Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991126

Dossiers: 97-3216-IT-G; 97-3219-IT-G; 97-3222-IT-G; 97-3221-IT-G

ENTRE :

ARTHUR EDWARD ERB, GARY ERB, DOUGLAS ERB, T & H HOLDINGS LTD.,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

Introduction

[1] Les appels en cause ont été entendus ensemble sur preuve commune.

[2] Les appels de Arthur Edward Erb et de T & H Holdings Ltd. sont liés et portent sur les cotisations établies pour l'année 1993. Les appels de Douglas et de Gary Erb se rapportent aux cotisations établies pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 et font intervenir des questions de fait et de droit semblables.

[3] Je résume ci-après les faits donnant lieu aux diverses questions soulevées. Arthur Edward Erb (“ Arthur ”) est le père de Douglas Erb (“ Douglas ”), de Gary Erb (“ Gary ”) et de Fred Erb (“ Fred ”). Au cours des années en question, il était marié à Hazel Herb (“ Hazel ”), qui est décédée depuis. Bradley Erb (“ Brad ”) est le fils de Douglas.

[4] Tous les Erb, hormis Brad, détenaient des actions dans deux sociétés familiales, Erb Enterprises Ltd. (“ Enterprises ”) et T & H Holdings Ltd. (“ T & H ”). Gary, Douglas et Fred possédaient chacun 100 actions ordinaires de Enterprises et de T & H. Arthur et Hazel possédaient 500 et 200 actions privilégiées respectivement de Enterprises et de T & H.

[5] Fred, Douglas et Gary ainsi que Enterprises étaient associés dans Erb Enterprises Partnership (la “ société de personnes ”), qui exploitait deux entreprises, soit une ferme et une entreprise de camionnage. Le bien-fonds utilisé aux fins de l'exploitation agricole appartenait à T & H.

[6] En 1993, Brad, qui exploitait sa propre ferme, a eu besoin d’un terrain pour construire une maison. La famille a cru, probablement à tort, que seule une parcelle minimale de 40 acres pouvait être séparée d’une parcelle existante. T & H a transféré 40 acres de sa parcelle existante de 160 acres à Brad et à son épouse. Brad n'a rien payé à T & H.

[7] Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l'égard de T & H pour le motif qu'aux termes de l'article 69 elle avait reçu la juste valeur marchande du bien-fonds, qu’il a fixé à 1 500 $ l’acre ou à 60 000 $. En outre, il a établi une cotisation à l'égard d'Arthur sur le montant de 60 000 $ pour le motif que ce dernier avait donné instruction de transférer le bien-fonds à Brad à titre d'avantage qu'il désirait lui voir accorder et qu'en conséquence il fallait inclure la valeur de l'avantage, soit 60 000 $, dans le revenu d'Arthur aux termes du paragraphe 56(2).

[8] Les appelants soutiennent ce qui suit :

a) Les parties ne voulaient céder la propriété effective que deux acres à Brad, les 38 autres acres devant être détenus en fiducie pour T & H. Par conséquent, il y a eu disposition de deux acres seulement au sens de la définition se trouvant à l'article 54 de la Loi de l'impôt sur le revenu parce qu'il n'y a pas eu de changement de propriété effective.

b) Quoi qu'il en soit, le bien-fonds ne valait que 650 $ l'acre.

c) Le paragraphe 56(2) ne s'applique pas et, s'il s'applique, l'avantage imputé devrait être attribué proportionnellement à tous les actionnaires de T & H.

[9] En ce qui concerne les appels de Douglas et de Gary, en 1992, 1993 et 1994, ces deux membres de la société de personnes ont reçu sous forme de prélèvements des montants supérieurs à leur part dans le revenu de la société de personnes. En conséquence, leurs comptes de capital respectifs sont devenus déficitaires.

[10] Le ministre a établi une cotisation à leur égard aux termes du paragraphe 15(2) de la Loi pour le motif qu'ils avaient contracté une dette auprès de la société de personnes dont ils étaient des associés avec une société (Enterprises) dans laquelle ils étaient des actionnaires, et que le montant de la dette, pour l'application du paragraphe 15(2), doit être déterminé en fonction de trois critères :

a) la taille du déficit dans leur compte de capital;

b) le montant de la part de chacun des associés dans le revenu de la société de personnes dans l'année;

c) le montant retiré de la société de personnes au cours de l'année.

[11] Je donnerai plus de précisions ci-après sur la manière dont le ministre a calculé l'avantage aux termes du paragraphe 15(2).

[12] Les appelants contestent la cotisation pour les deux motifs suivants :

a) Ils n’avaient pas contracté de “ dette ” auprès de la société de personnes au cours des années en cause parce qu'il est légalement impossible pour un associé de contracter une dette auprès d’une société de personnes dont il est un associé.

b) Quoi qu'il en soit, la dette, si dette il y avait, a été calculée incorrectement par le ministre parce que, dans la mesure où le compte de capital des appelants peut être utilisé aux fins du calcul, le montant de ce compte devrait être déterminé conformément aux principes comptables généralement reconnus.

[13] S’ajoute une question subsidiaire, qui dépend du règlement de la question fondée sur le paragraphe 15(2), soit que le ministre a ajouté au revenu des appelants un montant réputé d'intérêt en vertu du paragraphe 80.4(2) de la Loi. Le règlement de cette question dépend de la réponse à la question de savoir si les appelants avaient contracté une dette auprès de la société de personnes.

Les appels de T & H et de Arthur

[14] La première question à trancher est celle de savoir si T & H a transféré la propriété effective de 40 acres à Brad ou si elle n'a transféré que deux acres et conservé la propriété effective des 38 autres.

[15] Selon la preuve, Brad n'avait besoin que de deux acres pour construire une maison, mais la famille croyait qu'elle aurait de bien meilleures chances de faire approuver la division du bien-fonds si elle lui en transférait 40. Cette conviction n’était pas fondée sur une opinion juridique, mais sur les dires d’une connaissance, qui était aussi un employé, M. Jim Moroz. Celui-ci a informé la famille que, lorsqu'il avait acquis un bien-fonds de son père pour y construire une résidence, la superficie minimale du bien qui pouvait être divisée était de 40 acres.

[16] Brad a bien construit une maison sur les deux acres, et les 38 acres qui restaient ont continué d'être utilisés par la société de personnes dans le cadre de l'exploitation agricole. On a soutenu qu'il y avait un accord verbal selon lequel Brad devait avoir la propriété effective de deux acres seulement et détenir uniquement le titre en common law sur les 38 autres acres. Il n’y a aucun écrit, comme une entente ou des dossiers de l'entreprise de T & H, pour corroborer l’existence d’un tel accord, et je ne crois pas que les membres de la famille aient à quelque moment que ce soit envisagé de manière formelle ou tacite de lui conférer la propriété en common law par opposition à la propriété effective. Nul doute qu'il y avait une entente tacite selon laquelle les 38 acres restants devaient continuer d’être utilisés par la société de personnes aux fins de l'exploitation agricole, comme ce fut effectivement le cas. Dans les registres de la Commission canadienne du blé, Enterprises est demeurée la productrice et l'entité qui cultivait le bien-fonds en question. À mon avis, cette information n'est pas concluante. T & H avait la propriété effective du reste du bien-fonds, ce que n’indiquent pas les registres de la Commission canadienne du blé. Dans les faits, Brad n'exploitait pas les 38 acres, ni T & H ni, à strictement parler, Enterprises. C'est plutôt la société de personnes qui était la productrice et l'exploitante.

[17] Lorsqu'il a fait des démarches pour obtenir un prêt hypothécaire, Brad a déclaré que lui-même et son épouse étaient les propriétaires des 40 acres. En fait, il n'aurait pas pu obtenir le prêt hypothécaire nécessaire pour construire sa maison (100 000 $) s'il n'avait pas été propriétaire du bien-fonds.

