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Date: 19981207

Dossier: 98-511-UI

ENTRE :

DAMIAN DANIEL HAULE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]Il s'agit d'un appel de la décision du ministre du Revenu national (le “ ministre ”) selon laquelle l'appelant n'exerçait pas un emploi assurable du 1er janvier au 13 août 1997.

[2] Le ministre s’est appuyé sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi ”), l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 et les articles 9, 1385 et autres du Code civil du Québec. Il était d'avis que l'appelant n'avait pas conclu un contrat de louage de services valide avec le payeur compte tenu des restrictions qui s'appliquaient à son permis de travail.

[3]Les faits dont le ministre a tenu compte sont énoncés comme suit au paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel (la “ réponse ”) :

[TRADUCTION]

a) l'appelant est originaire de la Tanzanie;

b) il a obtenu des permis de travail canadiens pour les périodes allant du 29 novembre 1994 au 31 décembre 1996 et du 14 août au 31 octobre 1997;

c) au cours de la période en cause, l'appelant, un ingénieur, était inscrit comme étudiant à temps plein à l'Université McGill;

d) il effectuait des recherches en vue de l'obtention d'un doctorat;

e) comme l'Université n'avait pas plus de fonds de subvention pour permettre à l'appelant de poursuivre ses études, ce dernier a convaincu le payeur de lui faire des paiements hebdomadaires afin qu'il puisse poursuivre ses recherches;

f) au cours de la période en cause, l'appelant avait un permis de séjour pour étudiant l’autorisant à faire des études à l'Université McGill;

g) au cours de la période en cause, l'appelant n'avait pas de permis de travail l'autorisant à travailler au Canada.

[4]Les paragraphes 2 et 3 de la réponse sont pertinents en l'espèce :

[TRADUCTION]

2.                  Le 20 mars 1998, l'appelant a présenté une demande pour qu'il soit déterminé si l'emploi qu’il avait exercé chez CAE Electronics Ltd. (ci-après appelée “le payeur”) du 25 mars 1996 au 31 octobre 1997 était assurable.

3.                  Au moyen d'une lettre datée du 25 mai 1998, l'intimé a informé l'appelant, d'une part, que son emploi était assurable pour les périodes allant du 25 mars au 30 décembre 1996 et du 14 août au 31 octobre 1997 parce qu'il existait une relation employeur-employé entre lui et le payeur et, d'autre part, que son emploi n'était pas assurable pour la période allant du 1er janvier au 13 août 1997 parce qu'il n'existait pas de relation employeur-employé entre lui et le payeur au cours de cette période.

4.                 

[5]La pièce R-2 est un permis de séjour pour étudiant délivré par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Les conditions de séjour qui y sont énoncées sont les suivantes : [TRADUCTION] 1) N'a pas le droit d'exercer un emploi au Canada; et [TRADUCTION] 4) Peut accepter un emploi sur le campus de l'établissement où il est inscrit comme étudiant à temps plein. Le document a été signé le 9 janvier 1997 et est valide jusqu'au 30 juillet 1997.

[6]L'appelant a déclaré avoir travaillé pour CAE Electronics Ltd. à partir du 25 mars 1996. Il a produit sous la cote A-2 une offre d'emploi de CAE Electronics Ltd. datée du 6 janvier 1996 et ainsi libellée :

[TRADUCTION]

Nous sommes heureux de vous confirmer notre offre d'un poste temporaire de membre du personnel technique, niveau II, sous réserve du renouvellement de votre permis de travail. Votre taux horaire sera de 19,48 $.

[7] La pièce R-6, soit le relevé d'emploi, indique un salaire hebdomadaire de 761,23 $.

