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Date: 20000529

Dossiers: 95-3811-GST-G; 95-3901-GST-G; 95-3940-GST-G; 97-1137-GST-G

ENTRE :

VAUGHN PICTOU, RODERICK A. GOOGOO, JO-ANN TONEY-THORPE, EDWARD GOOGOO,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Les quatre appels sont interjetés contre des cotisations établies en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise[1] (la Loi), qui a introduit la taxe sur les produits et services (TPS) au Canada en 1991. Chacun des appelants est un Indien micmac inscrit. Chacun d'eux exploite un commerce de détail dans une réserve de la Nouvelle-Écosse. Le magasin de Vaughn Pictou est situé dans la réserve de Yarmouth (comté de Yarmouth). Celui de Jo-Ann Toney-Thorpe est situé dans la réserve de Cambridge (vallée d'Annapolis), et les entreprises de Rod Googoo et d'Edward Googoo sont situées dans la réserve de Whycocomagh (île du Cap-Breton). Dans l'exploitation de leurs entreprises, les appelants ne paient pas de TPS sur les produits qu'ils achètent et ne perçoivent pas de TPS auprès de leurs clients, qu'il s'agisse d'Indiens ou de non-Indiens. Le ministre du Revenu national leur a imposé de la TPS sur leurs ventes à des clients non indiens. Ils ne contestent pas le montant de ces cotisations. Leur thèse est que certains traités conclus entre la Couronne et les Micmacs au XVIIIe siècle ont pour effet de les soustraire à l'application de la Loi. L'argumentation qui m'a été présentée se fondait sur le fait que ces quatre appelants étaient représentatifs de l'ensemble du peuple micmac actuel. Tel peut être le cas, mais ma compétence se limite à statuer sur les quatre appels dont j'ai été saisi.

[2] La Loi impose une taxe sur toutes les fournitures de produits et services effectuées dans le cadre d'une activité commerciale au Canada (sous réserve de certaines exceptions, qui ne sont pas pertinentes ici). La taxe est imposée à l'acheteur des produits ou services (paragraphe 168(1)), mais le fournisseur, encore là sous réserve de certaines exceptions, est chargé de percevoir la taxe auprès de l'acheteur et de la verser au receveur général. À cette fin, le fournisseur est, en vertu de l'article 221, réputé être un mandataire de Sa Majesté la Reine. Un vendeur de produits ou services qui omet de percevoir la TPS exigible lorsqu'il effectue une vente doit néanmoins comptabiliser le montant de la TPS à l'égard de cette vente et le verser au receveur général. Bref, en vertu de la Loi,un vendeur au détail est le mandataire non rémunéré de la Couronne aux fins de la perception de la taxe et est responsable de toute omission à cet égard, dans la mesure du montant de la taxe qui aurait dû être perçu et versé. Pour l'essentiel, les appelants contestent le fait qu'un rôle de percepteur non rémunéré leur soit imposé par une loi et qu'ils soient tenus pour responsables envers la Couronne de tout montant qu'ils ont omis de percevoir à ce titre. Ils disent que l'application des traités du XVIIIe siècle les soustrait à une telle législation.

[3] Je dois préciser qu'il n'est nullement question ici de l'application de la TPS à des opérations par lesquelles les appelants vendent des produits ou services à des Indiens. Les cotisations établies à l'égard des appelants concernent uniquement des ventes à des non-Indiens. Toutefois, les appelants invoquent subsidiairement l'article 87 de la Loi sur les Indiens[2], car ils considèrent l'obligation de verser un montant égal aux taxes qu'ils n'ont pas perçues sur des ventes à des non-Indiens comme une taxe qui leur est imposée. Ils invoquent également l'article 89 de la Loi sur les Indiens.

[4] Je crois que ce qui précède résume de façon exacte l'essentiel de la thèse des appelants en l'espèce. Cependant, pour définir et préciser la nature exacte du droit conféré par traité que les appelants font valoir, il peut être utile de reproduire les extraits les plus pertinents d'un document, soit une description de la demande, que l'avocat des appelants a fourni à l'avocat de l'intimée et qu'il a déposé auprès de la Cour au début de l'audience. Les passages suivants figurent aux pages 2 et 3 de ce document :

[TRADUCTION]

[...] un droit conféré par traité et commun à tous les membres de la nation micmac, soit le droit de commercer avec des non-Indiens sans percevoir et verser à Sa Majesté la taxe sur les produits et services (TPS), à moins que, comme entité politique, la nation micmac consente à assumer la charge de percevoir et de verser la taxe.

Nous affirmons que les traités reconnaissaient la nation micmac comme entité politique autonome capable de donner ou non son assentiment aux traités et aux modalités y afférentes. Ainsi, toute restriction de la liberté des Micmacs nécessitait le consentement de ces derniers. Les traités reconnaissaient certaines restrictions ou charges. La taxation n'en faisait pas partie. Les traités reconnaissaient également le droit ou la liberté de faire du commerce. Ce commerce n'était assujetti à aucune charge ou restriction en matière de taxation. Imposer de nouvelles obligations en cette matière dans les relations commerciales exigeait le consentement des Micmacs. Le consentement des Micmacs n'a pas été demandé ni accordé.

La Couronne soutient que tout droit conféré par les traités est “ susceptible d'être réglementé ” par elle par voie de législation édictée unilatéralement, mais il faut également inclure le droit “ à l'amitié et à la protection ” dans un examen des droits en cause dans la présente espèce. Ces questions peuvent être présentées par rapport à trois droits conférés par traité, soit :

1. Le droit de commercer sans devoir payer ou percevoir de taxes.

2. Le droit à l'amitié et à la protection, y compris le droit de ne pas être assujetti à l'exercice unilatéral de la souveraineté de la Couronne, à moins que la Couronne s'acquitte des obligations d'un fiduciaire du point de vue du fond et de la forme, soit notamment l'obligation de consulter de bonne foi la communauté micmac et de faire une place importante aux intérêts des Micmacs.

3. Le droit à un “ traitement ” conforme aux protocoles des traités, ce qui implique la nécessité du consentement des Micmacs. Dans le processus de conclusion de traités, il était entendu que, lorsque de nouvelles questions ou de nouveaux désaccords se poseraient entre les parties, celles-ci tiendraient des négociations de bonne foi, sur un pied d'égalité, dans le but de concilier les intérêts divergents et qu'elles poursuivraient le processus jusqu'à ce que tous les efforts raisonnables aient été faits pour parvenir à une entente.

[5] Les appels ont été entendus ensemble, sur preuve commune. Cette preuve consistait dans les rapports écrits et les dépositions orales de trois historiens. M. William Wicken, qui détient un doctorat et qui est professeur adjoint d'histoire à l'Université York, et M. John Reid, qui détient un doctorat et qui est professeur d'histoire à l'Université Saint Mary's, ont témoigné pour les appelants. M. Stephen Patterson, qui détient un doctorat et qui est professeur d'histoire à l'Université du Nouveau-Brunswick, a témoigné pour l'intimée. Les trois ont des attestations d'études impressionnantes. Leurs rapports écrits couvrent plus de 200 pages au total. Les trois avaient témoigné devant le juge Embree, de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse, dans l'affaire R. v. Marshall[3]. Dans cette affaire, M. Marshall, un Indien micmac, avait fait valoir, dans sa défense contre l'imposition de certains frais en vertu du règlement fédéral sur les pêches, un droit conféré par les mêmes traités que ceux qui sont invoqués par les appelants dans la présente espèce, soit le droit de prendre et de vendre du poisson. Dans la présente espèce, j'ai entendu les dépositions des trois témoins sur une période d'environ huit jours, puis il y a eu les observations écrites et verbales des avocats, après quoi j'ai fait savoir aux avocats que j'entendais réserver mon jugement jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait rendu sa décision dans l'affaire Marshall. Cette décision a été rendue en septembre 1999 et a été suivie, en novembre 1999, d'une autre décision de la Cour suprême, rejetant une requête visant à ce que l'appel soit réentendu. Des motifs importants concernant le rejet de cette requête ont été rendus[4], et j'ai donc invité les avocats à présenter d'autres arguments écrits par rapport aux deux séries de motifs de la Cour suprême du Canada. J'ai maintenant reçu et examiné ces dernières observations écrites.