[18] Le document par lequel T & H transfère le bien-fonds à Brad et à son épouse Louise indique que la juste valeur marchande du bien-fonds était de 90 000 $.

[19] Dans une lettre datée du 7 octobre 1992 adressée à M. Richard Gray, le représentant du ministère de l'Agriculture de la province du Manitoba, M. Richard Hangh, précise que, si le bien-fonds loti doit servir uniquement à la construction d’une résidence, sa superficie devrait être considérablement réduite.

[20] Le 5 novembre 1992, Jane Pickering, du ministère du Développement rural, a écrit ce qui suit à la municipalité rurale de Macdonald :

[TRADUCTION]

Le demandeur, M. Brad Erb, désire lotir une parcelle de 40 acres du bien-fonds actuel de 160 acres appartenant à T & H Holdings Ltd. et portant le no 1225935. Brad Erb veut établir une ferme sur le site et avoir suffisamment de place pour prendre de l’expansion plus tard.

Si la demande est approuvée, il sera nécessaire d’adopter des décrets de dérogation relativement à la parcelle proposée et à la parcelle principale afin de modifier la superficie minimale exigée, soit 160 acres, dans le district rural “ A ”, aux termes du règlement no 262 dans sa version modifiée.

Le conseil d'aménagement du district de Macdonald-Ritchot a recommandé l'approbation de cette demande de lotissement en s'appuyant sur la politique no 1.1.3.8(a) du schéma d'aménagement. La politique no 1.1.3.9 stipule que : [TRADUCTION] “ la superficie minimale d'un lot aux fins d’une exploitation agricole est de deux acres; il n'y a pas de superficie maximale, mais le lot ne devrait pas inclure les terres cultivées et devrait normalement être circonscrit à la plantation brise-vent existante ou à la cour de ferme actuelle. ”

Les politiques 1.1.3.2 et 1.1.3.3 précisent que : [TRADUCTION] “ la superficie minimale de la parcelle de terrain dans la zone agricole est de 160 acres, mais le conseil peut approuver une parcelle de moins de 160 acres à des fins agricoles spécialisées s'il estime qu'une superficie exploitable de moins de 160 acres est justifiée et qu'aucun autre site n'est disponible. Le Conseil peut fixer des conditions quant à l'utilisation et à l'emplacement de la parcelle, notamment. ”

Le ministère de l'Agriculture a recommandé de ramener la superficie de la parcelle proposée à la seule superficie nécessaire pour construire une résidence, plantation brise-vent et structures annexes comprises.

Nous désirons attirer l'attention du conseil sur le fait que, même si le schéma d'aménagement prévoit le lotissement d’un quart de section de terrain aux fins d'une “ exploitation agricole ”, le but visé est de limiter la superficie de la parcelle comme les politiques mentionnées précédemment l’indiquent, particulièrement en ce qui concerne les terres cultivées. Le schéma prévoit également la mise en valeur de plus petites parcelles à des fins agricoles spécialisées comme des ruchers, des pépinières, pour ne mentionner que celles-là. Étant donné que l'auteur de la demande n'a pas indiqué qu'il s'agit d'une activité agricole spécialisée et que c’est une très grande parcelle pour établir une ferme, nous conseillerions au conseil d’évaluer soigneusement l’aspect pratique de la proposition en regard des schémas actuels d'aménagement.

En outre, nous aimerions faire remarquer au Conseil que la création d'une parcelle d’une telle superficie près de Oak Bluff peut engendrer un conflit possible d’utilisation du bien-fonds, surtout si le demandeur ou tout propriétaire ultérieur décidait d'élever du bétail.

[21] Une copie de la lettre a été envoyée à Brad. Il n'a rien fait pour dissiper la perception selon laquelle il avait l'intention d'utiliser la totalité de la parcelle de terrain.

[22] Le ministère de l'Agriculture a continué de s'opposer. Dans la demande de lotissement, Brad a déclaré qu'il désirait construire une résidence “ et avoir suffisamment d'espace pour prendre de l'expansion sur le site agricole proposé ”.

[23] Il a également indiqué qu'il envisageait d'exploiter une entreprise de naissage.

[24] Toutes les fois qu’ils ont traité avec la municipalité, ni Brad ni quelqu'autre membre de la famille n'ont précisé que les 38 acres devaient être détenus en fiducie pour T & H. En fait, ils ont donné exactement l'impression contraire.

[25] Je ne suis pas convaincu que les 38 acres devaient être détenus en fiducie par Brad. Quelles que soient les raisons pour lesquelles il y a eu cession de 40 acres à Brad et à son épouse — pour faciliter l'approbation du lotissement ou l’obtention d’un prêt hypothécaire — il n'y a tout simplement aucun élément de preuve selon lequel Brad et son épouse devaient être des fiduciaires. Il me semble qu'ils auraient à tout le moins fait part aux avocats qui se sont occupés de la transaction de leur intention de conclure un contrat de fiducie. Il y avait tout au plus une intention tacite de laisser la société de personnes continuer d'exploiter le bien-fonds à des fins agricoles, comme elle le faisait auparavant. Lorsqu'il y a transfert non équivoque à une personne du titre sur 40 acres et que rien n'indique qu'une partie de ces 40 acres doit être détenue en fiducie par le bénéficiaire du transfert pour le compte de l'auteur du transfert, et que le bénéficiaire agit exactement comme s'il était le propriétaire effectif du bien, il faudrait des éléments de preuve beaucoup plus convaincants que ceux que j'ai devant moi pour établir que Brad et son épouse détenaient 38 des 40 acres en fiducie pour T & H[1].

[26] Bien entendu, la question de savoir si une fiducie a été établie est en partie une question de droit; toutefois, pour y répondre, il faut, en bout de ligne, s'appuyer sur des faits et des éléments de preuve (voir Collins v. The Queen, 96 DTC 1034; confirmé par 98 DTC 6281). Même en prenant pour acquis que l'absence de contrepartie peut donner lieu à une présomption faible que le donataire détient le bien-fonds en fiducie pour le compte du donateur, cette présomption, si tant est qu'elle existe dans le droit d'aujourd'hui, doit céder le pas à tous les autres éléments de preuve, y compris la conduite de la personne qui, les appelants affirment-ils maintenant, est un fiduciaire. Une chose devrait être claire : personne ne prétend que Brad et son épouse possédaient 40 acres et qu'ils ont ensuite déclaré qu'ils en détenaient 38 en fiducie pour T & H. On affirme plutôt que, même si 40 acres ont été cédés à Brad et à son épouse, le titre bénéficiaire sur 38 d’entre eux a été conservé par l'auteur du transfert et n'a jamais été cédé au cessionnaire. Selon la preuve, cette affirmation n'a tout simplement pas été prouvée. Il me semble que lorsqu'une personne transfère un bien de manière absolue en apparence au moyen d'un acte translatif ou d'un acte de transfert, et qu’elle procède de cette manière afin d'atteindre un but qui est conditionnel à un transfert de la propriété effective, il faudrait des éléments de preuve très convaincants pour établir que l'auteur du transfert n'avait pas l'intention de faire ce que les documents montrent de façon non équivoque qu'il a fait et qu'il n’avait pas l'intention d’accorder au bénéficiaire le titre bénéficiaire sur le bien. Voir Pallan et al. v. M.N.R., 90 DTC 1102, à la page 1107.

[27] La création d’une fiducie nécessite l’existence de ce qu'on appelle communément une certitude quant à l'intention. Dans l'ouvrage intitulé The Law of Trusts (Toronto, 1997), Eileen E. Gillese dit ce qui suit à la page 39 :

[TRADUCTION]

Pour satisfaire au critère de la certitude quant à l'intention, la Cour doit conclure à l’existence d’une intention de contraindre le fiduciaire à détenir le bien en fiducie pour le bénéfice d'une autre personne. La certitude quant à l'intention est une question d'interprétation; l'intention est inférée à partir de la nature de la disposition prise dans son ensemble et de la manière dont elle a été effectuée. Les termes utilisés doivent exprimer bien plus qu’une obligation morale ou qu’un simple souhait pour ce qui est de l'utilisation qui doit être faite du bien en question. Il n'est pas nécessaire d'utiliser des termes techniques, tant qu'il est possible de déterminer ou d'inférer avec certitude l'intention de créer une fiducie.

