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Date: 19980922

Dossiers: 98-195-UI; 98-196-UI; 98-197-UI

ENTRE :

MARCEL PIGEON,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels concernant différentes périodes et où l’appelant a exécuté du travail pour des payeurs différents. Pour ce qui est du dossier 98-195(UI), les périodes en litige étaient du 9 octobre au 28 octobre 1995 et du 4 décembre 1995 au 28 septembre 1996 et les payeurs étaient M. Marcel Martin et Mme Denise Tremblay. Quant au dossier 98-196(UI), la période en litige était du 7 octobre au 2 novembre 1996 et le payeur était M. Sylvain Beaumont. Finalement, dans le dossier 98-197(UI), la période en litige était du 7 juillet au 27 juillet 1996 et les payeurs étaient Mme Solange Brisson, Messieurs Rodrigue et Oscar Thibault.

[2] Les procureurs ont convenu de procéder au moyen d’une preuve commune pour les trois dossiers. Il fut d’abord clairement indiqué que le travail exécuté par Marcel Pigeon avait été sensiblement le même pour les trois payeurs et cela, pour toutes les périodes en litige. L’appelant a longuement témoigné; il a affirmé avoir travaillé comme travailleur forestier depuis les années 1970. Au cours des ans, il a travaillé pour différents employeurs dont l’U.P.A. durant 17 ans, et aussi pour la compagnie Rexford etc. Il avait également exécuté différentes fonctions dont la coupe du bois et le mesurage; il a aussi agi comme contremaître, responsable de cours à bois et du transport par bateau en plus de faire, au cours des dernières années, du travail comme débroussailleur. La preuve est à l’effet que l’appelant a toujours été associé au domaine de la foresterie.

[3] En 1992, il a dû subir le constat que sa capacité physique était très affectée à cause de maux de dos et d'un problème à une épaule. Les médecins consultés l’ont alors enjoint de réorienter sa carrière. Il a tenté sans succès d’obtenir une compensation de la C.S.S.T. Il a aussi tenté en vain de profiter de différents programmes de formation pour se recycler dans d’autres domaines.

[4] Devant l’impossibilité totale d’obtenir un emploi, il a fait des démarches multiples pour exécuter différents travaux pour diverses entreprises. Ainsi, il a travaillé pour des compagnies dont l’Hydro Québec; il exécutait alors, selon un montant préalablement déterminé, des travaux dont l’essentiel consistait à dégager des lignes pour permettre le passage de circuits de l’Hydro Québec.

[5] Pour ce qui est du travail exécuté pour les trois payeurs précédemment décrits, le travail de l’appelant a consisté à faire ce qui fût décrit comme étant du travail de jardinage; en d’autres termes, il s’agissait d’éclaircir certaines parties de forêt ou de boisé privé devenues à maturité. Ce travail consistait à couper de façon sélective certains arbres, tout en laissant une repousse pour assurer une continuité. Les arbres qu’il devait abattre lui étaient indiqués par les propriétaires du boisé ou avaient fait l’objet d’une identification au moyen de peinture ou d’un ruban.

[6] À la suite du travail exécuté par des spécialistes de l’aménagement forestier, l’appelant travaillait seul, bien qu’à l’occasion son fils se soit rendu avec lui sur les lieux du travail et l’ait aidé à quelques reprises.

[7] Pour ce qui est du bois coupé, il devait ensuite être transporté au chemin à l’intention des camions qui à leur tour devaient le transporter aux acheteurs. Le transport du bois était fait par les propriétaires de boisé avec l’aide de l’appelant.

[8] L’appelant fut rémunéré par les trois payeurs de la même façon. Ces derniers conservaient 50% de la valeur du bois coupé et remettaient à l’appelant l’autre 50%; ce dernier devait déduire toutes les dépenses inhérentes à la coupe lui laissant ainsi un salaire hebdomadaire de plus ou moins 500 $ pour les périodes en litige. Il a expliqué que son expérience lui permettait de savoir très précisément le nombre d’arbres qu’il devait abattre pour une corde de bois; connaissant le prix payé, il pouvait ainsi assez précisément prévoir la rémunération à laquelle il aurait droit.

[9] Il devait assumer la totalité des dépenses inhérentes à la coupe du bois. Il coupait le bois au moyen de ses propres scies à chaîne, assumait les coûts d’entretien, de réparation et d’utilisation. Seuls les frais de transport pour rendre le bois au chemin n’étaient pas sa responsabilité.

[10] Il a aussi expliqué que les propriétaires de boisé le visitaient sur les différents chantiers, à raison de quelques fois par semaine, aux fins de se rendre compte de l’avancement des travaux.

[11] Il était habituellement payé au moment où le propriétaire du boisé recevait lui-même la rémunération inhérente au bois vendu. L’appelant travaillait généralement tous les jours de 8 h à 17 h; il lui arrivait de commencer beaucoup plus tôt de manière à pouvoir sortir de la forêt moins tard. À cet égard, il n’avait pas d’instructions quant à la façon et au nombre d’heures qu’il devait investir pour la réalisation de son travail; en d’autres termes, il était seul maître de son horaire, si ce n’est que les propriétaires de boisé voulaient le travail rapidement et bien exécuté.