[8]Dans son avis d'appel, l'appelant déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

Au cours de la période susmentionnée, je détenais un permis de séjour pour étudiant valide et j'étais inscrit comme étudiant à temps plein à l'Université McGill. Par conséquent, selon Immigration Canada, je ne peux accepter un emploi que sur le campus! C'est tout ce qu'il y a de plus vrai en ce qui concerne les emplois NON liés aux études. Toutefois, dans le cas des emplois qui sont directement liés aux études, comme ceux en matière de recherche, il est possible de travailler à l'extérieur du campus dans la mesure où il y a une entente ou un contrat entre l'établissement d'enseignement, le superviseur de la recherche et un organisme ou une compagnie de l'extérieur (p. ex., un hôpital, une entreprise de recherches). Ce genre de travail est considéré comme un emploi sur le campus qui ne nécessite pas un permis de travail distinct. Il s'agit d'un cas exceptionnel comme il est précisé à la page 11 du guide IMM-9997E(12-96) révisé le 31 décembre 1996 par Immigration Canada. Un agent d'immigration m'a dit de fournir ces renseignements à quiconque demande des éclaircissements sur ma situation.

De façon détaillée, ma situation est la suivante : en 1987 j'ai demandé et obtenu un permis de séjour pour étudiant et un permis de travail, et ce, parce que mes études consistent uniquement dans des recherches. Même en décembre 1996, j'ai demandé les deux permis et j'ai envoyé à ce moment-là les droits exigés. Malheureusement, le permis de travail n'a pas été renouvelé et les droits correspondants de 125 $ m'ont été remboursés par Immigration Canada. Il importe aussi de savoir que j'ai envoyé à l'appui de ma demande de permis de travail des lettres de l'Université McGill et de CAE Electronics Ltd. parce que, en fait, je travaillais pour CAE depuis 1995 dans le cadre de mes travaux de recherche à l'Université McGill. C'est le service d'orientation professionnelle et de placement de l'Université McGill qui m'a dirigé vers CAE en raison de la nature de mes recherches. Entre autres choses, ce service fait des démarches pour trouver des stages pour les étudiants, s'occupe des présentations aux employeurs, communique avec les organismes ou les entreprises que cela pourrait intéresser d’embaucher des chercheurs étudiants. Je tiens surtout à préciser que le service d’orientation et de placement est situé sur le campus et que sont là également le directeur et les conseillers. Par conséquent, si cette situation ne correspond pas au cas exceptionnel mentionné ci-dessus, l'Immigration a fait une erreur en ne renouvelant PAS mon permis de travail sans autre explication que le remboursement des droits.

[9]En fait, l'appelant a obtenu l’autorisation voulue en août 1997, comme le montre la pièce R-1, qui est un autre permis de séjour pour étudiant. Ce document précise que l'appelant est autorisé à travailler pour CAE Electronics Ltd. Il a été signé le 14 août 1997 et est valide jusqu'au 14 février 1999.

[10]La représentante de l'intimé a fait valoir que, suivant les articles 1417 et 1418 du Code civil du Québec, le contrat de travail de l’appelant était frappé de nullité absolue, son objet étant interdit par la loi. De fait, le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 interdit à l'appelant d'exercer un emploi à l'extérieur des limites du campus de l’Université McGill.

[11]Les articles 1417 et 1418 du Code civil du Québec et le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 sont ainsi libellés :

Art. 1417 La nullité d'un contrat est absolue lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection de l'intérêt général.

Art. 1418 La nullité absolue d'un contrat peut être invoquée par toute personne qui y a un intérêt né et actuel; le tribunal la soulève d'office.

Le contrat frappé de nullité absolue n'est pas susceptible de confirmation.

18(1) Sous réserve du paragraphe 19(1), nul ne doit, autre qu'un citoyen canadien ou qu'un résident permanent, prendre ou conserver un emploi au Canada sans un permis de travail en cours de validité.

[12]La représentante de l'intimé s’est référée à l'arrêt Kathleen Still c. M.R.N. de la Cour d'appel fédérale, daté du 24 novembre 1997, en attirant l'attention de la Cour sur le passage suivant :

[44] [...] Chaque espèce dépend des faits qui lui sont propres et s'inscrit dans un cadre législatif particulier. On peut soutenir que la Cour devrait appliquer la théorie de l'illégalité en common law telle qu'elle est comprise et appliquée dans chaque province. En théorie, les conséquences juridiques qu'entraîne le défaut d'une personne d'obtenir un permis de travail de la manière prescrite par la Loi sur l'immigration pourraient être déterminées par la common law de la province dans laquelle le contrat de travail a été conclu. Vu le caractère bijuridique de la Cour fédérale, nous ne saurions perdre de vue le fait que les affaires émanant du Québec doivent être tranchées en vertu des dispositions relatives à l'illégalité qui figurent au Code civil du Québec.