[28] En l'espèce, la certitude requise quant à l'intention n'a pas été établie d'après les éléments de preuve.

[29] J'ai donc conclu que le titre en common law ainsi que le titre bénéficiaire sur les 40 acres ont été cédés par T & H à Brad et à son épouse.

[30] La seconde question à trancher est celle de savoir si la valeur du bien-fonds doit être traitée comme un avantage imposable entre les mains de Arthur, aux termes du paragraphe 56(2) de la Loi. Cette disposition est ainsi libellée :

Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne — sauf la cession d'une partie d'une pension de retraite conformément à l'article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou à une disposition comparable d'un régime provincial de pensions au sens de l'article 3 de cette loi ou d'un régime provincial de pensions visé par règlement — doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

[31] La cotisation a été établie pour le motif que Arthur, le grand-père de Brad et le plus important actionnaire de T & H, a donné instruction de transférer le bien à Brad à titre d'avantage qu'il (Arthur) désirait lui voir accorder, ou qu'il a donné son accord à ce transfert. Bien entendu, si le bien-fonds avait été cédé directement à Arthur, il y aurait eu octroi d'un avantage à ce dernier en sa qualité d'actionnaire aux termes du paragraphe 15(1) dans la mesure où la juste valeur marchande était supérieure à toute contrepartie versée. Dans les faits, aucune contrepartie n'a été versée par Brad, même si, de toute évidence, Arthur a déclaré qu'à son avis Brad devrait payer 10 000 $ parce que c'était le montant qu'un autre petit-enfant avait payé pour acquérir un lot. Les choses ne se sont pas passées ainsi, et il n'y a aucun élément de preuve selon lequel Brad a accepté de verser quelque montant que ce soit.

[32] Les avocats des appelants ont cité l'arrêt Ascot Enterprises v. R., [1996] 1 C.T.C. 384 de la Cour d'appel fédérale.

[33] Dans cette affaire, l'entreprise du contribuable a vendu un bien au père de ce dernier à un prix que le contribuable croyait être la juste valeur marchande du bien. Le ministre a formulé l'hypothèse que la juste valeur marchande était supérieure au prix payé et a établi une cotisation à l'égard du contribuable sur la différence entre les deux montants, aux termes du paragraphe 56(2).

[34] La Cour d'appel fédérale a annulé la décision de la Cour canadienne de l'impôt et a statué qu'un élément essentiel du paragraphe 56(2) est le désir du contribuable de conférer un avantage. Comme le contribuable croyait que le bien était vendu à sa juste valeur marchande, cet élément de désir n’était pas présent.

[35] À la page 388, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

[I]l devient évident que le “ désir ” de conférer un avantage est un élément capital de la disposition. Cette dernière, lorsqu'on l'interprète de manière franche, ne s'applique pas lorsque le contribuable n'a pas l'intention d'éviter de recevoir des fonds en s'organisant pour que des paiements soient faits à des tiers sans contrepartie suffisante.

Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, le mot “ désir ” n'est employé qu'exceptionnellement. Son emploi au paragraphe 56(2) introduit l'idée d'un but. Il pousse plus loin la condition voulant que le contribuable participe de manière active (“ suivant les instructions... ”) ou de manière plus passive (“ avec l'accord de... ”) dans la décision de procéder au paiement ou au transfert d'un bien. La Cour fédérale, dans l'arrêt Smith c. La Reine, [[1993] 2 C.T.C. 257, 93 DTC 5351, à la page 261 (DTC 5355) (C.A.F.)] fait mention du [TRADUCTION] “ mobile du contribuable... ”. En fait, il est remarquable que dans d'autres dispositions ou apparaissent les mots “ à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder ”, c'est-à-dire aux alinéas 51(2)c), 85(1)e.2) et 86(2)b), ceux-ci soient précédés des mots “ on peut raisonnablement considérer une partie de cet excédent comme... ”, ce qui dénote à mon sens que le critère qu'il convient d'appliquer en vertu de ces dispositions diffère de celui qui s'applique en vertu du paragraphe 56(2), et aussi qu’il est moins subjectif.

La Cour doit donc se concentrer sur le résultat que voulait atteindre le contribuable. Le critère est subjectif, mais, comme c'est toujours le cas lorsqu'on évalue après coup un état d'esprit subjectif, il est possible de recourir à des inférences. Ce qui compte n'est pas ce que dit aujourd'hui le contribuable, mais ce qu'il a fait à l'époque en cause. Ainsi qu'il est signalé dans l'arrêt Smith, [à la page 262 (DTC 5356)], un juge peut certainement conclure que, selon la prépondérance des probabilités, un contribuable n'a pas réfuté les présomptions sur lesquelles s'est fondé le ministre pour fixer sa cotisation lorsque ce contribuable s'est appuyé uniquement sur son ignorance. Il incombe au contribuable d'expliquer pourquoi les transactions en question ont été faites et pourquoi elles ont été traitées de la sorte. Dans certains cas — il y en a quelques-uns d'énumérés dans l'arrêt Smith [à la page 261 (DTC 5355)] — la nature de l'avantage accordé ou les circonstances d'une transaction seront des plus limpides et de nature à rendre évident le but que visait le contribuable.

[36] Je ne peux en l'espèce en venir à la même conclusion que la Cour fédérale dans l'affaire Ascot. Dans cette affaire, le contribuable croyait évidemment que le prix payé représentait la juste valeur marchande, et il n'y avait donc aucun désir subjectif d'accorder un avantage. Lorsqu'aucune somme n'est versée ou ne doit être versée pour acquérir un bien, la seule inférence raisonnable possible est que les personnes qui ont donné instruction de transférer le bien désiraient conférer un avantage.

[37] En conséquence, l'élément essentiel qui manquait dans l'affaire Ascot est présent en l'espèce.

[38] Cela mène à la question suivante : pourquoi seulement Arthur? La preuve a clairement établi que tous les actionnaires ont pris part à la décision de transférer le bien à Brad et à son épouse. Ce n'est pas parce que Arthur était le président et qu'il détenait un plus grand nombre d'actions qu'il faut lui attribuer la totalité de l'avantage aux termes du paragraphe 56(2). Toute la famille était concernée.

[39] Dans l'affaire Minister of National Revenue v. Bronfman, [1966] R.C. de l'É. 172, la Cour de l'Échiquier a essentiellement été appelée à se prononcer sur la même question. Le juge Dumoulin a déclaré ceci aux pages 179 et 180 :

[TRADUCTION]

Il reste une dernière question à trancher, comme dans la décision de Me Fischer, c.r., à laquelle, cette fois, je souscris. Pourquoi seuls les cinq administrateurs de Britcan ont été imposés sur les 97 000 $ versés au cours des années en cause et pas les autres actionnaires? Le savant membre de la Commission de révision de l’impôt a exprimé son opinion de la manière suivante (à la page 462) :

[TRADUCTION]

Pourquoi les administrateurs de la Compagnie X Limitée (l'affaire ayant été entendue à huis clos) devraient-ils les seuls à être imposés aux termes des dispositions de ce paragraphe — comme ce fut le cas en l'espèce — lorsqu'ils ne détiennent qu’un très petit nombre d’actions ordinaires de la Compagnie X Limitée (et, en fait, ne sont que des actionnaires minoritaires lorsque sont additionnées et prises en compte toutes les actions ordinaires détenues par les cinq administrateurs et les actions privilégiées non cumulatives détenues par trois des administrateurs mentionnés précédemment, les deux types d'actions comportant plein droit de vote), est une question qui soulève l'autre question de savoir pourquoi, si tous les actionnaires ont finalement approuvé les divers cadeaux distribués aux assemblées annuelles de la Compagnie X Limitée au cours des années, ils ne devraient pas tous être imposés sur leurs parts des cadeaux?