[6] Bien que les opinions écrites des trois témoins experts soient volumineuses et que les documents de base invoqués par eux et consignés en preuve avec le consentement des parties le soient encore plus, il n'y a entre les trois experts aucune divergence de vues importante quant aux principaux faits historiques entourant la conclusion des traités de 1760-1761. Il y a évidemment entre eux des divergences d'opinions quant au sens à attribuer à certains des termes figurant dans ces traités et quant à la manière dont les modalités des traités avaient été comprises par les parties. Pour bien comprendre les questions en cause, il faut examiner jusqu'à un certain point le contexte historique dans lequel les traités ont été négociés et conclus.

[7] La colonisation, par des Européens aux XVIIe et XVIIIe siècles, de l'Acadie de l'époque a été marquée par une lutte longue et acharnée, entre les Français et les Anglais, pour la suprématie. Les colonies françaises initiales étaient situées dans ce que l'on appelle maintenant l'île du Cap-Breton, ainsi qu'à Port Royal, sur le continent. Dans les années 1650, les Anglais ont pris Port Royal, ont établi une colonie sur le continent et y ont installé leur quartier général. À la fin des années 1660, la revendication de l'Acadie par les Français avait de nouveau été reconnue, et la suprématie des Français a prévalu jusqu'en 1690, année où Sir William Phips a capturé Port Royal et a réaffirmé le droit des Anglais à la région. La Nouvelle-Écosse d'aujourd'hui a été incluse dans le secteur défini par voie de charte comme étant la colonie de Massachusetts Bay, en 1691.

[8] La revendication de l'Acadie par les Français a de nouveau été reconnue par le traité de Reisling en 1697, puis l'Acadie a été officiellement cédée aux Britanniques par le traité d'Utrecht, en 1713. La France a conservé ce que l'on appelle aujourd'hui l'île du Cap-Breton et l'Île-du-Prince-Édouard. Les 35 années suivantes, c'est à Port Royal que se trouvait le siège du gouvernement de la colonie britannique, représenté par un gouverneur, nommé, et un conseil. Puis il a été transféré à Halifax, après la fondation de cette ville, en 1749. Au cours de cette période, la forteresse de Louisbourg, qui avait été construite par les Français entre 1720 et 1740, a changé de mains trois fois, la lutte pour la suprématie se poursuivant.

[9] Bien avant l'arrivée d'Européens en Amérique du Nord, les Micmacs habitaient la région correspondant à la Nouvelle-Écosse actuelle, y compris l'île du Cap-Breton, ainsi que le nord-est du Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et, au Québec, la péninsule de Gaspé. Leurs familles formaient des communautés vaguement organisées, principalement dans les régions côtières. Les chefs de ces communautés, les Sakamows, étaient choisis pour leurs qualités personnelles, et le leadership exercé par eux d'un commun accord se fondait sur leur autorité morale. Les Micmacs étaient des Algonquins, tout comme les Abénakis de ce qui est maintenant l'État du Maine et les Malécites de la vallée de la rivière Saint-Jean, dans le sud-ouest du Nouveau-Brunswick. Les Micmacs, les Abénakis et les Malécites avaient des relations cordiales et se communiquaient de l'information régulièrement.

[10] Les Algonquins de la côte Est et les explorateurs européens sont entrés en contact vers le début du XVIe siècle. Au cours des 150 années suivantes ou à peu près, ils ont beaucoup commercé les uns avec les autres. Les fourrures étaient très demandées en Europe, et les Micmacs étaient heureux d'échanger des fourrures contre divers produits européens, y compris des outils, des armes, des munitions et des textiles. En 1700, les Micmacs et les colons français avaient conclu une vague alliance contre les Britanniques, qui avaient cherché à occuper le même territoire depuis le milieu du XVIIe siècle. Au cours de cette période, le mode de vie traditionnel des Micmacs, fondé sur la chasse, la pêche et la cueillette, a été considérablement perturbé. Autonomes 200 ans plus tôt, les Micmacs sont devenus dépendants, du moins en partie, de leur commerce avec les Européens relativement aux nécessités de la vie. Cette dépendance accrue s'est accompagnée d'un rapprochement géographique avec les colonies et les établissements militaires des Français.

[11] Vers la fin du XVIIe siècle, les Anglais de la colonie de Massachusetts Bay ont entrepris un processus de conclusion de traités avec les Abénakis de cette région. Cinq traités ont été conclus, en 1693, 1699, 1701, 1713 et 1717 respectivement. Il y avait eu des hostilités ouvertes entre les Britanniques et les Abénakis pendant un certain temps, et le but des Britanniques dans la négociation de cette série de traités était de promouvoir à la fois la paix et le commerce avec les Abénakis. Les Micmacs de la Nouvelle-Écosse (devenue colonie distincte en 1713) étaient en contact avec les Abénakis et connaissaient sans aucun doute l'existence de ce processus de conclusion de traités dans le Sud.

[12] Dans les années 1720, les relations entre la colonie britannique de Massachusetts Bay et les Abénakis s'étaient de nouveau détériorées, et les relations entre les Britanniques de la Nouvelle-Écosse et les Micmacs de cette région n'étaient pas bonnes non plus. Le gouverneur de la Nouvelle-Écosse a fait une déclaration de guerre aux Micmacs en 1722. Un traité a apparemment été conclu entre les Britanniques et les Micmacs plus tard cette année-là, à Annapolis Royal, mais il n'en reste même pas une copie, et l'on sait peu de choses à ce sujet. En 1725, cependant, le processus de conclusion de traités allait bon train entre le gouvernement colonial britannique de la Nouvelle-Écosse et les Micmacs de la région.

[13] En 1725 et 1726, les Britanniques ont tenu des réunions à Boston avec des représentants des Abénakis, des Malécites et des Micmacs. Ces réunions ont donné lieu à un traité, qui a été ratifié à Annapolis Royal ultérieurement, soit en juin 1726. Même après cela, les hostilités entre les Britanniques et les Micmacs de la Nouvelle-Écosse se sont poursuivies, mais elles étaient alimentées par le contingent français de Louisbourg. Les Anglais et les Français ont continué à commercer avec les Micmacs, chacun des deux camps essayant d'obtenir la coopération des Micmacs au détriment de l'autre.

