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Date: 20000211

Dossier: 98-2328-IT-I

ENTRE :

MICHAEL MCINTOSH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont interjetés sous le régime de la procédure informelle à l'encontre de cotisations établies par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1994 et 1995.

[2] Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995, l'appelant a déduit les montants de 7 165 $ et de 20 761 $ respectivement à titre de pension alimentaire ou d'allocations d'entretien. Dans les cotisations qu'il a établies à l'égard de l'appelant, le ministre a refusé la déduction de ces montants pour les motifs suivants :

[TRADUCTION]

l'appelant et son ex-épouse, Lori Ann McIntosh (l'“ ex-épouse ”), se sont séparés au cours de l'année d'imposition 1994;

pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant et son ex-épouse avaient trois enfants, Kevin, né le 29 septembre 1986, Nicholas, né le 26 juillet 1988, et Brandon, né le 30 mai 1992;

suivant un accord de séparation provisoire (l'“ accord ”) daté du 17 novembre 1994, l'appelant était tenu de verser au total, à son ex-épouse, 1 350 $ par mois et ce, à compter du 1er septembre 1994;

l'accord n'a pas été dûment signé par l'appelant et son ex-épouse; par conséquent, il ne constitue pas un accord écrit au sens de l'alinéa 60b) de la Loi;

au cours des années d'imposition 1994 et 1995, l'appelant n'était pas tenu, en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, de payer à son ex-épouse quelque montant que ce soit à titre de pension alimentaire ou d'allocations d'entretien;

les paiements de 7 165 $ et de 20 761 $ effectués par l'appelant à son ex-épouse au cours des années d'imposition 1994 et 1995 respectivement n'ont pas été faits en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit;

les paiements de pension alimentaire ou d'allocations d'entretien ne peuvent être déduits par l'appelant dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995.

[3] Il s'agit de déterminer si l'appelant pouvait, dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995, déduire un montant à titre de pension alimentaire ou d'allocations d'entretien conformément à l'alinéa 60b) de la Loi, dont voici le libellé :

ARTICLE 60 : Autres déductions.

Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

460b)3

b) Pensions alimentaires — un montant payé par le contribuable au cours de l'année, en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le contribuable, pour cause d'échec de son mariage, vivait séparé de son conjoint ou ancien conjoint à qui il était tenu d'effectuer le paiement, au moment où le paiement a été effectué et durant le reste de l'année;

[4] Seul l'appelant a témoigné à l'audience. D'après son témoignage, son épouse a quitté la résidence conjugale le 2 septembre 1994. Un ordre de travail à cet effet, remis par une compagnie de déménagement et signé par Mme McIntosh, a été déposé en preuve sous la cote A-2. L'appelant a déclaré que, avant le départ de son épouse, l'avocat de cette dernière avait rédigé une lettre indiquant que sa cliente avait accepté de quitter la maison et que l'appelant pouvait commencer à verser une pension alimentaire. L'épouse de l'appelant a donc reçu de ce dernier un premier paiement de 1 500 $ le 1er septembre 1994, dont elle a accusé réception dans un document qu'elle a signé le même jour (pièce A-1).

[5] La lettre de l'avocat de Mme McIntosh à laquelle l'appelant s'est reporté dans son témoignage est datée du 16 août 1994 et elle est adressée à l'avocat de l'appelant (pièce A-6). L'avocat de l'épouse y précise qu'il répond à l'offre que l'appelant a faite dans une lettre datée du 12 juillet 1994. Cette lettre n'a pas été produite en preuve.

[6] Dans sa lettre (pièce A-6), l'avocat de Mme McIntosh aborde la question de la garde des enfants et des droits d'accès. En outre, il s'oppose à l'offre de pension alimentaire que l'appelant a faite pour les enfants et pour son épouse, et il fait lui-même des propositions à cet égard. Les parties pertinentes de la pièce A-6 sont reproduites ci-dessous :

[TRADUCTION]

Sur la question de la pension alimentaire pour les enfants, notre cliente n'a jamais accepté le montant de 400 $ par mois, pour un montant total de 1 200 $ par mois.

