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Date: 19980903

Dossier: 96-4551-IT-G

ENTRE :

J. BRUCE ENSTONE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel des nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu établies par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) pour les années d'imposition 1991 à 1994.

[2] Le litige porte sur trois propriétés dont l'appelant a hérité en 1991. Il s'agit de déterminer la nature des dépenses faites pour réparer les propriétés : s'agissait-il de dépenses en immobilisation ou de dépenses courantes, et l'une des propriétés constituait-elle une entreprise de location? Une autre question a été formulée par l'avocat de l'appelant concernant le traitement des dépenses en immobilisation compte tenu du fait que, d'après l'avocat, l'appelant détenait non pas un droit de propriété sur les propriétés, mais une participation viagère au revenu.

[3] L'appelant et M. William Davis, c.a., ont témoigné à la demande de l'avocat de l'appelant. Personne n'a témoigné pour l'intimée.

[4] Un recueil de documents a été produit sous la cote A-1. L'appelant a expliqué que son père était décédé le 7 mars 1991. Son testament se trouve à l'onglet 2 de la pièce A-1. On peut y lire la disposition suivante :

[TRADUCTION]

S'il me survit, je lègue à mon fils John Bruce Enstone, pendant la durée de sa vie, tous mes biens immeubles, y compris tous les biens immeubles à l'égard desquels je détiens un pouvoir général de désignation. Il paiera les taxes, impôts, droits, primes d'assurance, emprunts hypothécaires (principal et intérêt) et coûts de toutes les réparations raisonnables et nécessaires, dont les réparations de la nature d'une immobilisation des biens immeubles. Il maintiendra les biens immeubles en bon état en tout temps. Je donne à mon fils John Bruce Enstone le pouvoir de vendre, pendant sa vie, toute parcelle de bien immeuble aux fins seulement d'acheter une parcelle de remplacement d'un bien immeuble dans la province d'Ontario, laquelle parcelle de remplacement continuera de faire partie de la fiducie de mes biens immeubles créée par les présentes. En dépit de ce qui précède, si une parcelle du bien immeuble fait l'objet d'une expropriation ou qu'elle est endommagée ou brûlée à un point tel qu'elle ne peut raisonnablement être réparée, je donne à mon fils John Bruce Enstone le pouvoir de vendre cette parcelle seulement et de conserver le produit de cette vente pour son propre usage et bénéfice. Au décès de mon survivant et de mon fils, mes fiduciaires partageront les biens immeubles entre mes descendants alors en vie à parts égales par souche et non par tête. Mon fils John Bruce Enstone sera le seul fiduciaire de mes biens immeubles tant qu'il sera capable d'agir en cette qualité et disposé à le faire mais, à son décès, ou si, pour une raison ou une autre, il est incapable d'agir à titre de fiduciaire ou qu'il n'est pas disposé à le faire, ses cofiduciaires désignés précédemment dans les présentes deviendront les fiduciaires de mes biens immeubles.

[5] Au moment de son décès, le père de l'appelant était propriétaire des biens locatifs suivants : le 418 et le 420, rue Hinton, et le 132, rue Faraday, à Ottawa. Les propriétés sont toutes des maisons jumelées. L'appelant réside dans la maison jumelée à la propriété du 134, rue Faraday. Le père de l'appelant avait acquis les propriétés en tant que biens locatifs et les avait exploitées à ce titre. Aucune hypothèque ne grevait les propriétés en question. Elles avaient été rentables pendant de nombreuses années, jusqu'à il y a deux ans avant son décès. Ces renseignements figurent à l'onglet 1 de la pièce A-1. Le même document montre que la propriété située au 132, rue Faraday a été acquise en 1951 et les deux autres, en 1957.

[6] Le père de l'appelant ayant été malade pendant quelque temps avant de mourir, les propriétés se sont détériorées. Au moment de son décès, elles étaient toutes inoccupées. Le document produit à l'onglet 1 de la pièce A-1 montre que la propriété du 132, rue Faraday était inoccupée depuis 1987, celle du 418, rue Hinton, depuis 1989 et celle du 420, rue Hinton, depuis 1990, quelques mois après le début de l'année. Le même document montre que le 418 et le 420, rue Hinton, ont pour la première fois produit un revenu de location de 10 175 $ et de 8 800 $ respectivement en 1995.

[7] L'appelant est ingénieur. Au cours des années en cause, d'après ses déclarations de revenus (onglets 3 à 6 de la pièce A-1), il a tiré des revenus d'emploi de 73 085 $, de 74 854,10 $, de 71 236,73 $ et de 15 984,78 $ respectivement.

[8] Les pertes locatives pour chacune des années d'imposition en question s'élèvent à 23 087,38 $, à 17 992,26 $, à 15 860,46 $ et à 30 450 $.

