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Date: 981106

Dossier: 97-2912-IT-I

ENTRE :

DENIS R. PATRY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Christie, C.C.I.

[1] Les présents appels sont régis par la procédure informelle prescrite aux articles 18 et suivants de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. Les années dont il s'agit sont 1994 et 1995.

[2] Les questions litigieuses consistent à savoir si l'appelant a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu, les sommes de 9 788 $ pour 1994 et de 7 223 $ pour 1995. L'appelant prétend que ces sommes représentent une pension alimentaire ou une prestation alimentaire[1].

[3] Dans le calcul de son revenu pour 1994 et 1995, l'appelant a déduit à titre de pension alimentaire ou prestation alimentaire les montants de 9 788 $ et de 10 023 $ respectivement. En établissant une nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national a refusé la déduction de 9 788 $ en totalité de même que celle de 10 023 $, à 2 800 $ près (10 023 $ - 2 800 $ = 7 223 $).

[4] L'appelant et son ex-conjointe, Deborah (l'“ ex-conjointe ”), se sont séparés en 1994. Un enfant, Joshua, est né de leur union le 31 août 1992.

[5] Trois ordonnances de la Cour de l'Ontario (Division générale) ont été déposées en preuve. La première est en date du 26 septembre 1994. Elle accorde à l'ex-conjointe la possession exclusive de ce qui avait été le foyer conjugal et de ce qui se trouvait à l'intérieur; elle confère la garde provisoire de Joshua à l'ex-conjointe, la question du droit de visite de l'appelant devant faire l'objet d'une entente entre les parties; et elle interdit à l'appelant de harceler, d'importuner, etc. son ex-conjointe de quelque façon que ce soit. La seconde ordonnance est en date du 21 novembre 1994. Elle reprend les conditions de l'ordonnance du 26 septembre 1994 et enjoint à l'appelant de [TRADUCTION] “ payer les mensualités de 1 000 $ au titre du prêt de Canada Trust, celles de 450 $ au titre du prêt personnel et celles de 621 $ au titre du prêt-automobile ”[2]. La troisième ordonnance est en date du 7 mars 1995. Elle dit [TRADUCTION] “ qu'il y aura une évaluation, dont les frais doivent être assumés par l'intimé (le mari), mais dont le coût total devra être partagé une fois entendues toutes les questions accessoires ”.

[6] Aucune des ordonnances ne fait mention des paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (“ la Loi ”). En 1994 et 1995, l'appelant a fait certains des paiements mentionnés dans l'ordonnance du 21 novembre 1994, soit les 9 788 $ et les 7 223 $ susvisés.

[7] Selon la preuve fournie par l'appelant, son avocat a demandé l'ordonnance du 21 novembre 1994, et ce, afin d'assurer le remboursement des dettes en question. Leur remboursement, a-t-on dit, se ferait au bénéfice de l'ex-conjointe et de Joshua.

[8] Les dispositions suivantes[3] de la Loi se rapportent aux présents appels. L'alinéa 60b) autorise le contribuable à déduire, dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition, une somme qu'il a payée à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou les deux, si le contribuable, pour cause d'échec de son mariage, vivait séparé de son conjoint ou ancien conjoint à qui il était tenu d'effectuer le paiement, au moment où le paiement a été effectué et durant le reste de l'année, et si la somme a été versée en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent. La Cour de l'Ontario (Division générale) est un tribunal compétent au sens de l'alinéa 60b). L'ordonnance rendue par ladite cour le 21 novembre 1994 ordonnait que les paiements soient faits au Canada Trust à l'égard de dettes spécifiées.

[9] Aux termes du paragraphe 56(12) de la Loi, les sommes que reçoit le bénéficiaire ne constituent une allocation visée à l'alinéa 60b) que si ce bénéficiaire peut les utiliser à sa discrétion.

[10] Le paragraphe 60.1(1) porte sur le fait de recevoir les sommes payées. Il dispose que, dans le cas où une ordonnance visée à l'alinéa 60b) prévoit le versement périodique d'un montant par le contribuable au profit du bénéficiaire, des enfants confiés à sa garde ou du bénéficiaire et des enfants, le montant en question, une fois payé, est réputé, pour l'application de l'alinéa 60b), avoir été payé au bénéficiaire et reçu par lui.

[11] Suivant le paragraphe 60.1(2), dans le calcul du revenu du contribuable peuvent être déduites en vertu de l'alinéa 60b) des sommes dont cette disposition n'aurait par ailleurs pas permis la déduction si l'ordonnance visée à l'alinéa 60b) prévoyait que les paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) devaient s'appliquer à tout paiement fait conformément à cette ordonnance. Dans ce cas le paiement est réputé être, aux fins de l'alinéa 60b), un montant payé par le contribuable et reçu par le bénéficiaire à titre d'allocation payable périodiquement.

[12] L'avocate de l'intimée s'appuie sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire The Queen v. Armstrong, 96 DTC 6315. Le juge Stone a prononcé les motifs du jugement au nom de la Cour d'appel. Au début de ses motifs, il a dit, à la page 6316 :

La question soulevée est celle de savoir si l'intimé a le droit de déduire dans le calcul de son revenu reçu après le 27 novembre 1991, pour les années d'imposition 1991 et 1992, les versements qu'il a effectués pour s'acquitter d'une obligation hypothécaire mensuelle concernant le foyer conjugal, y compris les taxes et les arriérés de taxes municipales.[4]

À la même page sont énoncés les faits suivants :

Le 27 novembre 1991, à la demande de l'ex-conjointe de l'intimé, la Cour du Banc de la Reine a rendu une autre ordonnance concernant l'entretien des enfants. Cette ordonnance prévoyait que l'intimé devait :

2. [TRADUCTION] continuer de payer l'obligation hypothécaire mensuelle concernant le foyer conjugal. Le paiement en question comprendra toutes les taxes et tous les arriérés de taxes municipales.

