Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990819

Dossiers: 97-3058-IT-G; 97-3061-IT-G; 97-3062-IT-G; 97-3056-IT-G; 97-3060-IT-G

ENTRE :

ANDRE GAGNON, GORDON BEARDSLEY, CHARLES BEARDSLEY, LA SUCCESSION DE C. BYRON PETRIE, PAR SON EXÉCUTRICE TESTAMENTAIRE ET SA REPRÉSENTANTE SUCCESSORALE, GAIL PETRIE, GAIL PETRIE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance ont été entendus ensemble. Ils portent sur la déductibilité de dépenses payées par les appelants au cours des années d'imposition 1990, 1991 et 1992 relativement à une opération spéculative à laquelle ils ont participé avec trois compagnies, Kanotta R & D Corporation (“ Kanotta ”), Pop Media Ltd. (“ Pop Media ”) et Online Applications Specific Integrated Solutions Corporation (“ O.A.S.I.S. ”), de même que sur l'admission des revenus qu'ils ont tirés de l'opération.

[2] Andre Gagnon a participé à l'opération par le truchement d'une entreprise à propriétaire unique, G.A.G. Software (“ G.A.G. ”) et Mme Gail Petrie et son défunt mari, le Dr C. Byron Petrie, par le truchement d'une société de personnes appelée Ryeburn Holdings dont ils étaient les seuls associés de plein droit. Charles et Gordon Beardsley ont participé en tant qu'associés de plein droit dans une société de personnes, C & G Systems.

[3] Des exposés conjoints et partiels des faits ont été déposés pour chaque groupe d'appelants. De façon générale, les faits sont essentiellement les mêmes. Je reproduirai uniquement l'exposé conjoint et partiel des faits se rapportant à Andre Gagnon, à titre d'exposé type. Les chiffres diffèrent quelque peu dans le cas des Petrie (Ryeburn Holdings) et des Beardsley (C & G Systems).

[4] L'exposé conjoint et partiel des faits se rapportant à Andre Gagnon est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

EXPOSÉ CONJOINT ET PARTIEL DES FAITS

1. L'appelant, Andre Gagnon, est un particulier résidant au 3, croissant Bracken, Gloucester (Ontario), K1J 8N5.

2. À toutes les périodes pertinentes, l'appelant était propriétaire-exploitant de l'entreprise G.A.G. Software.

3. L'appelant porte en appel les nouvelles cotisations, datées du 4 janvier 1994, établies par le ministre du Revenu national aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992.

4. L'appelant a déposé des avis d'opposition dans les délais prescrits aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu.

5. Au moyen d'un avis de ratification daté du 14 juillet 1997, le ministre du Revenu national a ratifié les nouvelles cotisations.

6. En conformité avec un accord écrit daté du 21 décembre 1988, G.A.G. Software a versé à Kanotta R & D Corporation (Kanotta) 46 000 $ et 60 000 $, soit un montant total de 106 000 $, pour des documents et des services de recherche dont le détail est donné dans l'accord.

7. Le 23 décembre 1988, G.A.G. Software a signé un accord d'achat de biens avec Online Applications Specific Integrated Solutions Corporation (O.A.S.I.S.) aux termes duquel G.A.G. Software achetait pour la somme de 40 000 $ un certain logiciel ainsi que les services d'aide technique connexes précisés dans l'accord en question.

8. Au moyen d'un accord de licence écrit daté du 28 décembre 1988, G.A.G. Software a concédé à Pop Media Ltd. une licence d'utilisation du logiciel d'applications au Canada et aux États-Unis d'Amérique jusqu'au 31 décembre 1994. Aux termes de l'accord, Pop Media Ltd. devait payer à G.A.G. Software le 31 janvier de chaque année, à compter du 31 janvier 1989 et jusqu'au 31 janvier 1994 inclusivement, des droits de 20 $ par unité ayant utilisé le logiciel d'applications au cours de l'année précédente, sous réserve d'un paiement minimal de 20 000 $ par année.

9. Au moment de la signature de l'accord de licence, Pop Media Ltd. a versé 100 000 $ à G.A.G. Software en application des modalités précisées dans cet accord.

10. L'appelant a inclus dans son revenu brut pour chacune des années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993 un montant de 20 000 $ par année représentant le montant minimal des droits d'auteur versés chaque année à G.A.G. Software.