Il ressort de notre examen des états financiers de votre client et de ceux de notre cliente que cette dernière ne peut boucler son budget avec 1 500 $ par mois pour elle-même et les enfants. Nous proposons le montant de 1 350 $ par mois, soit 450 $ par enfant, à compter du 1er septembre 1994. Ces montants seraient déductibles par votre client et devraient être inclus dans la déclaration de revenus de notre cliente.

[...]

Sur la question de la pension alimentaire pour l'épouse, nous proposons un montant de 500 $ par mois pendant une période de sept ans. [...]

En ce qui concerne la résidence conjugale, votre client en deviendra l'unique propriétaire, il prendra l'hypothèque en charge et il dégagera notre cliente de toute responsabilité à cet égard. Notre cliente quittera le foyer conjugal au plus tard le 1er septembre 1994. Votre client prendra en charge tous les honoraires d'avocats liés au transfert. Il prendra en charge toutes les dettes et dégagera notre cliente de toute responsabilité. Notre cliente a enregistré sur la propriété un privilège relatif à l'aide juridique. Le présent accord est conditionnel à la réception d'une libération par l'aide juridique de la dette de notre cliente au titre d'honoraires d'avocats.

[...]

Par conséquent, votre proposition et la nôtre diffèrent sur les questions de la garde, de l'accès, du montant de la pension alimentaire pour les enfants et du montant et de la durée de la pension alimentaire pour l'épouse. Veuillez nous fournir la réponse de votre client au plus tard le 19 août 1994.

Notre cliente a l'intention de quitter le résidence conjugale le 1er septembre 1994 avec les enfants, même s'il n'y a pas d'accord.

Si nous devons porter cette affaire en justice, nous considérons la présente lettre comme une offre de règlement signifiée conformément aux Règles de procédure civile.

[7] Le 29 août 1994, l'avocat de Mme McIntosh a envoyé une autre lettre à l'avocat de l'appelant (pièce A-7). En voici le texte :

[TRADUCTION]

Vous trouverez ci-joint un projet d'accord de séparation que nous avons rédigé sur les instructions de notre cliente afin de mettre un terme à cette affaire.

Auriez-vous l'obligeance d'examiner le projet avec votre client. Comme ce dernier le sait, notre cliente déménage le 1er septembre 1994. Notre proposition est conditionnelle à la réception par notre cliente de la mainlevée du privilège relatif à l'aide juridique de notre cliente qui grève la résidence conjugale et que votre client prendra en charge. Si votre client consent aux conditions du projet ci-joint, nous communiquerons avec les représentants du régime d'aide juridique de l'Ontario et nous recommanderons que notre cliente ne demande aucuns frais à votre client. Cependant, cette offre ne vaudra que lorsque nous aurons reçu la mainlevée du privilège relatif à l'aide juridique. Nous exigeons toutefois une réponse de votre client avant de communiquer avec le régime d'aide juridique de l'Ontario.

[8] Le projet d'accord de séparation joint à la lettre en question a été produit sous la cote A-8. Une offre de verser une pension alimentaire de 1 350 $ par mois pour les enfants y est faite. On peut lire également que “ l'époux et l'épouse souhaitent que les paiements effectués en vertu de l'alinéa 5a) [pension alimentaire pour enfants] soient déductibles par l'époux en application de l'alinéa 56(1)b) de la Loi et inclus dans le revenu de l'épouse conformément à l'alinéa 60(1)b) ”. Le projet d'accord de séparation propose également le paiement d'une pension alimentaire de 500 $ par mois à Mme McIntosh, du 1er septembre 1994 au 1er août 1999.

[9] Ce projet d'accord de séparation contient des remarques manuscrites, celles, je suppose, de l'appelant, qui conteste les dispositions relatives à la pension alimentaire à verser à son ex-épouse, entre autres choses.

[10] Le 7 septembre 1994, l'appelant a écrit une lettre à Revenu Canada (pièce A-4) demandant une réduction de l'impôt retenu à la source du fait de sa séparation. Il y indique que “ l'accord de séparation prévoit que Mme McIntosh paiera l'impôt payable sur les paiements de pension alimentaire, qui seront déductibles par M. McIntosh ”. Le 13 septembre 1994, Revenu Canada a répondu par écrit à l'appelant, autorisant son employeur à réduire l'impôt retenu à la source pour les années 1994 et 1995 (pièce A-5).