[14] En novembre 1752, le gouverneur Hopson a conclu avec les Micmacs de Shubenacadie, représentés par Jean Baptiste Cope, un traité contenant une clause commerciale, soit :

[TRADUCTION]

4. Il est convenu que ladite tribu d'Indiens ne sera pas empêchée, mais aura l'entière liberté de chasser et de pêcher comme d'habitude, et que, si elle juge nécessaire que soit établie une maison de troc sur la rivière Shubenacadie ou à tout autre endroit de son choix, ladite maison sera construite et les marchandises voulues y seront entreposées, afin de servir au troc avec ce dont les Indiens disposeront, et qu'entre-temps les Indiens auront l'entière liberté d'apporter, aux fins de vente, à Halifax ou à tout autre établissement de la province, des peaux, des plumes, du gibier, du poisson ou tout autre article qu'ils auront à vendre, où ils auront le loisir d'en disposer à leur plus grand avantage.

5. Qu'une quantité de pain, de farine et d'autres provisions que l'on peut se procurer, qui sont indispensables à la subsistance des familles et en proportion du nombre desdits Indiens, leur soit fournie deux fois par an, et que les mêmes conditions soient faites aux autres tribus qui conviendront, par la suite, de renouveler et de ratifier le traité de paix selon les modalités et les conditions précitées.

6. Pour que règnent une bonne harmonie et une entente mutuelle entre lesdits Indiens et le gouvernement, Son Excellence Peregrine Thomas Hopson, capitaine général, gouverneur en chef et vice-amiral de la province de la Nouvelle-Écosse ou Acadie de Sa Majesté, et colonel d'un des régiments d'infanterie de Sa Majesté, promet, par les présentes, au nom de Sa Majesté, que lesdits Indiens recevront en cadeau, le premier jour d'octobre de chaque année, aussi longtemps qu'ils resteront en bons termes d'amitié, des couvertures, du tabac et une certaine quantité de poudre et de balles, et lesdits Indiens promettent que, le premier jour d'octobre de chaque année, ils viendront eux-mêmes, ou par l'entremise de leurs délégués, recevoir lesdits présents et renouveler leurs promesses d'amitié et de soumission.

[15] Il se peut bien que ce traité n'ait pas survécu aux hostilités qu'il y a eu entre les Britanniques et les Micmacs en 1753 et après. Néanmoins, ce traité aide à déterminer quelles étaient les intentions mutuelles des parties à l'époque des négociations du traité, soit à la fin de cette décennie-là.

[16] Le droit de commercer et de le faire dans des conditions favorables assurant aux Micmacs qu'ils ne seraient pas désavantagés a été un thème constant tout au long des relations entre les Micmacs et le gouvernement colonial britannique[5]. Le 11 février 1760, les chefs des Malécites et des Pescomodys se sont réunis à Halifax avec le colonel Arbuthnot pour négocier un traité de paix et d'amitié. À cette réunion, ils ont convenu de réaffirmer les modalités du traité de 1725 et ont déclaré que[6] :

[TRADUCTION]

[...] leurs tribus les avaient chargés de proposer simplement que l'on crée une maison de troc pour leur fournir des articles de première nécessité en échange de leur pelleteries et que cet établissement soit, pour l'instant, situé à Fort Frederick.

Il a alors été convenu que serait créée une maison de troc gérée par une personne :

[TRADUCTION]

[...] sur qui les tribus pourraient toujours compter pour obtenir un traitement juste et bon et que lesdites tribus ne feraient aucun commerce ou échange de produits à d'autres endroits ou avec d'autres personnes.

[17] Le procès-verbal d'une réunion du Conseil tenue le 14 février 1760 fait état de la discussion suivante quant aux modalités de commerce devant être établies avec les Micmacs :

[TRADUCTION]

M. Benjamin Gerrish a déposé devant le Conseil une liste des nombreux articles que les Indiens (d'après leur propre information) pourraient se procurer à la maison de troc; comme les chefs indiens étaient présents, ils ont été consultés sur le prix devant être fixé pour chaque article — et devant être acquitté sous forme de peaux de castor —, et les prix des articles ainsi que les prix des peaux de castor ont été déterminés à leur satisfaction générale; on a fait en sorte qu'il leur semble qu'ils seraient approvisionnés selon de bien meilleures modalités que ce qu'ils avaient connu par le passé et à un prix bien meilleur que ce qu'un commerçant privé pourrait leur offrir.

[18] Deux jours plus tard, le 16 février, les prix devant être payés aux Micmacs ont été fixés à une réunion du Conseil à laquelle assistaient les chefs, et il a été ordonné que la liste de prix convenue serait reproduite dans les registres du Conseil et qu'une copie en serait remise aux chefs, avec une série de poids et mesures.

[19] Le 29 février 1760, deux chefs micmacs, Paul Laurent, de LaHave et Michael Augustine, de Richibucto, sont arrivés à Halifax en vue de conclure un traité de paix et d'amitié. Les modalités des traités venant d'être conclus avec les Malécites et les Pescomodys ont été communiquées aux deux chefs, qui ont dit au gouverneur de la colonie que les Micmacs seraient disposés à accepter les mêmes conditions. Des traités avec les Micmacs ont effectivement été conclus selon les mêmes modalités que dans le cas des Malécites et des Pescomodys. Les Britanniques entendaient conclure un traité global avec les divers villages micmacs. Un traité global n'a jamais été conclu, mais les villages ont tous bel et bien conclu des traités comportant les mêmes modalités, y compris la clause concernant le commerce et les maisons de troc. Comme le faisait remarquer le juge Binnie dans l'arrêt Marshall no 1[7], à la signature du dernier groupe de traités avec les Micmacs, le 25 juin 1761, le lieutenant-gouverneur Belcher, qui était alors gouverneur par intérim, avait dit aux Micmacs présents :

[TRADUCTION]

Les lois formeront comme une grande haie autour de vos droits et de vos biens; si quelqu'un brise cette haie pour vous causer du tort, le poids écrasant des lois s'abattra sur cette personne et la punira de sa désobéissance.

[20] Vu le jugement rendu par la Cour suprême dans l'affaire Marshall no 1, on ne saurait guère douter du fait que tous les Micmacs de la Nouvelle-Écosse sont aujourd'hui en droit de bénéficier de ces traités, et c'est ce que je conclus relativement à chacun des quatre appelants.

[21] Le texte du traité de mars 1760 signé par Paul Laurent et le gouverneur Charles Lawrence se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Traité de paix et d'amitié conclu par [Son Excellence Charles Lawrence], Esq., Gouv. et Com. en chef dans et pour la province de Sa Majesté la Nouvelle-Écosse ou l'Acadie, avec Paul Laurent, Chef de la tribu des Indiens de LaHave, à Halifax, dans la province de la N.-É. ou d'Acadie.

Je soussigné, Paul Laurent, en mon nom et au nom de la tribu des Indiens de LaHave dont je suis le chef, reconnais la juridiction et la domination de Sa Majesté le Roi George II sur les territoires de la Nouvelle-Écosse ou d'Acadie et nous faisons notre soumission à Sa Majesté de la manière la plus complète et la plus solennelle.

Et je promets en mon nom et au nom de ma tribu, de ne molester aucun des sujets de Sa Majesté et des personnes à leur charge, dans leurs établissements actuels ou futurs, ou dans leur commerce ou dans quelque autre chose dans ladite province de Sa Majesté ou ailleurs; et s'il arrive que quelque insulte, vol ou outrage soit commis par un membre de ma tribu, il sera donné satisfaction et fait restitution à la ou aux personnes lésées.