[12] L’appelant a ensuite fait témoigner Mme Jocelyne D’Astous. Cette dernière connaissait l’appelant et les payeurs. Elle était particulièrement informée des modalités de paiement; elle avait dû, à la demande des payeurs, faire les démarches aux fins que ces derniers obtiennent un numéro d’employeur pour que les retenues usuelles soient prises sur les rémunérations versées à l’appelant.

[13] Il a également été établi par son témoignage que les payeurs avaient, au cours des périodes en litige, un seul employé soit l’appelant. Elle a indiqué avoir dû répondre aux questions des payeurs, à savoir combien coûtait un employé dont la rémunération pouvait s’établir à plus ou moins 500 $ par semaine. Elle a fourni la réponse tout en indiquant aux intéressés ce qu’il en coûtait en retenues diverses telles assurance-chômage, commission des accidents de travail, etc.

[14] Le témoignage de Mme D’Astous a été suivi par celui de M. Jean-Louis Belzile, mesureur de bois pour le compte et bénéfice de l’U.P.A. M. Belzile s’occupait, lors des périodes en litige, du transport du bois à partir des terrains privés vers les acheteurs. Il a expliqué que les producteurs agricoles disposaient généralement d’un quota leur permettant de vendre certaines quantités de bois; ce quota devait être utilisé faute de quoi les producteurs s’exposaient à le perdre. Il a aussi expliqué que les contingentements n’étaient pas cumulatifs. Ainsi, le producteur agricole qui ne profitait pas du quota qui lui était attribué ne pouvait pas espérer remplir un double quota l’année suivante, d’où l’intérêt de profiter à chaque année du quota attribué.

[15] Détenteur d’une expérience de plus de 25 ans dans l’industrie forestière, M. Belzile a expliqué qu’il s’agissait d’un secteur d’activités économiques très particulier où les travaux étaient généralement effectués à partir de trois procédés distincts. Le premier étant le travail exécuté par des entrepreneurs en la matière, le deuxième par le biais de travailleurs autonomes et finalement le troisième par le biais de salariés. Il a expliqué que les salariés dans ce domaine étaient par contre rémunérées selon une formule qui leur était propre et particulière. Ainsi, il a indiqué que les travailleurs recevaient une rémunération essentiellement fonction du travail exécuté : les bûcherons étant rémunérés selon le nombre de cordes de bois abattues, le prix varie en fonction des essences. Globalement, l’industrie travaille avec deux espèces différentes : les résineux et les feuillus appelés communément bois franc ou bois mou.

[16] Il a aussi précisé que les travailleurs forestiers assumaient eux-mêmes tous les frais inhérents à l’utilisation des outils dont ils avaient besoin pour l’exécution de leur travail en indiquant que ces travailleurs particuliers disposaient d’un traitement également particulier sur le plan fiscal, c’est-à-dire qu’ils avaient droit de réclamer les dépenses pour l’exécution de leur travail et ce bien qu’ils ne soient pas travailleurs autonomes ou entrepreneurs.

[17] L’intimé a fait témoigner Messieurs Marcel Martin, Sylvain Beaumont et Rodrigue Thibault. Il s’agit là des trois personnes qui ont versé des rémunérations à l’appelant au cours des périodes en litige, dans les trois dossiers précédemment décrits. Il est ressorti très très clairement de ces trois témoignages que les trois payeurs connaissaient relativement bien l’appelant; tous trois avaient retenu ses services parce que ce dernier avait une excellente réputation de travailleur forestier. Tous les trois ont été très élogieux sur les qualités, compétences et connaissances de l’appelant en matière de coupe sélective.

[18] Rodrigue Thibault, en particulier, a indiqué que l’appelant travaillait efficacement tout en étant soucieux de l’environnement. Il a ajouté que l’appelant aimait la forêt et agissait toujours comme si le boisé où il évoluait était le sien. Il protégeait les repousses et exécutait son travail de façon ordonnée, propre et intéressante pour un propriétaire de boisé.

[19] Tous trois ont également clairement indiqué qu’il ne s’agissait aucunement de coupe à blanc où tout est abattu sans préoccupation future. De ce fait, ils ont indiqué qu’il était primordial que les travaux soient exécutés par une personne responsable, compétente et fiable. Ils ont indiqué qu’ils s’intéressaient au travail exécuté par l’appelant en ce qu’il s’assurait que le tout était conforme et cohérent avec leurs attentes. Ils ont finalement indiqué la façon dont l’appelant était rémunéré, le tout confirmant essentiellement le témoignage de l’appelant.

Analyse

[20] L’intimé a plaidé qu’il s’agissait là d’un dossier où tout avait été mis en place pour permettre à l’appelant de recevoir les prestations d’assurance-chômage. Reconnaissant toutefois que la jurisprudence avait autorisé pareil droit aux citoyens, elle a ajouté qu’il s’agissait là de dossiers où le tribunal devait être encore plus vigilant dans l’analyse des faits et vérifier s’il ne s’agissait pas d’un contrat de louage de services déguisé ou maquillé.