[11] Dans son témoignage, l'appelant a déclaré qu'il s'était empressé de demander cette renonciation à l'impôt retenu parce qu'il croyait comprendre que son épouse était liée par l'offre qui avait été faite en son nom par son avocat, et que l'on retrouve à la cote A-6. Il a expliqué qu'ils n'avaient pas signé l'accord de séparation parce qu'ils ne s'entendaient pas sur toutes les conditions de celui-ci. En outre, l'avocat de l'appelant avait conseillé à ce dernier de ne faire aucun chèque à Mme McIntosh tant que l'avocat de cette dernière n'aurait pas consenti à ce que le paiement soit déductible d'impôt.

[12] L'appelant a produit en preuve une autre lettre (pièce A-10) que l'avocat de Mme McIntosh avait envoyée à son avocat le 5 octobre 1994. En entrée en matière, l'avocat précise que sa lettre fait suite à deux lettres que l'avocat de l'appelant lui a fait parvenir en septembre 1994. Ces deux lettres n'ont pas été produites en preuve, de sorte qu'il est impossible de connaître les propositions qu'elles contenaient.

[13] La pièce A-10 énonce notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

À la suite de vos lettres du 7 et du 23 septembre 1994, nous avons examiné cette question avec notre cliente.

Premièrement, nous pouvons dire que votre client a déjà accepté de verser à notre cliente 796 $ toutes les deux semaines. Nous n'acceptons donc pas votre proposition de réduire le montant de la pension alimentaire à verser à l'épouse. Nous maintenons également que le montant doit être payé jusqu'en 1999.

[...]

En ce qui concerne la proposition visant à donner un effet rétroactif à l'accord de manière à inclure le paiement de 1 500 $ fait à Mme McIntosh le 31 août 1994, notre cliente est d'accord.

En ce qui concerne les dispositions qui se trouvent au deuxième paragraphe de la page 3 de votre lettre portant sur la décision rendue dans l'affaire Thibodeau, nous sommes d'accord.

En ce qui concerne le paragraphe 8, nous convenons qu'il devrait être abrogé. Le présent accord devrait s'appliquer pendant toute la période prévue.

[...]

Le fait que votre client ne puisse dégager notre cliente de toute responsabilité relativement à la résidence conjugale nous préoccupe davantage. Notre cliente pourrait accepter que votre client ait la possession exclusive de la propriété pour la durée de l'hypothèque. Il faudrait qu'il y ait entente visant à dédommager notre cliente et à la dégager de toute responsabilité relativement à l'hypothèque. De plus, nous exigerions que, si votre client fait défaut de payer l'hypothèque, notre cliente ait le droit en priorité de conserver la possession exclusive de la maison, et que votre client consente à quitter la maison dans les trente jours suivant le défaut de paiement. Cependant, nous vous ferons part de la position de notre cliente après avoir examiné la réponse de votre client à la présente lettre.

[14] L'appelant a également produit en preuve un autre projet d'accord de séparation daté du 17 novembre 1994, qui n'a pas été signé (pièce A-9). Il y est réitéré que l'appelant doit payer à son épouse le montant de 1 350 $ par mois pour les enfants et que les deux parties souhaitent que les paiements soient inclus dans le revenu de l'épouse et que l'époux puisse les déduire, conformément à la Loi. On peut y lire également que l'appelant doit verser à son épouse, jusqu'au 1er août 1999, la somme de 500 $ par mois à titre de pension alimentaire pour elle-même. Dans ce projet, on retrouve aussi des remarques manuscrites qui, elles aussi, je suppose, ont été faites par l'appelant. Par exemple, le montant de 500 $ à titre de pension alimentaire pour l'épouse est rayé à la main et remplacé par 375 $.