Puisque les actionnaires avaient le droit de vote, ils auraient pu, l'eussent-ils voulu, s'opposer à la générosité de leurs administrateurs et la repousser au cours de la réunion annuelle ou aux autres réunions convoquées à cet effet. Et naturellement, ils auraient pu agir de façon radicale, destituer tout le conseil d'administration et le remplacer par des administrateurs moins prodigues. Par leur abstention ou leur indifférence continue, ils ont approuvé implicitement le programme de largesse de leurs administrateurs et ils auraient dû partager avec eux, selon le nombre de leurs actions, le fardeau des impôts que décrète l'article 16(1). Étant donné que les actionnaires n'étaient pas mis en cause, aucune conclusion ne peut les toucher ni porter atteinte à leur droit éventuel à une défense pleine et entière. La question de savoir si, en raison du temps écoulé, le ministre du Revenu national serait empêché aux termes de l'alinéa 46(4)b) de la Loi d'intenter une action contre les actionnaires n'est pas pertinente en l'espèce.

Pour les motifs indiqués précédemment, l'appel est admis comme suit : une cotisation sera établie à l’égard de l’intimé relativement à une partie de l'impôt sur le revenu payable sur le don de 97 000 $, en proportion des actions du capital-actions de Brintcan Holdings (Canada) Limited qu'il possédait au cours des années pertinentes. Par conséquent, le dossier sera déféré au ministre pour révision.

[40] Je souscris à la décision du juge Dumoulin et je crois qu'elle s'applique en l'espèce. Une cotisation devrait être établie à l'égard de Arthur pour l'année 1993 sur la moitié (500/1 000) de la juste valeur marchande des 40 acres transférés à Brad par T & H. Je sais que les actions de Arthur et de Hazel sont des actions privilégiées et que celles de Gary, Fred et Douglas sont des actions ordinaires, mais il y a aucun élément de preuve devant moi qui justifierait un traitement différent.

[41] De toute évidence, le ministre n'aurait pas le droit d’établir une nouvelle cotisation pour les années d'imposition 1993 de Gary et de Douglas, les deux autres particuliers appelants, ou des autres actionnaires. Il y a prescription à l’égard de ces années, sauf dans la mesure nécessaire pour donner effet à tout redressement que cette Cour peut accorder relativement aux autres questions soulevées dans les appels en instance (voir, par exemple, Harris v. M.N.R., 64 DTC 5332, à la page 5337, (confirmé) 66 DTC 5189 (C.S.C.); The Queen v. Continental Bank of Canada, 98 DTC 6505).

[42] Quelle était alors la juste valeur marchande des 40 acres le 6 juillet 1993? Les appelants disent qu’elle était de 26 000 $ ou de 650 $ l'acre. L'intimée soutient qu’elle était de 60 000 $ ou de 1 500 $ l'acre.

[43] Les deux parties ont appelé des experts en évaluation à témoigner. Les deux experts sont des évaluateurs chevronnés, compétents et avertis. Je trouve très surprenant que leurs évaluations soient si différentes. Tous les deux ont utilisé la même la méthode d'évaluation — la technique de la parité. Ils ont tous les deux admis que l'utilisation optimale est l'utilisation de manière continue du bien à des fins agricoles avec un site pour la construction d'une résidence. De même, ils ont tous les deux admis que le prix des terres agricoles dans cette partie de la province du Manitoba est demeuré stable entre les années 1989 et 1995. Cependant, ils n'avaient pas un seul bien-fonds comparable en commun[2].

[44] Le bien, qui est situé près de la ville de Oak Bluff, longe — en façade — la route provinciale à grande circulation no 2 de la municipalité rurale de Macdonald sur 660 pieds, et une route municipale en gravier sur 2 640 pieds. Il se trouve à l'extérieur de la route périphérique qui ceinture la ville de Winnipeg, à environ un mille de cette route et à quelque trois milles des limites de Winnipeg. C'est une terre agricole plate et, à la date de l'évaluation, il ne s'y trouvait aucun bâtiment.

[45] L'expert appelé par les appelants, M. Lindsay K. Henderson, s'est reporté à 12 terres agricoles ayant toutes été vendues en 1993. L'analyse des ventes à laquelle il a procédé est présentée ci-après :

ANALYSE DES VENTES — TERRES AGRICOLES

M.R. de MacDonald (Manitoba)

VENTE

No

DESCRIPTION LÉGALE

SUPERFICIE

DATE DE LA VENTE

PRIX DE VENTE

PRIX DE VENTE L’ACRE

1.

SE 28-7-2E

137 acres

Avril 1993

82 362 $

566 $

2.

PtE ½ 8-8-2E

311 acres

Avril 1993

180 478 $

580 $

3.

NO 8-8-2E

131 acres

Avril 1993

76 183 $

577 $

4.

PT N ½ 16-8-2E

244 acres

Mai 1993

135 677 $

556 $

5.

SO 16-8-2E

169 acres

Avril 1993

94 323 $

558 $

6.

S ½ 22-8-2E

128 acres

Juin 1993

67 000 $

523 $

7.

N ½ 27-9-2E

120 acres

Juin 1993

63 250 $

527 $

8.

NE 12-8-1O

160 acres

Décembre 1993

100 000 $

633 $

9.

NE-19-8-1O

80 acres

Janvier 1993

47 200 $

590 $

10.

NE-19-8-1O

80 acres

Janvier 1993

47 200 $

590 $

11.

SE 30-8-1O

80 acres

Janvier 1993

47 200 $

590 $

12.

SE 35-8-1O

80 acres

Janvier 1993

49 000 $

612 $

Bien en cause

Pt SO 25-9-1E

M.R. de MacDonald

40 acres

[46] Hormis la vente no 7, tous les biens comparables de M. Henderson étaient situés à l'extérieur de la route périphérique et à quelques 10 à 20 milles du bien en cause. Ils avaient entre 80 acres et 311 acres de superficie. M. Henderson a pris pour acquis que la superficie de la parcelle ne changeait rien au prix de l'acre et que la proximité de la ville de Winnipeg était également sans importance. Par conséquent, il a considéré que les biens comparables utilisés indiquaient la juste valeur marchande du bien en cause sans faire de rajustement. Il a donc conclu que le bien en cause avait une juste valeur marchande de 600 $ l'acre, en se fondant sur un intervalle de variation de 550 à 600 $ l'acre, ou de 24 000 $ pour les 40 acres.

[47] Il a ensuite pris quelques très petits terrains à bâtir à Oak Bluff, tous d'une superficie de moins d'un demi-acre, et a conclu que la valeur des terrains à bâtir se situait entre 28 000 et 33 000 $. Il a retenu le montant le plus bas, soit 28 000 $, et a choisi un montant entre 28 000 $ et 24 000 $ pour arriver à une valeur de 26 000 $ pour les 40 acres.

