Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19971113

Dossier : 91-1946-IT-G

ENTRE :

GEOFFREY D. BELCHETZ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge D. Hamlyn, C.C.I.

[1] Les années d'imposition en cause sont 1986, 1987 et 1988. Les appels interjetés dans cette affaire se rapportent au fait que le ministre du Revenu national (le “ministre”) n'a pas admis des pertes ni des frais d'intérêt ou d'autres frais pris en charge par l'appelant à l'égard de sa participation dans la société en commandite S/Y Close Encounters, qui faisait partie d'une série de sociétés en commandite dont l'Overseas Credit and Guaranty Corporation (“OCGC”) faisait la promotion. La société en commandite avait été créée pour acquérir et détenir un voilier de luxe de quatre-vingts pieds et pour participer à l'exploitation de ce voilier, en tant que membre d'un groupement de sociétés en commandite dont l'OCGCserait le commandité. L'appelant affirme qu'il prenait part à une entreprise légitime. Le ministre soutient qu'il n'existait aucune source de revenu, que l'appelant a été escroqué par l'OCGC — le commandité — et ses dirigeants Einar Bellfield (“M. Bellfield”) et Osvaldo Minchella (“M. Minchella”).

[2] Les requêtes présentées dans cette affaire tiennent au fait que l'appelant soutient que l'intimée a tardé indûment à déposer une réponse aux avis d'appel et qu'elle n'a pas agi en conformité avec une ordonnance de notre cour en date du 30 octobre 1991. Ainsi, l'appelant soutient que la conduite de l'intimée constitue un abus du processus judiciaire et il fait valoir qu'il a droit à une mesure de redressement. Cette requête est appelée ci-après la requête relative au “retard”.

[3] L'appelant allègue en outre que, à son insu et sans son consentement, tout le dossier de procédure de ses anciens avocats, soit le cabinet Shibley Righton, a été obtenu et utilisé par l'intimée. Ainsi, l'appelant soutient que l'intimée a violé son droit à la protection contre les perquisitions et les saisies abusives de même que son droit à la vie privée et qu'il a donc droit à une mesure de redressement. Cette requête est appelée ci-après la requête relative à la “saisie”.

[4] Durant l'audition des requêtes, notamment le deuxième jour, l'atmosphère était chargée d'émotivité et extrêmement tendue.

[5] Les allégations d'inconduite abondent de part et d'autre. L'appelant allègue notamment de prétendues menaces et mesures d'intimidation de la part des représentants de l'intimée avant et pendant la présente procédure et il soulève des questions quant à la conduite professionnelle des avocats de l'intimée relativement à la saisie. De son côté, l'intimée allègue notamment que, par la présente procédure, l'appelant cherche à encourager les contributions à la “caisse spéciale” destinée au financement de ses appels.

[6] Normalement, les questions de conduite et d'atmosphère concernant la requête ne tireraient pas à conséquence. Toutefois, en raison de la charge émotive, l'audience s'est étalée sur deux jours, et on a senti le besoin de déposer une quantité incroyable d'affidavits, pièces et autres documents, ce qui amène à conclure que l'animosité entre les parties a nui à une présentation rapide et efficace des requêtes en instance.

LES REQUÊTES —

FAITS

[7] Les années d'imposition en cause sont 1986, 1987 et 1988.

[8] Les avis de cotisation sont datés du 2 novembre 1990. Le 12 novembre 1990, l'appelant avait déposé ses avis d'opposition. Les cotisations avaient été ratifiées par la voie d'un avis de ratification en date du 14 juin 1991. Le 6 septembre 1991, l'appelant avait déposé des avis d'appel auprès de notre cour.

[9] Par une ordonnance sur consentement en date du 30 octobre 1991, notre cour avait ordonné ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il est ordonné, conformément au paragraphe 44(2) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), que le délai dans lequel l'intimée peut déposer et signifier une réponse à l'avis d'appel soit prolongé, c'est-à-dire qu'il soit porté à 60 jours à partir de la réception de la décision de la Cour fédérale du Canada dans l'affaire William Dixon c. La Reine.

[10] L'affaire Dixon (numéro de dossier T-3109-90) avait été choisie comme cause type devant régir plusieurs autres causes, y compris celle de l'appelant.

