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Date: 19981218

Dossier: 97-620-IT-G

ENTRE :

SUSSEX SQUARE APARTMENTS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels contre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1989 et 1990 de l’appelante. L'appelante exploite une entreprise de location de biens immeubles. La question est simplement de savoir si les montants de 9 106 890 $ et de 3 491 410 $ que l'appelante a reçus en 1989 et en 1990 respectivement représentent le produit de la vente de biens immeubles, de sorte qu’il y a un profit au sens de l'article 9 de la Loi, ou bien des loyers payés d'avance relevant de l'alinéa 12(1)a) de la Loi, auquel cas le sous-alinéa 20(1)m)(iii) permettrait à l'appelante de déduire une provision. De toute évidence, le revenu de l'appelante, qu'il provienne de la location ou de la vente de biens, est tiré d'une entreprise.

[2] Aux termes d'un bail (le “ bail principal ”) conclu le 1er octobre 1984, l'appelante (qui était alors appelée Lindsay Gardens Properties Ltd.) est devenue locataire de biens immeubles appartenant à deux compagnies avec lesquelles elle était liée, soit Capital Construction Supplies Ltd. et Westsea Construction Ltd.

[3] La location portait sur tous les appartements sauf un dans six immeubles d'habitation de trois étages situés chemin Lindsay à Richmond (C.-B.), appelés “ Lindsay Gardens ”.

[4] Les articles 1 et 2 du bail étaient ainsi libellés :

[TRADUCTION]

ARTICLE 1 - TRANSPORT À BAIL

1.01 IL EST ATTESTÉ PAR le présent bail qu'en contrepartie du loyer total de 9 557 910 $ payé d'avance pour la durée du bail pour tous les appartements, aujourd’hui versé au bailleur par le preneur (et dont le bailleur accuse réception) et, notamment, en contrepartie des engagements et des accords du preneur ci-après réservés et contenus, lesquels doivent être respectés et exécutés, le bailleur transporte au preneur, sous réserve des modalités, des engagements et des conditions énoncés ci-après, chacun des appartements d’une part désignés par les numéros d'appartement indiqués à la colonne I de l'annexe “ A ” du présent bail et d’autre part indiqués dans le plan explicatif numéro 68601 déposé au bureau d’enregistrement des droits immobiliers de New Westminster le 2 octobre 1984, y compris tout balcon contigu (les “ appartements ”), DE MÊME QUE le droit, conjointement avec le bailleur, les preneurs de tous les appartements de l'immeuble et toute autre personne ayant le même droit, d'utiliser, aux seules fins d'accéder aux appartements et d'en sortir, le hall d'entrée, les escaliers, les corridors et les ascenseurs (le cas échéant) dans l'immeuble et d'utiliser aux fins auxquelles elles sont destinées les buanderies et les installations d'entreposage (pouvant être désignées par le bailleur) dans l'immeuble.

ARTICLE 2 - DURÉE

2.01 QUE le preneur détient les appartements en question pour la période du 1er octobre 1984 au 31 décembre 2083 (ci-après appelé la “ durée ”).

[5] Aux termes de la clause 3.01, le preneur devait assumer les frais d'éclairage et d'électricité pour chacun des appartements. De façon générale, les engagements du preneur et du bailleur correspondaient à ceux que l'on retrouve habituellement dans un bail résidentiel.

[6] Aux termes de l'article 6 du bail, le preneur devait payer sa part des frais d'exploitation au sens de la définition donnée de cette expression. La “ part du preneur ” représente le rapport entre la superficie de chacun des appartements et la superficie totale de tous les appartements, et le détail de ce rapport est donné dans une annexe jointe au bail.

[7] Il est clair que le bail principal envisageait la cession du bail de chacun des appartements. Aux termes de l'article 8, chacun des appartements était détenu séparément et de façon indépendante de chacun des autres appartements. Cette conclusion est étayée par l'article 9A, qui prévoyait ceci :

[TRADUCTION]

ARTICLE 9A - RAJUSTEMENT DU LOYER PAYÉ D'AVANCE

Si le produit reçu par le preneur relativement à l'un ou l'autre appartement par suite de la cession par lui du présent bail est inférieur à la contrepartie indexée versée pour tout appartement, le loyer payé d'avance précisé à la page 2 du présent bail sera rajusté à la baisse en fonction du manque à gagner, et le bailleur convient de payer au preneur immédiatement, sur demande, le montant de ce manque à gagner.

Dans le présent article, “ contrepartie indexée ” signifie :

103 p. 100 de la contrepartie attribuée relativement à toute cession conclue avant le 31 juillet 1985;

106 p. 100 de la contrepartie attribuée relativement à toute cession conclue avant le 31 juillet 1986;

109 p. 100 de la contrepartie attribuée relativement à toute cession conclue avant le 31 juillet 1987;

112 p. 100 de la contrepartie attribuée relativement à toute cession conclue avant le 31 juillet 1988;

115 p. 100 de la contrepartie attribuée relativement à toute cession conclue avant le 31 juillet 1989.

Dans le présent article, “ contrepartie attribuée ” s'entend de l'attribution du loyer de 9 557 910 $ payé d'avance, effectuée par entente entre les parties au présent bail à l’égard de tout appartement. Le “ produit ”, dans le présent article, s'entend du montant payable, par un cessionnaire, au preneur en contrepartie de tout appartement, moins les frais de vente et le coût des travaux de rénovation de l'appartement en question effectués avant la cession.