[48] M. F.G. Sneesby, appelé à témoigner par l'intimée, a choisi neuf biens comparables, comme le montre le tableau ci-après :

BIEN EN CAUSE

1

2

3

4

EMPLACEMENT

NORD ROUTE 2

SUD MCGILVRAY

SUD MCGILVRAY

SUD PARTIE VENTE NO 2

OUEST VENTE NO 2

DESCRIPTION LÉGALE

O 660'

SO 25-9-2E

L1, P23978-2-10-2E

L2, P23978 & L2, P17659

L2, P17659

L5, B2, & B3,

PT SEC 2-10-2E

PT SEC 2-10-2E

P17491, S3-10-2E

SUPERFICIE

40

46,35

133,98

58,11

45,92

SUPERFICIE

ARABLE

40

46,35

133,98

58,11

45,92

ÉVALUATION

24 300 $

76 700 $

187 500 $

110 800 $

117 700 $

ÉVALUATION

DE L'ACRE

608 $

1 655 $

1 399 $

1 907 $

2 563 $

DATE

Juillet 1993

Juin 1989

Juillet 1989

Mai 1991

Août 1990

PRIX

45 800 $

160 000 $

89 000 $

115 000 $

TAUX L'ACRE

988 $

1 194 $

1 532 $

2 504 $

REMARQUES

MEILLEUR

MEILLEUR

MEILLEUR

MEILLEUR

EMPLACEMENT

EMPLACEMENT

EMPLACEMENT

EMPLACEMENT

BIEN EN CAUSE

5

6

7

8

9

EMPLACEMENT

NORD ROUTE 2

N MCGILVRAY

N VENTE NO 5

S ROUTE 100

N ROUTE 100

O ROUTE 100

DESCRIPTION LÉGALE

O 660'

SO 25-9-2E

PCLF, P16222

PCLS D & E,

P1622

O1/2 NE 23-9-2E

SO1/4 28-9-2E

PTS E ½ DE SO 1/

SEC4-10-2-E

SEC4-10-2E

NO ¼ 2-10-1E

SUPERFICIE

40

206,55

98,17

74,54

160

158,42

SUPERFICIE

ARABLE

40

206,55

98,17

75,54

160

158,42

ÉVALUATION

24 300 $

141 200 $

64 500 $

55 400 $

125 800 $

79 400 $

ÉVALUATION

DE L'ACRE

608 $

684 $

657 $

743 $

786 $

501 $

DATE

Juillet 1993

Juillet 1994

Janvier 1994

Octobre 1990

Mai 1989

Avril 1992

PRIX

156 600 $

64 600 $

100 000 $

94 000 $

115 934,75 $

TAUX L'ACRE

758 $

658 $

1 342 $

588 $

732 $

REMARQUES

GRANDE SUPERFICIE

PLUS GRANDE SUPERFICIE

EMPLACEMENT

GRANDE SUPERFICIE

PLUS GRANDE SUPERFICIE

SEMBLABLE

[49] Les biens comparables de M. Sneesby sont tous situés beaucoup plus près de Winnipeg et nombre d'entre eux ont une superficie qui se rapproche davantage de celle du bien en cause. Tous les biens comparables, sauf deux, sont situés à l'intérieur de la zone délimitée par la route périphérique.

[50] Les conclusions de M. Sneesby sont les suivantes :

[TRADUCTION]

La valeur des neuf ventes qui précèdent va de 588 $ à 2 504 $ l'acre.

Les biens vendus nos 1 à 4 inclusivement ont tous un accès au boul. McGilvray, sont tous situés près de la ville de Winnipeg et mesurent tous moins d’un quart de section (160 acres). Les biens nos 5 et 6, qui valent 758 $ et 652 $ l'acre respectivement, sont eux aussi situés près de la ville de Winnipeg et ont une plus grande superficie, de sorte qu’ils se vendent habituellement moins chers l'acre que les parcelles plus petites. Les quarts de section complets ou les parcelles plus grandes situés à l'extérieur de la route périphérique, dont la façade ne longe pas une route prioritaire, et qui ne sont pas proches d'une ville ou d'un village, se vendent de 500 à 650 $ l'acre. Ces ventes ont fait l'objet de recherches, mais elles ne figurent pas dans le tableau des ventes qui précède et elles ne sont pas considérées comme des biens comparables au bien en cause. Les biens vendus nos 8 et 9, qui se sont vendus 588 $ et 732 $ l'acre respectivement, sont aussi des parcelles plus grandes situées dans les zones périphériques.

Le bien no 7, qui s’est vendu 1 342 $ l'acre, est considéré comme le bien qui se rapproche le plus du bien en cause, parce que sa façade longe une route prioritaire, qu'il est situé très près de la route périphérique et qu'il mesure moins de la moitié d'un quart de section. Cependant, comme il a une superficie de 74,15 acres et que la propriété en cause en a 40, il semble justifié de rajuster à la hausse le prix de l'acre et de le fixer à 1 500 $ environ.

Je suis donc d'avis que la juste valeur marchande du bien en cause, à la date de l’évaluation, était de 1 500 $ l'acre.

Par conséquent, 40 acres à 1 500 $ l'acre égalent 60 000 $

L'estimation de la valeur du bien en cause effectuée selon la technique de la parité, en date du 6 juillet 1993, est de :

SOIXANTE MILLE (60 000 $) DOLLARS

[51] Je ne trouve pas que les biens vendus situés à l'intérieur de la zone délimitée par la route périphérique soient des biens suffisamment comparables pour être utiles. Le bien no 1 était un centre de jardinage. Le bien no 2 était une entreprise de camionnage. Les biens nos 1, 2, 3 et 4 étaient tous situés le long du boul. McGilvray, une voie publique importante où l’on retrouvait diverses entreprises, ou à proximité de cette route. Les biens nos 5 et 6, quoiqu'ils fussent situés dans la zone délimitée par la route périphérique, étaient vendus à des agriculteurs à des fins agricoles. Le bien no 7, qui semble le bien comparable sur lequel M. Sneesby s'est principalement fondé, a des accès à la route périphérique par deux directions et ne semble pas être vendu ou utilisé à des fins agricoles. Au cours du contre-interrogatoire, M. Sneesby a convenu qu'il n'était pas réellement comparable au bien en cause.

[52] Le bien comparable no 8 a été vendu 588 $ l'acre en 1989. Quoiqu'il se trouve dans la zone délimitée par la route périphérique, il a été vendu et utilisé à des fins agricoles. Le bien comparable no 9 est situé plus près de Winnipeg. Il semble avoir été utilisé et vendu à des fins agricoles.

[53] Je crois que les biens nos 6, 8 et 9 de M. Sneesby sont, de tous ceux qu'il a choisis, les meilleurs indicateurs de la valeur.

[54] Le meilleur bien comparable qui est ressorti dans toute cette affaire est celui dont M. Sneesy connaissait l’existence, mais que, pour une raison inconnue, il n'a pas utilisé. D’une superficie de 35,18 acres, il a été vendu le 10 août 1992 par M. Lagace à M. Cormier, selon la pièce A-21, pour le prix de 25 000 $, ou de 711 $ l'acre. M. Henderson ne l'a pas utilisé parce qu’il a été vendu en 1992. Sa façade le long de la route 247 est à peu près identique à celle du bien en cause le long de la route 2. Personne n'a été en mesure de m’expliquer pourquoi il n'avait pas été utilisé comme bien comparable ou pourquoi ce n'était pas, de tous les biens examinés, le meilleur indicateur de la valeur.

[55] N’eût été la vente du bien par M. Lagace à M. Cormier, j’aurais probablement considéré que les ventes nos 6 et 9 étaient les meilleurs indicateurs d’une valeur se situant entre 658 $ et 732 $ ou d’environ 700 $. Puisque M. Lagace a vendu son bien 711 $ l’acre, ce bien comparable permet de confirmer à tout le moins le caractère raisonnable de la valeur de 700 $ l’acre.

[56] Je n’ai accepté aucun des deux rapports des experts dans leur intégralité. Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de M. Henderson selon laquelle la superficie ou la distance de la ville n’ont pas d’importance. En outre, compte tenu du fait que les deux évaluateurs sont d'avis que les prix des terres agricoles dans l'affaire en instance sont demeurés stables de 1989 à 1995, je ne vois pas pourquoi M. Henderson a limité sa recherche de biens comparables à l’année 1993. Par contre, bon nombre des biens comparables de M. Sneesby semblent être situés très près de la ville et avoir été vendus et utilisés à des fins commerciales plutôt qu'à des fins agricoles.

