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Date: 20000519

Dossier: 98-2150-IT-G

ENTRE :

CHERYL QUINTON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance a été entendu à Ottawa, Canada, le 20 avril 2000, sous le régime de la procédure générale de la Cour.

Question en litige

[2] Il s'agit de déterminer si l'appelante est responsable, solidairement avec son époux, William Quinton (“ M. Quinton ”), en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”), du paiement du montant de 21 323,47 $, c'est-à-dire l'impôt sur le revenu que M. Quinton devait au moment où il a transféré un bien à l'appelante sans contrepartie ou sans contrepartie suffisante.

Faits

[3] Les faits importants sont les suivants :

1.                     Pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelante était l'épouse de M. Quinton; ils avaient donc un lien de dépendance. En outre, leur union n'a jamais été interrompue par une séparation ou un divorce.

2.                     Au mois d'avril 1991, M. Quinton a transféré à l'appelante la propriété sise au 2, rue Bennett, Pembroke (Ontario) (la “ propriété ”) pour la somme de 1 $, outre l'amour et l'affection de son épouse, ainsi qu'en contrepartie de la prise en charge de l'hypothèque de 18 000 $ environ qui grevait alors la propriété. Avant ce transfert, M. Quinton était l'unique propriétaire de la propriété.

3.                     La juste valeur marchande de la propriété au moment du transfert était de 90 000 $ environ.

4.                     Au moment du transfert, M. Quinton devait au moins 21 323,47 $ au titre de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1991 ou toute année antérieure.

5.                     Au moment du transfert, l'appelante a grevé la propriété d'une hypothèque de premier rang de 65 000 $ en faveur de la Banque Royale du Canada. Le remboursement de l'emprunt hypothécaire en question était garanti par M. Quinton.

6.                     Le produit de l'hypothèque de 65 000 $ a été réparti de la façon suivante : approximativement 18 000 $ ont été remis à la Société de fiducie La Métropolitaine pour rembourser l'emprunt hypothécaire préexistant, différents montants ont été versés à des créanciers de l'auteur du transfert, et le solde de 18 278 $ a été remis à l'appelante.

7.                     Le transfert a été effectué principalement dans le but d'enregistrer le foyer conjugal au nom de l'appelante et de le protéger ainsi des différents créanciers de M. Quinton dans le cadre de ses affaires.

Observations de l'appelante

[4] L'appelante soutient que, en 1991, elle et son mari ont simplement suivi les conseils d'un avocat et mis la propriété au nom de l'appelante. Ils ne visaient pas éluder le paiement à Revenu Canada d'impôts dus par M. Quinton. En outre, l'appelante soutient que la cotisation en cause n'a été établie à son égard qu'en 1997, soit six années complètes après le transfert, ce qui l'a prise au dépourvu. Aucune explication n'a été donnée quant à la raison pour laquelle aucune partie du produit de l'emprunt hypothécaire n'a été utilisée pour payer Revenu Canada, mais, selon le témoignage de M. Quinton, il semble que ce dernier ait considéré que la question des impôts dus à l'égard des années antérieures était chose du passé et qu'il n'avait plus à s'en inquiéter.

[5] L'appelante soutient également qu'elle et M. Quinton étaient les copropriétaires de la propriété et que ce qui lui a été effectivement transféré représentait une participation de 50 p. 100 seulement — qui valait 45 000 $ — qu'elle a en fait payée plus de 45 000 $ et que, en conséquence, le transfert a été effectué pour une contrepartie valide; en d'autres termes, il ne s'agissait pas d'un simple transfert effectué sans contrepartie.

Observations de l'intimée

[6] L'avocate de l'intimée soutient que l'article 160 de la Loi s'applique, qu'il ne fait nullement mention d'un délai dans lequel une cotisation doit être établie à l'égard du bénéficiaire du transfert (l'appelante) et qu'il n'est pas nécessaire de prouver le détournement d'impôts au détriment de Revenu Canada pour que l'article en question s'applique. L'avocate fait valoir également que, aux termes de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario, la propriété du foyer conjugal a été attribuée au mari seulement, bien que, à des fins conjugales, l'épouse ait eu, avant le transfert, le droit d'utiliser le foyer en question.

Analyse et décision

[7] Les paragraphes 160(1) et (2) de la Loi sont libellés dans les termes suivants :

(1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

a) son conjoint ou une personne devenue depuis son conjoint;

[...]

les règles suivantes s'appliquent :

[...]

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

Le ministre peut, à tout moment, établir une cotisation à l'égard d'un bénéficiaire du transfert pour toute somme payable en vertu du présent article et les dispositions de la présente section s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à une cotisation faite en vertu du présent article comme si elle avait été faite en vertu de l'article 152.

[8] Il est clair que, au moment du transfert, M. Quinton était l'unique propriétaire de la propriété. Il a transféré celle-ci en contrepartie de la somme de 1 $, ainsi que de l'amour et l'affection de son épouse. Cette contrepartie était donc de beaucoup inférieure au montant de 21 323,47 $ que M. Quinton devait en impôt au moment du transfert.

