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Date: 19971017

Dossier: 96-2002-UI

ENTRE :

RÉGIS SIROIS,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs de l'ordonnance

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Ces requêtes ont été entendues à Rivière-du-Loup (Québec) les 15 et 16 septembre 1997.

[2] Le 4 juillet 1996, le ministre du Revenu national (le “Ministre”), a rendu une décision déterminant que l'emploi de l'appelant chez Gouttières KRT Inc., la payeuse, du 23 octobre 1989 au 28 octobre 1994 n'était pas assurable parce que l'appelant contrôlait dans les faits plus de 40 % des actions comportant droit de vote de la payeuse et parce qu'aussi cet emploi n'était pas exercé en vertu d'un contrat de louage de services.

[3] Le Ministre a communiqué cette décision par lettre à l'appelante et à la payeuse le même jour à l'adresse suivante : “40, Rang 1, apt. 2 St-Antonin, Qc, G0l 2J0”; sur cette lettre de transmission il y a sous la rubrique “Notre référence” l'inscription suivante “Division des appels RPC/AC Ref : Claude Martel ... ”

[4] Le 16 janvier 1997 le Ministre a introduit un avis de requête se lisant ainsi :

“PRENEZ AVIS que l'intimé présentera une requête à la Cour canadienne de l'impôt à Rivière-du-Loup, le 11 mars 1997 à 9h.30 de l'avant-midi, au Palais de Justice au 33, rue de la Cour, salle 4.10, visant le rejet de l'appel produit par l'appelant, au motif que l'appel est prescrit et sans objet puisqu'il n'a pas été déposé dans le délai de quatre-vingt-dix (90) jours prévu au paragraphe 70(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. 1985 ch. U-1.

ET PRENEZ AVIS qu'au soutien de cette requête, seront présentés la déclaration sous serment de Yves Fortier, agent des appels au ministère du Revenu national, ainsi que toute autre pièce qui pourrait être jugée utile.

PRENEZ ÉGALEMENT AVIS que si la Cour décide que l'appel de l'appelant a été validement déposé, l'intimé demande par la présente requête d'obtenir une prorogation de délai pour produire sa Réponse à l'avis d'appel.”

[5] La déclaration sous serment de Yves Fortier se lit ainsi :

“Je soussigné, Yves Fortier, ayant un bureau au ministère du Revenu national, au 305 boul. René Lévesque ouest à Montréal, et étant dûment assermenté, déclare ce qui suit :

1. Je suis un agent des appels au ministère du Revenu national et après avoir examiné le présent dossier de l'appelant auprès de ce ministère, j'ai une connaissance personnelle des faits ci-après mentionnés;

a) ...

b) L'appelant a déposé un avis d'appel au greffe de la Cour canadienne de l'impôt le 4 octobre 1996, à l'encontre de la notification du ministre datée du 4 juillet 1996, tel qu'il appert du dossier de cette Cour.

c) L'avis d'appel relatif à la période du 23 octobre 1989 au 28 octobre 1994 a été déposé plus de quatre-vingt-dix (90) jours après la communication à l'appelante de la décision du ministre datée du 4 juillet 1996.

d) À ma connaissance, l'appelante n'a pas, à ce jour, demandé une prorogation de délai pour produire son avis d'appel.

e) Tous les faits allégués dans la présente déclaration sous serment sont vrais.”

[6] Le 11 mars 1997 l'audition de cette requête a été remise et la date du 15 septembre 1997 a subséquemment été fixée pour sa présentation.

[7] Le 12 septembre 1997 Me Jérôme Carrier, avocat, introduisait l'avis de requête qui suit au nom de son client Régis Sirois :

“PRENEZ AVIS QUE :

L'appelant présentera une requête en prorogation de délai à la Cour canadienne de l'impôt à Rivière-du-Loup le 15 septembre 1997 à 9:30 heures de l'avant-midi, au Palais de Justice situé au 33, rue de la Cour, salle 4.10, ladite requête ayant pour objet d'obtenir une prorogation de délai et ce afin de produire un appel à la Cour canadienne de l'impôt, tel que le prévoit le paragraphe 70, alinéa 1 de la Loi sur l'assurance-chômage (L.R.C. 1985, chapitre UI).

PRENEZ ÉGALEMENT AVIS :

Qu'au soutien de cette requête, sera déposée la déclaration assermentée de Monsieur Régis Sirois, ainsi que tous les autres documents jugés utiles et nécessaires au soutien de ladite requête.”