[15] L'appelant a témoigné que ce document avait été rédigé parce qu'il y avait encore un litige sur la question de la garde et de l'accès des enfants. Il a déclaré que la question de la déductibilité des paiements de pension alimentaire restait un sujet de discorde. D'après l'appelant, tous les accords rédigés par l'avocat de Mme McIntosh prévoyaient que les paiements seraient déductibles par l'appelant.

[16] Un autre projet d'accord de séparation daté du 2 juillet 1995 et non signé a été produit en preuve (pièce A-11). Il n'est accompagné d'aucune lettre de l'avocat de Mme McIntosh. Dans cette entente, les paiements de pension alimentaire pour les enfants sont maintenus à 1 350 $ par mois. La clause d'inclusion et de déduction des paiements en application de la Loi y figure aussi. La différence tient à l'ajout d'une clause relative à la pension alimentaire pour les enfants, libellée dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Au cours de la dernière année civile, l'époux a versé périodiquement à son épouse, pour cette dernière et pour les enfants, une pension alimentaire de 6 900 $ au total. Ces paiements seront considérés comme ayant été effectués en application du présent accord. Ils seront déduits par l'époux et inclus par l'épouse dans le calcul de leurs impôts sur le revenu respectifs conformément aux paragraphes 56.1(3) et 60.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'épouse demeure seule responsable de toute hausse de son impôt sur le revenu pour 1994 ou toute année civile subséquente pendant toute la durée d'application de la présente disposition, en plus de tout impôt sur le revenu supplémentaire payable par elle relativement à ce paiement. Les mêmes règles s'appliquent à la pension alimentaire que l'époux a versée à son épouse pour elle en 1994.

Quant à la pension alimentaire destinée à l'épouse, le montant est ramené à 375 $ par mois et il est payable jusqu'au 1er août 1999.

[17] Finalement, l'appelant et Mme McIntosh ont dûment signé un accord de séparation écrit daté du 6 janvier 1997. La clause relative à la pension alimentaire pour les enfants demeure la même, et les parties reconnaissent que l'appelant a fait des paiements périodiques totalisant 17 787 $ à son épouse pour subvenir aux besoins des enfants et de l'épouse dans l'année civile précédente (1996). L'accord prévoit également que ces paiements “ seront considérés comme ayant été effectués conformément au présent accord ” et qu'“ ils seront déduits par l'époux et inclus par l'épouse dans le calcul de leurs impôts sur le revenu respectifs conformément aux paragraphes 56.1(3) et 60.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu ”. Pour ce qui est de la pension alimentaire destinée à l'épouse, les paiements ont été ramenés à 150 $ par mois pour la période du 1er janvier 1997 au 1er août 1999.

[18] L'appelant a déclaré qu'il avait parlé à son épouse en 1998 et que cette dernière l'avait alors informé que, pendant trois ans, elle n'avait pas déclaré les paiements de pension alimentaire aux fins de l'impôt sur le revenu. Elle lui a dit que son avocat l'avait informée qu'elle n'avait pas à payer d'impôt sur le revenu sur les paiements de pension alimentaire pour les enfants et pour elle-même.

[19] L'appelant invoque la décision que la Cour a rendue dans Simpson c. La Reine, [1996] A.C.I. no 391 pour faire valoir que les lettres échangées par les avocats indiquent qu'il y avait accord écrit sur la question de la déductibilité des paiements de pension alimentaire pour les enfants et pour l'épouse. Il souligne que l'accord de séparation n'a été signé que le 6 janvier 1997 parce que lui et son épouse ne pouvaient s'entendre sur les conditions de l'accord. À son avis, ce fait à lui seul ne devrait pas l'empêcher de déduire de son revenu pour 1994 et 1995 les paiements de pension alimentaire qu'il a faits à son épouse au cours des années en question.

Analyse

[20] Je ne peux accepter l'argument de l'appelant. Dans l'affaire Hodson c. La Reine, [1987] A.C.F. no 130, le juge Strayer, siégeant alors à la Section de première instance de la Cour fédérale, a déclaré ce qui suit à la page 2 :

L'intention du Parlement exprimée à l'alinéa 60b) est tout à fait claire : il doit y avoir soit une ordonnance d'un tribunal, soit un accord écrit de séparation obligeant le contribuable à faire ces paiements. Si le Parlement avait eu l'intention d'autoriser ce genre de déductions sur la base d'accords verbaux ou implicites ou encore sur la base de paiements purement volontaires, il l'aurait dit clairement. Comme il a utilisé les mots "accord écrit", il a clairement exclu toute autre forme d'arrangement moins formel.