[13]La représentante de l'intimé s’est référée également à la décision en date du 23 mai 1997 rendue par le juge Archambault de la Cour canadienne de l’impôt dans l'affaire Trevor P. Isidore et Abdoulaye Kante c. M.R.N., dont elle a cité les passages suivants :

Voyons maintenant comment, dans la jurisprudence québécoise, on a appliqué les dispositions en question. Dans l'affaire Saravia c. 101482 Canada Inc., [1987] R.J.Q. 2658, le juge Dumais de la Cour du Québec a eu à traiter de la même question que celle soulevée dans ces appels, à savoir, l'effet juridique du défaut d'avoir obtenu un permis de travail en vertu de la Loi sur l'immigration. À la page 2659, le juge Dumais a rejeté l'action pour congédiement illégal au motif suivant :

[TRADUCTION]

Bien entendu, la Cour reconnaît que la Loi sur l'immigration de 1976 est une loi d'“ ordre public ” et qu'elle ne peut pas être modifiée par un contrat conclu entre des particuliers, pas plus que la Cour ne peut en faire abstraction [...]

[...]

Cette cour ne saurait tirer une conclusion différente : la Loi sur l'immigration de 1976 est une loi d'“ ordre public ”, et un contrat conclu, sciemment ou non, en violation de l'une ou de plusieurs de ses dispositions sera frappé de nullité. Telle est la sanction prévue de façon on ne peut plus claire aux articles 13 et 14 du Code civil.

[14]Plus loin, aux pages 8 à 10, le juge Archambault conclut en ces termes :

Je conclus donc, comme l'a fait le juge Dumais dans l'affaire Saravia, que la Loi sur l'immigration est une loi d'ordre public et qu'elle vise la protection de l'intérêt général. Elle vise à réglementer qui peut entrer et demeurer au Canada. Notamment les citoyens canadiens et les résidents permanents (sauf dans certaines circonstances) ont le droit d'entrer et de demeurer au Canada. Les objectifs énoncés à l'article 3 de la Loi sur l'immigration nous permettent de constater que l'ordre public constitue un des objectifs visés par cette loi. J'estime que l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 donne aux autorités canadiennes un des moyens nécessaires pour leur permettre de maintenir l'ordre public au Canada.

Il me paraît donc clair qu'en vertu du droit québécois il ne pouvait exister un contrat de travail valide entre les appelants et leur payeur respectif durant les périodes pertinentes. L'objet du contrat durant ces mêmes périodes était prohibé et donc l'entente entre les appelants et leur payeur respectif durant ces périodes était nulle et sans effet. [...]

[15]Dans la décision Isidore, précitée, le juge Archambault s'est appuyé sur la décision Saravia c. 101482 Canada Inc., [1987] R.J.Q. 2658 (C.P.). Comme nous le verrons plus loin, dans l'arrêt Still (précité) de la Cour d'appel fédérale, l'élément crucial pour déterminer si l'ordre public est en jeu dans le cas d'une interdiction qui est imposée par une loi et qui est semblable à celle dont il s’agit en l'espèce est la bonne foi de la partie qui demande réparation. Quoique cet élément n'ait pas été déterminant dans la décision Saravia, la cour en a néanmoins tenu compte. J’en cite l’extrait suivant qui se trouve à la page 2660:

[TRADUCTION]

Dans le cas de la demande dont je suis saisi, un interrogatoire préalable de l'intimé a établi que celui-ci avait de son plein gré conclu un contrat de travail avec la requérante sachant qu'il ne pouvait pas le faire puisqu'il résidait illégalement au Canada et n'avait pas de permis de travail.