[21] En l’espèce, je crois important de rappeler que le travail relié à la coupe du bois ou de la foresterie en général est un secteur d’activités économiques très important, où les règles du jeu pour les travailleurs sont exceptionnelles et très particulières.

[22] De façon générale, il s’agit là d’un travail saisonnier extrêmement difficile physiquement et nécessitant l’utilisation d’outils et d’équipements très particuliers. Pareilles caractéristiques sont sans doute à l’origine de plusieurs réalités; ces travailleurs sont dans l’obligation de fournir leurs propres outils et d’assumer eux-mêmes tous les frais inhérents à leur utilisation, ce qui n’est pas habituel pour la plupart des salariés.

[23] Encore là, le travail est particulier quant aux modalités de rémunération auxquelles sont assujettis ces travailleurs; en effet, ils sont généralement rémunérés exclusivement en fonction de leur productivité, d’où le travail de surveillance, de contrôle n’a pas la forme traditionnelle. D’autre part, la qualité et quantité de bois coupé sont souvent les seuls moyens de contrôler l’efficacité du bûcheron. Il s’agit là d’un travail exigeant dont les modalités d’exécution peuvent varier d’un travailleur à l’autre et l’efficacité ne découle pas nécessairement des mêmes méthodes de travail. Elles varient d’un bûcheron à l’autre. Conséquemment, ces travailleurs sont souvent laissés à eux-mêmes; les payeurs exercent leur pouvoir de contrôle à partir du constat de la qualité et de la quantité du travail exécuté beaucoup plus qu’à partir des indications reliées à la façon dont le travail doit être fait. Parallèlement à l’exécution du travail, le pouvoir de contrôle s’exerce évidemment sur la description du travail à faire quant aux débuts et aux fins de période mais aussi quant à l’identification du bois à être abattu.

[24] En l’espèce, je crois que la preuve a démontré, d’une façon nettement prépondérante, que l’appelant a toujours été, lors de l’exécution du travail pour l’un ou l’autre des payeurs, subordonné à ces derniers. D’ailleurs, un d’eux a reconnu de façon très claire et nette que l’appelant ne prenait aucune initiative ni aucune décision. Si certains travaux ont pu laisser croire qu’il était autonome, il s’agissait là de mandats qu’il exécutait essentiellement pour et au nom du payeur, qui avait expressément défini les limites du travail à exécuter.

[25] Je crois que la preuve a démontré de façon très convaincante que l’appelant était hautement compétent dans l’exercice de son travail; cette compétence et expérience réduisaient pour autant les instructions et recommandations que devaient faire les payeurs. Ils pouvaient cependant, ce qu’ils ont d’ailleurs fait, indiquer, préciser et définir ce qu’ils voulaient tout en lui indiquant le début et la fin des périodes.

[26] L’autre aspect ne m’apparaît pas significatif à l’effet que les payeurs n'ont strictement rien négligé pour s’assurer que tout était fait normalement, correctement et de façon régulière. D’autre part, les salaires étaient raisonnables.

[27] Dans l’optique d’un arrangement, je suis convaincu que les parties auraient convenu que les gains assurables représentent le maximum assurable d’une part; d’autre part, les payeurs n’auraient pas pris la peine de structurer toute une entreprise profitant exclusivement à l’appelant. Très intéressés par la qualité du travail de l’appelant, ils ont fait le nécessaire pour se conformer aux règles particulières de l’industrie tout en assumant leurs responsabilités d’employeurs. L’appelant était une personne compétente, fiable et responsable. Il avait besoin de travailler pour gagner sa vie et voulait travailler.

[28] Les payeurs avaient tous la même préoccupation; ils désiraient une qualité de travail particulière et l’appelant avait les qualités pour répondre à leurs attentes. Ils ont convenu des modalités d’exécution et de rémunération selon une formule qui a été en tout point suivie et respectée. Le travail s’est effectuée selon les règles et critères pour être déterminés contrat de louage de services.

[29] Dans les circonstances, je n’ai pas d’hésitation à conclure que les faits décrits établissent l’existence d’un véritable contrat de louage de services. Certes, certains aspects du travail pouvaient militer vers une conclusion qu’il s’agissait là d’un travailleur autonome. Je crois cependant qu’il faut écarter une pareille conclusion du fait que le travail en forêt est particulier et a ses caractéristiques propres.

[30] Pour ces raisons, les appels sont accueillis et le travail exécuté par l'appelant du 9 octobre au 28 octobre 1995 et du 4 décembre 1995 au 28 septembre 1996 pour les payeurs M. Marcel Martin et Mme Denise Tremblay, du 7 octobre au 2 novembre 1996 pour le payeur M. Sylvain Beaumont et du 7 juillet au 27 juillet 1996 pour les payeurs Mme Solange Brisson et Messieurs Rodrigue et Oscar Thibeault l’a été dans le cadre d’un véritable contrat de louage de services.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de septembre 1998.

“ Alain Tardif ”

J.C.C.I.

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