[57] Pour arriver à une valeur qui diffère de celle calculée par les deux évaluateurs, j'ai fondé ma démarche sur les propos que j'avais tenus dans l'affaire Western Securities (précitée), à la page 979 :

Un autre problème se pose dans les évaluations de ce genre. En général, les deux parties font appel à des témoins experts. Dans de nombreux cas, ces témoins ne divergent pas sur les grands principes, encore qu'ils puissent à l'occasion être en désaccord sur l'utilisation optimale du bien qui est évalué. La principale différence réside en général dans le choix des biens comparables utilisés et dans les rajustements positifs ou négatifs à apporter à tel ou tel d'entre eux, en fonction de facteurs tels que l'emplacement, le moment de la vente ou d'autres caractéristiques physiques du bien. Il arrive souvent que le juge établisse une valeur qui se situera quelque part entre les positions antagonistes des experts, non par désir de rendre un jugement de Salomon, mais parce qu'il sait que les positions adoptées par les experts correspondent aux pôles extrêmes de la valeur. Il existe un risque que les experts jouent, en toute bonne foi, le rôle de défenseurs et que leurs positions fassent obstacle à la concertation. C'est pourquoi un arbitre impartial doit souvent conclure qu'il n'est pas sage d'adopter entièrement la position de l'un ou de l'autre et qu'il est probable que la juste valeur — j'hésite à utiliser des expressions telles que “ valeur exacte ” ou “ valeur véritable ” dans le domaine nécessairement imprécis qu'est l'évaluation — se trouve quelque part entre les deux extrêmes1.

_________________________________

1 Voir l'affaire Bibby Estate v. The Queen, 83 DTC 5148, p. 5157.

[58] Je conclus que la juste valeur marchande du bien en cause le 6 juillet 1993 était de 700 $ l'acre, ou de 28 000 $. C'est le montant qui, à mon avis, devrait être utilisé pour déterminer le gain en capital réalisé par T & H, et la moitié de ce montant devrait être inclus dans le revenu de Arthur conformément au paragraphe 56(2).

[59] J'en viens maintenant à la deuxième question principale soulevée dans les appels en instance, à savoir l'avantage imposé entre les mains de Douglas et de Gary aux termes du paragraphe 15(2). Comme je l’ai précisé dans le résumé des faits présenté au début des présents motifs, Gary, Douglas, Fred et Enterprises étaient associés dans la société de personnes (Erb Enterprises Partnership). Gary et Douglas ont retiré de la société de personnes au cours des années en cause des montants supérieurs à leurs parts dans le revenu de la société. L'excédent des retraits effectués sur leur part du revenu de la société a été traité comme une dette donnant lieu à un avantage aux termes du paragraphe 15(2).

[60] Depuis 1990, le paragraphe 15(2) a été modifié un certain nombre de fois et les nombreuses exceptions qu’il contenait forment maintenant des dispositions distinctes. Essentiellement, le paragraphe 15(2), dans sa forme initiale, traitait des prêts aux actionnaires consentis par les sociétés. Ces prêts étaient inclus dans le calcul du revenu des actionnaires à moins d’avoir été remboursés dans un délai convenu et de ne pas faire partie d'une série de prêts et de remboursements. Les actionnaires cherchaient divers moyens de se soustraire à l'application du paragraphe 15(2); par exemple, ils constituaient une société de personnes avec la société, et c'est la société de personnes qui leur consentait le prêt.

[61] Le paragraphe 15(2), tel qu'il s'appliquait aux années en question, après avoir pris en compte une série de modifications rétroactives, est libellé comme suit :

La personne ou la société de personnes — actionnaire d'une société donnée, personne ou société de personnes rattachée à un tel actionnaire ou associé d'une société de personnes, ou bénéficiaire d'une fiducie, qui est un tel actionnaire — qui, au cours d'une année d'imposition, obtient un prêt ou contracte une dette auprès de la société donnée, d'une autre société liée à celle-ci ou d'une société de personnes dont la société donnée ou une société liée à celle-ci est un associé est tenue d'inclure le montant du prêt ou de la dette dans le calcul de son revenu pour l'année. Le présent paragraphe ne s'applique pas aux sociétés résidant au Canada ni aux sociétés de personnes dont chacun des associés est une société résidant au Canada.

[62] Si je supprime les parties de la disposition qui ne s'appliquent pas en l'espèce, le paragraphe 15(2) serait libellé comme suit :

La personne[...] actionnaire d'une société donnée[...] qui, au cours d'une année d'imposition[...] contracte une dette auprès[...] d'une société de personnes dont la société donnée[...] est un associé est tenue d'inclure le montant[...] de la dette dans le calcul de son revenu pour l'année[...]

[63] M. Kroft prétend qu'un associé ne peut contracter une dette auprès d'une société de personnes dont il est un associé. Il compare deux situations :

a) Supposons que A, B et C sont des actionnaires d'une société et que celle-ci est l'associée d'une société de personnes dont la société et E, F et G sont des associés. Si la société de personnes prête de l'argent à A, le paragraphe 15(2) pourrait s'appliquer.

b) Supposons que A, B et C sont les actionnaires d'une société et que celle-ci ainsi que A, B et C sont les associés d'une société de personnes. M. Kroft limite la portée de son énoncé général, selon lequel un associé ne peut contracter une dette auprès d'une société de personnes dont il est un associé, aux montants retirés du compte de la société de personnes et versés à A, B ou C.

[64] En d'autres termes, le paragraphe 15(2) pourrait s'appliquer à une dette contractée auprès d'une société de personnes dans l'exemple a), mais pas dans l'exemple b).

[65] Avant que j'examine cet intéressant point de droit, qui est fondé sur une décision de la division de la chancellerie rendue en 1838, il faudrait à tout le moins tirer les chiffres au clair.

[66] L'appel de Douglas me servira d'appel type. Le principe en cause dans l'appel de Gary est le même, mais les chiffres diffèrent quelque peu.

[67] En 1991, la part de Douglas dans le revenu de la société de personnes s'élevait à 720 $. Il a retiré 43 683 $. En 1990, il avait retiré 41 655 $ du compte de la société de personnes même si sa part de la perte pour cette année s’élevait à 2 773 $. Son “ déficit ” à la fin de 1990 était donc de 52 613 $. Si on ajoute à cela l'excédent des retraits effectués en 1991 sur sa part du revenu, le “ déficit ” à la fin de 1991 s'élevait à 95 576 $.

[68] La première hypothèse du ministre était donc qu’à la fin de 1991 Douglas avait contracté auprès de la société de personnes une “ dette ” de 95 576 $.

[69] La seconde hypothèse était que la part du revenu attribuée à Douglas dans chacune des années d'imposition 1992, 1993 et 1994 était imputé à la “ dette ” la plus ancienne en soustrayant de celle-ci sa part des bénéfices de la société de personnes, de la façon suivante :

1992 45 886 $

1993 33 000 $

1994 30 000 $

[70] Il y a un écart entre les chiffres du ministre présentés ci-dessus, qui sont tirés de la réponse, et ceux qui figurent dans l'état de l'avoir des associés dans les états financiers de la société de personnes. Cela tient au fait que la société de personnes a versé des montants à titre de salaire à Douglas et à Gary et qu'elle les a déduits dans le calcul du revenu de la société de personnes. Gary et Douglas ont traité les montants comme un revenu d'emploi. Le répartiteur de l’impôt, M. Nuessler, était d'avis qu'un associé ne peut en droit être un employé d'une société de personnes. Il a donc considéré les montants comme des retraits additionnels devant être inclus dans le revenu des associés et ne pouvant être déduits par la société de personnes, ce qui a entraîné une augmentation de la part des bénéfices des associés. Cela a une incidence sur les retraits, le revenu des associés, le calcul du déficit des associés et, en bout de ligne, la dette prétendument contractée. Les montants ne sont pas élevés et ils n’ont aucun effet sur le principe en cause en l'espèce. L'avocate des appelants n'a pas contesté l’avis du répartiteur selon lequel un associé ne peut être un employé d'une société de personnes, probablement parce que cela correspondait dans une certaine mesure à la thèse des appelants voulant qu'un associé ne peut contracter une dette auprès de la société de personnes dont il est un associé.