[16]La décision dans l'affaire Isidore (précitée) a été rendue le 23 mai 1997. L'arrêt Still de la Cour d'appel fédérale a été prononcé le 24 novembre 1997. Il annulait une décision de notre Cour rendue sous le régime des lois de l'Ontario, dans laquelle il avait également été statué que le contrat de travail n’était pas valable pour cause d’incompatibilité avec l'ordre public. Quoique la réponse à l'avis d'appel ait été rédigée plusieurs mois après l'arrêt Still (la réponse est datée du 30 juillet 1998), le ministre n'indique pas dans ses hypothèses de fait si l'appelant a agi ou non de bonne foi.

[17]L'arrêt Still a été rédigé par le juge Robertson, à l’avis duquel les juges Strayer et Linden ont souscrit. Les faits de cette affaire ressemblent aux faits de l'espèce. Il s'agissait de déterminer si l'emploi exercé en dérogeant à l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 était assurable aux termes de la Loi. Le juge Robertson a analysé en profondeur la théorie de l'illégalité dans son application à la question de la validité d'un contrat quant à sa formation lorsque l’illégalité résulte de la transgression d'une disposition législative. Il a déclaré que le but et l'objet de l'interdiction législative sont pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si le contrat est susceptible d’exécution forcée ou non. La réparation demandée et les conséquences de la conclusion qu'un contrat n'est pas susceptible d'exécution forcée doivent être pris en considération pour déterminer la nature et l'effet de l'illégalité. Dans l'optique de la théorie de l'illégalité, l’ordre public exige certainement que nul ne doive pouvoir tirer profit de son propre méfait.

[18]Le juge Robertson a donc procédé à l'analyse du but et de l'objet de l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 aux paragraphes [51] et [52] de ses motifs. Il a conclu que l'énoncé le plus clair de l'objet législatif sous-tendant l'exigence imposée aux immigrants légaux d’obtenir un permis de travail se trouve aux paragraphes 20(1) et (3) du Règlement sur l'immigration de 1978. Aux termes de ces dispositions, il faut déterminer si l'embauchage d'une personne nuira aux possibilités d'emploi de citoyens canadiens ou de résidents permanents du Canada. En fin de compte, le juge Robertson a reconnu que l'objet de l'exigence législative en question est un facteur important mais qu’à lui seul il n’est pas déterminant relativement à la question de savoir si le contrat de travail devrait être jugé nul et inexécutable pour cause d’illégalité. Il a également conclu que la réparation demandée et les conséquences d'une conclusion de nullité seraient disproportionnées compte tenu du but de la disposition législative en question et compte tenu aussi de la bonne foi de la personne concernée. La question relative à l'application de l'interdiction législative particulière dont il s’agissait là devait donc être tranchée en fonction de la bonne foi de cette personne. Il serait de fait contraire à l'ordre public qu'une personne tire profit de son propre méfait.

[19]Je désire maintenant citer quelques passages tirés de l'arrêt Still :

[39] Un contrat qui est soit explicitement, soit implicitement interdit par une loi est normalement considéré comme nul ab initio. C'est-à-dire qu'à première vue, aucune des parties n'a le droit de demander l'aide des tribunaux. Il en est ainsi même si la partie qui demande réparation a agi de bonne foi. L'ignorance de la loi n'est pas une excuse. [...]

[40] Quand on applique le cadre doctrinal qui vient d'être exposé aux faits de l'espèce, la première question qui se pose est de savoir s'il est possible d'affirmer que le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration interdit explicitement ou implicitement à une personne comme la requérante d'accepter et d'exercer un emploi sans avoir un permis de travail. À mon avis, le libellé de cette disposition ne laisse plus de doute que la requérante a contrevenu à la loi : “ il est interdit à quiconque, à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre ou de conserver un emploi au Canada [...] ”. Quand bien même j'admettrais que ces termes n'expriment pas une interdiction explicite, il reste qu'on peut certainement en déduire l'existence d'une interdiction. [...]

