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Date: 19980211

Dossier: 96-733-GST-I

ENTRE :

FLYNN, RIVARD,

SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(lus à l’audience le 17 octobre 1997 à Québec (Québec))

Le juge Pierre Archambault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel, interjeté sous le régime de la procédure informelle, d'une cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (Loi). La cotisation, portant le numéro 0212439, a été établie par le ministre du Revenu national (ministre) relativement à la période du 1er janvier 1991 au 31 juillet 1994. Par cette cotisation, le ministre a augmenté à 44 598,55 $ le montant de la taxe sur les produits et services (TPS) dû par Flynn, Rivard (FR). Le ministre a également imposé des intérêts et pénalités s'élevant à 4 573,62 $ et à 4 950,42 $ respectivement.

[2] Le procureur de FR a informé la Cour qu'il ne contestait pas le montant de la TPS ni celui des intérêts. Par contre, il soutient que la pénalité devrait être annulée parce que FR a fait preuve de diligence raisonnable en s’acquittant de ses obligations aux termes de la Loi.

Faits

[3] Les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir la cotisation sont énoncés comme suit au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel :

En cotisant l'appelante, le ministre s'est notamment fondé sur les conclusions et les hypothèses de faits suivants:

a) l'appelante est un inscrit aux fins de l'application de la TPS;

b) pour la période du 1er janvier 1991 au 31 juillet 1994, l'appelante a fait l'objet d'une vérification;

c) cette vérification révéla notamment que l'appelante avait:

i) omis de verser à l'intimée de la TPS;

ii) réclamé et déduit des crédits de taxe sur intrants ( « CTI » )        inadmissibles;

iii) omis de réclamer et de déduire des CTI admissibles;

d) conséquemment, le ministre a dû procéder à des rajustements se rapportant aux éléments TPS et CTI suivants:

i) montant de TPS remis au titre de la taxe

de vente du Québec 6 106,95 $

ii) TPS perçue mais non remise 367,38 $

iii) CTI inadmissibles sur frais de représentations 402,68 $

iv) CTI réclamés en double relatifs à des

appels interurbains 16 497,19 $

v) CTI inadmissibles relatifs

à des photocopies 30 630,75 $

vi) CTI admissibles non réclamés 9 406,40 $

e) ces rajustements se sont traduits par une augmentation de la taxe nette due par l'appelante au montant de 44 598,55 $ s'établissant comme suit:

TPS:

6 106,95 $ +

367,38 6 474,33 $

CTI:

30 630,75 $ +

16 497,19 +

402,68

47 530,62 $ -

9 406,40 38 124,22

Total des rajustements 44 598,55 $

f) la taxe nette rajustée pour la période vérifiée au montant de 44 598,55 $ a généré des intérêts de 4 573,62 $ et des pénalités de 4 950,42 $;

g) l'omission de remettre le montant de la taxe nette révisée établie par vérification ne découlait pas d'une situation extraordinaire indépendante de la volonté de l'appelante mais d'erreurs commises par elle ou ses préposés.

[4] Monsieur Louis-Marc Dionne a été le seul à témoigner à l'audience pour le compte de FR. Il a expliqué que, à la suite de l'adoption de la TPS, FR avait retenu les services de ses comptables et d'un programmeur en informatique pour modifier son système informatique de façon à ce que ce système calcule automatiquement le montant de la TPS et celui du crédit de taxe sur les intrants (CTI).

[5] Ses comptables auraient préparé un texte d'environ dix pages décrivant la marche à suivre. Selon M. Dionne, il existait de la confusion et de l'incertitude quant au traitement fiscal des travaux en cours et on aurait consulté des représentants du ministre, des publications de ce dernier et même le fiscaliste du cabinet.

[6] Lors de la vérification du ministre, on a constaté que des CTI avaient été réclamés en double pour des frais relatifs à des photocopies et à des appels interurbains. Comme FR facturait ces deux types de débours à ses clients, le système informatique calculait apparemment automatiquement des CTI à l'égard des deux. Or, un CTI était aussi réclamé à l'égard des frais engagés au titre des fournitures et des services acquis pour produire les photocopies, soit notamment les frais de papier, les frais de location de photocopieur et les frais d’appels interurbains, à savoir ceux payés à la société de téléphone. M. Dionne a évidemment reconnu rapidement que FR ne pouvait réclamer qu'un seul CTI et non deux à l'égard de ces débours.

