bon placement. Il ne tirait aucun plaisir personnel des chevaux, n'ayant visité l'écurie où ils étaient gardés qu'à une occasion seulement. Il est clair qu'il était certainement un investisseur passif dans l'entreprise de chevaux.

Observations de l'appelant

[8] Il convient, pour résumer les observations de l'appelant, de reproduire un passage de son avis d'appel :

[TRADUCTION]

8. Il s'agissait manifestement d'une entreprise dont, pour les motifs suivants, on pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit :

a) Le principal en cause était élevé.

b) Ni le contribuable ni aucun membre de sa famille ne jouait un rôle dans l'entreprise.

c) Il n'y avait pas de terre agricole ni de courses de chevaux en cause.

d) Les services d'une écurie professionnelle ont été retenus.

e) Les chevaux ont été achetés à titre de stock en vue d'être revendus plus tard à un prix plus élevé.

f) Le prix des chevaux, d'après les renseignements obtenus au terme de mes recherches, était une indication claire que l'entreprise était très rentable. (L'information avait déjà été fournie à Revenu Canada).

g) Le coût normal de cette entreprise, ainsi que l'a indiqué la Timberholme Arabian Farm en Colombie-Britannique (articles tirés du Financial Post du 3 juillet 1989) incluait : une commission de 10 p. 100 à la vente, des frais de pension d'environ 5 700 $ par année et des frais de reproduction de 7 500 $. Les honoraires réclamés par Silver Unicorn Inc. étaient semblables à ceux réclamés par l'autre écurie de chevaux arabes.

h) Les prévisions que j'ai utilisées pour analyser la rentabilité de l'entreprise étaient très prudentes et réalistes. Les prévisions fondées sur la publicité faite concernant ce genre d'entreprise étaient en général 3 ou 4 fois plus élevées que les miennes. (Information déjà soumise.)

[9] L'intimée soutient que l'entreprise de chevaux répondait à la définition d' « agriculture » énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi, que le revenu de l'appelant ne provenait principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source et que, par conséquent, l'appelant est limité aux montants prévus au paragraphe 31(1) de la Loi.

Analyse et décision

[10] Le paragraphe 248(1) définit dans les termes suivants le terme « agriculture » :

« agriculture » comprend la culture du sol, l'élevage ou l'exposition d'animaux de ferme, l'entretien de chevaux de course, l'élevage de la volaille, l'élevage des animaux à fourrure, la production laitière, la pomoculture et l'apiculture, mais ne comprend pas une charge ou un emploi auprès d'une personne exploitant une entreprise agricole.

[11] Le paragraphe 31(1) de la Loi limite la déduction des pertes agricoles à des montants calculés selon une formule qui, si le paragraphe s'applique, fait en sorte que l'appelant pourrait déduire 8 715 $ en 1991 et 7 691 $ en 1992. Ce sont les montants dont le ministre a admis la déduction.

[12] Il ne fait guère de doute que le revenu de l'appelant ne provenait principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source. Il ressort clairement de son témoignage que, mis à part l'argent investi, l'appelant n'a à toutes fins pratiques joué aucun rôle dans l'entreprise de chevaux. De plus, l'entreprise de chevaux n'a produit aucun revenu alors que le revenu de l'appelant provenant de sa profession de médecin était élevé.

[13] La question est donc de savoir si l'entreprise répondait à la définition d' « agriculture » . La définition énoncée au paragraphe 248(1) est extensive, c'est-à-dire qu'elle étend le sens normal du terme agriculture à certaines activités qui pourraient être considérées comme des activités voisines, comme l'entretien des chevaux de course. Cette question n'est pas en litige en l'espèce puisque les chevaux n'étaient pas entretenus en vue de faire des courses. Cependant, la définition inclut les mots « l'élevage [...] d'animaux de ferme » . Je suis à peu près certain que le terme « agriculture » , dans son sens ordinaire, inclurait les activités menées par Unicorn pour le compte de l'appelant. Je suis d'autant plus certain que l'entreprise était sûrement une entreprise d' « élevage d'animaux de ferme » .

[14] L'appelant fait valoir qu'il s'agissait simplement d'un placement passif et que, par conséquent, il n'exploitait pas personnellement une entreprise agricole.

[15] Un argument semblable a été avancé dans une affaire très semblable, l'affaire Levy v. The Queen, 90 DTC 6346. Dans cette affaire, le contribuable a invoqué un argument semblable à celui de l'appelant en l'espèce. Le juge Rouleau, de la Cour fédérale, Section de première instance, a dit ceci à la page 6350 :

On ne peut dire que les mots "exploitées par lui" ont le même sens que les mots "se livre activement". Effectivement, je suis persuadé que l'investissement d'une somme en capital et le paiement d'une partie des frais d'entretien constituent l'exploitation d'une entreprise.

La jurisprudence indique clairement qu'une entreprise peut être considérée comme une entreprise "exploitée" par un contribuable, même lorsque le travail lui-même est fait par quelqu'un d'autre, lorsque le contribuable verse uniquement un apport en capital dans le but d'obtenir une part du produit [...]