[8] De toute évidence, on voulait dès le départ que les baux de chacun des appartements soient vendus plus cher que la part du loyer payé d'avance attribuée à chacun d'eux et, si le prix obtenu pour la cession des baux était inférieur à un montant minimal prédéterminé, le loyer payé d'avance de 9 557 910 $ devait être rajusté à la baisse proportionnellement.

[9] Le 1er janvier 1988, les bailleurs et l'appelante ont modifié le bail en supprimant l'article 9A, en prolongeant la durée du bail jusqu'au 31 décembre 2087 et en augmentant le loyer payé d'avance de 35 000 $ en contrepartie de la prolongation du bail, le coût total passant alors à 9 592 910 $. Entre le 1er octobre 1984 et le 1er octobre 1988, l'appelante avait donné les appartements à bail à des particuliers; il s’agissait de baux à court terme, au mois.

[10] Je fais ici une brève digression pour exposer certaines modifications législatives influant sur la présente affaire. La Strata Titles Act, S.B.C. 1974, ch. 89, ne permettait la conversion d'un immeuble ayant déjà été occupé qu'avec l'approbation de la municipalité. D'après le témoignage de M. Ronald Wilson, un procureur qui a agi pour le compte de l'appelante et qui avait une vaste expérience en la matière, la pratique administrative consistait en général à refuser cette approbation, si bien que, dans les faits, les immeubles qui avaient déjà été occupés ne pouvaient généralement pas être convertis en lots de copropriété. Une disposition semblable figurait dans la Condominium Act de 1979 de la Colombie-Britannique. De même, le paragraphe 8(11) de la Residential Tenancy Act, R.S.B.C. 1979, ch. 365, interdisait la conclusion de conventions de location de locaux d'habitation se trouvant dans un immeuble résidentiel comprenant plus de deux locaux d'habitation, pour une durée supérieure à trois ans, sans l'approbation du conseil municipal.

[11] En 1984, la Residential Tenancy Act a été abrogée et remplacée par une nouvelle loi ne posant aucune restriction sur les baux à long terme.

[12] En 1990, la Labour and Consumer Services Statutes Amendment Act, 1990, a rétabli la restriction sur les baux à long terme, mais a limité à 20 ans la durée permise des baux.

[13] Par conséquent, du 1er mai 1984 au 27 juillet 1990, aucune loi n'interdisait les baux à long terme. L'appelante y a donc vu une occasion de convertir en condominiums, au moyen de baux à long terme, les immeubles d'habitation qu'elle avait pris à bail.

[14] À compter de 1988, l'appelante a disposé, en faveur de particuliers, de 212 des 213 appartements dans les trois immeubles. J'utilise les termes “ disposé de ” de manière neutre pour indiquer simplement qu'elle a reçu des montants d'argent de personnes qui par la suite avaient droit à la possession exclusive des appartements, et non pour indiquer la nature du rapport juridique existant entre l’appelante et ces acquéreurs. C'est la façon dont cette disposition s'est faite qui est primordiale dans les appels en l'espèce.

[15] L'appelante a disposé des 129 premiers appartements en cédant son droit sur les appartements en question aux termes des baux principaux. Le document de cession est appelé [TRADUCTION] “ cession de bail ” et le prix (appelé [TRADUCTION] “ valeur réelle ”) a été payé au complet lors de la signature du contrat. Dans certains cas, l'appelante a accordé un prêt hypothécaire, dans d'autres, le cessionnaire a contracté un emprunt hypothécaire avec un tiers, ou encore l'acquisition a été financée en vertu de la House Purchase Assistance Act de la Colombie-Britannique.

[16] Les attendus A et B d'une cession représentative de cette série d'opérations, ainsi que la clause 1, sont reproduits ci-après :

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE :

Aux termes d'un bail (le “ bail ”) enregistré au bureau d’enregistrement des droits immobiliers de New Westminster sous le numéro X114174, conclu entre le bailleur d'une part et le cédant à titre de preneur d'autre part, et modifié par convention enregistrée audit bureau d’enregistrement des droits immobiliers sous le numéro AB4652, l'appartement portant le numéro dans l'immeuble d'habitation dont l'emplacement est décrit dans le formulaire 17 ci-dessus et qui figure dans le plan explicatif déposé au bureau d’enregistrement des droits immobiliers de New Westminster sous le numéro 68601 (l'“ appartement ”) a été, avec d'autres appartements de l'immeuble d'habitation (l'“ immeuble ”) situé sur le bien-fonds (le “bien-fonds ”) décrit à l'annexe “ 1 ” au présent acte, transporté et loué au cédant pour la période du 1er octobre 1984 au 31 décembre 2087, selon les modalités qui y sont énoncées (une copie du bail modifié constitue l'annexe “ 1 ” au présent acte).

Le cessionnaire a convenu d'acheter le domaine à bail non expiré du cédant à l'égard de l'appartement, et ce, en contrepartie de ce qui est prévu ci-après.

IL EST ATTESTÉ PAR LE PRÉSENT ACTE QUE :

En contrepartie de la valeur réelle précisée dans le formulaire 17 ci-dessus et aujourd'hui versée au cédant par le cessionnaire (et dont le cédant accuse réception), le cédant cède au cessionnaire son droit sur l'appartement, ainsi que la partie non encore écoulée de ladite durée, À DÉTENIR par le cessionnaire pour tout le reste de la durée prévue dans le bail de l'appartement, sous réserve désormais du paiement par le cessionnaire de la somme mensuelle énoncée à la clause 4 de l'offre d'achat du domaine à bail au cours de l'année civile qui y est précisée, au lieu du paiement de la part du preneur des frais d'exploitation (tels qu’ils sont définis dans le bail et conformément à l'article 6 du bail), et sous réserve, par la suite, du paiement de la part du preneur des frais d'exploitation relatifs à l'appartement conformément à l'article 6 du bail (en pourcentage, ainsi qu'il est énoncé à l'annexe A du bail) et sous réserve de l'exécution des engagements et des accords du preneur et des conditions, des clauses conditionnelles, des règles et des règlements réservés et contenus dans le bail.