La Cour d'appel fédérale, dans [1987] A.C.F. no 1053, a confirmé cette décision. Le juge Heald, s'exprimant pour la Cour sur l'interprétation à donner à l'alinéa 60b), a dit ceci à la page 2 :

[...] Le législateur a été explicite. Si le législateur avait voulu étendre l'avantage conféré par l'alinéa 60b) aux conjoints séparés qui, comme en l'espèce, n'ont ni ordonnance judiciaire ni accord écrit, il l'aurait dit. On perçoit facilement la raison de ne pas inclure le cas des conjoints séparés où des paiements ont été faits et reçus sur la vase d'un accord verbal. Un tel régime relâché et incertain peut très bien donner lieu à des ententes trompeuses et frauduleuses et à des plans d'évasions fiscale. Je m'empresse d'ajouter que, en l'espèce, aucun cas d'entente trompeuse et frauduleuse n'a été allégué. Le ministre convient que, en l'espèce, c'est de bonne foi que l'appelant a versé les pensions alimentaires à sa femme. Néanmoins, ce scénario possible peut se présenter dans d'autres cas, ce qui justifie les restrictions soigneusement formulées dans l'alinéa. Si les mots employés par le législateur créent des difficultés, comme l'a laissé entendre l'appelant, il appartient au législateur et non à la cour de remédier à cette situation.

[21] Dans l'affaire Simpson, invoquée par l'appelant, il fallait déterminer si un document signé par M. et Mme Simpson à une date donnée était un accord ayant force obligatoire ou simplement une lettre d'instructions à l'avocat de Mme Simpson de préparer un accord ayant force obligatoire entre les conjoints. Ayant conclu qu'il s'agissait d'un accord ayant force obligatoire, le juge Rip, de la Cour, a dû répondre ensuite à la question de savoir s'il s'agissait d'un accord écrit de séparation au sens des alinéas 56(1)b) et 60 b) de la Loi. Voici les propos qu'il a tenus à la page 10 :

[...] Le critère permettant de déterminer si un accord officieux dans lequel les parties conviennent de rédiger un contrat en bonne et due forme est lui-même un contrat est énoncé dans l'arrêt Bawitko v. Kernels Popcorn (1991), 79 D.L.R. (4th) 97 (C.A. Ont.). À la page 104, le juge Robins de la Cour d'appel en énonce les différents volets :

[TRADUCTION]

Les parties doivent avoir eu l'intention d'être liées [...]

le contrat officieux ne doit être ni incertain, ni vague;

les conditions essentielles du contrat doivent être réglées.

[22] Dans l'affaire Simpson, le juge Rip est arrivé à la conclusion que le document signé par les deux époux était un accord écrit de séparation. D'après le juge Rip, il ne s'agissait pas d'une simple lettre d'instructions à un avocat de rédiger un accord de séparation. Il a conclu ainsi, étant d'avis que, en signant le projet de lettre et en agissant comme s'ils étaient liés par les termes du projet de lettre, les deux époux avaient consenti aux conditions de l'accord que l'avocat devait rédiger. L'accord ne ferait que confirmer de façon officielle et juridique les conditions sur lesquelles les époux s'étaient déjà entendus. Il importe de dire ici que les deux époux avaient témoigné et que la totalité des lettres échangées par les avocats avaient été déposées en preuve devant le juge Rip.