Que ni moi, ni aucun membre de ma tribu, n'inciterons les troupes ou soldats de Sa Majesté à déserter, ni ne les aiderons à s'enfuir, mais au contraire que nous nous efforcerons de les ramener à leur compagnie, régiment, fort ou garnison.

Qu'en cas de querelle ou mésentente entre moi-même et les Anglais ou entre ces derniers et un membre de ma tribu, ni eux ni moi n'exercerons aucune vengeance personnelle, mais que nous demanderons réparation selon les lois établies dans les Dominions de Sa Majesté.

Que tous les prisonniers anglais que ma tribu ou moi avons faits seront remis en liberté et que nous nous efforcerons de convaincre les autres tribus de faire de même si des prisonniers sont entre leurs mains.

Et je promets en outre, en mon nom et au nom de ma tribu, que nous n'assisterons, ni directement ni indirectement, aucun des ennemis de Sa Majesté très sacrée le Roi George II, de ses héritiers ou successeurs, ni ne ferons quelque forme de commerce, de trafic ou d'échanges avec eux; mais qu'au contraire nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour découvrir et signaler au gouverneur de Sa Majesté tout complot formé ou ourdi contre les sujets de Sa Majesté. Et je prends en outre l'engagement que nous ne trafiquerons, ne troquerons et n'échangerons aucune marchandise, de quelque manière que ce soit, si ce n'est avec les personnes ou les gérants des maisons de troc qui seront désignées ou établies par le gouverneur de Sa Majesté à Lunenburg ou ailleurs en Nouvelle-Écosse ou Acadie.

Et pour garantir plus efficacement l'exécution du présent traité en entier je prends l'engagement que certains membres de ma tribu, dont le nombre ne sera pas inférieur à deux, iront au plus tard en septembre prochain résider en tant qu'otages à Lunenburg ou à tel autre endroit en Nouvelle-Écosse ou Acadie désigné à cette fin par le gouverneur de Sa Majesté pour ladite province, lesquels otages seront échangés ou encore relevés par d'autres quand ils le souhaiteront.

Et je promets, en mon nom et au nom de ma tribu que nous respecterons et observerons de la manière la plus stricte et la plus solennelle tous et chacun des articles qui précèdent convenus avec Son Excellence C.L., gouverneur de Sa Majesté.

En foi de quoi, j'ai apposé ma marque et mon sceau à Halifax en Nouvelle-Écosse, le jour de mars mille

Paul Laurent

J'accepte tous les articles du traité susdit, en foi et en témoignage de quoi j'ai signé les présentes et y ai fait apposer mon sceau ce jour du mois de mars de la 33e année du règne de Sa Majesté et de l'an de Notre Seigneur — 1760.

Chas Lawrence

[22] La déposition orale de M. Reid sur le processus de conclusion de traités et sur la signification à attribuer aux traités s'est étalée sur environ trois jours et demi. Sa déposition écrite est un document de 43 pages. Tout comme dans le cas de la déposition écrite des autres témoins venus donner leur opinion, ce document est en grande partie un compte rendu assez détaillé de faits historiques qui ne sont pas contestés. Une partie du document énonce de nouveau le principe bien établi selon lequel il faut faire preuve de beaucoup de soin dans l'interprétation de traités conclus avec les Indiens, car ces derniers n'étaient pas habitués à mettre des choses par écrit et ne connaissaient pas l'anglais à fond, soit la langue dans laquelle les traités ont été consignés. M. Reid a cité l'exemple d'un marchand de Boston qui avait rapporté au Board of Trade de Londres en 1715 qu'il avait vu un traité qui, sur l'ordre du gouverneur, se lisait différemment selon qu'il s'agissait de la version présentée aux Indiens ou de la version consignée dans le registre gouvernemental. Les circonstances doivent être prises en compte, y compris les discours qui ont été prononcés, ainsi que les discussions tenues avec les autorités. Les circonstances incluent également les traités qui avaient été conclus entre le gouvernement colonial de Massachusetts Bay et les Abénakis et sur le modèle desquels ont été calqués les traités conclus ultérieurement avec les Micmacs. D'après M. Reid, le fait que les Britanniques aient été disposés à établir pour les Indiens un système de commerce faisant appel à des maisons de troc, ce qui signifiait des dépenses pour le gouvernement, et qu'ils aient continué à faire des cadeaux aux Indiens pour obtenir leur coopération dans la lutte en cours contre les Français doit être interprété comme une assurance que les Indiens ne seraient pas ultérieurement assujettis à une taxation par la Couronne britannique ni tenus de prendre part à un régime de taxation contre leur gré.

[23] M. Reid a conclu sa déposition orale par un résumé soulignant l'importance du commerce pour les Britanniques et pour les Micmacs durant le processus de conclusion de traités et l'importance de l'établissement entre eux de relations de paix et d'amitié les libérant des hostilités intermittentes qui avaient marqué leurs relations pendant au moins un demi-siècle. Les Micmacs, disait-il, recherchaient des relations dépourvues de coercition, dépourvues de toute idée de taxation de la part des Britanniques et dans lesquelles des cadeaux continueraient de leur être faits par la Couronne britannique. Pour leur part, les Britanniques recherchaient d'abord et avant tout la paix, de sorte que la colonisation de la région puisse se faire en toute sécurité.

[24] L'idée maîtresse du témoignage de M. Reid était que les Micmacs, malgré la langue dans laquelle étaient rédigés les traités, n'avaient pas accepté d'être soumis à la Couronne britannique, notamment d'être taxés par elle, et qu'ainsi ils n'étaient pas assujettis, à l'époque de la conclusion des traités ou après, à une législation unilatérale exigeant qu'ils participent à un régime de taxation. Au cours du contre-interrogatoire, M. Reid n'a pu fournir d'explication quant à savoir quel statut les Micmacs pouvaient avoir dans leurs relations avec la Couronne si ce n'est le statut de sujets de Sa Majesté.

[25] Je ne trouve pas le témoignage de M. Reid utile. M. Reid a utilisé plusieurs fois au cours de son témoignage des expressions comme : “ J'arguerais que... ”. Il était bien évident, dans sa déposition écrite et dans sa déposition orale, qu'il considérait qu'il avait pour rôle non pas d'aider la Cour, mais plutôt de défendre les appelants. Sa conclusion selon laquelle la taxation des Micmacs par les Britanniques “ était impensable à cette époque pour des raisons de principe et des motifs d'ordre pratique ” peut bien être exacte, mais elle ne répond pas à la question de savoir si, par implication, il y a dans les traités une disposition soustrayant les Micmacs à l'obligation de percevoir la TPS auprès de non-Indiens à qui ils vendent des produits dans leurs magasins.

