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Dossier : 2001-2546(IT)G

ENTRE :

ROBERT B. CLEMMER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 17 et 18 juin 2004 à St. Catharines (Ontario)

Devant : L'honorable Judith Woods

Comparutions

Avocat de l'appelant :

Me Glen W. McCann

Avocat de l'intimée :

Me Bobby Sood

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel concernant les nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 est admis et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour le motif que les pertes agricoles subies par l'appelant au cours des années en question ne sont pas assujetties à la restriction prévue au paragraphe 31 de la Loi.


          Les dépens sont adjugés à l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'octobre 2004.

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juin 2005.

Sara Tasset


Référence : 2004CCI691

Date : 20041015

Dossier : 2001-2546(IT)G

ENTRE :

ROBERT B. CLEMMER,

Appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

[1]      Cet appel concerne la déductibilité de pertes agricoles subies dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise qui se livrait à des activités de course, d'hébergement et d'élevage de chevaux de course. Dans les années d'imposition 1997 et 1998, l'appelant a déduit des pertes s'élevant en tout à 163 891 $ et à 153 723 $ respectivement. De nouvelles cotisations ont été établies en vue d'appliquer les dispositions relatives aux pertes agricoles restreintes figurant à l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu compte tenu du fait que, pendant les années pertinentes, l'agriculture ne constituait pas la principale source de revenu de l'appelant.

[2]      En déterminant la principale source de revenu pour l'application de l'article 31, les tribunaux judiciaires ont toujours suivi les lignes directrices énoncées par le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213 (C.S.C.). Le juge Dickson a décrit trois catégories d'agriculteurs envisagées par la Loi; il a dit qu'il fallait déterminer la catégorie applicable en tenant notamment compte du temps consacré à l'activité, des capitaux engagés et de la rentabilité, réelle ou éventuelle. Dans cet appel, il s'agit de savoir si l'appelant était un agriculteur appartenant à la première catégorie, qui s'attendait à tirer son gagne-pain de l'agriculture et dont les pertes seraient pleinement déductibles, ou s'il était plutôt un agriculteur appartenant à la deuxième catégorie, pour lequel l'agriculture constituait une entreprise secondaire et dont les pertes étaient restreintes en vertu de l'article 31.

Les faits

[3]      L'appelant Robert Clemmer a été la seule personne à témoigner à l'audience. Il a présenté son témoignage d'une façon sincère et je l'ai trouvé crédible.

[4]      En 1994, à l'âge de 54 ans, M. Clemmer a pris sa retraite après avoir travaillé pour Bell Canada pendant 37 ans. Au moment où il a pris sa retraite, il était vice-président, Opérations, un poste important auquel il était parvenu depuis ses humbles débuts à titre de commis au courrier, en 1958. Lorsqu'il a pris sa retraite, M. Clemmer vivait à Mississauga (Ontario).

[5]      M. Clemmer a commencé à s'intéresser aux chevaux de course et à l'agriculture quelques années avant sa retraite seulement. La fille de M. Clemmer, Krista, avait fréquenté un collège pour vétérinaires et avait travaillé comme valet d'écurie au champ de courses Woodbine, à Toronto. En 1990, Krista a sauvé un cheval de course qui allait être abattu en l'achetant à l'aide de fonds fournis par son père. Cet achat s'est avéré fortuit pour le cheval ainsi que pour les Clemmer parce que le cheval a connu un certain succès au champ de courses. Ce succès a probablement enthousiasmé la famille et, au cours des quelques années qui ont suivi, M. Clemmer a acheté d'autres chevaux de course. Au début, M. Clemmer se contentait de financer l'activité, mais en temps et lieu, il a commencé à s'occuper de l'entretien des chevaux et, pendant ses moments de loisir, il se rendait aux champs de courses où les chevaux étaient gardés. M. Clemmer a finalement été accrédité à titre de valet d'écurie et sa fille a commencé à s'occuper de l'entraînement des chevaux.

[6]      Au fur et à mesure que son intérêt pour les chevaux de course a augmenté, M. Clemmer a commencé à considérer l'activité d'un point de vue commercial. Étant donné qu'il n'avait pas d'expérience antérieure, il a tenté d'acquérir le plus de connaissances possibles en assistant à des séminaires, en lisant et en consultant des experts. M. Clemmer a conclu qu'il existait certaines possibilités en matière de courses à Fort Erie parce que l'on se proposait d'autoriser les paris à cet endroit, ce qui entraînerait probablement une augmentation des bourses. Cependant, M. Clemmer n'a peut-être pas suffisamment tenu compte du fait que le calibre des chevaux, et par conséquent le coût, augmenteraient également.