[71] L'autre hypothèse sur laquelle le ministre s'est appuyé était que le revenu gagné, attribué aux associés et porté en déduction du déficit des associés devait être imputé à la dette la plus ancienne suivant la règle exposée dans l'affaire Clayton (1816) 35 E.R. 781; 1 Mer. 572; [1814-23] All E.R. Reprint 1. La règle est expliquée de manière assez détaillée dans l'affaire Sargent v. M.N.R., 83 DTC 572, qui fait également état des nombreuses décisions canadiennes dans laquelle elle a été citée. Elle se résume essentiellement à ceci : le débiteur qui rembourse une dette peut désigner la dette à laquelle le remboursement sera imputé. Si le débiteur néglige de donner cette précision, le créancier peut le faire à sa place. Si ni l'un ni l'autre ne donne d'indication, on présumera que le paiement est imputé à la dette la plus ancienne.

[72] L'application de cette présomption de fait dépend de l'existence d'une dette.

[73] La prétention de M. Kroft selon laquelle un associé ne peut, en droit, contracter une dette auprès d'une société de personnes dont il est un associé est, à mon avis, inutilement générale aux fins de la présente affaire. Elle s'appuie sur une décision de la division de la chancellerie, dans l’affaire Richardson v. The Bank of England, 4 MY. & CR. 165; (1838), 41 E.R. 65; 8 L.J. Ch. (N.S.) 1.

[74] À la page 68, (MY. & CR.), (41 E.R. 67), le lord chancelier (Cottenham) a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

Mais, bien que les mots “ créancier ” et “ débiteur ” soient employés, et expliquent suffisamment ce que l’on veut dire en les employant, rien n’est plus incompatible avec le droit connu des sociétés de personnes que de considérer que la situation de l'une ou l'autre partie ressemble d’une manière quelconque à la situation de véritables créanciers et débiteurs. Le prétendu créancier ne dispose d’aucun moyen d’obtenir l’acquittement de sa créance; le prétendu débiteur n'est passible d'aucune action soit en droit soit en equity — en supposant dans tous les cas qu'aucune garantie distincte n'a été obtenue ou fournie. La prétendue créance du créancier est exigible de la firme dont il est un associé; et le prétendu débiteur doit l'argent en question à lui-même et à ses associés; et, tant qu'existera la société de personnes, l'equity ne pourra être invoquée pour rétablir l'équilibre entre les associés. En fait, elle ne pourrait être invoquée de façon utile, dans la mesure où, immédiatement après qu'un jugement a contraint le débiteur au paiement de la somme prétendument due, la partie effectuant le paiement pourrait exercer son pouvoir d'associé et se réapproprier la même somme.

Toutefois, si, pendant l'existence de la société de personnes, de telles avances ne sont pas considérées comme des dettes en droit et en equity, en sera-t-il ainsi une fois que la société de personnes a pris fin, avant tout règlement des comptes, et avant le paiement des dettes conjointes ou la liquidation des biens de la société de personnes? Il est un fait on ne peut plus établi que, dans de telles circonstances, les sommes qui peuvent avoir été avancées par un associé, ou reçues par un autre, ne peuvent constituer que des rubriques du compte. Il peut y avoir des pertes dont la part qui est attribuée à l’associé particulier peut amplement suffire à rembourser le montant avancé par ce dernier, ou encore des bénéfices dépassant largement la somme que l'autre associé a reçue; et tant que le montant de ces bénéfices ou de ces pertes n'a pas été déterminé avec certitude par la liquidation des affaires de la société de personnes, aucun des associés n'a quelque recours que ce soit contre l'autre associé ou quelque obligation que ce soit envers celui-ci en ce qui concerne le paiement de ce qui peut avoir été avancé ou reçu. Dans l'affaire Crawshay v. Collins (2 Russ. 325; voir p. 347). Voir également l'affaire West v. Skip, (1 Ves. sen. à la p. 242), où lord Eldon déclare ce qui suit [TRADUCTION] : “ Lorsqu'une somme est avancée à titre de prêt à un associé particulier, les bénéfices de ce dernier sont d'abord imputés au remboursement de cette somme; si les bénéfices ne sont pas suffisants, on puisera dans le compte de capital de l’intéressé pour combler la différence; et si les bénéfices et le compte de capital ne sont pas suffisants, l’associé sera considéré comme un débiteur pour ce qui est du solde impayé. ” La somme retirée par un associé cesse de faire partie du capital-social de la société de sorte que, au moment de la faillite, le créancier conjoint ne peut en demander le remboursement à moins qu'il n'y ait eu appropriation frauduleuse; Ex part Yonge (3 Ves. et B. 31). De nouveau, dans l'affaire Foster v. Donald (1 Jac. et W. 252), lord Eldon affirme ceci [TRADUCTION] “ Si un associé, en sa qualité d'associé, reçoit de l'argent appartenant à la firme, et, admettant qu'il a reçu cette somme, soutient qu'il y a un solde en sa faveur, il n’existe aucun moyen de l'obliger à verser la somme. ”

[75] Même si elle date, cette affaire est toujours valable en droit. Elle a été citée avec approbation par le juge en chef adjoint Christie dans l'affaire Valo et al. v. M.N.R., 89 DTC 223 à la page 225, note de bas de page 2, où il renvoie à ce passage lorsqu'il fait observer ceci :

2 On a fait remarquer à l’audience qu’étant donné qu’à cette époque M. Milman était membre de la société, la somme qui manquait dans son compte de capital n’était pas à proprement parler une dette.

[76] Dans Lindley & Banks on Partnership, 17e éd. (1995), l'auteur cite avec approbation le passage de l'affaire Richardson pour montrer combien il est difficile de traiter les associés comme des débiteurs ou des créanciers d'une société de personnes.

[77] Dans Halsbury’s Laws of England, 4e éd., vol. 35, page 96, paragraphe 147, on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

147. De l'absence de dettes entre associés. En ce qui concerne les transactions de sociétés de personnes, les associés ne sont pas considérés comme des débiteurs et des créanciers entre eux tant que l'entreprise n'est pas liquidée ou qu'il n'y a pas un règlement des comptes exécutoire1; toutefois, lorsque, à titre exceptionnel, un associé a maintes fois demandé la reddition de comptes, sans succès, il peut avoir le droit de poursuivre ses coassociés pour obtenir le remboursement d’une dette particulière contractée envers lui en sa qualité d'associé sans qu'il y ait reddition de comptes2. Sous réserve de ces conditions, il s'ensuit qu'un associé n'a pas le droit d'intenter une action contre un autre associé pour obtenir le remboursement du solde exigible tant qu'il n'y pas eu règlement final des comptes3; en outre, le prêt consenti à une société de personnes par un associé ne peut être recouvré au moyen d'une action en common law4. Cette règle s'applique uniquement aux associés en titre; par ailleurs, une fois qu'un associé a quitté la société de personnes, laissant les autres associés poursuivre l'exploitation de la firme à leur propre compte — par exemple, il a pris sa retraite ou a été expulsé —, ses anciens associés deviennent des créanciers à son égard relativement à toute portion de sa part sociale ou à toute somme convenue qui ne lui a pas été versée5.

[78] Les notes de bas de page ont été omises, mais, dans l'une d'elles, l'affaire Richardson est citée.

[79] Il ne m'est pas nécessaire de déterminer si des associés peuvent contracter une dette auprès d’une société de personnes. Il me suffit de dire que le droit précise clairement que l'associé, dont le compte en capital devient déficitaire ou, pour reprendre l'expression courante, “ affiche un solde négatif ”, n’a pas contracté de dette. Je ne suis pas disposé à dire que la notion d'une dette contractée par un associé auprès d'une société de personnes dont il est un associé sur laquelle est fondé le paragraphe 15(2) est impossible en droit, ou que le paragraphe 15(2) pourrait s'appliquer uniquement à l'exemple a) au paragraphe 63 ci-dessus. Il suffit de dire que les montants de 34 717 $, de 31 617 $ et de 56 485 $, que Douglas a retirés de la société de personnes en excédent de sa part dans le revenu de la société de personnes au cours des années en question ne constituaient pas une dette contractée auprès de la société de personnes pour les fins du paragraphe 15(2).

