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Date: 19980107

Dossier: 97-1676-IT-I

ENTRE :

DJAMAL BARHMED,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tremblay, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu le 14 novembre 1997 à Montréal, Québec.

Point en litige

[2] Selon l’Avis d’appel et la Réponse à l’avis d’appel, il s’agit de savoir si l’appelant, un ingénieur, est bien fondé dans le calcul de son revenu des années 1994 et 1995, de déduire à titre de frais de garde d’enfants, les sommes de 2 150 $ et 2 550 $ respectivement. L’intimée refuse la déduction, parce que l’appelant n’a pas fourni, entre autres, la preuve des paiements ou des reçus en bonne et due forme ni le certificat médical indiquant la durée de l’incapacité physique ou mentale de son épouse, Fadela Bélouar.

[3] L'appelant a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. le ministre du Revenu national[1]..

[4] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimée pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) et b) du paragraphe 4 de la Réponse à l'avis d'appel. Ces paragraphes se lisent comme suit :

4. Pour établir ces nouvelles cotisations, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a. durant les années en litige, l’appelant prétend avoir versé respectivement des montants de 2 150 $ en 1994 et 2 550 $ en 1995 à titre de frais de garde pour ses enfants, Badis et Zakaria; [admis]

b. l’appelant n’ayant pu fournir, à la demande du Ministre, la preuve des paiements et ou des reçus en bonne et due forme et un certificat du médecin indiquant la durée de l’incapacité physique ou mentale de son épouse, les montants réclamés à titre de frais de garde d’enfants dans le calcul du revenu de l’appelant pour les années en litige ne sont pas déductibles. [explications à donner].

Les faits mis en preuve

[5] Les grandes lignes du témoignage de l’appelant sont bien résumées dans l’Avis d’appel ci-après (pièce A-9) :

Suite à la conversation téléphonique du 30 septembre 1996 avec un de vos agent (Mme Diane Goulet), je viens par la présente, porter à votre attention mon cas. J’étais très surpris que vous n’ayez pas pris en considération les frais de garde dans ma déclaration d’impôt 1995 et celui de l’année 1994.

En effet, les raisons qui font que j’avais déduit les frais de garde pour la déclaration de 1994, c’est que mon épouse était malade et souvent hospitalisée durant des semaines suite à la deuxième grossesse. De plus, après cette dernière, il a fallu encore l’hospitaliser pour des douleurs abdominales qui ont suscitée une chirurgie. D’ailleurs, ce constat de maladie et de faiblesse a été confirmée par autre médecin Dr. Charbonneau du C.L.S.C. et qui a conseillé de faire garder les enfants. Vu cette situation, je n’avais pas le choix que de les garder. Pourtant, il y a un an, j’avais discuté avec un de vos agents qui m’a expliqué ce qu’il faut faire. J’ai procédé tel que convenu. Je vous ai envoyé déjà une lettre expliquant le tout ainsi que la lettre du médecin pour justifier cette déduction. Par la suite, vous m’avez envoyé une lettre pour m’informer que vous avez apporté des corrections et que tous était conforme.

Pour la déclaration de l’impôt 1995, c’est le même scénario que l’année 1994, c’est que mon épouse était pour la troisième fois enceinte (avec des jumeaux). Le médecin traitant (Dr. Skoll, de Ste-Justine) a exigé qu’elle reste à l’hôpital vu que c’était un grossesse gémellaire a risque et qu’elle n’avait pas le droit de faire d’effort (un épuisement total, beaucoup de difficulté à bouger et manque de sommeil). Vu cette situation fort difficile, nous n’avons pas le choix que de faire garder les deux enfants.

J’attirai votre attention, que je me trouve désemparé, désappointé, ahurie par cette situation qui fort désagréable pour quelqu’un qui n’avez pas le choix que de faire garder les enfants.

L’appelant a aussi expliqué qu’il était le père de quatre enfants, « Badis » né le 27 mars 1993, « Zakaria » né le 14 septembre 1994 et des jumeaux (un garçon et une fille) nés en 1996.