[17] En 1989, l'appelante a conclu qu'elle avait commis une erreur en cédant la durée totale du bail des cessionnaires (probablement en raison des différentes conséquences fiscales des cessions et des sous-baux, décrites ci-après); elle a donc conclu des conventions de modification avec 112 des 129 cessionnaires. Les parties à ces conventions étaient Capital Construction Supplies Ltd., décrite comme étant le propriétaire[1], l'appelante, les cessionnaires et les créanciers hypothécaires, le cas échéant. L'article 1 de la convention de modification est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

ARTICLE 1 - MODIFICATION DE LA CESSION

La cession est modifiée en réservant à Sussex et en sa faveur le dernier jour de la durée du bail principal, à savoir le 31 décembre 2087.

La cession est en outre modifiée par l'inclusion de l’engagement de Capital en qualité de bailleur dans le bail principal, engagement par lequel Capital convient avec les autres parties au présent document et leurs ayants cause qu'elle n'aura dorénavant aucun droit de rentrée ou de reprise de possession ni aucun droit de résilier le bail principal de l'appartement en raison d'un manquement de Sussex, à titre de preneur, ou de tout ayant cause de Sussex en qualité de preneur dans le bail principal.

La cession est en outre modifiée par l'ajout de ce qui suit :

tous les droits et recours du bailleur prévus dans le bail principal, en tant que droits et recours de Sussex en qualité de sous-bailleur, pouvant être exercés contre le cessionnaire en qualité de sous-preneur, y compris, mais sans restreindre le sens général de ce qui précède, l'article 7.04 du bail principal;

tous les engagements et accords du preneur prévus dans le bail principal, en tant qu'obligations du cessionnaire à titre de sous-preneur en faveur et au profit de Sussex en qualité de sous-bailleur;

tous les droits, recours et intérêts du preneur prévus dans le bail principal, en tant que droits, recours et intérêts du cessionnaire en qualité de sous-preneur;

tous les engagements et les accords du bailleur prévus dans le bail principal, en tant qu'obligations de Sussex à titre de sous-bailleur, en faveur et au profit du cessionnaire en qualité de sous-preneur;

dans la même mesure et avec le même effet que si l'ensemble du bail principal de l'appartement (à l'exception du dernier jour de sa durée) avait englobé la cession à la place de ses modalités initiales, et si Sussex avait été le bailleur et le cessionnaire avait été le preneur de ce bail, tel qu'il est modifié par la présente convention.

La cession ainsi modifiée constitue un sous-bail et est appelée ci-après le “ bail ”.

[18] Le bureau provincial d’enregistrement des droits immobiliers a refusé d'enregistrer les conventions de modification. L'appelante et Capital Construction Supplies Ltd. ont présenté une requête à la Cour suprême de la Colombie-Britannique en vue d'obtenir une ordonnance qui obligerait les registrateurs aux bureaux d’enregistrement des droits immobiliers de Vancouver et de New Westminster à enregistrer les conventions de modification. Lorsque l'affaire est parvenue devant le juge Collver de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, les registrateurs concernés n'ont pas comparu, bien que la requête leur eût été dûment signifiée.

[19] Le juge Collver a rendu l'ordonnance suivante le 31 mars 1992 :

[TRADUCTION]

LA COUR DÉCLARE QUE les documents décrits comme étant des cessions et des baux modifiés par les conventions de modification portant les numéros AE13837 à AE13908, AE15218 à AE15249 et AE24011 à AE24023 qui ont été déposées pour enregistrement au bureau d’enregistrement des droits immobiliers de New Westminster ont été rectifiés de sorte qu'ils sont maintenant des sous-baux.

LA COUR ORDONNE que le registrateur du bureau d’enregistrement des droits immobiliers de New Westminster, sans préjudice des droits acquis de bonne foi pour une contrepartie, sur présentation d'une copie certifiée de la présente ordonnance, enregistre la série de documents portant les numéros AE13837 à AE13908, AE15218 à AE15249 et AE24011 à AE24023, et ce, à titre de modification des cessions de baux mentionnés dans ladite série de documents, de façon que celles-ci constituent maintenant des sous-baux.

[20] Cette ordonnance visait 63 des 129 cessions. Quarante-neuf conventions de modification additionnelles ont été enregistrées après que l'ordonnance eut été rendue sans qu'il soit nécessaire de présenter une demande à la cour.

[21] Dix-sept des cessions initiales n'ont pas été modifiées. L'appelante concède qu'elle ne peut obtenir gain de cause à leur égard.

[22] L'appelante a disposé des 83 appartements qui restaient au moyen de sous-baux dont la date d'expiration prévue était le 30 décembre 2087, soit la veille de l'expiration du bail principal. Par conséquent, l'appelante a retenu un droit de réversion d'un jour sur ces 83 baux. La contrepartie, décrite comme étant la valeur réelle, a été payée lors de la signature du contrat. Contrairement aux 129 cessions précédentes, qui ont été qualifiées de cessions, les documents se rapportant au groupe de 83 appartements étaient qualifiés de “ baux ”.