11. Au moyen d'un avis de nouvelle cotisation daté du 4 janvier 1994, le ministre a ajouté au revenu brut découlant de l'accord de licence daté du 28 décembre 1988 un montant de 60 000 $ pour l'année 1990 et a ramené le revenu brut découlant de ce même accord à néant pour les années subséquentes au motif que l'appelant avait disposé de son bien conformément à un accord modificateur daté du 9 août 1990 et qu'il n'avait pas droit à une provision aux termes de l'alinéa 20(1)m) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

12. G.A.G. Software a signé avec Kanotta un accord écrit, daté du 10 décembre 1990, aux termes duquel elle a versé à Kanotta les sommes de 70 000 $ et de 110 000 $, soit un montant total de 180 000 $, pour des documents de recherche et des commissions pour recommandation dont le détail est donné dans l'accord en question.

13. G.A.G. Software a signé un accord écrit, daté du 10 décembre 1990, avec Pop Media Ltd. autorisant cette dernière à utiliser le logiciel au Mexique et dans tous les pays d'Amérique latine pour des applications sur le lieu de vente jusqu'au 31 décembre 1996.

14. Aux termes de cet accord de licence, Pop Media Ltd. devait verser à G.A.G. Software des droits de 50 $ par unité utilisant le logiciel de G.A.G. Software, sous réserve d'un paiement minimal de 44 000 $ pour la période allant du 31 janvier 1991 au 31 décembre 1992, la moitié de la somme devant être versée au cours de chacune des années.

15. Afin de financer partiellement l'achat conclu avec Kanotta, G.A.G. Software a contracté un emprunt de 126 000 $ auprès de 888258 Ontario Ltd. Ce prêt était garanti de la façon suivante :

a) la cession des droits de l'appelant sur le paiement annuel minimal prévu aux termes du deuxième accord de licence;

b) la mise en gage des actions préférentielles de Pop Media Ltd. que détenait l'appelant;

c) un billet à ordre signé par l'appelant et portant intérêt au taux de 15,75 %.

16. En 1990, l'appelant a demandé la déduction de dépenses s'élevant à 180 000 $, ce qui correspond au montant versé à Kanotta.

17. Au moyen d'un accord écrit daté du 9 août 1990, G.A.G. Software et Pop Media Ltd. ont modifié l'accord de licence de 1988 de la façon précisée dans l'accord.

18. Au moyen d'un accord écrit daté du 15 avril 1991, G.A.G. Software et Pop Media Ltd. ont modifié l'accord de licence de 1990 de la façon décrite dans l'accord.

19. Le 3 mai 1991, G.A.G. Software a conclu avec Pop Media Ltd. un accord aux termes duquel G.A.G. Software a versé à Pop Media Ltd. 290 000 $ au titre des frais de développement des marchés en vue de l'exploitation commerciale du logiciel d'applications, et a accordé à Pop Media une licence d'utilisation du logiciel dans le réseau de métro de la ville de Mexico jusqu'au 3 mai 1997.

20. Afin de financer en partie cette transaction conclue avec Pop Media Ltd., G.A.G. Software a initialement contracté un emprunt de 265 000 $ auprès de 888258 Ontario Ltd. Subséquemment, soit le 18 janvier 1992, le 18 février 1992 et le 18 mars 1992, l'appelant a fait des paiements totalisant 65 000 $ et a ainsi ramené son endettement à 200 000 $.

21. En 1991, l'appelant a demandé la déduction du montant de 290 000 $ payé à Pop Media Ltd. et des intérêts de 19 845 $ payés par G.A.G. Software à 888258 Ontario Ltd. au cours de cette année même.

22. En 1992, l'appelant a demandé la déduction des intérêts de 55 052 $ payés par G.A.G. Software à 888258 Ontario Ltd. au cours de cette année même.

[5] À l'origine, il y avait deux grandes questions à trancher (les chiffres se rapportent à M. Gagnon) :

a) la déductibilité des montants de 70 000 $ et de 110 000 $ payés par M. Gagnon à Kanotta en 1990 et du montant de 290 000 $ payé à Pop Media en 1991, ainsi que la déductibilité des intérêts de 19 855 $ et de 55 052 $ versés à 888258 Ontario Ltd. en 1991 et 1992 respectivement;

b) le traitement de la somme de 100 000 $ reçue par G.A.G. en 1988.