[7] Lors de son témoignage, le vérificateur du ministre a fait remarquer à la Cour que durant la période de janvier à juillet inclusivement de l'année 1991, FR n'avait pas fait ce genre d'erreur, même si des frais de photocopies et d'appels interurbains avaient été facturés aux clients de FR.

[8] Quant aux modifications apportées au calcul des CTI au titre des frais de représentation, le ministre a réduit le pourcentage du prix des billets de hockey utilisé pour le calcul des CTI, le ramenant de 100 % à 80 % ou à 50 %, selon ce que la Loi prescrivait durant la période pertinente. Aucune explication n'a été fournie par M. Dionne relativement à cette erreur de FR.

[9] Quant à la question du montant relatif à la TPS qui a été remis comme taxe de vente du Québec (TVQ) et du montant des CTI admissibles non réclamés, il s'agit d'erreurs de traitement par FR. En effet, il y a eu confusion en ce qui concerne la TPS et la TVQ. Le montant qui devait être déclaré comme TPS a été déclaré comme TVQ et le montant qui devait être déclaré comme TVQ a été déclaré comme TPS. Aucune explication n'a été fournie par M. Dionne relativement à ces erreurs.

Analyse

[10] Il existe présentement une controverse quant à l'application de l'article 280 de laLoi et plus particulièrement quant à l'application de la pénalité prévue à l'alinéa 280(1)a) de la Loi. Cet alinéa se lit comme suit :

280(1) Sous réserve du présent article et de l'article 281, la personne qui ne verse pas ou ne paie pas un montant au receveur général dans le délai prévu par la présente partie est passible de la pénalité et des intérêts suivants, calculés sur ce montant pour la période commençant le lendemain de l’expiration du délai et se terminant le jour du versement ou du paiement:

a) une pénalité de 6% par année;

b) des intérêts au taux réglementaire.

[11] Certains juges de cette Cour croient qu'un contribuable peut opposer une défense de diligence raisonnable à cette pénalité. Dans Pillar Oilfield Projects Ltd. v. The Queen, 94 GTC 1005, le juge Bowman s'est inspiré des commentaires du juge Dickson dans La Reine c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, une affaire criminelle, pour affirmer, à la page 1011:

In my opinion the penalties imposed under subsection 280(1) of the Excise Tax Act fall under the second category described by Dickson J. They involve “strict” as opposed to “absolute” liability and are susceptible of being challenged where the taxpayer demonstrates due diligence.

[12] Il s'est expliqué ainsi à la page 1008 :

Although Mr. Justice Dickson was dealing with “offences” I can see no reason in principle for not extending his analysis to administratively imposed penalties as well. A penalty, as the name implies, is a form of punishment. It is, I think, contrary to ordinary concepts of fairness that a taxpayer should be penalized for a failure to observe a statutory provision or to calculate tax correctly if that taxpayer demonstrates that even with the exercise of due diligence the mistake was unavoidable.

[Note infra-paginale omise.]

[13] Toutefois, il existe une autre école de pensée. Notamment, le juge Sarchuk dans Kornacker v. The Queen, 96 GTC 3057, dit qu’il ne croit pas qu'il existe une défense de diligence raisonnable et il affirme, à la page 3059:

The interest and penalty sections of the Income Tax Act, more specifically subsections 161(1) and 162(1) have been considered by the Courts on a number of occasions. The language used in those sections is quite similar to that found in section 280 of the Excise Tax Act and the Courts have held, with respect to the income tax sections I referred to, that the legislative intent of those sections is obvious. The Courts have concluded that these subsections are substantive in nature and that the word “shall” in each is intended to be mandatory.

[...]

The word “shall” in section 280 of the Excise Tax Act is also intended to be mandatory. Thus when the conditions required are met the penalty and the interest must be imposed.