[23] Pour la totalité des 212 opérations, l'entente qui a précédé le transport officiel était décrite comme étant une [TRADUCTION] “ offre d'achat du domaine à bail ”. Je ne crois pas que cela ait une importance quelconque. La question essentielle à trancher est celle de la nature du rapport entre les parties aux termes de documents décrits comme des baux ou des cessions de bail.

[24] Pour établir les cotisations, le ministre du Revenu national a considéré la totalité du produit de 9 106 890 $ et de 3 491 410 $ reçu par l'appelante en 1989 et en 1990 comme un revenu d'entreprise pour l'année où il a été reçu. Il a admis comme étant le coût des baux les montants de 6 860 997 $ et de 2 243 817 $, c'est-à-dire la partie du loyer de 9 592 910 $ payé d'avance par l'appelante, qui était attribuable aux appartements dont elle avait disposé dans chaque année. Il a également considéré comme faisant partie du coût des baux des montants de 1 452 106 $ et de 585 401 $ passés en charges par l'appelante en 1989 et en 1990 respectivement. Ces montants représentaient le coût des travaux de préparation des appartements en vue de leur disposition, les coûts de la disposition tels les réparations, la publicité, les commissions d’agent immobilier, les frais juridiques, l’achat de réductions d'intérêt hypothécaire et les frais du bureau des ventes.

[25] Il n'est pas étonnant que le répartiteur ait considéré que ces opérations étaient pour l'essentiel des ventes et non des locations. La campagne de publicité menée par l'appelante par l'intermédiaire d'un agent immobilier se spécialisant dans la vente de condominiums présentait les choses comme s’il s’agissait de la vente d'intérêts francs. On ne parlait ni de cessions de baux ni de sous-baux. Dans ses états financiers, l'appelante a inscrit le profit comme un gain réalisé lors de la vente d'intérêts à bail. Le répartiteur n'a établi aucune distinction entre une cession de bail et un sous-bail.

[26] Je ne vois aucune raison d'appliquer quelque vague principe de primauté de la “ substance économique ” sur la forme.

[27] Dans l'affaire Continental Bank of Canada et al. v. The Queen, 94 DTC 1858, à la page 1871, j'ai résumé ainsi mon opinion de la doctrine de la primauté de la substance sur la forme :

Le principe qu'il faut dégager de ces précédents est simplement qu'on ne peut changer aux fins de l'impôt sur le revenu la nature essentielle d'une opération en lui donnant un nom différent. C'est le véritable rapport juridique, et non le nom qu'on lui donne, qui importe. Inversement, le ministre ne peut pas dire au contribuable : “ Vous avez utilisé une structure juridique mais vous avez obtenu le même résultat économique que celui que vous auriez obtenu si vous aviez employé une autre structure. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de la structure que vous avez utilisée et je vais vous traiter comme si vous aviez employé l'autre structure ”.

[28] Une fois qu'il est déterminé que les rapports juridiques sont ce qu'ils sont censés être, le tribunal doit leur donner effet. J'estime que les rapports juridiques dans la présente affaire sont valables, lient les intéressés et sont réels. Ils n'étaient certainement pas des trompe-l'oeil.

[29] Dans l'arrêt Continental Bank Leasing Corporation v. The Queen et al., 98 DTC 6506, aux pages 6513 et 6514, le juge Bastarache (avec qui les autres membres de la Cour suprême du Canada ont convenu sur ce point) a dit :

Une fois qu'il est jugé que la théorie du trompe-l'oeil ne s'applique pas, il est nécessaire d'examiner les documents qui constatent l'opération pour déterminer si les parties ont satisfait aux conditions de création de l'entité juridique qu'elles entendaient créer. La démarche appropriée est énoncée dans l'arrêt Orion Finance Ltd. c. Crown Financial Management Ltd., [1996] 2 B.C.L.C. 78 (C.A.), à la p. 84 :

[TRADUCTION] La première étape consiste à déterminer si les documents constituent un trompe-l'oeil destiné à masquer l'accord véritablement intervenu entre les parties. Si oui, le tribunal doit faire abstraction du langage trompeur employé par les parties pour tenter de dissimuler la véritable nature de l'opération qu'elles ont conclue et il doit tenter, à l'aide de preuves extrinsèques, de découvrir quelle était la véritable opération. On ne prétend pas, en l'espèce, que l'un ou l'autre des documents constituait un trompe-l'oeil. On ne soutient pas non plus que les parties se sont écartées de ce qu'elles avaient convenu dans les documents, de telle sorte qu'elles devraient être considérées comme ayant, de par leur comportement, convenu de quelque nouvel accord.

Une fois qu'il est accepté que les documents reflètent véritablement l'opération intervenue entre les parties, on dégage la qualification juridique appropriée de celle-ci en interprétant les documents. Il ne s'ensuit pas que les termes retenus par les parties sont nécessairement déterminants. La substance de l'accord dont ont convenu les parties doit être dégagée du libellé employé, mais la qualification d'un document est déterminée par l'effet juridique qu'il est censé avoir; lorsque, suivant une interprétation appropriée, l'effet du document dans son ensemble est incompatible avec la terminologie employée par les parties, le libellé inapproprié doit céder le pas à la substance.