[11] L'affaire Dixon n'a jamais été soumise à la Cour. Après plusieurs tentatives de négociation et de règlement entre 1991 et 1996, l'affaire Dixon avait fini par se régler. Le contribuable William Dixon avait accepté l'offre de règlement de l'intimée en décembre 1996. M. Dixon avait signé un avis de désistement antidaté du 30 septembre 1996. Toutefois, à cause de problèmes supplémentaires relatifs à d'autres questions fiscales concernant M. Dixon, l'affaire n'avait pu se conclure avant le printemps 1997. En mai 1996, l'intimée avait écrit à l'appelant pour déterminer s'il souhaitait conclure un règlement fondé sur l'affaire Dixon ou s'il désirait passer en jugement. L'appelant n'avait pas répondu. Un avis de désistement avait été signé et déposé par l'intimée dans l'affaire Dixon le 21 juillet 1997.

[12] En décembre 1994 et en janvier 1995, des accusations avaient été portées en vertu du Code criminel du Canada (le “Code criminel”) contre deux anciens dirigeants de l'OCGC, soit M. Bellfield et M. Minchella, qui détenaient les postes de président et d'administrateur responsable de la promotion des investissements. MM. Bellfield et Minchella étaient accusés d'avoir escroqué les associés commanditaires de sociétés en commandite de l'OCGC et d'avoir fraudé le gouvernement du Canada. En mai 1997, les deux personnes étaient citées à procès.

[13] Le 23 avril 1996, une troisième personne également liée à l'OCGC, Pierre Rochat, avait plaidé coupable à une accusation portée en vertu de l'alinéa 239(1)a) de la Loi et avait été condamnée à une peine d'emprisonnement.

[14] Après l'effondrement de l'OCGC, le cabinet d'avocats Shibley Righton, qui représentait l'appelant, entre autres, avait “acheté” à M. Bellfield un certain nombre de caisses de dossiers pour utilisation dans la poursuite des appels et relativement à des avis d'opposition des clients de Shibley Righton.

[15] Le 11 avril 1995, des documents, y compris les dossiers de M. Bellfield, avaient été saisis en vertu du Code criminel aux bureaux de Shibley Righton. Par voie d'ordonnance en date du 23 mai 1995, le juge Moldaver, de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) (la “Cour de l'Ontario”), avait ordonné que l'on signifie aux particuliers ayant investi dans les sociétés en commandite de l'OCGC des avis d'audience pour qu'il soit statué sur les prétentions au privilège du secret professionnel de l'avocat concernant les documents de Shibley Righton. L'appelant Belchetz n'avait pas comparu à l'audience fixée. À l'audience, l'existence de caisses supplémentaires en la possession de Shibley Righton avait été révélée. Le juge O'Driscoll avait conclu après trois jours d'audience que tous les documents de Shibley Righton, y compris les caisses supplémentaires, n'étaient pas protégés par le privilège du secret professionnel de l'avocat. Les documents avaient alors été remis à la police.

[16] Par la suite, dans le cadre d'une demande ex parte présentée en vertu du paragraphe 490(15) du Code criminel, l'intimée dans la présente affaire avait obtenu l'accès aux documents saisis. L'ordonnance de la Cour de l'Ontario est datée du 21 novembre 1996.

[17] L'appelant affirme que, parmi les documents saisis, il y a l'ensemble des avis juridiques, recherches, éléments de preuve, résultats de travaux d'avocat et autres documents privilégiés réunis ou établis par Shibley Righton aux fins des appels interjetés par l'appelant auprès de notre cour.

[18] Il semble ressortir du contre-interrogatoire de l'appelant concernant la requête relative à la saisie que, au soutien de sa requête selon laquelle il y a eu atteinte au privilège du secret professionnel de l'avocat, l'appelant se fonde entre autres sur les éléments suivants : le fait que le dossier d'inventaire du caporal Trendell quant au prétendu contenu des caisses saisies révèle des documents protégés par le secret professionnel de l'avocat; une déclaration que l'avocat de l'intimée avait faite lors de l'interrogatoire précédent, soit celui du 17 septembre 1997, quant à savoir à quels documents l'intimée avait eu accès; une lettre de Shibley Righton en date du 27 avril 1994 intitulée “Investisseurs”, lettre qui a été présentée à l'appelant lors du contre-interrogatoire susmentionné.