[9] De plus, il n'est nullement mentionné aux paragraphes 160(1) et (2) que le transfert doit viser à frauder le fisc. De même, nulle mention n'est faite d'un délai pour établir une cotisation aux termes de ces mêmes dispositions. La jurisprudence invoquée par l'avocate de l'intimée appuie ces conclusions. Plus particulièrement, voir la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sa Majesté la Reine c. Heavyside, C.A.F., no A-237-96, 9 décembre 1996 (97 DTC 5026), où, aux pages 4 et 5 (DTC : à la page 5028), la Cour a dit :

L'objet de l'article 160 est d'empêcher un contribuable de se soustraire à son obligation fiscale simplement en transférant son actif à son conjoint ou à toute autre personne visée dans cet article. En rendant le bénéficiaire du transfert personnellement responsable de l'impôt auquel est tenu l'auteur du transfert, l'article 160 autorise le ministre à recouvrer l'impôt dû auprès d'un contribuable qui n'est pas le contribuable original.

Une fois que les conditions du paragraphe 160(1) sont respectées, comme c'est le cas en l'espèce, le bénéficiaire du transfert devient personnellement responsable de l'impôt payable en vertu de ce paragraphe [...] Cette responsabilité prend naissance au moment du transfert [...] et elle est solidaire avec celle de l'auteur du transfert. Le ministre peut donc établir “ à une date quelconque ” une cotisation à l'égard du bénéficiaire du transfert (selon le paragraphe 160(2)) et la responsabilité solidaire du bénéficiaire du transfert ne s'éteint que par le paiement que l'auteur du transfert ou lui-même effectue conformément au paragraphe 160(3)).

La date choisie par le ministre pour établir la cotisation d'impôt à l'égard de la bénéficiaire du transfert n'entraîne aucune conséquence. Il est bien établi que la responsabilité fiscale découle de la Loi et non pas de la cotisation et qu'en l'espèce c'est le transfert qui a donné naissance à la responsabilité. Par conséquent, l'intimée était personnellement responsable, pour son année d'imposition 1989, de l'impôt sur le revenu à l'égard des gains tirés de la disposition du bien qui lui a été transféré et comme sa responsabilité est solidaire avec celle de son conjoint, cette responsabilité est indépendante de celle de son conjoint et elle ne s'est pas éteinte en même temps que la propre obligation fiscale de son conjoint quand celui-ci a fait faillite en 1994. Le fait que la cotisation à son égard n'ait été établie qu'en 1994 et uniquement après la libération de son conjoint n'a aucun effet sur sa propre obligation fiscale.

Quant à la prétention de l'appelante selon laquelle une moitié indivise seulement lui a été transférée, voir Royal Bank of Canada v. King et al., 82 DLR (4th) 225, où, à la page 236, la Cour de l'Ontario (Division générale), a dit ceci :

[TRADUCTION]

[...] Il est convenu que M. King est l'unique propriétaire enregistré de la propriété. Je ne puis conclure, compte tenu de la preuve, que Mme King avait un intérêt propriétal dans la propriété. Depuis l'adoption de la Family Law Reform Act originale [L.O. 1975, ch. 41] et l'abrogation de l'intérêt de douaire des épouses, il ne reste à Mme King que l'intérêt qui peut lui être conféré par la Loi sur le droit de la famille de 1986 dans sa forme actuelle. Je ne puis conclure que celle-ci confère quelque intérêt propriétal que ce soit à Mme King, et il n'y a aucune preuve de laquelle je puisse inférer l'existence d'une fiducie induite des faits ou d'un autre droit en equity : voir Blackman v. Davison (1987), 64 C.B.R. (N.S.) 84, 12 B.C.L.R. (2d) 24, 3 A.C.W.S. (3d) 370 (C.A.). En tant qu'épouse, Mme King a un droit personnel à la possession à l'encontre de son époux en vertu de l'article 19, mais il ne s'agit pas d'un droit réel; il ne s'applique pas à l'encontre d'un créancier ou d'un syndic de faillite. Ce serait différent si M. et Mme King étaient séparés ou divorcés : voir Re Escher (1984), 52 C.B.R. (N.S.) 168, 55 B.C.OL.R. 10 (C.S.). Dans le contexte de cet événement déclencheur, les biens de M. King et ceux de Mme King seraient évalués séparément et ils seraient égalisés et rajustés conformément à la partie I de la Loi; une partie des biens de M. King serait utilisée aux fins du foyer conjugal dont il est l'unique propriétaire, sous réserve de l'hypothèque. Cependant, jusqu'à ce qu'un tel événement se produise (l'événement déclencheur), Mme King n'a aucun intérêt propriétal à l'égard du foyer et elle n'aura alors que le droit à l'égalisation des biens nets aux termes de la partie I en cas de séparation.

[10] Pour les motifs qui précèdent, les paragraphes 160(1) et (2) de la Loi s'appliquent et, en conséquence, l'appel doit être rejeté.

[11] J'ajouterai cependant que, compte tenu de la naïveté et de l'honnêteté de l'appelante, et du fait que la cotisation a été établie six ans approximativement après le transfert, il conviendrait que l'appelante renvoie le dossier au Comité sur l'Équité en vertu de la Loi pour obtenir une exonération de paiement de tout l'intérêt payable sur les impôts dus.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mai 2000.

“ T. P. O'Connor ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de novembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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