Pièces produites

[6] Pour confirmer les faits ci-dessus, l’appelant a produit les pièces suivantes : Pièce A-1 - de l’obstétricienne-gynécologue Amanda Skoll, m.d., du Centre Foeto-Maternel, Hôpital Ste-Justine, une lettre du 21 novembre 1996 :

...

Montréal, le 21 novembre 1996

À qui de droit,

Ceci atteste que madame Fadela Belouar a eu des complications de grossesse en 1994 qui ont nécessité qu’elle fasse garder son enfant. Elle a accouché le 14 septembre 1994.

Également, les complications d’une grossesse gémellaire (accouchement en mars 1996) ont nécessité qu’elle fasse garder ses enfants en 1995.

Bien à vous,

[7] Sous la pièce A-2, une « ordonnance médicale » émanant du Dr. J.L. Charbonneau du C.L.S.C. Plateau Mont-Royal, datée du 23 juin 1994, au sujet de Fadela Belouar, épouse de l’appelant :

Cette personne, épouse de Djamal Barhmed, fréquente notre clinique avec son fils Badis-Anis, né le 27-03-93.

Actuellement, elle souffre d‘otite externe dû à un état de grande fatigue puisqu’elle doit accoucher en septembre 1994.

Elle aurait besoin d’aide de sa famille puisqu’elle est seule ici avec son mari et son enfant.

Merci de votre considération..

J.L. Charbonneau, m.d. 41 200 94/06/23.

[8] Sous la pièce A-3, un rapport du Dr. Porlansky du C.L.S.C. St-Léonard, au sujet de l’épouse de l’appelant, rencontrée le 19 septembre 1996. À sa demande de consultation, elle avait invoqué sa dépression sévère et ses idées suicidaires :

...

Rencontre avec A. Brodersen concernant madame; Discussion de cas : madame Belouar est en consultation avec Dr. A. Brodersen;

Celle-ci constate que madame est en dépression post-partum; 1 ° elle commence à avoir des hallucinations : à certaines occasions, elle entend pleurer les jumeaux (6 mois), même si ceux-ci dorment; 2 ° elle a, à certaines occasions des idées homicidaires, étouffer les enfants. Actuellement, une voisine garde les enfants de madame; celle-ci a promis d’être de retour à la maison pour 11 heures.

Entente : il nous semble primordial d’avoir une évaluation de la santé mentale de madame; une référence à l’urgence de L.-H. Lafontaine nous semble nécessaire. A. Brodersen contactera l’urgence; nous ferons des démarches pour qu’une auxiliaire familiale puisse aller assurer la garde des enfants jusqu’au retour du travail du conjoint (vers 19 heures).

RE: Assurance de madame

Confirmation de la disponibilité d’une auxiliaire. Remise de billets de taxi à madame pour se rendre à domicile où la rejoindra l’auxiliaire et se rendre par la suite à L.-H. Lafontaine.

16 heures - Appel Sandra Côté, T.S. urgence L.H. -Lafontaine; possibilité de cure fermée; tente de trouver les coordonnées de monsieur au travail car madame refuse de les lui fournir et veut quitter. Selon info., monsieur devrait être à la maison vers 18 h 30; info. transmise à F. Guilbault pour développement ce soir.

...

Date: 96/09/19 Signature:

[9] Sous la pièce A-4, trois reçus d’Urgence Santé relativement à trois fois où dame Fadela Belouar, étant allée au Marché ou prendre une marche, a perdu connaissance dans la rue. Le transport ambulancier a dû être requis et elle fut transportée à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.

[10] Sous la pièce A-5, un reçu, numéro 43990, de la « Garderie Rêve d’enfance » , 6163, rue Bélanger est, St-Léonard, daté du 3 septembre 1995, au montant de 460 $, pour la garde de l’enfant Badis Barhmed, du 7 septembre 1994 au 22 décembre 1994. L’appelant informe la Cour que le coût dans une garderie est de 20 $ par enfant par jour.