[23] Dans l'arrêt Bawitko Investments Ltd. v. Kernels Popcorn Ltd., 79 D.L.R. (4th) 97, que le juge Rip a invoqué, la Cour d'appel de l'Ontario a dit ceci aux pages 103 à 105 :

[TRADUCTION]

Dans le cours normal des affaires, des parties qui prévoient exprimer leur entente dans un document écrit officiel discutent et négocient nécessairement les conditions proposées de l'entente avant de conclure celle-ci. Souvent, elles conviennent de l'ensemble des conditions à inclure dans le document écrit projeté avant de rédiger celui-ci. Leur entente peut être exprimée oralement ou dans un document ou au moyen d'un échange de lettres ou d'autres documents non officiels. Les parties peuvent “ s'engager à conclure un contrat ”; en d'autres termes, elles peuvent s'engager à signer à une date ultérieure un contrat écrit formel contenant certaines conditions. Lorsqu'elles s'entendent sur les dispositions essentielles à inclure dans un document officiel et qu'elles ont l'intention d'être liées par le contrat, elles satisfont à toutes les conditions nécessaires à la formation d'un contrat. Le fait qu'un document écrit officiel à cet effet doit être rédigé et signé par la suite ne met pas en péril la validité exécutoire du contrat initial.

Cependant, lorsque le contrat initial est incomplet parce que les parties ne se sont pas mises d'accord sur des dispositions essentielles qui doivent régir leur relation contractuelle, ou lorsque le contrat est trop général ou trop vague pour être valable en soi et qu'il est subordonné à la conclusion d'un contrat officiel, ou que les parties veulent ou souhaitent que leurs obligations légales soient reportées jusqu'à ce qu'un contrat officiel soit approuvé et signé même si les conditions de leur entente sont arrêtées, le contrat initial ou préliminaire ne peut constituer un contrat ayant force exécutoire. En d'autres termes, dans de telles circonstances, l'“ engagement de conclure un contrat ” n'est pas du tout un contrat. La signature du document officiel envisagé n'est pas destinée uniquement à sceller un contrat déjà complet et obligatoire; elle est essentielle à la formation du contrat lui-même : [...]

[...] Si les parties ne se sont pas entendues sur les conditions essentielles ou qu'elles ne se sont pas entendues à cet égard avec une certitude raisonnable, on ne peut que conclure qu'elles sont censées convenir de ces conditions à une date ultérieure et que, avant cette date, il n'y a pas de contrat complet.

[24] Dans cette affaire, la Cour d'appel de l'Ontario devait décider si un contrat verbal, relatif à l'acquisition de droits de franchisage pour un magasin au détail, basé sur un contrat type de franchise constituait un contrat final. Il a été établi que les parties avaient convenu de certaines conditions au moment de la conclusion du contrat verbal, mais que d'autres conditions, essentielles à l'entente contractuelle proposée, restaient encore à négocier.

[25] La Cour d'appel de l'Ontario a déclaré ceci aux pages 106 à 108 :

[TRADUCTION]

[...] Du point de vue du caractère mutuel des obligations, si les rôles étaient inversés et que l'appelante demandait l'exécution en nature du contrat verbal, en supposant que l'on accepte le témoignage de Passander, je ne crois pas qu'il serait possible de conclure qu'il avait à ce moment-là conclu un contrat final et obligatoire dont l'appelante pouvait exiger l'exécution.

[...] Les parties n'étaient tout simplement pas d'accord sur toutes les conditions nécessaires à la formation d'un contrat de franchise achevé ayant force exécutoire.

[...]

[...] L'entente conclue le 18 avril [l'entente verbale] n'englobe pas certains des aspects essentiels du contrat officiel envisagé. Par conséquent, elle ne satisfaisait pas aux normes de certitude que la loi impose comme condition préalable à la formation de relations contractuelles ayant force obligatoire et exécutoire.

[26] Dans la présente affaire, je n'ai pas entendu le témoignage de Mme McIntosh ni celui de son avocat, et les propositions envoyées par l'avocat de l'appelant à celui de Mme McIntosh n'ont pas été produites en preuve. Il est donc difficile de dire sur le fondement uniquement de la documentation provenant de l'avocat de Mme McIntosh (sans avoir eu l'avantage d'entendre Mme McIntosh et son avocat sur cette documentation) et sans avoir vu les propositions que l'avocat de l'appelant a faites au cours des années en cause, que les conjoints avaient conclu un accord avant le 6 janvier 1997 (lorsque le dernier projet d'accord a finalement été signé). Il est encore plus difficile de dire que les conjoints agissaient comme s'ils étaient liés par les projets d'accord antérieurs.