[7]      Peu de temps après avoir pris sa retraite au mois de mai 1994, M. Clemmer a loué, près du champ de courses de Fort Erie, une ferme où les chevaux pourraient être logés. Il a acheté la propriété un an plus tard. Étant donné l'état fort délabré dans lequel se trouvait la ferme, M. Clemmer a entrepris de gros travaux de rénovation; il a porté à 24 en tout le nombre de stalles dans les écuries. Krista Clemmer vivait à la ferme et partageait les tâches agricoles avec son père, qui se rendait initialement tous les jours en voiture à la ferme depuis Mississauga. Après avoir fait tous les jours la navette pendant trois ans, M. Clemmer et sa femme se sont installés dans une maison indépendante de la ferme, à Fort Erie.

[8]      L'entreprise était exploitée sous le nom de Blue Bye U. La petite entreprise, qui s'occupait au départ exclusivement de faire courir les chevaux pour les bourses, a en temps et lieu pris de l'essor, et l'on a commencé à exercer des activités connexes qui, selon M. Clemmer, offraient la possibilité d'un revenu plus élevé : l'hébergement de chevaux de course pendant l'hiver, lorsque le champ de courses était fermé, et l'élevage de chevaux en vue de leur vente.

[9]      L'entreprise a été définie comme étant une entreprise familiale. La femme de M. Clemmer y participait, mais son rôle semble avoir été peu important. Krista et son père partageaient le travail également sauf pendant les périodes où M. Clemmer travaillait à des projets, à titre d'expert-conseil, à l'étranger. Pendant son absence, M. Clemmer appelait à la maison plusieurs fois chaque semaine pour s'occuper des questions relatives à la ferme. En plus d'employer sa fille, M. Clemmer embauchait au besoin diverses autres personnes à la ferme et au champ de courses. Étant donné que Krista vivait à la ferme, elle y assumait des responsabilités plus lourdes; ainsi, elle se chargeait de l'alimentation des chevaux tôt le matin et le soir, M. Clemmer étant de son côté chargé d'alimenter les chevaux au champ de courses pendant l'après-midi.

[10]     M. Clemmer a dit dans son témoignage qu'il effectuait une journée régulière de travail à la ferme et au champ de courses, de 8 h à 16 h environ, et qu'il se chargeait également de l'administration de l'entreprise. Il a dit dans son témoignage qu'il n'avait jamais pris de vacances pendant les dix années où l'entreprise agricole a été exploitée; il estimait consacrer chaque jour, d'une façon ou d'une autre, sept heures à l'entreprise agricole, sept jours sur sept, pendant la saison des courses, et y consacrer environ cinq heures pendant la saison morte. Dans l'ensemble, l'entreprise semblait exiger un grand nombre d'heures-personnes; M. Clemmer y participait fort activement à tous les égards.

[11]     Malgré les efforts déployés par M. Clemmer, l'entreprise a subi de lourdes pertes. M. Clemmer a donné des explications au sujet de son plan d'entreprise général et des efforts qu'il avait faits afin d'éliminer ces pertes. Selon lui, parmi les diverses activités de l'entreprise, la course était celle qui était la plus spéculative. Au cours des premières années, M. Clemmer avait connu un certain succès dans l'exercice de cette activité, mais cela n'a pas continué et il ne considérait pas la course comme une source de revenu prévisible. Quant à l'hébergement des chevaux, M. Clemmer avait réussi à diminuer de beaucoup les dépenses, de sorte que cette activité contribuait à l'obtention d'un bon résultat. Néanmoins, le revenu tiré de l'hébergement semblait relativement peu élevé comparativement aux frais engagés dans le cadre des autres activités. La rentabilité de l'entreprise dépendait donc dans une large mesure de l'activité liée à l'élevage. Il a fallu à M. Clemmer plusieurs années pour arriver à gérer les dépenses liées à l'élevage, comme cela avait été le cas pour l'activité liée à l'hébergement des chevaux. M. Clemmer a affirmé qu'il était parvenu à freiner les coûts au cours des années qui ont suivi la période visée par l'appel. Ainsi, il a déclaré qu'aucune perte n'aurait été subie en 1999 et en l'an 2000 s'il avait pu vendre deux yearlings aux prix du marché. M. Clemmer a également témoigné qu'il doit s'écouler une période de quatre ou cinq ans entre le moment où un contrat est conclu à l'égard d'un étalon et le moment où un revenu est généré par suite de la vente de foals. L'entreprise d'élevage avait commencé en 1994, de sorte que dans les années d'imposition ici en cause, elle n'était pas encore réellement arrivée à maturité.