[8] La requête en prorogation de délai se lit ainsi :

“1. Dans la semaine du 29 juillet 1996, l'appelant recevait une lettre datée du 26 juillet 1996 ainsi que les notifications ministérielles datées du 4 juillet de la même année, copie de ladite lettre du 26 juillet 1996 ainsi que des notifications ministérielles étant déposées au soutien de la présente pour valoir comme si ici au long récité sous la cote R-1;

2. Au début du mois de septembre 1996, l'appelant rencontrait Me Pierrette Lévesque et y confiait, lors de ladite rencontre, mandat de lui loger un appel à la Cour canadienne de l'impôt des décisions datées du 4 juillet 1996;

3. Effectivement, Me Lévesque logeait un appel à la Cour canadienne de l'impôt en date du 3 octobre 1996, copie dudit appel étant déposé au soutien de la présente pour valoir comme si ici au long récité sous la cote R-2;

4. En date du 29 octobre 1996, le greffe de la Cour canadienne de l'impôt faisait parvenir à Me Lévesque un accusé réception de l’avis d'appel, copie de l'accusé réception étant déposée au soutien de la présente pour valoir comme si ici au long récité sous la cote R-3;

5. L'appelant fut sans nouvelles de son procureur, si ce n'est qu'en date du 16 juillet 1997, l'appelant recevait une lettre de Me Jean-Paul Boucher, était annexée à cette lettre une seconde lettre datée du 9 juillet 1997 adressée à Me Boucher par Madame Louise Rivard, coordonnatrice des audiences à la Cour canadienne de l'impôt, copies desdites lettres étant déposées au soutien de la présente pour valoir comme si ici au long récité sous la cote R-4;

6. Le 10 septembre 1997, l'appelant contactait le procureur soussigné et l'avisait de son désir d'avoir recours à ses services lors de l’audition prévue le 15 septembre 1997 devant la Cour canadienne de l'impôt;

7. L'appelant n'est nullement responsable du retard dans le dépôt et l'acheminement de l'avis d'appel à la Cour canadienne de l'impôt;

C'EST POURQUOI PLAISE À CETTE COUR :

ACCORDER à l'appelant une prorogation de délai à l'égard du dépôt de l'avis d'appel daté du 3 octobre 1996;

PERMETTRE le dépôt dudit avis d'appel et

ACCORDER à l'appelant le droit de se faire entendre devant cette Cour;”

[9] Du consentement des parties par leurs procureurs les deux requêtes sont entendues en même temps.

[10] La lettre du 26 juillet 1996 alléguée au paragraphe 1) de la requête en prorogation de délai se lit ainsi :

“M. Régis Sirois

C.P. 727

Rivière-du-Loup, Qc

G5R 3Z3

Division des Appels RPC/AC

Réf : Claude Martel

Tél : (418) 648-3952

Fax : (418) 649-6524

Québec, le 26 juillet 1996

OBJET : Loi sur l'assurance-chômage

Monsieur,

Par la présente, vous trouverez ci-jointes les Notifications Ministérielles qui vous ont été envoyées par courrier recommandé le 4 juillet 1996 à l'adresse susmentionnée. Les lettres nous ont été retournées par le bureau de poste avec la mention “Non réclamé”.

Nous vous les envoyons de nouveau par courrier recommandé.

Veuillez agréer, Monsieur, nos salutations distinguées.

Claude Martel

Agent des Appels,

Pour le Chef des Appels.”

[11] Il est important de voir le changement d'adresse à “C. P. 727 Rivière-du-Loup, Qc, G5R 3Z3” et la même inscription que sur les lettres du 4 juillet 1996 sous la rubrique “notre référence”.

[12] L'avis d'appel a été posté, il est vrai, le 3 octobre 1996 suivant la pièce R-5 produite au soutien de la requête en prorogation de délai, mais selon le procureur de l'appelant c'était moins de 90 jours après le 26 juillet 1996.

La preuve de l’appelant en prorogation de délai

Selon Régis Sirois

[13] Il n'a jamais reçu la lettre de détermination du 4 juillet 1996 même si son adresse est toujours la même.

[14] Il ne se rappelle cependant pas s'il avait eu une carte du bureau de poste lui demandant d'aller la chercher à cet endroit.

[15] Il était bien actionnaire de la payeuse et le casier postal indiqué sur la lettre du 26 juillet 1996 précitée était bien celui utilisé par celle-ci.

[16] Dans sa “demande qu'il soit statué sur une question concernant un emploi assurable” (pièce I-1) du 15 juin 1995 il avait écrit :

“Nom de l'employeur

Gouttières K.R.T. Inc.