Questions posées par l'appelant

[19] L'appelant pose trois questions :

1. La réponse déposée par l'intimée devrait-elle être supprimée en vertu de l'article 53 et de l'article 63 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les “Règles”), pour le motif qu’elle a été déposée en retard ou constitue un abus du processus judiciaire?

2. Le fait que la réponse a été déposée après que l'intimée eut obtenu l'accès à l'ensemble du dossier de procédure de l'appelant par voie d'ordonnance de la Cour de l'Ontario sans que l'appelant en soit avisé constitue-t-il un abus du processus judiciaire?

3. Si la réponse aux questions 1 et 2 ou à l'une ou l'autre de ces questions est affirmative, quelle mesure de redressement la Cour devrait-elle accorder à l'appelant?

Arguments de l'appelant — La question du retard

[20] Les retards dans la poursuite d'une action peuvent avoir un effet délétère sur l'administration de la justice. En l'espèce, un retard de six ans est sans précédent. Un retard de cette nature va à l'encontre des Règles de la Cour. Un retard occasionné pour des raisons de stratégie est inacceptable. Dans l'affaire Dixon, le fait que l'intimée ait tardé à déposer l'avis de désistement était incorrect et constituait un abus du processus judiciaire. L'intimée avait la charge de poursuivre l'appel Dixon conformément à l'ordonnance rendue par la Cour dans l'affaire en instance. Le retard dans la poursuite des appels en instance constitue un abus du processus judiciaire. Un tel retard appelle une mesure de redressement exceptionnelle. L'intimée n'a pas respecté des engagements implicites à poursuivre l'affaire Dixon devant la Cour fédérale du Canada et à tenir la Cour canadienne de l'impôt au courant de tous changements de circonstances. L'appelant ne peut assurer à la Cour que les appels en instance seront entendus avant la conclusion de l'action intentée contre M. Bellfield. Le préjudice subi par l'appelant à cause des retards cumulatifs de l'intimée est important et se poursuit et il n'a pas été contredit.

La question de la saisie

[21] Le dossier de procédure fiscale de Shibley Righton est encore protégé par le privilège du secret professionnel de l'avocat. L'appelant n'entendait pas renoncer à ce privilège dans la présente procédure civile. L'intention de l'appelant relativement à la question de la saisie soumise au juge O'Driscoll était de renoncer au privilège du secret professionnel de l'avocat uniquement pour la poursuite criminelle intentée contre MM. Bellfield et Minchella. Le privilège du secret professionnel de l'avocat se rattachait aux caisses de documents saisies, l'appelant soutenant que ces caisses contenaient son dossier de procédure concernant l'affaire en instance. L'appelant ne devrait pas être pénalisé pour ne pas s'être opposé à la saisie relativement à la poursuite intentée contre M. Bellfield; il serait injuste de le priver du privilège du secret professionnel de l'avocat.

[22] La conduite de l'intimée devant Mme le juge Dunnet (à l'audience tenue en vertu du paragraphe 490(15) du Code criminel), c'est-à-dire le fait que l'intimée a agi sans aviser l'appelant, va à l'encontre des obligations de l'intimée en matière de communication dans la présente procédure. Il ne convenait pas de consentir à la demande de l'intimée dans l'affaire en instance, car relativement à la demande présentée en vertu du paragraphe 490(15) du Code criminel, la Cour n'a pas été avisée de la nature des documents obtenus, et les documents ont été utilisés après que l'on eut découvert qu'il s'agissait de documents protégés par le privilège du secret professionnel de l'avocat.

[23] L'intrusion de l'intimée dans les documents protégés par le privilège du secret professionnel de l'avocat viole une norme de rectitude, et il s'agit d'une violation sans précédent. Cette conduite a entaché les appels en instance, et il ne peut y être remédié. Elle discrédite l'administration de la justice.