[12]     Les pertes subies par M. Clemmer s'élevaient à plus de 800 000 $; M. Clemmer finançait ces pertes à l'aide de ses économies, d'une ligne de crédit bancaire, de l'indemnité de retraite de 180 000 $ qu'il avait touchée et de ses honoraires d'expert-conseil, d'un montant de 450 000 $. M. Clemmer s'est également vu obligé d'utiliser une partie de sa pension de 67 000 $, mais ce montant servait également à des fins personnelles. Au cours de la vie de l'entreprise, le capital net de M. Clemmer a chuté de 500 000 $ à environ 60 000 $. En l'an 2000, il ne restait à M. Clemmer que quelques ressources financières à part sa pension; l'Agence du revenu du Canada a entamé une vérification et la femme de M. Clemmer est décédée. Comme on peut s'y attendre, M. Clemmer a bientôt cessé d'avoir la motivation nécessaire, et les moyens, pour continuer à exploiter l'entreprise, qui a peu à peu cessé ses activités au cours de deux ou trois années suivantes. M. Clemmer a témoigné qu'une blessure subie par un cheval plein de promesses, en l'an 2000, avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase.

[13]     Je traiterai maintenant du travail d'expert-conseil qui, avec une pension annuelle de 67 000 $, constituait la principale autre source de revenu pendant les années d'imposition 1997 et 1998. En 1996, deux ans après qu'il eut pris sa retraite, un ancien collègue de M. Clemmer à Bell Canada a communiqué avec celui-ci pour qu'il l'aide à un projet international, en Inde. Le projet devait débuter au mois d'octobre et l'on a assuré à M. Clemmer qu'il serait de retour avant Noël. On peut facilement comprendre pourquoi M. Clemmer a accepté l'affectation. Le champ de courses était fermé au cours de cette période et M. Clemmer avait fortement besoin d'argent pour l'entreprise agricole. Toutefois, des problèmes imprévus se sont posés au sujet du projet, et M. Clemmer est en fin de compte resté en Inde plus longtemps que ce qu'il avait prévu, tout en parvenant à retourner à Fort Erie pendant presque toute la saison des courses. Au cours des années qui ont suivi, M. Clemmer a accepté, pendant l'hiver, d'autres affectations au Mexique, au Brésil et au Venezuela. Le projet au Mexique a également connu des difficultés imprévues qui ont obligé M. Clemmer à s'absenter beaucoup plus longtemps que ce qui était prévu. Les projets, au Brésil et au Venezuela, qui ont été réalisés au cours d'années non visées par le présent appel, ont été achevés dans les délais prévus.

[14]     M. Clemmer a témoigné que le travail de consultation ne l'intéressait pas si ce n'est comme moyen de financer ses pertes agricoles. Il a indiqué que les conditions de travail à l'étranger étaient difficiles : les journées de travail étaient longues, il était séparé de sa famille pour de longues périodes et les emplacements n'étaient pas toujours sûrs.

[15]     Dans les deux tableaux suivants, l'entreprise agricole et l'entreprise de consultation sont comparées au point de vue du temps qui y était consacré et du revenu qui en était tiré. Il importe de noter que les deux années ici en cause, soit les années 1997 et 1998, ont été les plus actives pour l'entreprise de consultation et qu'elles ont également produit les pertes agricoles les plus élevées. De plus, le tableau indiquant le temps consacré à chaque entreprise, qui est établi sur une base mensuelle, ne montre pas l'écart important qui existait entre le nombre d'heures de travail, qui était beaucoup plus élevé dans le cas des activités de consultation que dans le cas de l'entreprise agricole.

Nombre approximatif de mois de travail

Agriculture

Consultation

1994

6

--

1995

12

--

1996

10

2

1997

6

6

1998

7

5

1999

9

3

2000

9

3

Total

59

19

Revenu/Perte

Agriculture

Consultation

1994

(90 117) $

--

1995

(74 555) $

--

1996

(130 000) $

39 804 $

1997

(163 891) $

148 775 $

1998

(153 723) $

138 082 $

1999

(137 100) $

107 486 $

2000

( 82 195) $

27 500 $

Analyse

[16]     Il s'agit essentiellement de savoir si les activités agricoles constituaient un gagne-pain ou s'il s'agissait d'une entreprise secondaire. La question sera examinée du point de vue du temps consacré, des capitaux engagés et de la rentabilité éventuelle.