[6] Je peux me prononcer assez rapidement sur la seconde question parce qu'elle a été réglée sur consentement, quoique de manière assez particulière. Initialement, les appelants ont déclaré les 100 000 $ sur une période de cinq ans — les années 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993 —, aux termes de l'alinéa 12(1)(l), ce qui représentait 20 000 $ par année, au motif qu'ils avaient droit à une provision aux termes de l'alinéa 20(1)m). Le ministre du Revenu national a accepté les 20 000 $ déclarés en 1989, mais, pour l'année 1990, il a inclus dans le revenu non seulement les 20 000 $ déclarés pour cette année-là, mais également un autre montant de 60 000 $, que les appelants avaient déclaré en 1991, en 1992 et en 1993. La théorie sur laquelle le ministre s'est appuyé pour inclure les 60 000 $ supplémentaires dans le revenu de l'année 1990 n'a jamais été bien expliquée, quoique la Couronne ait pris pour acquis que le montant de 100 000 $ reçu en 1988 était un revenu tiré d'un bien plutôt qu'un revenu tiré d'une entreprise et que les appelants n'avaient pas droit à une provision aux termes de l'alinéa 20(1)m). Pour leur part, les appelants ont fait valoir que, si le montant de 100 000 $ était un revenu tiré d'un bien et non pas un revenu tiré d'une entreprise, il aurait dû être inclus dans le revenu de l'année 1988, laquelle est frappée de prescription. La Couronne, constatant la situation précaire dans laquelle elle s'était placée, a décidé de tirer son épingle du jeu et a déposé, à l'ouverture du procès, un consentement à jugement, dont voici le libellé :

[TRADUCTION]

CONSENTEMENT À Jugement

L'intimée consent à ce que la Cour canadienne de l'impôt admette les appels pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992 et défère les nouvelles cotisations au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le revenu reçu par les appelants par suite des accords de licence conclus avec Pop Media Ltd. en décembre 1988 a été gagné au cours de la période de validité de ces accords, comme les appelants l'ont initialement indiqué dans leurs déclarations de revenus.

[7] L'avocat des appelants n'a jamais signé le consentement; il l'a plutôt traité comme un aveu selon lequel les appelants exploitaient une entreprise, car c'était uniquement sur ce fondement que le montant de 100 000 $ pouvait être étalé sur une période de cinq ans aux termes des alinéas 12(1)l) et 20(1)m). Le libellé du consentement est un peu étrange; il visait apparemment à éviter d'admettre que les appelants exploitaient une entreprise[1].

[8] Quoi qu'il en soit, l'avocat des appelants a décidé d'accepter le traitement auquel l'intimée a consenti, ce qui a mis un terme à l'escarmouche tactique. En passant, il convient toutefois de préciser que l'étalement sur une période de cinq ans d'un paiement prenant valeur de revenu qui a été reçu au cours d'une année doit être légalement autorisé. Cet étalement ne peut être fondé sur l'énoncé qui se trouve dans le “ consentement à jugement ”, selon lequel le revenu a été “ gagné au cours de la période de validité de ces accords ”. Un tel fondement n'est pas conforme à la loi et aux faits : alinéa 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu; Ikea Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 196. La conclusion à laquelle j'en suis venu, soit que le montant de 100 000 $ était un revenu tiré d'une entreprise, établit ce fondement légal aux termes des alinéas 12(1)l) et 20(1)m). Je ne suis toutefois pas prêt à accepter le prétendu consentement comme un aveu que les appelants exploitaient une entreprise. Une telle conclusion est une conclusion de droit (Associated Investors of Canada Ltd. v. M.N.R., 67 DTC 5096) et un aveu sur une question de droit ne lie pas la Cour (L.I.U.N.A. Local 527 Members' Training Trust Fund v. The Queen, 92 DTC 2365). J'ai conclu de façon indépendante que le revenu que les appelants ont reçu ou prévoyaient recevoir était un revenu tiré d'une entreprise.

[9] J'en viens maintenant à la question principale — la déductibilité des sommes versées par les appelants en 1990 et en 1991 et la déduction des intérêts.

[10] Les montants ont bel et bien été payés. Dans chaque cas, ils ont été payés pour un type particulier de logiciel que Pop Media devait utiliser dans le cadre d'une stratégie de commercialisation ambitieuse conçue par elle pour réaliser des ventes auprès de détaillants comme Toys R Us, le groupe K Mart, 7-Eleven, la Régie des alcools de l'Ontario et le Skydome de Toronto. Les occasions d'affaires ont fait l'objet de recherches minutieuses et approfondies. Les appelants sont tous des investisseurs bien informés et expérimentés. Andre Gagnon est le propriétaire d'une chaîne de stations de distribution d'essence. Gail Petrie est une avocate prospère et son défunt mari était médecin. Les Beardsley sont des courtiers d'assurance. Le logiciel dont ils ont fait l'acquisition était dans chaque cas un module devant être utilisé dans le cadre de la stratégie de commercialisation sur le lieu de vente que devait appliquer Pop Media. Dans le cas des Beardsley, le module était un dispositif d'affichage autoprogrammable. Dans le cas de M. Gagnon, le logiciel d'applications était un système permettant de charger des messages en masse en dehors des heures de pointe et d'afficher ceux-ci de façon sélective à des moments précis au cours de la semaine. Ce logiciel était décrit comme un système en “ temps bloc valide ”. Dans le cas des Petrie, le logiciel d'applications était un module de transmission qui vérifiait si les messages affichés étaient autorisés et empêchait l'affichage des messages non autorisés. Chacun de ces types de logiciel était nécessaire au système de commercialisation sur le lieu de vente dont Pop Media faisait la promotion et la commercialisation.