[41] Selon le modèle classique de la théorie de l'illégalité, la bonne foi de la requérante n'est pas un facteur pertinent. Par conséquent, l'emploi qu'elle a exercé au cours de la période allant du 9 mai au 23 septembre 1993 était régi par un contrat illégal qui était nul ab initio. En supposant qu'il en soit ainsi, la question suivante consiste à savoir si un emploi régi par un contrat illégal peut constituer un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage. Si j'admets que le contrat de louage de services conclu par la requérante était nul dès sa naissance, alors il faut assurément répondre à cette question par la négative. Cependant, je ne suis pas disposé à accepter le modèle classique pour plusieurs raisons.

[42] Premièrement, je suis d'avis que le modèle classique a depuis longtemps perdu son pouvoir de persuasion et n'est plus appliqué d'une manière systématique. Cette théorie est acceptée plus dans les entorses qui y sont faites que dans son application du fait de la prolifération de ce qu'on appelle des “ exceptions ” judiciaires à la règle. [...]

[43] La deuxième raison de rejeter le modèle classique réside dans le fait que ce modèle ne tient pas compte de la réalité que, de nos jours, une conclusion d'illégalité est fonction non seulement de l'objet de l'interdiction, mais aussi de la réparation demandée et des conséquences de la conclusion qu'un contrat n'est pas susceptible d'exécution. Il importe de rappeler que les règles de droit en matière d'illégalité sont apparues à la faveur d'une vive controverse entre des parties à un contrat censément illégal. En l'espèce, il n'existe pas de controverse semblable entre les parties contractantes, et les conséquences que comporte le prononcé d'un jugement déclaratoire portant que le contrat de louage de services est illégal sont trop vastes. À titre d'exemple, je pourrais être disposé à supposer qu'un tribunal ontarien ne tiendrait pas l'employeur de la requérante responsable d'une rupture de contrat si cet employeur l'avait congédiée après avoir appris qu'elle ne possédait pas le permis de travail requis. Mais dois-je supposer que la requérante n'aurait pas le droit de recevoir le salaire impayé gagné avant le congédiement ni, du reste, le droit de bénéficier de la protection prévue par la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario? Qu'en est-il si l'employeur de la requérante a embauché cette dernière en sachant fort bien qu'elle n'avait pas de permis de travail? Ce facteur rendrait-il sa demande de paiement de la rémunération impayée plus acceptable? Qu'en est-il si la requérante avait subi un accident du fait de son travail? Un tribunal ontarien conclurait-il qu'elle n'avait droit à aucune indemnisation en vertu de la Loi sur les accidents du travail de cette province? Le fait qu'un si grand nombre de lois rattachent le droit ou l'admissibilité à des prestations à l'existence d'un contrat de louage de services est une raison suffisante pour qu'un tribunal refuse l'invitation de déclarer automatiquement qu'un contrat de travail est nul en raison de son illégalité, et plus encore si le jugement déclaratoire est fondé sur les principes de la théorie classique de l'illégalité.

[20] Aucune jurisprudence ne m'a été soumise concernant des lois du Québec analogues à celles mentionnées au paragraphe [43] des motifs du juge Robertson, c'est-à-dire des lois ayant trait à la sécurité, à la santé et à l'indemnisation. Il aurait été particulièrement intéressant de savoir si les tribunaux administratifs appliquant ces types de lois ont considéré comme produisant des effets des situations d'emploi semblables à celle dont il s’agit en l'espèce. (Le paragraphe [44] de l'arrêt Still, qui parle de l'application du Code civil du Québec, a déjà été cité au paragraphe [12] des présents motifs.)

[45] Il est vrai que la Cour a uniquement besoin de trancher la question de la légalité dans le contexte fédéral et que rien de ce qu'elle décide en ce qui concerne la validité ou le caractère exécutoire d'un contrat de travail ne lie les provinces. Néanmoins, j'estime que la Cour fédérale devrait s'efforcer de favoriser l'uniformité des décisions judiciaires sur la question du droit à des prestations d'assurance-chômage.

[21] Je crois également que notre Cour devrait s'efforcer de favoriser l'uniformité dans la détermination de ce qui constitue un emploi assurable dans un cas où il est question de l'interprétation à donner à des dispositions législatives fédérales.