[11] L’appelant a expliqué qu’il a aussi fait garder les enfants chez lui par une dame « Andreana Levistay » , une sud-américaine qui gardait les deux enfants et aussi aidait la maman qui devait rester au lit, lui préparait ses repas, etc. Concernant cette dame Andreana Levistay qu’il payait à chaque fois en argent, il ne lui est pas venu à l’idée de demander un reçu. Toutefois, une dame Bouassida Nounia affirme, dans une déclaration produite sous la pièce A-6, avoir vu à maintes reprises la dénommée Andreana garder :

St-Léonard, le 8 août 97

Je soussignée Bouassida Nounia, certifie avoir rencontré à maintes reprises Mme Andreana qui gardait les enfants de mon amie, Mme Belouar Fadela, chez-elle au cours de l’année 1995.

En foi de quoi, la présente attestation est délivrée pour servir et valoir ce que droit. (initiales)

Mme Bouassida-Nounia

6899 Tourraine, St-Léonard

tel: 252-0639

[12] Une dame Lafrance a confirmé que lorsque l’épouse de l’appelant était enceinte, elle ne pouvait pas bouger. Le médecin l’obligeait à demeurer à l’hôpital.

[13] Sous la pièce A-8, l’appelant a produit une lettre adressée à Revenu Canada (Impôt) le 29 mars 1995 concernant sa réclamation 1994 :

A qui de droit,

Tel que convenu lors de mon entretien avec un agent de Revenu Canada à Montréal, je viens par la présente vous expliquer les raisons de ma demande de déduction de garde pour frais de garde d’enfants.

En effet, les raisons qui font que j’avais demandé cette déduction, en premier, mon épouse était malade et souvent à l’hôpital suite à la deuxième grossesse, en second, après la grossesse, elle a été hospitalisée pour des douleurs au ventre. Les médecins traitants ont exigé qu’elle reste à l’hôpital, beaucoup de repos et surtout qu’il lui faut beaucoup de sommeil et par conséquent, de garder l’enfant.

[14] En contre-interrogatoire, l’intimé a produit, sous la pièce I-1, le formulaire T778 intitulé « Calcul de la déduction pour frais de garde d’enfants pour 1994 » . Selon ce formulaire, l’appelant réclame 2 150 $ pour frais de garde d’enfants, soit pour Badis et Zakaria - : Garderie Rêve d’enfance et une personne nommée Kolli Louiza. Cette Kolli Louiza chargeait 30 $ par jour pour garder les deux enfants au lieu de 40 $. Ainsi, dans le montant de 2 150 $, la somme de 460 $ fut payée à la garderie pour garder Badis pendant 23 jours et la somme de 1 690 $ pour 56 jours pour les deux enfants Badis et Zakaria à la maison.

[15] Sous la pièce I-2, un formulaire similaire au précédent, mais pour l’année 1995, a été produit pour réclamer 2 550 $, soit aussi au taux de 30 $ par jour au lieu de 40 $. L’appelant souligne qu’à l’Hôpital Ste-Justine, il louait une chambre pour son épouse et une aussi pour l’assistante sociale.

[16] L’intimée a aussi produit, sous la pièce I-3, une lettre de l’appelant du 8 février 1997, adressée à madame J. Laplante de Revenu Canada :

...

Objet : Frais de garde (attestation médicale)

Madame,

Suite à notre conversation téléphonique, voici l’attestation médicale que vous m’avez demandé de justifier la déduction de frais de garde de l’année fiscale 1994 et 1995.

Vu que mon épouse a été malade, je n’avais pas le choix que de les garder (Garderie Rêve d’enfance et une dame au nom de Kolli Louiza (elle venait chez nous pour garder les enfants). Pourtant, il y a un an, j’avais discuté avec un de vos agents qui m’a expliqué ce qu’il faut faire. J’ai procédé tel que convenu. Je vous ai envoyé déjà une lettre expliquant le tout ainsi que la lettre du médecin pour justifier cette déduction. Par la suite, vous m’avez envoyé le relevé pour m’informer que vous avez apporté des corrections et que tout était conforme.

Dans le passé, j’a déjà fourni les mêmes explications concernant mon dossier et on me revient à chaque 6 mois avec les mêmes questions (les explications ont été fournies par lettre, par téléphone et en se déplaçant au bureau de Revenu Canada sur René-Lévesque (Mme Goulet, Mme Beaulieu, etc...) et pourtant, ils m’ont dit que c’est correct).