[26] La preuve présentée par M. Wicken consistait également en grande partie en un vaste exposé d'événements historiques qui ne sont pas contestés. M. Wicken a relaté en détail l'histoire de la colonisation de la région, ainsi que la lutte entre les Français et les Anglais et le processus de conclusion de traités. Tout comme M. Reid et M. Patterson, il a traité longuement des risques qu'il y a à se fier aux comptes rendus écrits de traités conclus avec les Indiens sans prendre en compte les événements et discussions connexes, y compris les traités conclus avec les Abénakis. Vers la fin de sa déposition écrite, soit un document de 114 pages, il traite de la taxation en Nouvelle-Écosse à l'époque pertinente. Au milieu du XVIIIe siècle, les principales taxes directes en Nouvelle-Écosse étaient la rente libératoire payée annuellement par les bénéficiaires de concessions de terres du gouvernement et le cens électoral, soit une taxe per capita imposée aux hommes. Ni l'une ni l'autre n'étaient payées par les Micmacs. Les autres taxes importantes de cette époque étaient les droits de douane à l'importation de produits ayant des points d'origine non britanniques. Il y avait notamment des droits sur le rhum et d'autres spiritueux, soit des droits dont l'intégralité, sauf un penny par gallon, était versée dans le cas de ventes faites aux Micmacs par l'intermédiaire des maisons de troc. On ne sait pas si les Micmacs étaient au courant que le prix qu'ils payaient pour le rhum acheté à la maison de troc incluait ce petit élément de taxation indirecte.

[27] M. Wicken termine sa déposition écrite par le texte suivant, qui peut à juste titre être considéré comme un sommaire du raisonnement sous-jacent à sa conclusion selon laquelle les traités soustraient les Micmacs aux obligations que la Loi impose aux commerçants relativement à la perception, au versement et à la comptabilisation de la TPS.

[TRADUCTION]

Dans aucun de ces cas les Micmacs ne payaient de taxes directement, ce qui montre qu'ils avaient un statut différent de celui des autres habitants de la région, qu'il s'agisse de Britanniques ou d'Acadiens. Aucun commerçant micmac ne percevait non plus de taxes pour la Couronne.

Les raisons en sont attribuables à divers facteurs. Tout d'abord, le facteur le plus important tient au fait que les Micmacs étaient des chasseurs et des pêcheurs et qu'ils dépendaient principalement du gibier et du poisson pour leur survie. Ainsi, ils vivaient hors des principales régions agricoles et urbaines, habitées par des Britanniques et des Acadiens. En fait, les Micmacs étaient encouragés par les représentants de la Grande-Bretagne à continuer à habiter hors de ces régions et à continuer à vivre de chasse et de pêche. Cette séparation économique et politique entre les deux communautés faisait implicitement partie des relations établies par traité. Cette séparation entre les deux communautés est expliquée très clairement dans un compte rendu qui a été rédigé par une personne proche de la communauté malécite et qui a été publié dans l'ouvrage de Peter Fisher intitulé The First History of New Brunswick. D'après ce compte rendu, à leur arrivée à Halifax en 1765, les Malécites avaient menacé de faire la guerre aux Britanniques si certaines injustices n'étaient pas corrigées.

[TRADUCTION]

Ils se plaignaient simplement que, souvent, les habitants avaient continué à tuer des castors, des orignaux et d'autres animaux non loin d'un territoire appartenant exclusivement aux Indiens d'après les chefs, et ils faisaient valoir qu'une condition d'un traité antérieur était que les colons anglais ne soient pas autorisés à tuer de gibier au-delà des limites de leurs fermes et améliorations agricoles. Dans sa réponse, le gouverneur les informait que tous les traités antérieurs devaient être strictement respectés et que, si les habitants avaient fait quoi que ce soit de contraire à de tels traités, il y avait lieu de les réprimander sévèrement et de les empêcher de poursuivre de telles pratiques.

Pour les Malécites et les Micmacs, les traités avaient créé des mécanismes pour l'établissement de relations commerciales et politiques avec les représentants de la Grande-Bretagne. Toutefois, comme l'indiquent les négociations du traité de 1760 qui ont eu lieu durant l'automne 1759 et l'hiver 1760, ces relations ont été le produit de discussions entre les deux parties. Ainsi, ce que les Micmacs ont compris, c'est que toute modification de leurs relations avec la Couronne britannique serait assujettie à d'autres négociations et ententes. Toute modification unilatérale de leurs relations aurait été inconcevable[[8]].

[note de bas de page omise]

M. Wicken conclut en fait que, comme le traité ne parle pas expressément de la question de la taxation, cette question ne peut être l'objet d'une loi imposant de nouvelles obligations aux Micmacs sans qu'il y ait d'abord eu des négociations avec eux et qu'ils aient consenti à être assujettis à une telle loi.

[28] Les principes régissant l'interprétation de traités conclus avec les Indiens ont été énoncés de nouveau l'an dernier par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Marshall no 1[9]. Parlant pour la majorité, le juge Binnie a réaffirmé la règle exprimée par le juge Cory dans le passage suivant de l'arrêt Badger[10] :

[...] Le tribunal qui examine un traité doit tenir compte du contexte dans lequel les traités ont été négociés, conclus et couchés par écrit. En tant qu'écrits, les traités constataient des accords déjà conclus verbalement, mais ils ne rapportaient pas toujours la pleine portée de ces ententes verbales: voir Alexander Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories (1880), aux pp. 338 à 342; Sioui, précité, à la p. 1068; Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba (1991); Jean Friesen, Grant me Wherewith to Make my Living (1985). Les traités, qui ont été rédigés en anglais par des représentants du gouvernement canadien qui, on le présume, connaissaient les doctrines de common law, n'ont toutefois pas été traduits, par écrit, dans les diverses langues (en l'espèce le cri et le déné) des nations indiennes qui en étaient signataires. D'ailleurs, même s'il l'avaient été, il est peu probable que les Indiens, qui communiquaient exclusivement oralement, les auraient interprétés différemment. Par conséquent, il est bien établi que le texte d'un traité ne doit pas être interprété suivant son sens strictement formaliste, ni se voir appliquer les règles strictes d'interprétation modernes.

[Le soulignement est du juge Binnie.]

Le juge Binnie poursuivait en disant :

Il ne faut pas confondre les règles "généreuses" d'interprétation avec un vague sentiment de largesse a posteriori. L'application de règles spéciales est dictée par les difficultés particulières que pose la détermination de ce qui a été convenu dans les faits. Les parties indiennes n'ont à toutes fins pratiques pas eu la possibilité de créer leurs propres compte-rendus écrits des négociations. Certaines présomptions sont donc appliquées relativement à l'approche suivie par la Couronne dans la conclusion des traités (conduite honorable), présomptions dont notre cour tient compte dans son approche en matière d'interprétation des traités (souplesse) pour statuer sur l'existence d'un traité (Sioui, précité, à la p. 1049), le caractère exhaustif de tout écrit (par exemple l'utilisation du contexte et des conditions implicites pour donner un sens honorable à ce qui a été convenu par traité: R. c. Simon, [1985] 2 R.C.S. 387; 62 N.R. 366; 71 N.S.R. (2d) 15; 171 A.P.R. 15, et R. c. Sundown (J.), [1999] 1 R.C.S. 393; 236 N.R. 251; 177 Sask.R. 1; 199 W.A.C. 1), et l'interprétation des conditions du traité, une fois qu'il a été conclu à leur existence (Badger). En bout de ligne, la cour a l'obligation "de choisir, parmi les interprétations de l'intention commune [au moment de la conclusion du traité] qui s'offrent à [elle], celle qui concilie le mieux" les intérêts des Mi'kmaq et ceux de la Couronne britannique (je souligne) (Sioui, motifs du juge Lamer, à la p. 1069).