[9] L'intimée n'a pas contesté le montant des dépenses engagées par l'appelant pour rénover les propriétés. L'avocate de l'intimée a déclaré dès le départ que l'intimée acceptait que les propriétés de la rue Hinton constituaient une entreprise de location au cours des années en question. Cependant, l'intimée n'est pas du même avis en ce qui concerne la propriété du 132, rue Faraday, pour le motif que cette propriété n'avait pas été louée de 1987 à 1996 et qu'en 1996, elle n'était toujours pas louée. La pièce R-1 est une description faite par l'avocate de l'intimée des dépenses qui sont considérées comme des dépenses en immobilisation relativement aux propriétés de la rue Hinton. Il en résulte que certaines dépenses sont admises pour ce qui est des propriétés de la rue Hinton à titre de dépenses courantes; elles s'élèvent à 5 867,47 $, à 8 000,79 $, à 8 569,21 $ et à 10 231,37 $ respectivement pour chacune des années d'imposition en cause. Quant à la propriété située au 132, rue Faraday, seuls des montants globaux sont indiqués puisque l'intimée n'a pas considéré cette propriété comme un bien locatif pendant les années en cause. Les montants sont de 3 019,91 $, de 4 610,49 $, de 5 596,19 $ et de 5 317,54 $.

[10] Quant aux propriétés de la rue Hinton, les dépenses qui ont été considérées comme des dépenses en immobilisation se rapportaient à la réfection des cuisines, au remplacement du câblage électrique et du système de chauffage et à l'achat d'ordinateurs et de logiciels.

[11] M. William Davis, comptable agréé, a témoigné sur ce qu'il considérait être la nature du droit de l'appelant sur les propriétés en question conformément au testament de son père. Il a déclaré que l'appelant avait l'usage des biens immeubles le reste de sa vie en autant qu'il acceptât de s'occuper de l'entretien des propriétés. C'est la succession qui est considérée comme la propriétaire des propriétés. Cependant, ce n'est pas elle qui déclare le revenu de location. C'est l'appelant qui doit le faire puisqu'il est celui qui a droit au revenu. De l'avis du témoin, l'appelant ne pouvait demander aucune déduction pour amortissement parce qu'il n'était pas le propriétaire de la propriété, même s'il pouvait déduire les dépenses courantes.

[12] Les deux avocats ont semblé convenir que le droit de l'appelant sur les propriétés était une participation viagère au revenu et non un droit de propriété. Aucun auteur ni aucune jurisprudence n'a été citée à l'intention de la Cour au sujet de ce droit.

[13] L'avocat de l'appelant a fait valoir que, parce que son client ne détenait pas un droit de propriété, il n'avait pas droit à la déduction pour amortissement, et qu'il fallait prendre cet élément en considération pour déterminer si les dépenses locatives était des dépenses courantes ou des dépenses en immobilisation. Là encore, aucune jurisprudence n'a été citée pour m'indiquer comment je devrais interpréter la Loi à cet égard.

[14] La déduction des dépenses a été refusée dans les nouvelles cotisations pour le motif que l'appelant n'exploitait pas une entreprise de location ni ne pouvait raisonnablement s'attendre à en tirer un profit. La nature du droit de l'appelant sur les propriétés n'a pas été soulevée.

[15] Au sujet de la propriété située au 132, rue Faraday, l'avocat de l'appelant a fait valoir qu'il n'était pas pratique de faire une distinction entre les propriétés et que celles-ci devraient être traitées comme un tout. Pourquoi, a-t-il demandé, différencierait-on une propriété d'une autre simplement parce qu'il n'y avait aucun locataire? Il a soutenu que le choix du moment d'effectuer des dépenses était une décision de gestion qui appartenait à juste titre à l'appelant. Il y a également lieu de prendre en considération le fait que, dans cette décision, il n'y a aucun élément d'intérêt personnel, la troisième propriété n'ayant jamais été une propriété résidentielle de l'appelant et n'ayant pas été acquise à cette fin non plus.

Conclusion

[16] Concernant le droit particulier que l'appelant détient sur ces propriétés, les deux avocats ont convenu qu'il s'agissait d'une participation viagère au revenu, sans qu'il y ait quelque débat que ce soit sur la question. Bien que j'aie des doutes sérieux au sujet de l'observation de l'avocat de l'appelant suivant laquelle aucun droit de propriété n'a été transmis à l'appelant, je ne modifierai pas cette proposition car, à mon avis, elle n'a pas la moindre influence sur ma décision relative aux questions litigieuses.

[17] Les deux avocats ont convenu que les dépenses courantes seraient déductibles par l'appelant s'il satisfaisait aux exigences de l'alinéa 18(1)a) de la Loi puisque l'appelant avait engagé les dépenses en question pour tirer un revenu de location qu'il devra déclarer.