[46] Le professeur Waddams affirme que si une loi interdit la formation d'un contrat, les tribunaux devraient être libres de déterminer les conséquences d'une infraction à cette loi (à la p. 372). Je suis d'accord avec lui. Si les législatures ne veulent pas préciser les conséquences contractuelles qu'entraîne le non-respect d'une interdiction prévue par une loi et se contentent d'infliger une peine ou une sanction administrative, alors il est entièrement du ressort d'un tribunal de déterminer, dans les faits, si d'autres sanctions devraient être prises. Comme la théorie de l'illégalité n'émane pas du législateur, mais du pouvoir judiciaire, c'est aux juges d'aujourd'hui qu'il appartient de faire en sorte que ses principes soient compatibles avec les valeurs contemporaines. [...]

[48] En conclusion, la mesure dans laquelle les préceptes de la théorie de l'illégalité en common law conviennent mal pour trancher la question litigieuse en l'espèce est un facteur qui incite la Cour à orienter son analyse de manière à tenir compte à la fois de l'approche moderne et du contexte de droit public dans lequel cette approche s'inscrit. Selon moi, c'est le principe (et non la règle) suivant qui exprime le mieux la théorie de l'illégalité d'origine législative dans le contexte fédéral : lorsqu'un contrat est explicitement ou implicitement interdit par une loi, un tribunal peut refuser d'accorder une réparation à une partie si, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, y compris l'objet de l'interdiction en question, il était contraire à l'intérêt public, reflété dans la réparation demandée, de le faire.

[49] Comme la théorie de l'illégalité repose sur l'idée qu'il serait contraire à l'intérêt public d'autoriser une personne à exercer une action en vertu d'un contrat interdit par une loi, il n'est qu'opportun de définir les considérations générales qui l'emportent sur le droit apparent qu'a la requérante de toucher des prestations d'assurance-chômage. Bien entendu, l'intérêt public est un concept changeant qu'il est plus facile d'illustrer que de définir (p. ex. l'affaire des voleurs de grand chemin examinée précédemment). Dans la présente affaire, la dimension relative à l'intérêt public se manifeste de deux façons. D'abord, il y a la ferme conviction qu'une personne ne devrait pas pouvoir tirer profit de son méfait. C'est une autre façon de marquer sa réprobation morale à l'égard d'un comportement fautif. Ensuite, il y a l'idée qu'il ne convient pas d'accorder une réparation à une partie si cela avait pour effet d'affaiblir l'objet des deux lois fédérales en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire. D'une part, il faut tenir compte du principe qui sous-tend la loi à laquelle la requérante a contrevenu, à savoir la Loi sur l'immigration, mais, d'autre part, il faut également tenir compte du principe qui sous-tend la loi créant les prestations qui ont été refusées, à savoir la Loi sur l'assurance-chômage.

[...]

[51] Par contre, il y a les objectifs qui sous-tendent les restrictions prévues dans la Loi sur l'immigration. L'énoncé le plus clair de l'objet qui sous-tend l'exigence voulant qu'une personne obtienne un permis de travail avant d'exercer un emploi se trouve aux paragraphes 20(1) et 20(3) du Règlement sur l'immigration. Le paragraphe 20(1) dispose que l'agent d'immigration ne peut délivrer d'autorisation d'emploi s'il “ est d'avis ” que l'embauchage de personnes comme la requérante “ nuira à celui des citoyens canadiens [...] ”. Le paragraphe 20(3) précise que pour être en mesure de se faire une opinion, l'agent d'immigration doit se demander si l'employeur éventuel a fait des efforts raisonnables pour embaucher ou former des citoyens canadiens ou des résidents permanents. Il doit également tenir compte du facteur suivant : “ si les conditions de travail et le salaire offert [par l'employeur éventuel] sont de nature à attirer des citoyens canadiens ou des résidents permanents ”. [...]