J’attirerai votre attention que je me trouve désemparé, désappointé, ahuri par cette situation qui fort désagréable pour quelqu’un qui n’avez pas le choix que de faire garder les enfants.

Comptant sur votre compréhension, veuillez agréer, madame Laplante, l’expression de mes salutations distinguées.

...

[17] L’appelant soutient que pour l’année d’imposition 1996, il a en main tous les reçus, mais auparavant, il n’était pas renseigné. Ainsi, de la dénommée Andreana Levistay, il n’a pas de reçu.

[18] L’appelant a aussi souligné que ni lui ni son épouse n’avaient de parents qui demeuraient au Canada. Ils ont tenté sans succès d’obtenir un visa pour sa propre soeur, mais sans succès (pièce A-7).

[19] L’article 63 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ) fixe les conditions permettant la déduction. Selon l’intimée, l’appelant ne rencontre pas la condition de l’émission d’un document officiel attestant d’un séjour de deux semaines à l’hôpital, prévu au sous-alinéa 63(2)b)(iv) :

...

(iv) une personne qu’un médecin en titre atteste être quelqu’un qui, selon le cas :

(A) en raison d’une infirmité mentale ou physique et de l’obligation, tout au long d’une période d’au moins 2 semaines de l’année, de garder le lit, de demeurer dans un fauteuil roulant ou d’effectuer un séjour dans un hôpital, un asile ou tout autre établissement semblable, a été dans l’incapacité de s’occuper de ses enfants,

(B) en raison d’une infirmité mentale ou physique, a été au cours de l’année et sera vraisemblablement, pendant une longue période indéfinie, dans l’incapacité de s’occuper de ses enfants,

sauf les conditions relatives au paiement prévu au paragraphe 63(1) :

...

et dont le paiement est établi par la présentation au ministre d’un ou de plusieurs reçus délivrés par le bénéficiaire du paiement et portant, lorsque celui-ci est un particulier, le numéro d’assurance sociale de ce particulier, le total ne peut toutefois être supérieur à l’excédent éventuel du montant visé à l’alinéa e) sur le total visé à l’alinéa f) :

[20] Quand au document officiel d’un médecin relativement à la maladie de dame Fadela Belouar, l’épouse de l’appelant, il se dégage de l’ensemble de la preuve que la maladie « complications de grossesse » selon le Dr. Amanda Skoll en 1994 (paragraphe [6]) et en 1995, nécessitait qu’elle fasse garder les enfants. Le Dr. Charbonneau écrit dans le même sens (paragraphe [7]). Le Dr. Porlansky du C.L.S.C. St-Léonard souligne ses faiblesses mentales (paragraphe [8]). Il recommande une évaluation psychiatrique à l’urgence de l’hôpital L.-H. Lafontaine. Il dit : « nous ferons des démarches pour qu’une auxiliaire familiale puisse aller assurer la garde des enfants jusqu’au retour du travail du conjoint » , puis la possibilité d’une cure fermée à l’hôpital L.-H. Lafontaine. À sa demande de consultation, elle a invoquée des idées suicidaires. Par trois fois, l’épouse de l’appelant s’évanouit lors de ses sorties et doit être transportée à l’hôpital par le service d’Urgence Santé (paragraphe [9]). De plus, l’appelant a loué, à Ste-Justine, une chambre non seulement pour son épouse mais pour l’assistante sociale. Tous ces documents démontrent, selon moi, l’état critique de la santé de dame Belouar depuis ses grossesses et par la suite. Les médecins parlent beaucoup plus fortement de son état de santé que d’un document certifiant que la dame a passé deux semaines à l’hôpital, le tout pour démontrer la nécessité de la garde d’enfants. Il me semble que c’est là considérer l’intention du législateur ainsi que de l’objet et de l’esprit de la Loi et de son effet réel, comme il a été exprimé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, 84 DTC 6305.