[24] Ainsi, l'appelant soutient que les appels devraient être accueillis en vertu de l'article 53 et de l'alinéa 63(2)c) des Règles ou, subsidiairement, qu'il conviendrait d'ordonner que les appels soient entendus en partant du principe que les faits allégués dans les avis d'appel sont présumés être véridiques en vertu de l'article 53 et de l'alinéa 63(2)c) des Règles ou, encore, qu'il conviendrait de retirer le ministère de la Justice des appels en instance et d'empêcher les nouveaux avocats de communiquer de quelque manière avec le ministère de la Justice ou les fonctionnaires de Revenu Canada ayant joué un rôle dans ces appels jusqu'à maintenant.

Arguments de l'intimée — La question du retard

[25] Dans l'affaire Dixon, l'appelant Dixon avait choisi de passer par la Cour fédérale du Canada. L'intimée n'avait aucune influence sur le choix de la juridiction. L'ordonnance de la Cour canadienne de l'impôt a été obtenue avec le consentement de l'appelant quant au fait que les appels de ce dernier seraient différés jusqu'à ce que la Cour fédérale du Canada rende une décision dans l'affaire Dixon. L'appelant n'a jamais eu l'intention d'agir seul. Shibley Righton a cherché à tenir des discussions en vue d'un règlement, et ces discussions ont été rompues. Aucune mesure n'a été prise pour la poursuite de l'affaire Dixon. L'appelant a quitté le groupe qui était représenté par Shibley Righton et n'a pris aucune mesure pour la poursuite de ses appels. D'autres tentatives ont été faites en vue d'un règlement et ont échoué. Une offre finale de règlement a été faite en mai 1996, et l'appelant était visé par cette offre. L'appelant a rejeté ce règlement et n'a pas communiqué d'intention à l'intimée relativement aux appels en instance.

[26] Dans l'affaire Dixon,un règlement n'est intervenu que le 30 septembre 1996. À cause de problèmes qui tiennent à une mauvaise communication et à une documentation erronée, l'affaire ne s'est réglée qu'en décembre 1996, lorsqu'un avis de désistement antidaté de septembre 1996 a été signé. À cause d'autres problèmes, non connexes, l'intimée n'a signé et déposé son avis de désistement que le 21 juillet 1997.

[27] L'intimée a déposé et signifié une réponse aux avis d'appel dans l'affaire en instance le 12 septembre 1997.

[28] L'avis de désistement n'est pas une décision rendue en vertu de la Loi sur la Cour fédérale ou des règles prises en application de celle-ci. La section de première instance de la Cour fédérale n'a jamais rendu une décision dans l'affaire Dixon et, dans l'affaire en instance, l'intimée a donc valablement déposé une réponse dans les soixante jours suivant le dépôt de l'avis de désistement.

[29] Pour ce qui est de la mesure de redressement demandée, l'intimée dit qu'une réponse a été déposée et signifiée conformément à l'alinéa 63(1)c) des Règles. L'intimée soutient également qu'il n'y a aucune raison de supprimer des passages de la réponse en vertu de l'article 53 des Règles et que, dans le cas d'une requête, c'est l'acte de procédure qui est l'objet d'un examen et non les faits relatifs au litige.

La question de la saisie

[30] Aucun élément de preuve n'étaye l'affirmation selon laquelle l'intimée a utilisé les résultats de travaux d'avocat de Shibley Righton. Aucun élément de preuve n'indique que les documents de Shibley Righton contiennent des renseignements qui peuvent avoir été l'objet d'une prétention en matière de privilège. On ne peut déterminer cette question à partir d'un examen de l'inventaire du caporal Trendell.

[31] L'appelant n'a pas exercé le droit qu'il avait de se faire entendre sur cette question à l'audience tenue devant le juge O'Driscoll. M. Belchetz avait été avisé qu'une audience se tenait sur la question du privilège du secret professionnel de l'avocat concernant les documents saisis, mais il n'a pas comparu. Le juge O'Driscoll a exercé sa compétence conformément au Code criminel. Après avoir entendu deux investisseurs, le juge O'Driscoll a conclu qu’aucun des documents saisis n’est protégé par le privilège du secret professionnel de l'avocat. L'intimée soutient que cette conclusion d'une cour supérieure d'archives ne peut être attaquée subsidiairement dans des procédures intentées auprès de la Cour canadienne de l'impôt. L'intimée concède qu'un droit résiduel à une prétention au privilège du secret professionnel de l'avocat peut exister dans les procédures engagées auprès de la Cour canadienne de l'impôt, mais ce droit doit être revendiqué devant le juge du procès.