[14] La Cour d'appel fédérale a eu au moins deux occasions de trancher ce débat, tout d'abord dans Locator of Missing Heirs Inc. v. The Queen, 97 GTC 7167 et ensuite dans A.G. Canada v. 770373 Ontario Limited, Canadian GST and Commodity Tax Cases, 7030. Elle n'a jugé bon de le trancher dans ni l’une ni l’autre affaire. Dans la première, on a confirmé qu'il n'y avait pas eu diligence raisonnable et on a pris soin de noter, après avoir énoncé l’argument du ministre selon lequel une défense de diligence raisonnable n'existait pas à l'égard d'une pénalité administrative, que la Cour réservait sa décision sur ce débat pour un autre appel. La même approche a été adoptée dans la deuxième affaire, dans laquelle on a renvoyé le dossier à notre Cour parce qu'il n'y avait pas eu de preuve appuyant les conclusions du juge en faveur de l'application de cette défense.

[15] Tout récemment, dans Consolidated Canadian Contractors Inc. v. The Queen, 97 GTC 1074, le juge Bowman a conclu à nouveau que la pénalité prescrite à l’alinéa de 280(1)a) de la Loi devait être annulée en raison de la défense de diligence raisonnable, et je crois comprendre que le ministre a déposé à la Cour d'appel fédérale une demande de contrôle judiciaire en juin dernier. Il est donc possible que, dans l’affaire Consolidated, ladite Cour tranche finalement le débat.

[16] Pour les fins du présent appel, il n'est pas nécessaire de prendre position dans ce débat, car, même s'il existait en droit une telle défense, je n'ai pas été convaincu que FR a présenté une preuve suffisamment convaincante pour démontrer que l'erreur consistant à réclamer deux fois les mêmes CTI n'aurait pas pu être évitée malgré la diligence raisonnable de FR.

[17] Il faut noter que les juges de notre Cour qui ont retenu cette défense ont exigé un haut degré de preuve de diligence pour qu’ils puissent conclure à l’annulation de la pénalité. Dans la décision Pillar, précitée, le juge Bowman a affirmé à la page 1010: « Innocent good faith does not, however, amount to due diligence. »

[18] Dans Stafford, Stafford & Jakeman v. The Queen, 95 GTC 2033, 2035, le même juge déclarait :

...Due diligence involves more than merely accepting, without more, some oral advice that an assessor with the Department of National Revenue may have given them. The GST implications of building large apartment complexes form an important part of Part IX of the Excise Tax Act. It is not clear what the context was in which the question was put to the assessor.

[Je souligne.]

[19] Dans Emily Wong and David Wong v. The Queen, 96 GTC 3188, le juge Bowman ajoutait :

Due diligence is nothing more than the degree of care that a reasonable person would take to ensure compliance with the Act. It does not require perfection or infallibility. It does, however, require more than a casual inquiry of an official in the Tax Department. I have great sympathy for taxpayers struggling with a complex and difficult statute, particularly in the early years. But the words in the penalty section cannot be ignored completely. I do not think that a defence of due diligence has been made, although I accept that Mr. Wong acted honestly and in good faith.

[Je souligne.]

[20] Dans Locator of Missing Heirs Inc. v. The Queen, 95 GTC 2135, le juge Bowman disait:

I do not think however that a due diligence defence has been made out. The appellant did not seek a ruling until October of 1993. That Mr. Howes was aware that there might be a problem is evident from the fact that he consulted counsel in May of 1991. It was not however reasonable for him to rely upon the letter of May 15, 1991 from his lawyer which I quoted above. The very nature of the appellant's business makes it apparent that Mr. Howes would have considerable familiarity with legal matters and with the ways in which lawyers give opinions or avoid giving opinions. The letter of May 15, 1991 is not an opinion. It is a first reaction to a legal problem coupled with a brief outline of some arguments that may be tried on. To rely on such a letter is not in my opinion due diligence.

[Je souligne.]

[21] Le juge Robertson, dans ses motifs confirmant cette décision du juge Bowman, a affirmé:

In my respectful view it is unrealistic to take issue with Judge Bowman's findings. Contrary to what the taxpayer asserts in its submissions, the effect of the Tax Court's ruling is not tantamount to requiring the taxpayer, in retrospect, to have incurred excessive fees for a more comprehensive legal opinion. Rather, my understanding of Judge Bowman's reasons simply places on the taxpayer an obligation to have sought a ruling from the Department in a more timely fashion.

[22] Dans White Rock Management Corp. v. The Queen, [1995] G.S.T.C. 50, le juge Sobier a adopté la même approche que le juge Bowman:

What the appellant did here was to talk to officials of Revenue Canada and the head of a real estate board. He did not consult with the Act or a lawyer. As Judge Bowman also said in Stafford, Stafford & Jakeman v. The Queen, [1995] G.S.T.C. 7, due diligence is not met if one merely makes enquiries of public officials.