[17]     Quant à la question du temps, M. Clemmer se consacrait clairement à l'activité agricole puisqu'il effectuait l'équivalent d'une journée régulière de travail, qu'il ne prenait pas de vacances et qu'il s'absentait de la ferme uniquement afin de toucher des honoraires d'expert-conseil destinés à soutenir l'entreprise agricole. La Couronne fait valoir que le témoignage de M. Clemmer, pour ce qui est du temps consacré à l'entreprise, était contestable parce que la fille de M. Clemmer vivait à la ferme et qu'il n'était pas possible de croire que M. Clemmer ne prenait pas de temps en temps une journée de congé. M. Clemmer prenait probablement parfois une journée de congé, mais je conclus que son témoignage est crédible en ce qui concerne ses habitudes de travail. La gestion des activités liées aux courses, à l'hébergement et à l'élevage des chevaux aurait comporté un travail considérable sur le plan administratif; il y avait chaque jour des tâches régulières à accomplir à la ferme, ainsi qu'au champ de courses pendant la saison des courses; il y avait également d'autres tâches à exécuter, par exemple, lorsqu'il s'agissait de transporter les chevaux et d'assister aux ventes de chevaux.

[18]     Pendant les années d'imposition en question, M. Clemmer s'est absenté du pays pendant plusieurs mois pour s'occuper de projets de consultation, mais il importe de noter qu'il s'est absenté beaucoup plus longtemps qu'il ne s'était engagé à le faire. Il avait l'intention de consacrer chaque année environ neuf mois aux activités agricoles et trois mois aux projets de consultation. En fait, M. Cremmer n'exerçait aucun contrôle sur le nombre de mois supplémentaires passés en Inde et au Mexique et, à mon avis, la chose n'a pas d'incidence importante quant à la question de savoir si M. Clemmer considérait l'agriculture comme un gagne-pain. La Couronne fait valoir qu'étant donné que le travail d'expert-conseil était fort bien rémunéré, il n'est pas possible de croire que M. Clemmer n'aurait pas voulu maximiser le revenu qu'il en tirait. Je ne suis pas d'accord. M. Clemmer avait continué son chemin depuis qu'il avait abandonné sa brillante carrière à Bell Canada et je puis bien comprendre qu'il entreprenait avec réticence ces projets internationaux difficiles.

[19]     Quant aux capitaux engagés, M. Clemmer a consacré à l'entreprise presque toutes les économies qu'il avait réalisées au cours de sa vie. Il pouvait difficilement être plus engagé. La Couronne soutient qu'on ne devrait pas considérer le montant total des pertes, de 800 000 $, comme des capitaux engagés, mais que l'on devrait plutôt uniquement tenir compte des immobilisations, tel que ce mot est employé pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. En l'espèce, la plupart des dépenses agricoles semblent être des dépenses courantes. L'approche adoptée par la Couronne semble trop restrictive et n'a pas généralement été retenue dans d'autres décisions (voir par exemple, The Queen v. Donnelly, 97 DTC 5499 (C.A.F.)). En examinant la question des capitaux consacrés à l'entreprise, il faut mettre l'accent sur la contribution financière à l'entreprise dans son ensemble plutôt que de simplement tenir compte des dépenses imputables au capital. M. Clemmer a certes fait un gros sacrifice pour cette entreprise sur le plan financier.

[20]     Quant à la rentabilité, l'avocat de M. Clemmer soutient que l'entreprise aurait probablement généré des bénéfices élevés si une série de contretemps n'étaient pas survenus. La malchance a sans aucun doute fortement contribué au résultat. Il semble également que le manque d'expérience ait joué à l'encontre de M. Clemmer au cours des premières années, lorsque celui-ci essayait de freiner les coûts, d'abord en hébergeant des chevaux, puis en en faisant l'élevage. Il est certain que M. Clemmer considérait ses activités agricoles comme une entreprise commerciale sérieuse. Il ressort de son témoignage qu'il avait avant tout à l'esprit le résultat final et qu'il voulait absolument assurer la rentabilité de l'entreprise. Je suis convaincue que M. Clemmer avait une attente raisonnable de réaliser des bénéfices considérables, si ce n'est dans les années d'imposition ici en cause, du moins au cours des années suivantes. M. Clemmer avait réussi à freiner les coûts et, à supposer que les chevaux prometteurs ne s'écraseraient pas tous juste avant de franchir la ligne d'arrivée ou qu'ils ne se blesseraient pas avant d'être mis en vente, il était probablement en mesure de commencer à réaliser des bénéfices élevés. C'est ainsi que M. Clemmer envisageait la situation et, à mon avis, cette attitude était raisonnable.