[32] L'intimée maintient son droit aux documents, car elle a un intérêt en common law dans les documents détenus.

[33] L'ordonnance de Mme le juge Dunnet a confirmé que l'intimée avait l'intérêt requis, et une ordonnance a été rendue en vertu du paragraphe 490(15) du Code criminel.

[34] Il incombe à l'appelant d'établir qu'il y a eu violation des droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (la “Charte”), ce qui n'a pas été fait.

ANALYSE — LA QUESTION DU RETARD

[35] Je conclus que les deux parties ont consenti au long retard en cause dans l'affaire en instance. L'intimée a expliqué pourquoi elle avait mis tant de temps pour signer l'avis de désistement. L'approche fondée sur la cause type et les nombreuses tentatives de règlement n'étaient pas unilatérales. Je ne peux conclure que l'appelant a fait preuve d’initiative dans la poursuite de ses appels, sauf pour ce qui est de la requête maintenant considérée par la Cour. À la lecture de l'article 406 des Règles de la Cour fédérale, concernant le désistement, il est évident que dans l'affaire Dixon le désistement n'a été final que lorsque l'intimée a donné son consentement. Il n'y a pas eu violation de l'esprit de l'ordonnance de notre cour, bien que tous les éléments pertinents n'aient pas été conformes à l'ordonnance. Je conclus que la réponse a été déposée dans les délais impartis par l'ordonnance.

ANALYSE — LA QUESTION DE LA SAISIE

[36] Dans cette requête, l'appelant demande à notre cour de lui accorder une mesure de redressement en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte pour le motif que, par l'accès qu'elle a obtenu en vertu du paragraphe 490(15) du Code criminel, l'intimée a prétendument violé le privilège du secret professionnel de l'avocat protégeant les documents de M. Belchetz. Au sujet de la question de savoir quelle mesure de redressement il convient d'accorder en vertu du paragraphe 24(1), il est instructif de se reporter aux propos tenus par le juge Bowman, de notre cour, dans l'affaire O'Neill Motors Limited v. The Queen, 96 DTC 1486. Dans l'affaire O’Neill, la question soumise à la Cour était de savoir quelles mesures de redressement, le cas échéant, pouvaient être accordées à l'appelant en vertu de l'article 24 de la Charte parce que le ministre avait violé l'article 8 de la Charte en effectuant une perquisition illégale et en saisissant illégalement des documents. Bien que la décision que doit rendre notre cour concerne d'abord la question de savoir s'il y a eu en fait violation de droits garantis par la Charte, puis la question de savoir quelle mesure de redressement il convient d'accorder en vertu du paragraphe 24(1), le juge Bowman souligne dans l'affaire O'Neill qu'il faut examiner en détail la preuve relative à la violation et qu'il faut réaliser un équilibre entre les droits de l'individu et le maintien de l'intégrité du système d'imposition fondé sur l'autocotisation. Comme le dit le juge Bowman à la page 1496 :

Je ne voudrais pas que la conclusion que j'ai tirée en l'espèce soit considérée comme sanctionnant dans tous les cas l'annulation des cotisations établies par le ministre, lorsqu'elles sont en partie fondées sur des renseignements obtenus d'une façon inconstitutionnelle. Il peut y avoir des cas dans lesquels il suffit d'exclure l'élément de preuve, d'autres cas dans lesquels l'élément a peu d'importance ou n'en a aucune aux fins de l'établissement des cotisations ou dans lesquels son utilisation ne déconsidérerait pas l'administration de la justice, alors que dans d'autres cas encore, la solution préconisée dans le jugement Suarez[1] s'imposerait. En exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu par l'article 24 de la Charte, la Cour doit veiller à établir l'équilibre entre les droits protégés par la Charte et le fait qu'il est important de maintenir l'intégrité du régime d'autocotisation. Au fur et à mesure que des cas se présenteront, ces facteurs et, sans aucun doute, d'autres facteurs s'appliqueront et il faudra accorder à chacun d'eux son importance relative. Compte tenu des circonstances de l'affaire, j'ai conclu qu'il convient d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de façon à annuler les cotisations.