[54] À mon sens, la Cour est saisie d'une affaire dans laquelle la bonne foi de la partie qui demande une réparation revêt une très grande importance. Mme Still n'est pas une immigrante illégale. En concluant qu'elle a agi de bonne foi, le juge de la Cour de l'impôt a tenu compte du document que lui ont délivré les autorités fédérales. [...]

[55] Il existe un autre facteur qui me paraît important. On peut se demander si le refus d'accorder des prestations d'assurance-chômage est une peine effective qui est disproportionnée à l'infraction. Je remarque que la loi n'inflige aucune peine expresse pour l'infraction en question et qu'une déclaration de culpabilité ne pourrait pas être obtenue sous le régime de la disposition pénale générale à cause de l'exigence voulant qu'une personne contrevienne sciemment à la Loi sur l'immigration. En fait, la requérante n'est passible d'aucune sanction en vertu de cette loi en raison de l'infraction commise. Si la Loi sur l'immigration ne vise que les personnes qui violent sciemment l'obligation d'obtenir un permis de travail, pourquoi la Cour devrait-elle infliger une peine qui s'élève à plusieurs milliers de dollars de prestations? [...]

[56] Compte tenu des objectifs de la Loi sur l'assurance-chômage, du fait que la requérante est une immigrante légale et du fait qu'elle a agi de bonne foi, je ne suis pas disposé à conclure qu'elle n'a pas le droit d'obtenir des prestations d'assurance-chômage en raison d'une illégalité. Je reconnais que l'objet de l'interdiction est impérieux, mais, dans les circonstances de l'espèce, la peine infligée est disproportionnée à l'infraction. Permettre à la requérante de réclamer des prestations d'assurance-chômage n'inciterait pas des personnes à venir au Canada et à y travailler illégalement. En fait, ce ne serait ni plus ni moins qu'une absurdité qu'un juge conclue qu'un immigrant illégal au Canada a agi de bonne foi. Le versement de cotisations d'assurance-chômage ne garantirait pas en soi le droit à des prestations. Personne ne se voit donner la licence d'abuser des services sociaux du Canada. En définitive, l'intérêt public penche en faveur des immigrants légaux qui ont agi de bonne foi. Comme l'a dit le juge McLachlin dans l'arrêt Hall c. Hebert, précité, il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle il faut refuser d'accorder une réparation pour “ préserver l'intégrité du système juridique ”. En conclusion, il est dans l'intérêt public, et non l'inverse, d'accorder des prestations d'assurance-chômage à la requérante.

[22]Le juge Robertson a conclu, aux fins de la Loi sur l'immigration et de la Loi sur l'assurance-emploi, qu'il n'est pas nécessaire, dans l'intérêt public général, de sanctionner l’omission de se conformer à l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 en frappant le contrat de nullité lorsque l’omission à été faite de bonne foi. L’omission de se conformer en cause dans l'affaire Still est exactement de la même nature que celle dont il s’agit en l'espèce. Comme la Cour d'appel fédérale est une juridiction supérieure par rapport à notre Cour et qu’elle a compétence pour interpréter les lois fédérales, comme la Loi sur l'immigration et la Loi sur l'assurance-emploi, j'estime, du fait de la règle de stare decisis, que je suis liée par la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle le fait de se conformer à l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 n'est pas quelque chose qui s’impose pour la protection de l’intérêt général. Par conséquent, je conclus que le contrat de travail de l'appelant n'est pas frappé de nullité absolue au sens de l'article 1417 du Code civil du Québec puisque celui-ci prévoit que la condition de formation doit être sanctionnée par la nullité du contrat lorsque cela s'impose pour la protection de l'intérêt général.

[23]Comme je l'ai mentionné précédemment, la question de la bonne foi n'a été soulevée ni dans la réponse ni à l'audience, en dépit du fait que l'intimé savait qu’il était fort possible que l'arrêt Still soit appliqué en l’espèce. Cet aspect n'a pas été débattu, et je n'ai aucune raison de croire que l'appelant n'a pas agi de bonne foi.

[24]L'appel est accueilli.

Signé à Montréal (Québec), ce 7e jour de décembre 1998.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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