Juin 19, 1995

Adresse complète

Case postale 727

Rivière-du-Loup

G5R 3Z3

Nom du travailleur ( en caractère d'imprimerie) :

Régis Sirois

No d'assurance sociale

232096834

Adresse complète (en caractère d’imprimerie)

40 - 2, Rang 2,

Saint-Antonin, G0L 2J0

Période pour laquelle la détermination devrait être rendue :

Du : 23/10/89

Au : 28/10/94”

Genre de travail exécuté

Journalier

Taux de rémunération

500 $/semaine

[17] Il voit bien que deux enveloppes de Revenu Canada (pièce I-2) ont été renvoyées à l’expéditeur le 22 juillet 1996 parce que non réclamées et ce après qu’une carte eut été envoyée le 8 juillet 1996 et un rappel le 15 juillet 1996 mais il n’a jamais reçu la lettre du 4 juillet 1996 et la payeuse non plus.

[18] Il est très probable qu’il ait répondu à un appel téléphonique de l’agent des appels Claude Martel entre le 4 et le 26 juillet 1996 car son nom lui dit quelque chose.

Les plaidoiries

Selon le procureur de l'appelant Régis Sirois

[19] La véritable communication a été faite le 26 juillet 1996 et le délai d’appel a été respecté.

[20] Dans sa déclaration assermentée, Yves Fortier se garde bien de parler de la lettre de Claude Martel du 26 juillet 1996.

[21] En se prononçant sur la requête en rejet d’appel la Cour n’a pas à décider de la requête en prorogation de délai.

Selon le procureur du Ministre

[22] Son client n’avait pas l’obligation d’utiliser le courrier recommandé.

[23] Il a peut être fait du zèle en agissant ainsi mais peut-on véritablement l’en blâmer?

[24] Le paragraphe 5(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt en matière d’assurance-chômage se lit ainsi :

“ Lorsqu’un règlement de la question ou une décision ... est communiqué par la poste, la date de communication est la date à laquelle le règlement de la question ou la décision a été expédié par la poste et, en l’absence de toute preuve du contraire, la date d’expédition par la poste est la date figurant dans le règlement de la question ou la décision. ”

[25] Le point de départ du délai n’est pas la date de réception de la lettre de détermination mais la date de sa communication.

[26] Dans Le Procureur Général du Canada c. John F. Bowen [1992] 1 C.F. 311. l’honorable juge Stone écrit pour la Cour (p. 314) :

“ À notre avis, l’obligation qui incombait au ministre aux termes du paragraphe 165(3) correspondait précisément à ce qu’il a fait, c’est-à-dire aviser l’intimé de la ratification de la cotisation par courrier recommandé. Rien, dans ce paragraphe ni dans l’article 169, n’exigeait que la notification soit “ signifiée ” à personne ou soit reçue par le contribuable. En expédiant l’avis par courrier recommandé, le ministre était en droit de se servir de l’adresse ou des adresses que l’intimé avait lui-même déjà fournies. Le ministre n’était pas tenu de chercher à se renseigner plus avant. En outre, l’exigence de réception de l’avis serait difficile, sinon totalement impossible, à appliquer du point de vue administratif. Le Parlement ne l’a pas exigé; il a simplement prescrit que l’avis devait être envoyé par courrier recommandé. ”

[27] Le délai de 90 jours n’est pas mentionné dans la lettre de l’agent des appels du 26 juillet 1996.

[28] Pour que la requête en prorogation de délai soit reçue il faudrait que la Cour dise que les premières lettres du 4 juillet 1996 n’ont pas été envoyées.

[29] Dans Richard Gaudreau et Sa Majesté la Reine (95-1849(IT)I), l’honorable juge Lamarre Proulx de notre Cour écrit (p. 4) :

“ Il est possible qu’il ne s’agisse pas d’une présomption irréfragable et que les moyens de la réfuter soient la production par l’appelant de l’enveloppe originale ou de démontrer que le Ministre n’a pas envoyé l’avis à la bonne adresse malgré un avis formel de changement d’adresse correctement envoyé. ”

Selon le procureur de Régis Sirois en réplique :

[30] La lettre de l’agent des appels Claude Martel à son client en date du 26 juillet 1996 fait bien voir que le ministère attache de l’importance à ce que ses décisions soient non seulement envoyées mais également reçues.

[31] Cette lettre dit bien “ nous vous les envoyons de nouveau ”, ce qui veut dire que le 90 jours commence à courir seulement à compter de ce nouvel envoi.

[32] Le Ministre doit toujours avoir les mains propres et il a commis une erreur à tout le moins en adressant sa lettre du 4 juillet 1996 à la payeuse à une adresse autre que celle indiquée à la pièce I-1.