[21] Relativement à l’absence des reçus avec signature du bénéficiaire et numéro d’assurance sociale, il y a lieu de référer à l’affaire Candice Y. Senger-Hammond c. La Reine, 1996, A.C.I., No. 1609, numéro du greffe 96-1117(IT)I. Ce jugement a été rendu par le juge Bowman de cette Cour le 6 décembre 1996 :

Refuser une déduction en se fondant sur une interprétation purement mécanique mènerait à une absurdité (City of Victoria v. Bishop of Vancouver Island [1921] 2 A.C. 384). On ne peut, bien sûr, faire abstraction du libellé de l’article 63 reproduit précédemment. Il faut lui donner un certain effet, comme le juge en chef Isaac l’a dit dans l’arrêt The Queen v. Coopers & Lybrand Limited, 94 DTC 6541, à la page 6546 :

Toutefois, les tribunaux ne sont pas en cela invités à écarter les autres règles bien établies d'interprétation, telle la règle exigeant que les tribunaux « donne[nt] un sens à chacun des mots employés par la législature » : Atco et al. c. Calgary Power Ltd. et al., [1982] 2 R.C.S. 557, à la p. 569.

Néanmoins, on doit donner au libellé un sens qui est conforme à l’objectif de la loi. Décider, selon la méthode mécanique, que la production de reçus portant des numéros d’assurance sociale est une condition préalable essentielle à la déductibilité, va à l’encontre de l’objectif principal de la loi.

La question de savoir si les dispositions d’une loi sont directrices (directory) ou impératives (imperative) a été analysée dans un grand nombre de décisions rendues au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Le Black’s Law Dictionary définit « directory » (directeur, trice) dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

directory (directeur, trice), adj. Disposition figurant dans une loi, dans une règle de procédure ou dans un autre texte similaire qui constitue une simple directive ou instruction sans force obligatoire, et qui n'a pas d'effet invalidant en cas d'inobservation, par opposition à une disposition impérative ou obligatoire, qui doit être suivie. La règle générale est que, bien que leur inobservation puisse être punissable, les dispositions d’une loi qui se rapportent à l’exécution d’une obligation de nature publique sont directrices en ce qu’elles ne compromettent pas la validité des actes accomplis en vertu des dispositions en question; c’est le cas par exemple d’une disposition législative qui oblige le fonctionnaire à préparer et à remettre un document à un autre fonctionnaire au plus tard un jour donné.

Une disposition « directrice » d’une loi est une disposition dont le respect n’est pas essentiel à la validité de la procédure à laquelle elle se rapporte; le ministère ou le fonctionnaire qu’elle vise peut décider d’y obéir ou non, selon ce qu’il juge opportun. En général, les dispositions législatives qui ne touchent pas à l’essence de l’acte à accomplir et dont le respect est une question de commodité plutôt que de fond sont « directrices » alors que les dispositions qui touchent à l’essence de l’acte à accomplir, et donc au fond, sont « obligatoires » . Rodgers v. Meredith, 274 Ala. 179, 146 So.2d 308, 310.

Si on les classe de façon générale, les lois sont soit « obligatoires » , soit « directrices » et, si elles sont obligatoires, elles prescrivent, en plus d’exiger l’exécution de certains actes, la conséquence de leur inobservation alors que, si elles sont directrices, leur libellé se limite à l’acte qui doit être accompli. La loi est obligatoire si la disposition de cette loi touche à l’essence de l’acte qui doit être accompli; si, par contre, elle touche à la forme et à la manière, et que l’acte est accessoire, ou survient une fois la compétence acquise, elle est directrice seulement.

Le premier paragraphe du passage précédent est identique à celui que l’on trouve dans le Jowitt’s Dictionary of English Law, 2e édition. J’estime que ces passages énoncent correctement l’état du droit au Canada également.