[37] Une des différences importantes entre les appels en instance et l'affaire O'Neill est que, dans l'affaire O'Neill, le contexte était celui d'un procès, le juge Bowman se fondant sur la preuve disponible et sur les considérations factuelles en cause, tandis que, en l'espèce, il s'agit d'une requête, il n'y a que des affidavits et un contre-interrogatoire sur les affidavits; à partir de cela, me fondant sur les documents qui ont été déposés, je conclus que la Cour n'était pas saisie de tous les éléments de preuve pertinents.

[38] Les jugements faisant jurisprudence Proc. gén. du Can. c.Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 R.C.S. 735 (C.S.C.), Erasmus et al. v. The Queen, 91 DTC 5415 (C.F., 1re inst.), et Enterac Property Corporation v. The Queen, 95 DTC 391 (C.C.I.), énoncent tous le principe suivant : pour radier une déclaration ou rejeter une action, il doit être évident qu'une telle mesure est justifiée, et la Cour doit être convaincue qu'il s'agit d'un cas au-delà de tout doute.

[39] Dans l'arrêt Inuit Tapirisat, le juge Estey dit, au nom de la Cour, à la page 740 :

Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas “au-delà de tout doute”.

[40] Dans l'affaire Erasmus, le juge Pinard a utilisé ce principe dans l'examen d'une requête présentée en vertu du paragraphe 419(1) des Règles de la Cour fédérale (qui est semblable à l'article 53 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale)), pour conclure, à la page 5416 :

Si la requête se fonde sur d'autres alinéas de la règle 419(1), l'avocat de la partie défenderesse ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombait, à savoir établir qu'il était manifeste et évident que l'instance introduite par les parties demanderesses ou des parties de celle-ci était scandaleuse, futile ou vexatoire, pouvait causer préjudice, gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action ou qu'elle constituait par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour.

[41] Ce principe a également été appuyé par le juge Bell dans l'affaire Enterac, dans laquelle le juge Bell a considéré que, comme il ne pouvait conclure que les paragraphes contestés, que l'on cherchait à faire radier, n'étaient pas pertinents, l'intimée n'avait pas établi qu'il était évident qu'il serait porté atteinte à une audition juste de l'appel ou qu'une telle audition serait retardée, et il ne convenait donc pas de radier les paragraphes contestés.

[42] L'appelant demande à notre cour de statuer par déduction qu'il y a eu violation de ses droits en matière de privilège du secret professionnel de l'avocat, mais il n'a guère présenté d'éléments de preuve solides et concluants à cet effet.

[43]L'article 72 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) dit :

Une déclaration sous serment à l'appui d'une requête peut faire état des éléments que le déposant tient pour véridiques sur la foi de renseignements, pourvu que la source de ces renseignements et le fait qu'ils sont tenus pour véridiques y soient indiqués.

[44] Cet article est comparable au paragraphe 332(1) des Règles de la Cour fédérale, qui dit :

Les affidavits doivent se restreindre aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance qu'il en a, sauf en ce qui concerne les requêtes interlocutoires pour lesquelles peuvent être admises des déclarations fondées sur ce qu'il croit et indiquant pourquoi il le croit.

[45] Traitant de l'interprétation du paragraphe 332(1), le juge en chef adjoint Thurlow disait, dans l'affaire La Reine c. A. & A. Jewellers Ltd., [1978] 1 C.F. 479 (C.F., 1re inst.), à la page 480, concernant la déclaration sous serment déposée en preuve par la demanderesse :

Ladite déclaration est [...] et plus encore inadmissible à mon avis sous le régime de la Règle 332(1). Elle ne dit pas pourquoi la personne désignée ne fait pas la déclaration sous serment elle-même, si elle a eu connaissance des faits.

[...]

Dans la préparation du matériel à l'appui des requêtes interlocutoires, il semble devenu pratique courante d'écarter l'application de la première clause de cette Règle et d'utiliser la seconde comme moyen d'éviter la prestation du serment dans une déclaration par une personne au courant des faits et pour lui faire dire, devant la Cour, ce qu'elle sait, sous forme de ouï-dire auquel prête serment quelqu'un qui n'en a pas lui-même connaissance. Tel n'est pas le but de la Règle. La Cour a droit à la déclaration sous serment d'une personne qui a une connaissance personnelle des faits, lorsque ladite personne peut la fournir. La deuxième partie de la Règle est purement facultative, et doit être utilisée seulement lorsque la meilleure des preuves, à savoir la déposition sous serment de la personne qui sait, ne peut pas être obtenue immédiatement, pour des raisons admissibles ou évidentes.