[16] Il peut sembler injuste aux yeux de certains contribuables que les pertes agricoles soient restreintes en application du paragraphe 31(1) alors que de telles restrictions ne s'appliquent à aucune autre entreprise. Cela peut sembler injuste également parce que, si l'appelant avait acquis des actions dans une société exploitant une entreprise agricole, peut-être ne serait-il pas limité par le paragraphe 31(1) si ses actions donnaient lieu à une perte. En dépit de ces considérations, le législateur a adopté le paragraphe en question et celui-ci doit être appliqué lorsqu'il est satisfait aux conditions qui y sont énoncées. À mon avis, dans la présente affaire, le paragraphe s'applique clairement.

[17] Ce résultat ne fera pas plaisir à l'appelant. Cependant, je fais remarquer que l'appelant a peut-être été chanceux puisque, au moins, le ministre lui a permis de déduire les pertes agricoles restreintes prévues à l'article 31. Le commentaire général suivant, que l'on peut lire dans les CCH Canadian Tax Reports, vol. 2, pages 7703 et 7704, appuie mon point de vue.

[TRADUCTION]

Si on se réfère au Bulletin d'interprétation IT-322R ( ¶ 5675) et au jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, un contribuable qui est engagé dans une activité agricole peut se ranger dans l'une des trois catégories suivantes :

1) Le contribuable pour qui l'agriculture peut raisonnablement être considérée comme étant sa principale source de revenu ou le centre de son activité ordinaire. Un tel contribuable, qui considère l'agriculture comme son moyen d'existence, n'est pas assujetti aux restrictions prévues à l'article 31 et peut déduire d'un autre revenu le montant intégral de ses pertes agricoles.

2) Le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une autre source de revenu secondaire, comme son moyen d'existence, mais qui exploite une entreprise agricole à titre d'entreprise secondaire. Ce contribuable doit avoir une attente raisonnable de tirer un profit en exploitant son entreprise, mais il doit consacrer le gros de son temps et de ses efforts à une autre entreprise ou à un autre emploi. Un tel contribuable a le droit de déduire ses pertes agricoles sous réserve des restrictions énoncées à l'article 31.

3) Le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une autre source de revenu secondaire, comme son moyen d'existence, et qui s'adonne à des activités agricoles sans attente raisonnable d'en tirer un profit. Les pertes subies par un tel contribuable sont considérées comme des frais personnels ou de subsistance au sens du paragraphe 248(1) et ne sont pas déductibles.

On déterminera objectivement, à la lumière de tous les faits, si le contribuable peut raisonnablement s'attendre à tirer un profit de ses activités agricoles. Parmi les critères à considérer, mentionnons l'ampleur de l'activité par rapport à des entreprises de nature et de taille comparables, le montant du revenu brut tiré de l'exploitation par rapport aux dépenses appropriées, le temps consacré à l'exploitation par rapport à celui que le contribuable consacre à ses autres activités productrices de revenu, le profil des bénéfices et des pertes des années antérieures, la formation du contribuable, le plan d'action envisagé par le contribuable et la capacité de l'entreprise, telle qu'elle est capitalisée, à dégager un bénéfice après imputation de la déduction pour amortissement.

Dès qu'il est établi qu'un contribuable peut raisonnablement s'attendre à tirer un profit de son activité agricole et que, par conséquent, il exploite une entreprise agricole, il est nécessaire de déterminer si l'agriculture, seule ou en combinaison avec une autre source de revenu, constitue la principale source de revenu de ce contribuable. On a statué, dans la jurisprudence, que l'utilisation du terme « combinaison » au paragraphe 31(1) n'exige pas qu'il y ait un lien quelconque, sous la forme de rapport physique, d'intégration ou de lien étroit, entre l'agriculture et l'activité secondaire qui constitue une autre source de revenu. Toutefois, on a indiqué également que le terme « combinaison » ne signifie pas la simple addition de deux sources de revenu d'un contribuable. Dans l'arrêt Moldowan, le juge Dickson a indiqué qu'il s'agit d'un test à la fois relatif et objectif :

Ce n'est incontestablement pas une simple question de proportion. Celui qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'en tirer sa principale source de revenu du simple fait qu'il a inopinément gagné à la loterie. Ce qui distingue la principale « source » de revenu du contribuable, c'est l'expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à l'égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future.

De même, le renvoi à l'article 31 à un contribuable qui tire son revenu de l'agriculture et d'une autre source de revenu a été interprété comme visant la personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. Ainsi, l'agriculteur à temps plein peut obtenir un emploi au cours des mois d'hiver, lorsque l'agriculture ne requiert pas beaucoup de son temps. De tels intérêts subsidiaires ou auxiliaires n'ont pas nécessairement pour effet de soumettre le contribuable à l'article 31.

[18] En conclusion, pour les motifs qui précèdent, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de janvier 1998.

« T. P. O’Connor »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de juin 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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