[30] Il est bien établi en droit qu'il existe une différence juridique fondamentale entre la cession d'un bail, où le cédant ne conserve aucun droit de réversion, et le sous-bail, où le preneur sous-loue pendant une partie de la durée du bail à un sous-preneur et conserve un droit de réversion. Cette différence est exposée succinctement par Anger et Honsberger dans Law of Real Property, deuxième édition, aux pages 259 et 260 :

[TRADUCTION]

En raison des différences qui existent entre les rapports juridiques créés par la cession d'un bail, d'une part, et ceux qui découlent d'un sous-bail, d'autre part, la distinction entre les deux doit être soigneusement notée. Lorsqu'un locataire conclut un bail avec un propriétaire, il y a connexité de domaine (et connexité contractuelle entre les deux puisque le bail est à la fois une cession et un contrat). Lorsque le locataire cède le bail à un tiers, le cessionnaire devient le locataire du propriétaire, de sorte qu'il y a entre les deux connexité de domaine. S'il y a aussi connexité contractuelle, tous les engagements ont force obligatoire. S'il y a connexité de domaine, mais aucune connexité contractuelle, seuls les engagements qui se rapportent au bien-fonds ont force obligatoire. S'il n'y a ni connexité de domaine ni connexité contractuelle, aucun engagement n’a force obligatoire, à l'exception des engagements restrictifs qui portent sur le bien-fonds et du droit d'un cessionnaire de faire exécuter l'engagement dans certains cas. Par conséquent, dans le cas d'une cession, les engagements qui se rapportent au bien-fonds ont force obligatoire en ce qui concerne le cessionnaire et le propriétaire.

Un sous-bail ne crée aucun lien direct entre le sous-locataire et le propriétaire. Il n'y a donc ni connexité de domaine ni connexité contractuelle entre eux. À la place, dans le cas du locataire principal et du sous-locataire, le locataire principal assume le rôle de propriétaire vis-à-vis de son sous-locataire, tout en conservant son rôle de locataire vis-à-vis de son propre propriétaire.

Il a été déterminé qu'un “ sous-bail ” pour la durée entière constitue une cession, et non un sous-bail, puisque le locataire initial ne conserve aucun droit de réversion susceptible d'étayer une relation de tenure entre lui-même et le tiers. En d'autres termes, pour créer un sous-bail valide, en dépit des termes utilisés, le locataire doit conserver un droit de réversion sur le dernier jour de la durée initiale de son bail. [Notes en bas de page omises.]

[31] La distinction faite entre la cession et le sous-bail sur le plan juridique se traduit également par une distinction sur le plan fiscal. La cession de la durée entière est une disposition d'un bien et la contrepartie versée constitue un revenu ou un gain en capital, selon les circonstances. Dans la présente affaire, compte tenu de l'entreprise de l'appelante et de la campagne de publicité qu'elle a menée, les montants reçus lors des dispositions sont évidemment des revenus et personne ne prétend le contraire. Les montants reçus au titre du sous-bail d'un bien sont des loyers et, le loyer qui est payé pour toute la période du sous-bail au début de cette période, comme c’était le cas en l'espèce, doit être inclus dans le revenu aux termes de l'alinéa 12(1)a), qui est ainsi libellé :

Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, les sommes appropriées suivantes :

Services, etc., à rendre.— toute somme reçue au cours de l'année par le contribuable dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise

au titre de services non rendus ou de marchandises non livrées avant la fin de l'année ou qui, pour toute autre raison, peut être considérée comme n'ayant pas été gagnée durant cette année ou une année antérieure, ou

qui, en vertu d'un arrangement ou d'une entente, est remboursable en totalité ou en partie lors du renvoi ou de la revente au contribuable d'articles dans lesquels ou au moyen desquels des marchandises ont été livrées à un client.

[32] Bien que l'alinéa 12(1)a) ne parle pas explicitement de loyer, je crois que le loyer y est visé et que les termes qui suivent “ pour toute autre raison ” ne doivent pas être interprétés ejusdem generis. C’est ce que j’infère de l'alinéa 20(1)m), dont le libellé est le suivant :

20 (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

[...]

Provision relative à certaines marchandises et à certains services. — sous réserve du paragraphe (6), lorsque des sommes visées à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour l'année ou une année antérieure, une somme raisonnable à titre de provision dans le cas

de marchandises qui, selon ce qui est raisonnablement prévu, devront être livrées après la fin de l'année,

de services qui, selon ce qui est raisonnablement prévu, devront être rendus après la fin de l'année,

de périodes pour lesquelles le loyer ou d'autres sommes relatives à la possession ou à l'usage d'un fonds de terre ou de biens meubles, ont été payées à l'avance, ou

de remboursements en vertu d'arrangements ou d'ententes de la catégorie visée au sous-alinéa 12(1)a)(ii), qui, selon ce qui est raisonnablement prévu, devront être faits après la fin de l'année sur remise ou revente au contribuable d'articles autres que des bouteilles.

[33] Il est clair que le sous-alinéa 20(1)m)(iii) est fondé sur l'hypothèse selon laquelle l'alinéa 12(1)a) englobe le loyer pour les périodes qui suivent l'année où il a été reçu.

[34] Il y a quatre catégories d'opérations qu’il faut examiner :

les 17 cessions initiales qui n'ont pas été modifiées : l'appelante concède qu'elle n'a droit à aucune mesure de redressement à leur égard, et il n'y a rien à ajouter à leur sujet;

les 83 sous-baux dans lesquels un droit de réversion d'un jour a été réservé à l'appelante : je ne vois aucune raison de faire abstraction de la forme ou de l'effet juridique des opérations qu'englobent ces sous-baux. À mon avis, les montants représentent le loyer payé d'avance qui doit être inclus dans le revenu aux termes de l'alinéa 12(1)a). Par conséquent, l'appelante a droit à une provision conformément au sous-alinéa 20(1)m)(iii).