[21]     L'avocat de la Couronne a mentionné l'arrêt Donnelly qui laisse entendre que les déclarations relatives à l'intention subjective quant à la rentabilité doivent être considérées avec circonspection et que le contribuable doit soumettre des éléments de preuve objectifs, tels que des prévisions quant à la rentabilité. L'avocat fait également valoir qu'il ne suffit pas que le contribuable établisse la rentabilité éventuelle. Les bénéfices éventuels doivent être élevés par rapport aux autres sources de revenu du contribuable. Dans le contexte de l'affaire qui nous occupe, il est soutenu que M. Clemmer devait établir la possibilité de réaliser des bénéfices élevés par rapport à sa pension et au revenu tiré de la consultation.

[22]     Il serait utile de disposer de prévisions fiables quant à la rentabilité, mais cela n'est pas toujours possible[1]. Nombreux sont ceux qui se lancent dans des entreprises commerciales risquées sans préparer de prévisions. M. Clemmer était un homme d'affaires chevronné qui consacrait presque toutes ses ressources financières à cette entreprise en croyant qu'elle lui procurerait une source de revenu en sus de sa pension. Je ne crois pas qu'il soit bon pour un tribunal de reconsidérer son jugement. Il a été fait mention de la remarque suivante que le juge en chef adjoint Bowman a faite, laquelle a été citée avec approbation par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Stewart v. The Queen, 2002 DTC 6969:

[Le contribuable] a fait ce qui peut, rétrospectivement, Ltre considéré comme une erreur de jugement, mais il s'agissait d'une question d'appréciation commerciale et cette appréciation n'était manifestement pas déraisonnable au point d'autoriser cette Cour ou le ministre du Revenu national B y substituer leur propre appréciation ou B pénaliser le contribuable pour avoir pris une décision que moi-mLme ou le ministre, forts de la clairvoyance qu'un gérant d'estrade possPde toujours, ne prendrions peut-Ltre pas aujourd'hui [...]

Je conclus que le revenu éventuel que M. Clemmer pouvait tirer de l'agriculture était élevé par rapport à ses autres sources de revenu. Après une phase de démarrage raisonnable, l'entreprise aurait en réalité pu générer des bénéfices équivalant au revenu de pension, s'il n'y avait pas eu autant de contretemps.

[23]     Compte tenu du temps et des capitaux consacrés à l'entreprise agricole ainsi que de la rentabilité de l'entreprise, je suis convaincue que l'agriculture constituait pour M. Clemmer un gagne-pain visant à lui permettre d'accroître son revenu de pension et qu'il ne s'agissait pas d'une entreprise secondaire. L'examen des circonstances afférentes à l'entreprise de consultation me convainc qu'il s'agissait d'une entreprise accessoire, exploitée pour une brève période en vue de servir de source temporaire de financement pour l'entreprise agricole. Je suis également d'avis que le revenu de pension constituait une source accessoire de revenu passif, ne changeant rien au fait que l'agriculture était le gagne-pain envisagé par M. Clemmer.

[24]     Pour les motifs susmentionnés, je conclus que, pendant la période pertinente, l'agriculture constituait la principale source de revenu de M. Clemmer. L'appel est admis avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'octobre 2004.

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juin 2005.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2004CCI691

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-2546(IT)G

INTITULÉ :

Robert B. Clemmer et

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

St. Catharines (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 17 juin 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable Judith Woods

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Glen W. McCann

Avocat de l'intimée :

Me Bobby Sood

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Glen W. McCann

Cabinet :

Sullivan, Mahoney

St. Catharines (Ontario)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]               Certaines prévisions qui avaient été préparées à des fins de crédit ont été produites en preuve. Toutefois, il n'a pas été établi que ces prévisions étaient réalistes et, à l'audience, il n'en a pas été fait grand cas.

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