[29] Pour l'essentiel, la thèse des appelants consiste en quatre propositions. Premièrement, les appelants arguent que la clause commerciale des traités de 1760-1761 a pour effet de soustraire les Micmacs à toute législation qui leur imposerait une taxe ou qui exigerait d'eux qu'ils aident le gouvernement en percevant une taxe auprès d'autres personnes dans le cadre d'une activité commerciale. À l'époque où les traités ont été négociés, les Micmacs n'étaient pas assujettis à une taxation directe et n'étaient pas non plus tenus de participer comme percepteurs à un régime de taxation. Le système mis en oeuvre par les traités pour le commerce des fourrures des Micmacs par l'intermédiaire de maisons de troc était subventionné par le gouvernement colonial pour le bénéfice des Micmacs, qui ont donc le droit — soit un droit conféré par traité — de ne pas se voir imposer les charges prévues par les dispositions de la Loi en matière de perception de TPS. En 1991, lorsque la mesure législative a été édictée, ce droit conféré par traité était déjà enchâssé dans la Constitution en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[30] Deuxièmement, il est argué que, indépendamment de la clause commerciale, les traités, ayant été conclus pour promouvoir la paix et l'amitié entre les Micmacs et les Britanniques, ont pour effet d'accorder une immunité aux Micmacs contre l'application d'une loi leur imposant des charges, à moins que les Micmacs aient d'abord été consultés et qu'ils aient accepté ces charges. De la manière dont je comprends l'argument de l'avocat des appelants, cette immunité s'appliquerait à de nouvelles questions, c'est-à-dire, si je ne m'abuse, à des questions qui n'étaient nullement prévues dans les traités. À un moment donné au cours de son témoignage, M. Reid a dit que “ des amis n'exercent pas de coercition l'un contre l'autre ni ne cherchent à le faire ”.

[31] Troisièmement, les appelants soutiennent que l'obligation de percevoir la TPS auprès de leurs clients non indiens, de la comptabiliser et de la verser au gouvernement équivaut en droit à l'imposition d'une taxe et que, à la condition qu'ils exploitent leurs entreprises dans des réserves indiennes, ils sont exonérés de cette taxe par les dispositions de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Quatrièmement, les appelants invoquent l'article 89 de la Loi sur les Indiens, qui dispose que les biens d'un Indien situés dans une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution. Les extraits pertinents de ces articles se lisent comme suit :

87(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

[...]

89(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien ou une bande.

[32] Pour les raisons qui suivent, je suis d'avis que ni la clause commerciale ni les promesses de paix et d'amitié faites dans les traités n'étayent l'interprétation avancée par les appelants. La preuve est loin de me convaincre que l'une ou l'autre partie avait à l'esprit la question de la taxation lorsque ces traités ont été conclus. Les Micmacs étaient, pour des fins d'ordre pratique, exonérés de taxation à l'époque, et aucun élément de preuve n'indique que les Britanniques songeaient à changer cela. Il n'y avait aucune raison non plus pour que les Micmacs pensent à la question de la taxation durant les négociations. Il n'existait simplement aucun différend entre les parties en matière de taxation.

[33] Comme le fait remarquer lejuge Binnie dans l'arrêt Marshall no 1[11], il ne faut pas confondre les règles généreuses d'interprétation avec un vague sentiment de largesse a posteriori. L'interprétation d'un traité n'a pas pour objet d'étendre le traité à des questions qui n'étaient pas envisagées et ne pouvaient être envisagées par les parties lorsque celles-ci ont conclu le traité. Comme le disait le juge Lamer dans l'arrêt Sioui[12], “ [m]ême une interprétation généreuse du document [...] doit être réaliste et refléter l'intention des deux parties et non seulement celle des Hurons ”.

[34] Dans le cas qui nous occupe, les questions qui se posaient entre les parties aux traités concernaient uniquement la paix et le commerce. Comme l'indique le compte rendu historique, les Britanniques se préoccupaient de mettre un terme aux escarmouches à répétition et aux effusions de sang occasionnelles qui avaient marqué les relations pendant des décennies, par intermittence. Jusqu'à ce que cela soit accompli, la colonisation ne pouvait se faire dans l'ordre. Pour leur part, les Micmacs désiraient établir des relations commerciales dans lesquelles ils recevraient un prix équitable pour leurs fourrures. Ils avaient longtemps été victimes de commerçants peu scrupuleux; ils voulaient — et ont obtenu — des assurances qu'ils obtiendraient à l'avenir une valeur équitable pour les produits qu'ils échangeaient.

[35] Les appelants se fondent sur tous les traités conclus entre les Britanniques et les Micmacs entre 1725 et 1768, mais l'argumentation met l'accent sur les traités de 1760-1761, formulés de façon semblable, soit les traités qui ont été examinés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Marshall. Ces traités doivent évidemment être considérés à la lumière de l'ensemble de l'histoire des relations entre les parties, y compris à la lumière des autres traités. Comme l'avocat des appelants le faisait remarquer dans une de ses observations écrites, citant des propos tenus par le juge Binnie dans l'arrêt Marshall no 1, au paragraphe 40 : “ C'est à l'intention commune des parties en 1760 — et non seulement aux conditions du document du 10 mars 1760 — qu'il faut donner effet ”.

[36] Dans l'affaire Marshall, l'intention commune à laquelle a conclu la Cour suprême était que les Micmacs soient libres de faire le commerce du produit de leur chasse, de leur pêche et de leur cueillette et qu'ils soient protégés contre les pratiques, alors courantes, de commerçants non indiens peu scrupuleux. Par implication, cela inclut le droit pour les Micmacs de prendre du poisson, sans être assujettis à une réglementation, mais seulement dans la mesure nécessaire pour s'assurer un train de vie modeste. Ce droit a été considéré comme inhérent aux modalités expresses des traités en matière de commerce, car le droit de commercer serait vide de sens sans le droit d'exercer les activités traditionnelles de chasse et de pêche et d'avoir ainsi des produits à offrir sur le marché. Dans l'arrêt Marshall no 1 et dans l'arrêt Marshall no 2, la Cour suprême a dit bien clairement que ce droit implicite est assujetti à la restriction que j'ai mentionnée précédemment et ne s'applique pas à l'enrichissement.

[37] La situation est bien différente en l'espèce. Les appelants n'ont présenté aucun élément de preuve pouvant leur assurer ici la protection de la clause commerciale des traités. Il n'y avait aucun élément de preuve sur la nature de leurs entreprises, mais il est reconnu dans les actes de procédure que Jo-Ann Toney-Thorpe exploite un magasin de dépannage et que les trois autres appelants exploitent des postes d'essence avec magasins de dépannage adjacents. Leurs ventes à des clients non indiens vont d'environ 26 000 $ par mois, dans le cas d'Edward Googoo, à environ 159 000 $ par mois, dans le cas de Roderick Googoo. Il n'y a aucun élément de preuve quant à la rentabilité de leurs entreprises, mais il s'agit clairement d'entreprises importantes. Il est également clair que le commerce qu'ils font n'a pas trait au produit du mode de vie traditionnel des Micmacs. Leur marchandise, c'est de l'essence, des produits du tabac, des confiseries et, sans aucun doute, d'autres produits manufacturés qu'ils achètent en vue de les revendre à profit. Il n'y a aucune analogie à faire entre ce type de commerce et les échanges de fourrures et de poisson contre des produits européens, soit des échanges devant être protégés par la clause commerciale des traités. À mon avis, les entreprises commerciales des appelants ne correspondent pas, que ce soit quantitativement ou qualitativement, au type d'échanges que les signataires des traités pouvaient avoir à l'esprit en 1760.