[80] Même si je concluais qu'il est possible de considérer comme une “ dette ” l’excédent des montants retirés sur la part dans le revenu de la société, il semblerait que, en matière d’interprétation des lois, les dispositions particulières se rapportant aux sommes retirées des comptes de sociétés de personnes l’emportent sur les dispositions plus générales du paragraphe 15(2), qui traite sommairement de divers types de dettes contractées auprès de sociétés et de sociétés de personnes. Les dispositions générales ne dérogent pas aux dispositions spéciales.

[81] Les paragraphes 53(1), 53(2), 40(3), 98(1) et 100(2) traitent expressément de l'effet des sommes retirées d'une société de personnes qui excèdent les revenus et le solde positif du compte de capital.

[82] Je ne reproduirai pas ces dispositions, dont je me limiterai à résumer les effets :

a) L'alinéa 53(1)e) porte que, pour déterminer le prix de base rajusté (“ PBR ”) de la participation d’un contribuable dans une société de personnes, il faut ajouter notamment la part de l'associé dans le revenu de la société de personnes.

b) L'alinéa 53(2)c) porte que, pour calculer le PBR de la participation d'un contribuable dans une société de personnes, il faut déduire, notamment, l’attribution de sa part des bénéfices ou du capital de la société de personnes.

c) Le paragraphe 40(3) porte que, si les montants qui doivent être soustraits en vertu du paragraphe 53(2) dans le calcul du PBR dépassent le total du coût du bien plus les sommes qui doivent être ajoutées au PBR en vertu du paragraphe 53(1), (autrement dit, si le PBR “ devient négatif ”), l'excédent est réputé être un gain en capital. Il existe une exception particulière à cette règle dans le cas de la participation dans une société de personnes. L'alinéa 40(3)a) exclut de la formule énoncée dans la loi [essentiellement les déductions permises au paragraphe 53(2) moins le PBR] les montants déduits en vertu de l'alinéa 53(2)c). Aux termes des paragraphes 100(2) et 98(1), ce qui deviendrait autrement un gain en capital réputé aux termes du paragraphe 40(3) dès que le PBR de la participation dans la société de personnes devient négatif n'est pas reconnu tant que la société de personnes n'a pas cessé d'exister ou qu'il n'y a pas eu disposition de la participation dans la société de personnes.

[83] Les dispositions que je viens de résumer constituent un agencement particulier et complet de règles s’appliquant à l’un des aspects relativement circonscrit des répercussions fiscales du rôle d’associé. Introduire dans la Loi une présomption de dette chaque fois que le compte de capital d'un associé devient déficitaire, entraînant ainsi l'application du paragraphe 15(2), va à mon avis à l’encontre de l'esprit de la Loi et des dispositions expresses des paragraphes 53(1) et (2), 40(3), 98(1) et 100(2). Comme le juge Cartwright l'a déclaré dans l'affaire Highway Sawmills Ltd. v. M.N.R., 66 DTC 5116, à la page 5120 :

[TRADUCTION]

La réponse à la question de savoir quel impôt est payable dans les circonstances données dépend, bien sûr, du libellé de la disposition législative pertinente. Lorsque le sens des mots est difficile à déterminer, il peut être utile de se demander laquelle de deux interprétations préconisées entraîne le résultat qui est conforme à l'esprit apparent de la loi.

[84] Dans l'affaire Shannon Realties, Limited v. Ville de St. Michel, [1924] A.C. 185, aux pages 192 et 193, lord Shaw de Dunfermline, s'exprimant au nom du Comité judiciaire du Conseil privé, a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

Comment concilier des vues si diamétralement opposées? Lorsque les termes d'une loi sont clairs, il faut, bien entendu, les appliquer; toutefois, de l'avis de leurs seigneuries, lorsque d'autres interprétations sont également possibles, il faut retenir celle qui favorisera le fonctionnement régulier du système que la loi est censée régir; il faudra rejeter l'interprétation qui introduit incertitude, friction ou confusion dans les rouages du système.

[85] Cette observation est particulièrement appropriée en l'espèce. Si, comme la Couronne le prétend, l’associé qui retire des montants en excédent du total de son compte de capital et de sa part dans le revenu de la société — de sorte que le prix de base rajusté de sa participation dans la société de personnes devient négatif — a contracté une dette pouvant donner lieu à l’application du paragraphe 15(2), selon la composition de la société de personnes, l’agencement de règles minutieuses établies par le législateur pour régir de telles situations se trouverait réduit à néant.

[86] Suivant la thèse du ministre, une cotisation serait établie aux termes du paragraphe 15(2) et une autre aux termes des paragraphes 98(1) ou 100(2). Une telle double imposition est interdite par le paragraphe 4(4). Étant donné qu’à toutes fins utiles les paragraphes 98(1) ou 100(2) seraient appliqués après le paragraphe 15(2) (en supposant qu’il s’applique), cela voudrait dire qu'en prenant pour acquis qu'une dette a été contractée et en établissant de ce fait une cotisation d'impôt en vertu du paragraphe 15(2) dans des circonstances où le paragraphe 40(3) s'appliquerait par ailleurs, le ministre pourrait rendre inopérantes les dispositions des paragraphes 53(1), 53(2), 40(3), 98(1) et 100(2). Un tel résultat ne saurait correspondre à l'intention du Parlement. On respecterait davantage le but visé par le législateur en appliquant ces dispositions conformément à leur libellé sans faire intervenir ce qui me semble être une application fort douteuse du paragraphe 15(2).

[87] Je devrais mentionner brièvement la prétention subsidiaire des appelants selon laquelle, étant donné que la société de personnes exploitait une entreprise de camionnage et une ferme et que le revenu de l'entreprise de camionnage a été calculé selon la méthode de la comptabilité d'exercice et celui de la ferme selon la méthode de la comptabilité de caisse modifiée, comme la Loi le permet, il en résulte un calcul hybride du revenu et un calcul faussé du déficit des associés. Je suis tout à fait d'accord avec eux. L'état du déficit des associés dans les livres de la société de personnes est une donnée trop vague et incertaine pour qu’on puisse s’en servir pour calculer l’impôt, de quelque manière que ce soit. De nombreuses méthodes pourraient être utilisées, chacune avec des résultats différents sur le plan fiscal, si le calcul du déficit s’applique, soit :

a) la méthode mixte de la comptabilité de caisse et de la comptabilité d'exercice;

b) la méthode de la comptabilité d'exercice pour toutes les opérations, en appliquant toutefois les règles particulières de la Loi, comme la déduction pour amortissement au lieu de l'amortissement comptable;

c) les principes comptables généralement reconnus, en utilisant uniquement les règles approuvées par l’ICCA;

d) un mélange de toutes les méthodes décrites ci-dessus.

[88] Chacune donnerait un revenu différent et un montant d’impôt diffèrent si, comme le veut la Couronne, le paragraphe 15(2) était appliqué. Il ne m’est pas nécessaire d'examiner cet argument subsidiaire parce que je ne crois pas que le paragraphe 15(2) s'applique.

[89] Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les présents motifs.

[90] Les appelants ont droit à un seul mémoire de frais incluant les honoraires d'un avocat principal et d'un avocat en second pour chaque journée ou partie de journée d'audience.

Signé à Montréal, Canada, ce 26e jour de novembre 1999.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour d'août 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               La loi relative aux preuves littérales du Manitoba, aux termes de laquelle il aurait dû y avoir une déclaration écrite qu’un bien-fonds est détenu en fiducie, a été abrogée avant les années en cause.

[2]               Voir Grove Crest Farms Limited et al. v. The Queen, 96 DTC 1167; Western Securities Limited v. The Queen, 97 DTC 977.

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