[Je souligne.]

[23] Finalement, la juge Lamarre de cette Cour affirme ce qui suit dans 914115 Ontario Inc. v. The Queen, 97 GTC 1110:

Le fait pour l'appelante de ne pas interpréter la Loi de la même façon que le Ministre n'est pas une défense de diligence raisonnable dans la mesure où l'appelante peut se prévaloir d'une telle défense. Aucune autre preuve n'a été faite à ce sujet.

[24] Si j'applique cette approche aux faits de cet appel, on constate que la preuve est loin d'être suffisante pour démontrer que FR a agi avec diligence pour éviter que l’erreur se produise. Tout ce que FR allègue, c'est qu'elle a engagé des comptables qui ont préparé un document de dix pages pour décrire ce qu’elle devait faire, et un programmeur en informatique pour modifier son système pour que la TPS et les CTI soient calculés automatiquement.

[25] La preuve ne révèle pas à quoi les erreurs commises par FR sont attribuables. Est-ce que l’erreur d’avoir réclamé en double les CTI est attribuable aux comptables ou au programmeur? On ne le sait pas parce que le témoignage de M. Dionne a été très général, sinon évasif, sur cette question. On n'a fait témoigner ni les comptables, ni le programmeur, ni les membres du comité de mise en place de procédures de perception de la TPS, ni même l'avocat fiscaliste du cabinet, que l’on aurait consulté, pour éclairer la Cour sur les circonstances dans lesquelles l’erreur s’est produite. On n'a même pas produit le document de dix pages préparé par les comptables.

[26] Peut-on vraiment attribuer l'erreur au programmeur quand on constate que FR n'a pas réclamé en double des CTI pour la période de janvier à juillet 1991, pendant laquelle des frais de photocopies avaient pourtant été facturés à ses clients?

[27] Je ne peux pas imaginer que les comptables aient pu dire à FR qu’elle avait le droit de réclamer en double des CTI pour un même débours. Je ne peux pas imaginer non plus que cela ait pu constituer une source d'incertitude juridique quant à l'application de la Loi. En tout cas, aucun des comptables ayant conseillé FR n'est venu présenter des explications à la Cour.

[28] Dans Boisvert c. La Reine, [1995] E.T.C. 598, le juge Garon de cette Cour, qui avait à déterminer si des administrateurs avaient agi avec diligence pour que des retenues d'impôt effectuées à la source soient remises au ministre, a adopté, dans l'appréciation de la preuve d'une des parties à l'appel qui n’avait pas présenté certains témoignages qu'elle aurait pu présenter, l’approche suivante du juge Sarchuk:

...En l'absence d'explications, on est en droit de présumer que ces témoignages ne leur aient pas été favorables. À cet égard, j'aimerais me reporter à une décision de mon collègue le juge Sarchuk dans l'affaire Enns v. M.N.R., particulièrement au passage suivant, à la page 210. [La référence de cette décision est 87 DTC 208] :

In the Law of Evidence in Civil Cases, by Sopinka and Lederman, the authors comment on the effect of failure to call a witness and I quote:

In Blatch v. Archer, (1774), 1 Cowp. 63, at p. 65, Lord Mansfield stated:

It is certainly a maxim that all evidence is to be weighed according to the proof which it was in the power of one side to have produced, and in the power of the other to have contradicted.

The application of this maxim has led to a well-recognized rule that the failure of a party or a witness to give evidence, which it was in the power of the party or witness to give and by which the facts might have been elucidated, justifies the court in drawing the inference that the evidence of the party or witness would have been unfavourable to the party to whom the failure was attributed.

In the case of the plaintiff who has the evidentiary burden of establishing an issue, the effect of such an inference may be that the evidence led will be insufficient to discharge the burden.

[29] Ici, il incombait à FR de faire la preuve que, dans les circonstances de la présente affaire, elle avait agi avec diligence en s’acquittant de ses obligations aux termes de la Loi. Or, on n'a pas fait la démonstration — et j'utilise ici les mots du juge Bowman dans la décision Pillar, précitée — que les erreurs étaient inévitables, même avec une diligence raisonnable.

[30] Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Drummondville, Canada, ce 11e jour de février 1998.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

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