Les 112 opérations qui restent et qui ont fait l'objet de conventions de modification se divisent elles-mêmes en deux catégories :

celles, au nombre de 63, qui étaient visées par l'ordonnance du juge Collver et qui ont été enregistrées au bureau d’enregistrement des droits immobiliers conformément à cette ordonnance;

celles, au nombre de 49, qui, après l'ordonnance du juge Collver, ont été enregistrées au bureau d’enregistrement des droits immobiliers sans être visées expressément par une ordonnance d’une cour.

[35] Je me pencherai en premier lieu sur les 63 opérations visées par l'ordonnance de la cour. Quelles qu'aient pu être les conséquences juridiques des conventions de modification, les opérations n'étaient pas purement contractuelles. Elles étaient également appuyées par l'ordonnance d'une cour supérieure. De façon générale, les conventions de modification ont eu pour effet de convertir des cessions de baux faites avant environ le mois de février 1989 en des sous-baux. Il n'est pas clair à quel moment exactement les conventions de modification ont été signées. L'“ erreur ” a été découverte en janvier ou février 1989, et par la suite les opérations ont revêtu la forme de sous-baux. Cette erreur semble avoir consisté dans l’omission de se rendre compte des conséquences fiscales fort différentes d'une cession (plein assujettissement à l'impôt immédiatement) et d'un sous-bail (étalement, sur toute la durée du sous-bail, de la reconnaissance, aux fins fiscales, du loyer payé d'avance). Je n'accorde aucune importance au fait que les conventions de modification ont été conclues uniquement pour tenir compte des besoins de l'appelante en matière fiscale. Aucune autre raison n'est apparente. Il s'agit de déterminer l'effet sur le plan juridique des mesures prises par les parties, et non la raison pour laquelle elles ont été prises.

[36] Dans l'affaire Dale et al. v. The Queen, 94 DTC 1100, j'ai conclu qu'une ordonnance de consentement rendue par une cour de la Nouvelle-Écosse en 1992 ne pouvait rétroactivement modifier les conséquences fiscales d'un événement qui s'était produit en 1985 relativement au registre des actionnaires d'une compagnie qui était à l'époque assujettie aux lois de l'Île-du-Prince-Édouard. La Cour d'appel fédérale (97 DTC 5252) a adopté un point de vue contraire et je suis lié par cette décision.

[37] Je citerai quelques passages tirés des motifs du juge Robertson, qui s'exprimait pour la majorité, à la page 5255 :

Pour déterminer si une opération juridique sera reconnue aux fins de l'impôt, il faut examiner le droit du ressort où l'opération est effectuée. Souvent, cette décision sera prise sans l'aide de précédents traitant exactement de la même question et, par conséquent, l'effet d'une opération peut dépendre uniquement de l'application appropriée de principes généraux de common law et d'equity. Dans certains cas, la Cour de l'impôt devra interpréter les lois d'une province. Quant au ministre, il doit accepter les résultats juridiques qui découlent de l'application appropriée des principes de common law et d'equity, de même que l'interprétation des dispositions législatives. Ceci m'amène à la question de savoir si le ministre est lié par une ordonnance émise par une cour supérieure, ordonnance qui a ses origines dans l'interprétation et l'application des dispositions d'une loi provinciale.

Devant l'instance inférieure, le ministre a fait valoir que l'ordonnance de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse liait peut-être les contribuables et la Dale Corporation, mais pas lui. Le juge Bowman a rejeté cet argument, à mon avis à bon droit, mais il a poursuivi son raisonnement en indiquant qu'une ordonnance ayant prétendument un effet rétroactif “ ne peut créer une situation applicable à une année antérieure qui n'existait pas en fait ” (page 1112, version française, p. 27, 92-2503(IT)G). Selon mon interprétation de ces motifs, cela est d'autant plus vrai que la Cour de la Nouvelle-Écosse agissait en vertu des dispositions de la Companies Act de cette province. L'avocat des contribuables s'appuie maintenant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594, pour faire valoir que le ministre et la Cour de l'impôt sont liés par l'ordonnance de la Nouvelle-Écosse. Cette décision pose la règle générale selon laquelle une ordonnance d'une cour supérieure ne peut être attaquée indirectement à moins d'avoir été légalement infirmée. Dans l'arrêt Wilson, la Cour suprême devait déterminer si un juge d'une cour provinciale pouvait vérifier un mandat de perquisition apparemment valide d'une cour supérieure et conclure à l'irrecevabilité de la preuve obtenue en vertu de ce mandat. Dans l'énoncé de ses motifs, la Cour suprême a fait quelques déclarations générales de droit concernant l'effet obligatoire des ordonnances émises par les cours supérieures.

Le premier principe affirme que le dossier d'une cour supérieure doit être considéré comme “ la vérité absolue tant qu'il n'a pas été infirmé ” (le juge McIntyre, page 599, citant le juge Monnin de la Cour d'appel du Manitoba). Deuxièmement, une ordonnance qui n'a pas été annulée doit être appliquée intégralement (page 604). Troisièmement, l'ordonnance a force exécutoire pour tous (page 601, citant le juge Bird dans Canadian Transport (U.K.) Ltd. v. Alsbury, [1953] 1 D.L.R. 385 (C.A.C.-B.), page 418). Quatrièmement, une attaque indirecte est réputée englober des procédures autres que celles visant précisément à obtenir l'infirmation ou l'annulation de l'ordonnance. [...]