[27] Il est vrai que, d'après la pièce A-1, Mme McIntosh a reconnu avoir reçu un premier paiement de 1 500 $ le 1er septembre 1994. Cependant, dans sa première lettre (pièce A-6) datée du 16 août 1994, l'avocat de Mme McIntosh a bien précisé que sa cliente ne pouvait boucler son budget avec 1 500 $ par mois. Dans cette lettre et dans le projet d'accord rédigé en août 1994, l'avocat et Mme McIntosh demandaient à l'appelant un paiement mensuel de 1 350 $ à titre de pension alimentaire pour les enfants et un paiement mensuel de 500 $ à titre de pension alimentaire pour l'épouse, ce qui représentait un total de 1 850 $ par mois.

[28] Il est également vrai que, dans le projet d'accord daté du 17 novembre 1994, l'avocat de Mme McIntosh a inclus une clause indiquant que les conjoints souhaitaient que les paiements effectués par l'appelant soient déductibles par ce dernier et soient inclus dans le revenu de Mme McIntosh conformément à la Loi. Or, lorsque la clause a été insérée, Mme McIntosh demandait encore une pension alimentaire totale de 1 850 $ pour elle et les enfants. De toute évidence, l'appelant n'était pas d'accord puisqu'il n'a pas payé ce montant d'argent à Mme McIntosh et qu'il a biffé le chiffre de 500 $ à titre de pension alimentaire pour la conjointe et l'a remplacé par le montant de 375 $ par mois.

[29] Le projet d'accord non signé daté du 2 juillet 1995 stipule que, en 1994, l'appelant a fait à son épouse des paiements périodiques totalisant 6 900 $, et que ces paiements devaient être considérés comme effectués conformément à cet accord. L'appelant a commencé à effectuer les paiements en septembre 1994. Le montant total de 6 900 $ a été payé en 1994, sur une période de quatre mois. Cela signifie que l'appelant aurait versé 1 725 $ par mois, c'est-à-dire 1 350 $ par mois pour les enfants et 375 $ par mois pour son épouse. C'est le montant que l'appelant avait l'intention de payer dès le départ pour ses enfants et son épouse. Toutefois, ce projet d'accord n'est pas signé et je ne peux inférer, surtout des lettres antérieures qui ont été échangées et qui ont été produites en preuve, que Mme McIntosh avait effectivement convenu des conditions de ce projet d'accord à ce moment-là.

[30] Ce n'est que le 6 janvier 1997 que les deux époux se sont finalement entendus sur toutes les conditions de l'accord de séparation et ont signé celui-ci. Compte tenu de la preuve, je ne peux dire que l'appelant et son épouse étaient d'accord sur les conditions essentielles relatives aux paiements périodiques en 1994 et 1995. S'il semble se dégager un certain consensus des différents projets d'accord sur les paiements de la pension alimentaire des enfants, il en va différemment en ce qui concerne la pension alimentaire de la conjointe. Comme l'inclusion dans le revenu de Mme McIntosh des paiements de pension alimentaire avait une incidence sur le revenu net de cette dernière, je ne crois pas que l'on puisse dire qu'elle a donné son accord à cette inclusion avant la signature de l'accord final. Cela est d'autant plus vrai qu'il semble qu'elle ait réclamé pour elle-même une pension alimentaire supérieure à celle que l'appelant était disposé à payer. À mon avis, les projets d'accord non signés produits en preuve ainsi que les lettres du seul avocat de Mme McIntosh n'ont pas, pour reprendre les termes de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Bawitko Investments, satisfait aux normes de certitude que la loi impose comme condition préalable à la formation de relations contractuelles ayant force obligatoire et exécutoire entre les époux.

[31] Je conclus par conséquent que les projets d'accord non signés n'équivalaient pas à un accord de séparation au sens de la Loi. Les paiements effectués par l'appelant à Mme McIntosh en 1994 et en 1995 n'ont pas été effectués en vertu d'un accord écrit. En conséquence, ces paiements ne sont pas déductibles en application de l'alinéa 60b) de la Loi.

[32] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de février 2000.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour de septembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

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