[11] J'entends me pencher sur chacune des prétentions de l'intimée. Cette dernière a soutenu assez longuement que le revenu gagné et prévu par les appelants était un revenu tiré d'un bien et que l'éventail des dépenses déductibles est plus limité dans le cas d'un tel revenu que dans le cas du revenu tiré d'une entreprise. Je ne connais aucun précédent qui justifierait un traitement plus restrictif des dépenses dans le cas d'un revenu tiré d'un bien. Même si la provenance du revenu — d'un bien ou d'une entreprise — n'influe aucunement sur la déductibilité des dépenses, je crois qu'il est plus exact de dire que le revenu que les appelants ont gagné ou prévoyaient gagné est un revenu tiré d'une entreprise selon la définition de ce terme à l'article 248. Je ferai observer en passant que, si j'acceptais l'argument de l'intimée selon lequel le revenu était tiré d'un bien plutôt que d'une entreprise, le montant de 100 000 $ reçu au cours de l'année 1988 frappée de prescription aurait été imposable au cours de cette année et ne pourrait pas être étalé sur cinq ans aux termes des alinéas12(1)l) et 20(1)m).

[12] Nul n'a prétendu que les montants payés étaient des dépenses en capital, mais l'intimée a soutenu que les sommes n'avaient pas été dépensées dans le but de tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise. Je ne vois pas comment elle a pu tirer une telle conclusion. Nous sommes en présence, purement et simplement, d'une entreprise risquée, audacieuse et imaginative. Les dépenses ont été faites dans le seul but de gagner un revenu substantiel. Même en faisant fi dans une certaine mesure des projections financières un tant soit peu optimistes de M. Eric Hutchingame, un vendeur accompli qui projetait l'image d'un homme enthousiaste, optimiste et compétent, les appelants avaient toutes les raisons de croire qu'ils allaient toucher des profits substantiels. On en trouve des preuves dans la lettre du 5 octobre 1990 adressée aux Beardsley, dans les lettres du 5 octobre 1991 et du 26 février 1991 adressées à M. Gagnon, ou dans le rapport provisoire du 15 février 1990 (recueil de documents des Petrie, pièce A-10, onglet 16) ou le rapport aux actionnaires du 28 mars 1990 (onglet 19), pour ne mentionner que ces documents-là.

[13] Je tiens pour avéré que les appelants s'attendaient tous raisonnablement à réaliser des profits importants lorsqu'ils ont décidé de participer à l'opération spéculative. Ils se sont fondés en partie sur un rapport favorable de Nielsen Marketing Research de même que sur les nombreux autres documents qui leur avaient été fournis et les rencontres avec M. Baker et M. Hutchingame de Pop Media. Les dépenses faites subséquemment ont également fait l'objet de recherches minutieuses. Il faut reconnaître que, quoique l'entreprise fût risquée, le domaine des logiciels de haute technologie est un secteur florissant; si une partie seulement des projections du président de Pop Media, M. William Baker, et de M. Eric Hutchingame s'était réalisée, les appelants seraient devenus millionnaires. À vrai dire, la foi que les appelants Gagnon et Petrie avaient dans l'opération spéculative est confirmée par le fait qu'ils ont ultérieurement souscrit d'autres actions. Je n'oublie pas qu'on s'attendait à un appel public à l'épargne prochain, mais, pour un certain nombre de raisons, il n'y en a pas eu. Quoi qu'il en soit, cela faisait partie de l'opération commerciale dans laquelle les appelants s'étaient lancés.