Il me semble tout simplement logique de soutenir qu'un tribunal refuserait de rendre une ordonnance rétroactive qui aurait pour effet juridique manifeste de réécrire l'histoire fiscale. En supposant qu'une telle ordonnance soit rendue, il serait tout à fait approprié de se demander si le ministre a le droit de ne pas en tenir compte aux fins de l'imposition. On pourrait être tenté d'autoriser une attaque de cette ordonnance pour des fins de révisionnisme fiscal dans les cas où l'on peut démontrer que l'ordonnance a été obtenue par fausse déclaration ou par non-divulgation de renseignements pertinents. Très vraisemblablement, les ordonnances révisionnistes seront obtenues par consentement, ou dans des circonstances où il est probable que les ramifications fiscales de l'ordonnance n'ont pas été exposées clairement au juge, ou lorsque le juge est manifestement sympathique à la cause du contribuable. Deux décisions antérieures à la décision Wilson illustrent adéquatement ce scénario de sympathie judiciaire : voir Bently c. Canada (M.R.N.), 54 DTC 510 (C.A.I.) et Hobbs c. Canada (M.R.N.), 70 DTC 1744 (C.A.I.). Dans les deux cas, il n'y avait manifestement pas de fondement légal, d'origine législative ou autre, pour délivrer les ordonnances à effet rétroactif qui avaient été demandées. En supposant, sans se prononcer sur ce point, que ces décisions tombent sous le coup de la catégorie d'exceptions reconnues dans l'arrêt Wilson, on peut facilement établir une distinction avec l'appel en l'espèce.

D'après les faits de l'espèce, la Cour de la Nouvelle-Écosse a accordé le 25 juin 1992 une ordonnance fondée sur l'article 44 de la Companies Act de la Nouvelle-Écosse. À mon avis, toute objection alléguant que la Cour n'avait pas compétence pour délivrer cette ordonnance est sans aucun fondement. Si la législature d'une province autorise ses tribunaux à déclarer que des événements passés sont réputés s'être produits à une date antérieure, alors le ministre n'a pas le pouvoir de saper l'autorité de la loi en refusant de reconnaître l'effet manifeste de cet événement réputé. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas disposé à admettre que l'article 44 a l'effet révisionniste que lui prête le ministre. Il ne s'agit pas d'un cas où une ordonnance judiciaire déclare que des actions sont réputées avoir été émises alors qu'en fait elles ne l'ont pas été. Il s'agit plutôt d'un cas où les actions ont été émises, mais pas d'une façon valable tant que les lettres patentes supplémentaires n'ont pas été obtenues de l'Île-du-Prince-Édouard ou que la Cour de Nouvelle-Écosse n'a pas rendu l'ordonnance du 25 juin 1992. Après tout, personne n'a fait valoir que l'émission des actions était nulle et, bien entendu, cet argument n'aurait pu être soutenu.

Je fais une petite digression pour souligner que, bien que la common law puisse considérer l'émission des actions comme étant sans effet, un résultat différent pourrait être obtenu en equity concernant la validité de l'émission des actions entre les contribuables et la Dale Corporation. Autrement dit, il se pourrait fort bien qu'en equity l'émission des actions soit considérée comme valide. La maxime “ l'equity considère que ce qui aurait dû être fait, l'a été effectivement ” est d'une certaine importance. Celle-ci ressort clairement de l'arrêt de principe Walsh v. Lonsdale (1882) 21 Ch.D. 9. Depuis cette décision, des ententes à titre onéreux imparfaites ont souvent été considérées comme si elles avaient été exécutées au moment où elles auraient dû l'être, aboutissant ainsi aux mêmes conséquences que si elles avaient été intégralement accomplies : voir P.V. Baker et P. St. J. Langan, Snell's Principles of Equity (Londres : Sweet & Maxwell, 1982), page 41. Je ne m'étendrai pas plus longtemps sur ce point, étant donné qu'il n'a pas été soulevé au débat.

[38] Le juge Robertson a ensuite exposé les raisons pour lesquelles il n'était pas d'accord avec le juge Pratte, dissident, qui a conclu qu'une cotisation doit être fondée sur les faits qui existaient à la fin de l'année d'imposition. Il écrit à la page 5257 :

Mon collègue le juge Pratte est également d'avis que l'ordonnance de la Nouvelle-Écosse ne peut être attaquée indirectement. Néanmoins, il conclut que le ministre n'est pas lié par cette ordonnance au motif qu'on ne peut tenir compte des ordonnances se fondant sur des faits qui se sont produits après la fin de l'année d'imposition. Cette affirmation découle logiquement de la prémisse posée antérieurement par le juge Pratte selon laquelle lorsque la cotisation établie par le ministre est portée en appel, alors la justesse et la validité de cette cotisation doivent être décidées d'après les faits qui existaient à la fin de l'année d'imposition. Ainsi, si le ministre ne peut tenir compte de faits qui se sont produits en dehors de l'année d'imposition pour établir sa cotisation, alors il ne peut pas non plus prendre en compte les ordonnances se fondant sur de tels faits. En l'espèce, le juge Pratte note que la Dale Corporation est devenue une société de la Nouvelle-Écosse, avec un capital-actions accru, et que ses actionnaires ont ratifié l'émission des actions privilégiées avant et après la prorogation de la société dans cette province. Certains de ces événements ont manifestement eu lieu en dehors de l'année d'imposition pertinente. Ainsi, le juge Pratte indique dans son raisonnement que l'ordonnance du 25 juin 1992 se fondait sur une preuve de faits qui n'ont pas à bon droit été pris en compte pour les fins de l'imposition.