[33] S’il n’avait pas commis cette erreur la lettre du 4 juillet 1996 à la payeuse aurait certes atteint son client qui en est actionnaire.

[34] Le justiciable doit connaître à temps toute décision ministérielle le concernant et ce n’est qu’après le 26 juillet 1996 que son client en a eu connaissance.

Le délibéré

[35] Le Ministre n’aurait pas dû envoyer sa lettre de détermination du 4 juillet 1996 à la payeuse à l’adresse où il l’a transmise étant donné la pièce I-1 et il s’agit là d’une erreur de sa part.

[36] Si cette erreur n’avait pas été faite la payeuse aurait reçu cette lettre et l’appelant, en sa qualité d’actionnaire, en aurait certes été informé.

[37] La lettre de l’agent des appels Claude Martel à l’appelant en date du 26 juillet 1996 est erronée car les notifications ministérielles du 4 juillet 1996 ne lui ont pas été envoyées à l’adresse de la payeuse.

[38] En lisant les lettres de Revenu Canada des 4 et 26 juillet 1996 l’appelant a bien vu le nom de Claude Martel et il était en droit en conséquence de comprendre que le délai de 90 jours mentionné en ces termes à la lettre du 4 juillet 1996 : “ En cas de désaccord vous pouvez en appeler de cette décision à la Cour canadienne de l’impôt dans les 90 jours de la date d’envoi de la présente lettre ” ne commençait plus à courir qu’à partir du 26 juillet 1996.

[39] La Cour croit parfaitement l’appelant lorsqu’il déclare n’avoir jamais reçu la lettre de détermination du 4 juillet 1996.

[40] La preuve ne révèle pas la raison précise pour laquelle la lettre du 4 juillet 1996 n’a pas atteint l’appelant, mais une chose est certaine et c’est que si celle-ci avait été adressée à la bonne adresse de la payeuse il l’aurait bien reçue.

[41] L’agent des appels, agissant pour le chef des appels, a certes voulu que l’appelant soit au courant de la décision le concernant et c’est sans doute pour cela qu’il l’a rejoint au téléphone pour lui envoyer ensuite sa lettre du 26 juillet 1996.

[42] Il est significatif que dans sa déclaration assermentée Yves Fortier ne fasse aucune mention de cette lettre du 26 juillet 1996.

[43] Le procureur de l’appelant suggère qu’en se prononçant sur la requête en rejet d’appel la Cour n’a pas à décider de la requête en prorogation de délai mais le Tribunal n’est pas de cet avis et croit plutôt qu’il lui faudra disposer des deux requêtes pour ne rien laisser en suspens.

[44] Il est vrai que le Ministre n’avait pas à utiliser le courrier recommandé mais cela a quand même permis à Claude Martel de réaliser que la notification ministérielle du 4 juillet 1996 n’avait pas été envoyée à la payeuse à sa bonne adresse.

[45] Le paragraphe 5(2) de nos Règles de pratique est là, il est vrai, mais en l’instance Claude Martel, agissant pour le chef des appels, a voulu corriger son erreur par sa lettre du 26 juillet 1996, ce qui est tout à son honneur mais il n’en demeure pas moins qu’en agissant ainsi il a porté l’appelant à croire que le délai d’appel partait seulement de cette date.

[46] L’arrêt dans l’affaire Bowen est très intéressant, mais en l’instance Claude Martel a cru devoir chercher à se renseigner plus pour réexpédier l’envoi du 4 juillet 1996 et en ce faisant il a fait croire à l’appelant, tel que susdit, que le délai d’appel partait seulement à compter du 26 juillet 1996.

[47] Il est vrai que le délai de 90 jours n’est pas mentionné à la lettre du 26 juillet 1996 mais son annexe, la lettre du 4 juillet 1996, en faisait bien état.

[48] Au sens du jugement dans l’affaire Gaudreau, il est certain que le Ministre n’a pas envoyé l’avis du 4 juillet 1996 à la bonne adresse de la payeuse malgré un avis formel, la pièce I-1.

[49] Il est certain que c’est seulement le 26 juillet 1996 que le délai d’appel a commencé à courir et qu’en interjetant appel le 3 octobre 1996 l’appelant l’a fait dans le délai voulu.

[50] La requête en rejet d’appel de l’intimé est rejetée et un délai de 60 jours lui est accordé pour produire sa Réponse à l’avis d’appel et l’avis d’appel en date du 3 octobre 1996 est considéré comme étant validement déposé.

“A. Prévost”

J.S.C.C.I.

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