Dans l’ouvrage Maxwell on Interpretation of Statutes, 12e édition, on se penche sur la question aux pages 314 et 315 :

[TRADUCTION]

La première question est la suivante : lorsqu’une loi requiert l’exécution d’un acte ou l’exécution d’un acte d’une manière ou dans une forme prescrite, sans énoncer expressément la conséquence de la non-exécution, l’exigence doit-elle être considérée comme impérative (ou obligatoire) ou simplement directrice (ou facultative)? Dans certains cas, les conditions ou formes prescrites par la loi ont été considérées comme essentielles à la chose ou à l’acte régi par la loi, et leur omission a été jugée invalidante. Dans d’autres cas, ces dispositions ont été considérées comme étant simplement directrices, leur inobservation n’entraînant rien de plus que la possibilité d’une pénalité, si tant est qu’une telle pénalité est imposée, pour violation du texte de loi. « Il faut obéir ou satisfaire rigoureusement à la dispostion législative absolue alors que, dans le cas de la disposition législative directrice, il suffit d’y obéir ou d’y satisfaire en substance. » 1

Il est impossible d’énoncer une règle générale permettant de déterminer si une disposition est impérative ou directrice.2 « En ce qui concerne l’interprétation des lois, a déclaré lord Campbell, L.C., il est impossible d’énoncer une règle universelle qui permette de déterminer si les lois qui requièrent l’accomplissement de certains actes doivent être considérées comme directrices seulement ou obligatoires et entraînant l’annulation en cas d’inobservation. Il incombe aux tribunaux judiciaires de tenter de saisir l’intention réelle de la législature en examinant avec soin la portée générale de la loi à interpréter. » 3 Lord Penzance a dit : « J’estime, pour ce qui est de toute règle, qu’il est risqué d’aller plus loin; dans chacun des cas il faut examiner l’objet, déterminer l’importance de la disposition qui n’a pas été respectée et le rapport de cette disposition avec l’objectif général que la loi vise à atteindre et, sur examen de l’affaire à cet égard, décider si l’objet est ce que l’on appelle impératif ou seulement directeur. » 4

1 Woodward v. Sarsons (1875) L.R. 10 C.P. 733, Lord Coleridge, J.C., à la p. 746.

2 Mais voir Montreal Street Rly Co. v. Normandin [1917] A.C. 170, Sir Arthur Channell (conditions relatives à l’exécution d’une obligation de nature publique dont l’annulation entraînerait de sérieux inconvénients, normalement jugées directrices). Voir. Maxwell, 11e éd., pp. 362 à 364; Cullimore v. Lyme Regis Corporation [1962] 1 Q.B. 718.

3 Liverpool Borough Bank v. Turner (1860) 2 De G.F. & J. 502, aux pp. 507, 508.

4 Howard v. Bodington (1877) 2 P.D. 203, à la p. 211.

L’essence de l’article 63 est de permettre la déduction des frais de garde d’enfants, et non de permettre la perception de l’impôt auprès des gardiens et gardiennes d’enfants. Le libellé de la disposition n’appuie pas l’opinion suivant laquelle la production de reçus est obligatoire. En effet, le texte anglais n’utilise pas le terme « shall » [2]. Il décrit plutôt une méthode de preuve, qui est de toute évidence formelle, probante et procédurale. De fait, il est bon de comparer le libellé de l’article 63 à celui du paragraphe 118.1(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui se lit comme suit :

(2) -- Aucun don ne peut être inclus dans le total des dons de charité, dans le total des dons à l’État ou dans le total des dons de biens culturels s’il n’est pas attesté par un reçu, contenant les renseignements prescrits, produit au ministre.

La condition énoncée au paragraphe 118.1(2) est clairement impérative. Si le législateur avait souhaité donner le même effet au libellé de l’article 63, il aurait très bien pu le dire.

J’estime que le passage de l’article 63 qui requiert la production de reçus portant le numéro d’assurance sociale du bénéficiaire des paiements est directeur plutôt qu’impératif, et que l’omission de produire les reçus n’empêche pas la déduction des frais. Cette conclusion est conforme au libellé de la Loi ainsi qu’à son objet.

[22] Je partage l’avis du juge Bowman. De plus, considérant la preuve que la dame Kolli Louiza chargeait 30 $ par jour au lieu de 40 $, on ne peut reprocher à l’appelant de l’engager.

Décision

[23] L’appel est admis, avec frais.

Signé à Québec, Québec, ce 7e jour de janvier 1998

« Guy Tremblay »

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

[2]           Il ne s’agit donc pas d’une situation comme celle dont il était question dans The Queen v. Adelman, 93 DTC 5376.

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