J'ai de la difficulté à accepter l'analyse précitée premièrement parce que la probabilité que l'on puisse trouver une ordonnance ayant été délivrée sans que le requérant s'appuie sur des faits ultérieurs est très mince. Par exemple, il n'aurait pas été déraisonnable pour la Cour de la Nouvelle-Écosse d'insister, en 1992, pour que les actionnaires existants ratifient l'émission des actions privilégiées, comme ils l'ont d'ailleurs fait, étant donné la nature de l'ordonnance demandée. On peut présumer que l'objet de la ratification était double : s'assurer que la situation qui prévalait le 31 décembre 1985 existait toujours le 25 juin 1992 et qu'aucun actionnaire, à cette dernière date, ne subirait de préjudice du fait de l'ordonnance ex parte demandée. S'il avait été nécessaire pour les contribuables de rechercher une exécution directe, ils auraient certainement dû établir que l'octroi d'un tel redressement n'entraînait aucun préjudice pour les actionnaires existants. À mon avis, exiger que les ordonnances rétroactives ne soient pas fondées sur des faits qui se sont produits après la fin de l'année d'imposition, si l'on veut que de telles ordonnances aient un effet quelconque dans les instances en matière de fiscalité, revient à restreindre indûment leur efficacité et à donner au ministre des moyens beaucoup plus efficaces de contourner la règle interdisant les attaques indirectes. Finalement, j'ai de sérieuses réserves au sujet de l'adoption d'une règle inflexible exigeant que les faits soient établis avant la fin de l'année d'imposition. Je préfère remettre à plus tard l'examen de cette question.

[39] Je le répète, je suis lié par la décision rendue dans l'affaire Dale; je suis lié tant par son fondement que par les principes généraux qu’elle énonce[2]. Il ne conviendrait pas que je tente de saper son effet en faisant des distinctions subtiles et en formulant des objections fallacieuses. Insister sur le fait que, dans l'affaire Dale, l'ordonnance de la cour néo-écossaise disait avoir un effet rétroactif alors que l'ordonnance du juge Collver ne dit pas aussi clairement avoir un effet rétroactif, reviendrait à faire une telle distinction subtile. Je crois cependant que, si on lit l'ordonnance et les conventions de modification ensemble, il est évident que les parties aux conventions ont voulu que les documents appelés “ cessions ” soient considérés dès le départ comme des sous-baux. Toute autre conclusion signifierait que les cessionnaires rétrocédaient à l'appelante un droit de réversion d'un jour. Bien qu'un tel résultat ne soit pas impossible en droit, il s'agit d'une conclusion fort peu probable et forcée.

[40] En ce qui concerne le reste des opérations, au nombre de 49, j'aurais cru qu'il était impossible de réécrire l'histoire fiscale simplement au moyen d'une convention, compte tenu des propos suivants tenus par le juge Rowlatt dans l'affaire Waddington v. O'Callaghan (1931), 16 T.C. 187, aux pages 197 et 198 :

[TRADUCTION]

Je ne crois pas avoir besoin de vous entendre, M. Hills. Il s'agit à mon avis d'un cas simple. Il ne fait aucun doute quant à la situation de droit telle que je la comprends. Lorsque des personnes concluent un contrat de société et déclarent qu'elles seront des associés à compter d'une date antérieure à la date du contrat, cela n’a pas pour effet de les rendre des associés à compter de cette date antérieure. On ne peut modifier le passé de cette façon. Elles sont donc des associés à compter de la date du contrat, mais elles doivent alors prendre en considération les comptes à partir de la date à laquelle il est prévu dans le contrat qu'elles deviennent des associés. Il n'y a absolument aucun doute que c'est là le seul effet possible d'un tel contrat. Aucun contrat ne peut modifier le passé, mais, évidemment, il est tout à fait possible qu'avant que le contrat soit signé, les associés aient en fait exploité une entreprise comme des associés, ce qui donnerait lieu à des comptes de société et à des dettes de société, et ainsi de suite. Lorsque le contrat est signé et qu’il se veut applicable à une période antérieure, cela signifie que les stipulations du contrat relatives aux droits et aux comptes de la société doivent remplacer les droits acquis dans le cadre de la société qui existait dans les faits avant la date du contrat. Tout cela est parfaitement clair et tout à fait simple.

[Je souligne.]

[41] Bien qu'un certain nombre des déclarations tirées de l'arrêt Dale et reproduites précédemment puissent en théorie étayer la proposition selon laquelle la Cour canadienne de l'impôt peut et, en fait, doit prendre en considération les conventions de modification ayant pour but de faire en sorte que les cessions soient des sous-baux, et ce, depuis le début, je crois plutôt qu’il convient de privilégier le point de vue suivant lequel ce serait pousser trop loin le principe énoncé dans l'arrêt Dale que de l'appliquer à un révisionnisme fiscal convenu par contrat sans le bénéfice d'une ordonnance d’une cour.

[42] L'appelante a donc droit à la provision prévue à l'alinéa 20(1)m) relativement à 63 des 129 sous-baux ainsi qu'aux 83 sous-baux qui ont été conclus comme tels initialement.

[43] Par conséquent, les appels sont admis avec frais et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les présents motifs.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 1998.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de septembre 1999.

Erich Klein, réviseur



[1]               Aucune explication n'a été donnée sur la disparition de Westsea Construction Ltd., l'autre bailleur dans le bail principal, mais cet élément ne paraît pas être particulièrement pertinent en l'espèce.

[2]               Pour une analyse éclairante de la doctrine de stare decisis, voir le jugement du protonotaire Funduk dans South Side Woodwork v. R.C. Contracting et al. (1989), 95 A.R. 161, aux pages 166 et 167, paragraphes 51 et 53.

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