[38] Les appelants cherchaient à faire valoir cet aspect de leur cause en arguant que, s'ils étaient tenus de percevoir la TPS, cela augmenterait le coût de leurs produits pour leurs clients et les désavantagerait donc sur le plan de la concurrence. Cet argument ne tient pas compte du fait que leurs concurrents non indiens doivent percevoir la TPS avec le prix de leurs produits. En fait, les appelants ont un fardeau moins lourd à porter que leurs concurrents. Ils ne paient pas de TPS sur l'achat de leur marchandise et n'ont donc pas à utiliser le fonds de roulement pour cela ni à justifier l'admissibilité à des crédits de taxe sur les intrants.

[39] Le deuxième aspect de la cause des appelants repose sur deux fondements différents, mais connexes. Il était argué premièrement que les promesses d'amitié et de protection formant la base des traités exigeaient “ [...] de consulter de bonne foi la communauté micmac et de faire une place importante aux intérêts des Micmacs [...] ”[13] avant que les Micmacs puissent être liés par tout exercice de souveraineté de la part de la Couronne britannique. L'avocat des appelants arguait deuxièmement que, dans le processus de conclusion de traités, il était entendu que, lorsque de nouvelles questions se poseraient entre les parties, “ [...] celles-ci tiendraient des négociations de bonne foi, d'égal à égal, dans le but de concilier les intérêts divergents et qu'elles poursuivraient le processus jusqu'à ce que tous les efforts raisonnables aient été faits pour parvenir à une entente ”[14].

[40] Ces arguments partent de la proposition indubitable selon laquelle les traités étaient des traités de paix et d'amitié. Comme je l'ai dit, l'intérêt des Britanniques tout au long de la période était de promouvoir des relations pacifiques avec les Micmacs. Cela se reflète systématiquement dans les instructions données aux gouverneurs des colonies britanniques de l'ensemble du Nouveau Monde, notamment pour ce qui est de la Nouvelle-Écosse. Cela se voit aussi dans la formulation de la Proclamation royale (1763). Toutefois, aucun élément de la preuve qui m'a été présentée ne pourrait amener à conclure que les gouverneurs ou le Conseil envisageaient de temps à autre de conférer aux Micmacs le statut de citoyens qui ne seraient pas liés par les lois ordinaires d'application générale à moins d'avoir d'abord été spécialement consultés et d'avoir accepté d'être liés par ces lois.

[41] L'avocat faisait grand cas de l'extrait que j'ai cité précédemment, au paragraphe 19, soit un extrait du discours que Jonathan Belcher, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, avait prononcé à sa ferme le 25 juin 1761 après la signature du dernier des traités de 1760-1761 conclus avec les Micmacs. M. Belcher y parle des lois comme d'une haie protégeant les droits et les biens des Micmacs. Ce discours, qui a été traduit par le père Maillard[15], se terminait comme suit :

[TRADUCTION]

[...] Que votre cause en matière de guerre et de paix puisse être la même que la nôtre et que nous défendions ensemble cette cause sous les ordres du même puissant chef et roi, en vertu des mêmes lois et pour les mêmes droits et libertés.

Le document du père Maillard dit ensuite :

[TRADUCTION]

[...] S'adressant indirectement à Sa Majesté britannique, le chef des Indiens du Cap-Breton a, au nom de tous les autres, prononcé le discours suivant (également interprété par M. Maillard) :

Seigneur et père,

Nous venons ici pour vous assurer, au nom de tous ceux dont nous sommes les chefs, que les propositions que vous nous avez gracieusement fait parvenir par écrit nous sont très acceptables, à mes frères et à moi, et que nous avions l'intention de nous soumettre à votre autorité sans condition.

Nous ne doutons pas de votre sincérité, et ce, principalement en raison de votre conduite charitable, miséricordieuse et généreuse envers les pauvres Français errant sur les côtes et dans les bois sans aucune des choses nécessaires à la vie; il est certain que, tout comme eux, nous aurions misérablement péri n'eût été l'humanité dont vous avez fait preuve, car nous étions réduits à des extrémités plus intolérables que la mort elle-même.

Vous êtes maintenant le maître ici; telle est la volonté de Dieu, qui vous a donné la suprématie de ces vastes contrées, couronnant toujours vos entreprises de succès. Votre peuple était un très grand peuple avant ces acquisitions et est maintenant encore plus puissant, mais l'ampleur de ses possessions n'égale pas la droiture de votre coeur, dont vous nous avez donné des preuves indubitables à maintes reprises depuis la réduction du Canada. Soyez assuré que la modération et l'indulgence avec lesquelles nous avons été traités ont implanté profondément dans nos coeurs un légitime sentiment de gratitude. Les bons et nobles sentiments que vous nous avez manifestés dans notre misérable situation nous ont donné le courage de sortir des bois, soit notre abri naturel duquel nous avions précédemment résolu de ne pas sortir jusqu'à ce que la paix soit faite entre les deux Couronnes et quelles que soient les difficultés que nous puissions endurer.

Votre générosité, votre bonté et votre propension à la clémence nous font espérer qu'aucune mention ne sera jamais faite d'actes d'hostilité commis par nous contre vous et les vôtres. Les secours qui nous ont été si opportunément fournis dans notre détresse la plus grande ont été l'objet de nos pensées si souvent qu'ils nous ont inspiré les plus hauts sentiments de gratitude et d'affection.

Nous avons donc senti le devoir pressant de venir à Halifax non seulement pour communiquer au représentant du Roi les résolutions que nous avions prises en sa faveur, vu sa bienveillance à notre égard, mais aussi pour lui dire que les nombreuses preuves qu'il nous a données de la bonté de son coeur à une époque et dans une conjoncture où nous ne pouvions espérer un traitement aussi favorable nous ont subjugués à tel point que nous n'avons plus de volonté propre. Sa volonté est la nôtre.

Vous nous voyez aujourd'hui effectivement devant vous; disposez de nous comme bon vous semble. Notre plus grande infortune est d'avoir négligé si longtemps de saisir l'occasion de vous connaître aussi bien que nous vous connaissons maintenant. Nous ne cherchons pas à vous flatter. Nous vous parlons selon ce que nous dictent nos coeurs. Comme vous avez la bonté d'oublier le passé, nous sommes heureux que le passé tombe dans l'oubli. Accueillez-nous dans vos bras, dans lesquels nous nous réfugions comme dans un havre de paix que nous sommes résolus à ne jamais quitter.

Je jure, pour mes frères, mon peuple et moi, par Dieu tout-puissant qui voit tout, entend tout et domine toutes choses visibles et invisibles, que je souscris sincèrement à tous les articles dont vous proposez que les deux parties assurent l'inviolabilité.

Tant que le soleil et la lune dureront, tant que la terre sur laquelle j'habite existera dans l'état dans lequel vous la voyez aujourd'hui, je serai votre ami et allié, je me soumettrai aux lois de votre gouvernement et je serai fidèle et obéissant à la Couronne, et ce, que les choses dans ces contrées reviennent ou non à leur état antérieur; je jure de nouveau, par le chef suprême du ciel et de la terre, par le souverain qui dispose de toutes choses ayant vie sur la terre ou au ciel, que je serai pour toujours dans la disposition d'esprit dans laquelle vous me trouvez maintenant.