[46] L'affidavit déposé en preuve par l'appelant va au-delà de ce qui est tenu pour véridique sur la foi de renseignements. Il semble en outre qu'il y avait de meilleures preuves disponibles que les déclarations fondées sur le ouï-dire que M. Belchetz invoquait. La source des déclarations fournirait une meilleure déposition que l'exposé des déclarations par M. Belchetz. Ce facteur influe d'une manière importante sur le fardeau de la preuve.

[47] Notre cour ne sait pas exactement ce qui a été saisi, et M. Belchetz ne sait pas non plus si son dossier de procédure faisait partie des documents saisis. Il dit simplement que tel était le cas. Le dossier d'inventaire du caporal Trendell, de la GRC, que j'ai examiné, n'aide pas suffisamment pour établir que les documents saisis provenaient effectivement du dossier de procédure de M. Belchetz ou que les documents saisis étaient tels que le privilège du secret professionnel de l'avocat s'y rattachait (voir la pièce Q - dossier de requête, volume 3). M. Belchetz n'a pas comparu à l'audience tenue devant le juge O'Driscoll, bien qu'il ait été avisé de la tenue de cette audience. M. Belchetz dit bien que Shibley Righton lui avait assuré “qu'il protégerait le secret professionnel de l'avocat relativement à notre affaire, malgré le fait qu'il ne me représentait plus, car les obligations et responsabilités relatives au privilège du secret professionnel de l'avocat l'emportent sur l'issue du mandat”2. Quant à savoir qui avait donné cet avis ou quand il avait été donné, l'appelant n'arrivait pas à s'en souvenir. Il ressort clairement de la cause entendue par la Cour de l'Ontario que le juge O'Driscoll a conclu qu'il n'y avait pas de privilège du secret professionnel de l'avocat relativement à ce dont il était saisi et il ressort des documents déposés auprès de notre cour qu'au moins un investisseur, abstraction faite des démarches de Shibley Righton, a bel et bien contesté la question en son propre nom. Le fait que l'intimée ait détenu certains documents acquis par voie d'ordonnance avant le dépôt d'une réponse ne constitue pas en soi un abus du processus judiciaire.

[48] Cette preuve relative à la détention de certains documents et la vaste argumentation de l'appelant ne me convainquent pas que, à ce stade, il est évident qu'il y a eu violation du privilège du secret professionnel de l'avocat dans le litige concernant cet appelant.

[49] Pour invoquer le recours prévu dans la Charte, une violation de droits doit être évidente. Ainsi, dans une large mesure, il se peut que cette requête particulière soit prématurée. Avec la suite de la poursuite engagée dans cette affaire, y compris la communication de documents, l'interrogatoire préalable et autres procédures antérieures au procès, la situation pourra être un peu plus claire et, comme question de preuve ou comme question régie par la Charte, la prétendue violation du privilège du secret professionnel de l'avocat pourra être soumise au juge du procès si les avocats estiment encore que cette question est appropriée.

CONCLUSION

[50] La réponse de l'intimée est déposée conformément à l'ordonnance de notre cour.

[51] On n'a pas démontré que les documents qui avaient été saisis et que détient l'intimée font partie du dossier de procédure de l'appelant en tant que tel. On n'a pas démontré que des documents qui avaient été saisis étaient protégés par le privilège du secret professionnel de l'avocat. La prétendue violation de la Charte n'a pas été prouvée.

DÉCISION

[52] Les requêtes sont rejetées. Les dépens relatifs aux requêtes suivront l'issue de la cause, à la discrétion du juge du procès.

“D. Hamlyn”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de décembre 1997

Mario Lagacé, réviseur



1                Suarez v. Commissioner of Internal Revenue, 58 United States Tax Court Reports 792.

2                Contre-interrogatoire de M. Belchetz, 16 octobre 1997, pages 13 et 14.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.