[18] En ce qui concerne les dépenses en immobilisation, l'avocat de l'appelant croyait qu'elles ne seraient pas déductibles parce que l'appelant n'avait acquis aucun droit de propriété sur les propriétés. Après un examen de la Loi et de la jurisprudence, je conclus que l'avocat de l'appelant a raison : pour avoir droit à la déduction pour amortissement, il faut avoir un droit de propriété. À cet égard, je ne mentionnerai que l'affaire Saskatoon Community Broadcasting Co. Ltd. v. M.N.R., 58 DTC 491. L'avocat de l'appelant indique que, dans des circonstances semblables à celles de l'affaire en l'espèce, les dépenses en immobilisation devraient être considérées comme des dépenses faites en vue de tirer un revenu. Ainsi que je l'ai mentionné précédemment, aucune décision judiciaire ne m'a été soumise à cet égard, et je ne crois pas que la jurisprudence ait évolué dans le sens où le souhaite l'avocat de l'appelant.

[19] Les dépenses, qu'elles soient en immobilisation ou courantes, sont engagées en vue de tirer un revenu (voir British Columbia Co. v. M.N.R., [1958] CTC 21 (C.S.C.), à la page 31, et Farmers Mutual Petroleums Ltd. v. M.N.R., [1967] CTC 396 (C.S.C.), à la page 400). Les dépenses courantes sont assujetties à la restriction prévue à l'alinéa 18(1)a) de la Loi et les dépenses en immobilisation, au régime prévu à l'alinéa 18(1)b) de la Loi. La question de savoir si une dépense est en immobilisation ou courante n'est pas déterminée en fonction de son objet général de produire un revenu, mais de la raison particulière pour laquelle elle est effectuée.

[20] Par conséquent, en ce qui concerne les propriétés de la rue Hinton, je suis d'avis que c'est à juste titre que l'intimée a qualifié les dépenses de dépenses en immobilisation. Il ne s'agissait pas de réparations de l'usure normale faites de façon courante. Ainsi qu'on peut le lire dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada auquel l'avocate de l'intimée m'a reporté, M.N.R. v. Haddon Hall Realty Inc., (1961) DTC 1001, à la page 1002 :

[TRADUCTION]

Les dépenses faites pour remplacer des biens immobilisés usés ou désuets sont bien différentes des dépenses annuelles ordinaires faites au titre des réparations, lesquelles entrent naturellement dans la catégorie des dépenses faites en vue de tirer un revenu [...]

[21] En ce qui concerne la propriété située au 132, rue Faraday, une personne qui fait la location de plusieurs biens locatifs utilise généralement des moyens distincts et communs pour administrer ces biens. Chaque propriété est évaluée par la personne qui exploite une entreprise de location comme une source de revenu particulière et en fonction des profits qu'elle pourrait rapporter. On ne peut certainement dire que, parce qu'une personne exploite une entreprise de location comprenant plusieurs propriétés, ces propriétés ne seront pas considérées de façon individuelle. Un échéancier des travaux de réparation et de rénovation est établi pour chaque propriété. Parfois, les réparations sont de nature courante et parfois, elles ont un caractère d'immobilisation.

[22] Au cours des années en question, la propriété du 132, rue Faraday ne constituait pas une activité locative continue puisqu'il y a eu une interruption beaucoup plus longue que ce qui représente la pratique commerciale normale. Il arrive parfois qu'une activité de location doive être interrompue pour que soient effectués des travaux de réparations importants. Cela ne change pas la nature de l'activité si le tout est conforme à la pratique commerciale. Dans l'affaire qui nous occupe, la durée de l'interruption excédait les limites normales de la pratique commerciale. La preuve a permis de démontrer que personne n'avait loué la propriété pendant neuf ans et, contrairement à ce qui a été fait relativement aux propriétés de la rue Hinton, aucune réparation importante n'a été effectuée à la propriété de la rue Faraday, aucune annonce n'a été faite pour sa location, ni aucune inscription auprès d'un agent de location. Puisque cette propriété ne constituait pas une entreprise de location continue, les dépenses engagées pendant les années en cause pour l'entretien minimum de la propriété ne sont pas des dépenses courantes faites en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Il se peut qu'elles soient des dépenses en immobilisation, mais je n'ai pas à trancher cette question.

[23] Les appels sont admis en tenant compte des montants auxquels l'intimée a consenti à l'ouverture de l'audience, comme en fait foi la pièce R-1.

[24] Puisqu'il a obtenu gain de cause pour une bonne part, l'appelant a droit à la moitié des frais.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 3e jour de septembre 1998.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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