Ni l'un ni l'autre de ces discours n'indiquent que les Micmacs acceptaient la souveraineté britannique sous certaines réserves comme le soutiennent les appelants. Au contraire, il est clair que les Micmacs comprenaient très bien qu'ils devaient jouir de la protection des lois britanniques tout en étant assujettis à ces lois. Il n'est pas remarquable qu'un tel marché ait été conclu à une époque où la présence militaire française en Amérique du Nord avait pratiquement disparu. Il devait être évident pour les Indiens que la meilleure façon de veiller à leurs intérêts à long terme était de s'unir aux Britanniques selon ce qui leur était offert, soit l'égalité, devant la loi, avec les autres citoyens britanniques.

[42] Je ne suis pas d'accord avec l'avocat des appelants pour dire que la traduction faite par le père Maillard des discours prononcés à la ferme de John Belcher n'est pas fiable et que les Micmacs ne comprenaient pas le concept de souveraineté et n'entendaient donc pas être liés par les lois britanniques. Les nombreux documents consignés en preuve ne contiennent que des fragments de preuves de traductions trompeuses quant aux interactions entre les Britanniques et les Indiens, et aucun de ces cas n'a de rapport avec les événements particuliers en cause dans la présente espèce. Le père Maillard avait assurément la confiance des Micmacs; il avait vécu avec eux de nombreuses années. Je ne suis pas convaincu qu'il leur aurait présenté sous un faux jour la nature des documents qu'ils signaient ou le sens du discours du gouverneur britannique. Il n'aurait également eu aucune raison de falsifier le compte rendu de la réponse des Indiens.

[43] Les Britanniques n'avaient assurément en 1760 aucune raison d'offrir aux Micmacs des conditions plus favorables que celles qui s'appliquaient aux colons britanniques. Les forces françaises n'étaient plus une menace. L'établissement de relations amicales avec les Indiens était assurément à l'ordre du jour des Britanniques, mais il n'aurait pas été acceptable pour la population en général d'être assujettie aux lois adoptées de temps à autre tandis que les Micmacs en auraient bénéficié sans y être assujettis. L'existence d'une telle intention n'est pas étayée par la preuve, et il serait illogique de leur prêter une telle intention.

[44] Pour toutes ces raisons, je ne crois pas que les appelants soient par voie de traité exonérés de l'obligation, comme mandataires de Sa Majesté en vertu d'une loi, de percevoir la TPS auprès de leurs clients non indiens, de la comptabiliser et de la verser au receveur général conformément aux modalités prévues par la Loi.

[45] Je passe maintenant aux arguments basés sur la Loi sur les Indiens. La thèse des appelants est que les dispositions de la Loi en question imposent une taxe à un marchand détaillant parce qu'elles exigent de lui qu'il perçoive et verse la TPS exigible sur une vente au détail et que, en cas d'omission à cet égard, il remette une somme égale à la taxe non perçue. Si tel est le cas, l'article 87 soustrait un Indien à l'application de ces dispositions.

[46] À mon avis, cet argument ne tient pas en raison du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Renvoi relatif à la T.P.S.[16]. Cette affaire avait commencé par un renvoi, par le lieutenant-gouverneur de l'Alberta à la Cour d'appel de l'Alberta, concernant la validité constitutionnelle de la Loi. La troisième question constitutionnelle posée se lit comme suit :

Compte tenu de l'art. 103 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la common law, les fournisseurs ont-ils le droit d'exiger et de percevoir du Trésor canadien tous les frais et les dépenses attribuables à la perception et au versement d'une remise en vertu des dispositions législatives sur la TPS?

Dans l'appel de la décision de la Cour d'appel de l'Alberta interjeté devant la Cour suprême, le procureur général de l'Alberta soutenait que, en exigeant que le vendeur d'une fourniture taxable perçoive et verse la taxe, la Loi imposait une dépossession forcée du bien du vendeur, par la Couronne, donnant lieu au droit, pour le vendeur, d'être indemnisé en vertu du principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries[17]. Le juge en chef Lamer a, pour la majorité, rejeté cet argument, concernant le fardeau administratif imposé à un détaillant et concernant toute somme que le détaillant pouvait avoir à payer à l'égard de la TPS non perçue. Aux pages 474 et 475, il disait :

[...] Il est difficile de comprendre l'argument de l'Alberta selon lequel le vendeur d'une fourniture taxable, lorsqu'il perçoit et remet la TPS, se trouve “dépossédé” de son bien. C'est l'acheteur et non le fournisseur, qui est tenu de payer la TPS. Le fournisseur est simplement le mandataire de la Couronne du chef du Canada aux fins de la perception. Même dans les cas où le vendeur est tenu d'absorber la TPS pour maintenir ses ventes, la réduction de revenu qui en résulte ne peut raisonnablement être qualifiée de “dépossession” du bien du fournisseur par le gouvernement fédéral. Si un tel raisonnement devait s'appliquer, pratiquement toutes les politiques gouvernementales qui entraînent directement ou indirectement une réduction du revenu d'un fournisseur pourraient être qualifiées de “dépossession” d'un bien qui serait susceptible de donner lieu à une indemnisation. En vérité, étant donné que le fournisseur n'est “dépossédé” d'aucun bien par l'imposition des obligations en matière de perception et de remise de la TPS, un droit à une indemnisation ne peut s'appuyer sur ce fondement.

Comme il n'y a aucune “ dépossession ” du vendeur du fait de l'application de la loi, on ne peut dire qu'une taxe est imposée au vendeur parce qu'une taxe représente essentiellement une dépossession involontaire, par l'État, de biens de la personne. L'article 87 de la Loi sur les Indiens ne peut donc s'appliquer.

[47] L'argument final avancé par les appelants se fonde sur l'article 89 de la Loi sur les Indiens, en vertu duquel les biens d'un Indien situés dans une réserve sont protégés contre les saisies. En bref, la réponse à cet argument est qu'il est prématuré. La protection de biens contre une saisie visant l'acquittement de la dette envers la Couronne qui est indiquée dans une cotisation n'influe pas sur la validité de la cotisation. Cette protection peut évidemment être invoquée comme moyen de défense dans une action en recouvrement intentée par la Couronne. Cependant, aucun élément de preuve n'indique qu'une action en recouvrement a déjà été intentée relativement à ces cotisations, et ma compétence dans ces appels se limite évidemment à déterminer si les cotisations sont bien fondées en fait et en droit. Pour les motifs que j'ai énoncés, je conclus qu'elles le sont.

[48] Les appels sont rejetés, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de mai 2000.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Édictée par L.C. 1990, ch. 45.

[2]               L.R.C. 1985, ch. I-5.

[3]               [1996] N.S.J. 246 (QL); conf. par (1997) 159 N.S.R. (2nd) 186; inf. par (1999) 246 N.R. 83 (arrêt Marshall no 1).

[4]               (1999) 247 N.R. 306. (arrêt Marshall no 2).

[5]                Des exemples de cette préoccupation sont donnés dans les pièces A-114, A-116, A-117 et A-118.

[6]               Pièce A-120.

[7]                Précité, paragraphe 47.

[8]               Pièce A-187, pages 116-118.

[9]                Précité, paragraphe 14.

[10]              R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771.

[11]             Précité, paragraphe 14.

[12]             [1990] 1 R.C.S. 1025, page 1069.

[13]             Mémoire des appelants, page 20.

[14]             Mémoire des appelants, page 30.

[15]             Pièce R-126.

[16]             [1992] 2 R.C.S. 445.

[17]             Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101.

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