[14] Pour ce qui est de l'affirmation selon laquelle les montants versés étaient déraisonnables, la preuve n'appuie tout simplement pas cette conclusion. Les frais de conception du logiciel étaient en fait supérieurs au prix de vente du produit. Les frais de promotion et de développement des marchés aux États-Unis, au Canada et au Mexique étaient énormes. Des dépenses ne sont pas déraisonnables simplement parce qu'elles sont élevées. En l'espèce, elles étaient proportionnelles au rendement attendu. Une dépense sera qualifiée de déraisonnable s'il est déterminé, en s'appuyant sur des comparaisons et des critères objectifs, que ces dépenses n'auraient pas été faites par un homme ou une femme d'affaires raisonnable ayant à l'esprit le seul avantage commercial recherché (Gabco Ltd. v. M.N.R., 68 DTC 5210).

[15] À mon avis, la présente affaire est un exemple frappant de situation où le ministre remet en question le sens aigu des affaires ainsi que le jugement de gens d'affaires expérimentés et intelligents.

[16] Dans l'affaire Nichol v. The Queen, 93 DTC 1216, j'ai fait le commentaire suivant à la page 1219 :

[M. Nichol] a fait ce qui peut, rétrospectivement, être considéré comme une erreur de jugement, mais il s'agissait d'une question d'appréciation commerciale et cette appréciation n'était manifestement pas déraisonnable au point d'autoriser cette Cour où le ministre du Revenu national a substitué leur propre appréciation ou à pénaliser le contribuable pour avoir pris une décision que moi-même ou le ministre, forts de la clairvoyance qu'un gérant d'estrade possède toujours, ne prendrions peut-être pas aujourd'hui. Après tout, nous n'étions pas là en 1986.

[17] Cette affirmation a été approuvée dans l'arrêt Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001, sauf pour ce qui est du terme “ manifestement ”.

[18] Pour étayer la proposition selon laquelle il n'y a pas eu de paiements, l'intimée s'appuie sur le fait que l'argent provenait de prêts à forfait consentis par 888258 Ontario Ltd. et garantis par une cession des actions des appelants. J'estime que ce fait n'est pas pertinent. L'argent a été emprunté et versé. Si l'opération avait obtenu le succès escompté, les prêts auraient été remboursés. Le fait que le prêteur a par la suite réalisé la garantie peut avoir des conséquences aux termes des articles 79 ou 80, mais cela n'influe en rien sur la question que je dois trancher en l'espèce.

[19] En dernier lieu, l'intimée a fait valoir que [TRADUCTION] “ les opérations étaient un stratagème frauduleux ayant uniquement pour but de permettre à l'appelant [aux appelants] de recevoir un remboursement d'impôt supérieur au montant réellement déboursé [...] ”.

[20] L'argument est sans fondement. Ce n'était pas du tout le but des appelants. C'est même mathématiquement faux. C'est faire complètement abstraction du fait que les dépenses étaient fondées sur des projections financières solides. C'est une conjecture non justifiée qui, en outre, n'est pas logique sur le plan économique. Aucune personne raisonnable ne dépense 100 $ pour obtenir un avantage fiscal de 54 $. Ce n'est ni de l'évitement fiscal ni de la planification fiscale. C'est de la bêtise fiscale — un défaut que je ne suis pas disposé à attribuer aux appelants.

[21] L'argument selon lequel il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, quoi qu'il ait été mentionné dans les plaidoiries, n'a pas été défendu avec beaucoup de vigueur par les avocats de l'intimée. La doctrine de “ l'absence d'attente raisonnable de profit ” ne s'applique pas à une opération commerciale bien documentée, mais tout de même risquée, du genre de celle que nous avons en l'espèce. C'est malheureusement le genre d'affaires où, lorsqu'une entreprise échoue, le ministre, fort de la clairvoyance qu'il possède, invoque rituellement la doctrine de “ l'absence d'attente raisonnable de profit ”. Par contre, si l'entreprise réussit ou fait de l'argent, il exige sa part des profits.

[22] Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en conformité avec les présents motifs et le document déposé par l'intimée intitulé “ Consentement à jugement ”. Les avocats m'ont demandé de différer mon jugement jusqu'à ce qu'ils aient eu l'occasion de régler la question des coûts. Les avocats sont invités à communiquer avec la Cour pour convenir d'une date à cette fin. Les avocats peuvent, s'ils le désirent, régler l'affaire par voie de téléconférence.

Signé à Sydney (Nouvelle-Écosse), ce 19e jour d'août 1999.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de juin 2000.

Isabelle Chénard, réviseure



[1]               Aucun des avocats n'a présenté d'argument sur la question de savoir pourquoi les montants avaient été étalés sur les années 1989 à 1993 plutôt que sur les années 1988 à 1992, et je ne fais aucune autre observation sur ce point.

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