L'intimé ayant omis de payer l'obligation hypothécaire mensuelle et les taxes, comme l'ordonnance l'exigeait, son ex-conjointe a obtenu des ordonnances de saisie-arrêt enjoignant à l'intimé de verser à ses avocats des montants correspondant à l'obligation et aux taxes. À leur tour, les avocats ont remis ces montants à la conjointe, qui les a imputés à l'obligation hypothécaire et aux taxes.

[13] Le juge Stone a ajouté à la page 6319 que la présomption au paragraphe 60.1(2) quant à ce qui constitue une allocation payable périodiquement ne s'applique que lorsque l'ordonnance de la cour prévoit que les paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) s'appliquent à tout paiement fait conformément à cette ordonnance.

[14] À la page 6320, le juge Stone a traité des paragraphes 60.1(1) et 56(12). Il a fait remarquer que le paragraphe 60.1(1) ne comprend pas explicitement la définition du mot “ allocation ” énoncée au paragraphe 56(12). Cependant, le paragraphe 60.1(1) restreint sa propre application au paiement périodique d'un montant par le contribuable en vertu d'une ordonnance visée à l'alinéa 60b). L'alinéa 60b) parle d'un montant payé en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants. Le juge a poursuivi en disant, et je paraphrase, qu'il est nécessaire de lire les termes restrictifs “ à titre de pension alimentaire ou autre allocation ” dans leur contexte particulier à l'intérieur de l'alinéa 60b) pour avoir une description complète du mot “ ordonnance ” employé au paragraphe 60.1(1), car, s'il en était autrement, toute ordonnance serait théoriquement visée par la description.

[15] Le juge Stone ajoute dans ses motifs du jugement que le langage descriptif susmentionné ne figure pas au paragraphe 60.1(1). De plus, la définition du mot “ allocation ” au paragraphe 56(12) a été adoptée, notamment, expressément pour l'application de l'alinéa 60b). Le paragraphe 60.1(1) ne prévoit pas lui-même la déduction d'un montant payé et reçu. Il a plutôt pour effet, comme il a été indiqué précédemment, d'étendre le droit à la déduction qui est prévu à l'alinéa 60b) en présumant que, pour l'application de cet alinéa, un montant a été payé par le contribuable et reçu par le bénéficiaire. Le juge Stone a conclu ses observations relatives à ces paragraphes dans les termes suivants :

À mon avis, il faut lire la définition du mot “ allocation ” contenue au paragraphe 56(12) de concert avec le paragraphe 60.1(1) de la Loi et interpréter cette dernière disposition en conséquence. Il s'ensuit que, étant donné que l'ex-conjointe n'avait aucune discrétion quant à l'utilisation des sommes d'argent, l'intimé ne peut les déduire de son revenu pour les années d'imposition en question.

Il termine ses motifs de jugement par les propos suivants, à la page 6321 :

L'intimé a soutenu que les paiements pouvaient être déduits du revenu à tout événement, dans la mesure où ils étaient versés conformément à une ordonnance de saisie-arrêt découlant de procédures engagées par l'ex-conjointe. Par suite des procédures en question, les sommes d'argent visées par la saisie ont été payées aux avocats de l'ex-conjointe. Celle-ci a à son tour reçu les sommes d'argent et les a imputées à l'obligation imposée à l'intimé par l'ordonnance du 27 novembre 1991. Je ne puis admettre que, dans les circonstances, les sommes d'argent ont été payées à l'ex-conjointe d'une façon telle qu'elle conservait un pouvoir discrétionnaire quant à leur utilisation. À mon avis, les sommes d'argent ont été payées conformément à l'ordonnance datée du 27 novembre 1991, aux termes de laquelle l'obligation de l'intimé a été créée malgré le fait que l'ex-conjointe a jugé nécessaire d'engager des procédures de saisie-arrêt pour forcer l'exécution de cette obligation.

[16] À mon avis, l'arrêt Armstrong régit l'issue des présents appels. C'est une décision de la Cour d'appel fédérale, et je suis tenu de la suivre et de l'appliquer. Comme c'était le cas dans l'affaire Armstrong, le paragraphe 60.1(2) de la Loi n'aide aucunement l'appelant en l'espèce à faire déclarer les sommes en cause déductibles en vertu de l'alinéa 60b) parce que l'ordonnance de la Cour de l'Ontario (Division générale) en date du 21 novembre 1994 ne dit pas que les paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) s'appliquent à l'un quelconque des paiements effectués conformément à l'ordonnance.

[17] De plus, le paragraphe 56(12) doit se lire avec le paragraphe 60.1(1) et là encore, comme c'était le cas dans l'affaire Armstrong, l'ex-conjointe ne pouvait pas utiliser à sa discrétion les sommes versées en vertu de l'ordonnance. Il s'ensuit que le paragraphe 60.1 ne peut aucunement s'appliquer de façon à rendre les sommes en cause déductibles en vertu de l'alinéa 60b). Finalement, cette conclusion à l'absence de discrétion empêche l'appelant de déduire les sommes de 9 788 $ et de 7 223 $ en vertu de l'alinéa 60b), et ce, indépendamment de l'inapplicabilité des paragraphes 60.1(1) et (2), parce que la définition du mot “ allocation ” au paragraphe 56(12) exige que le bénéficiaire puisse utiliser à sa discrétion les sommes reçues.

[18] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de novembre 1998.

“ D. H. Christie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de juin 1999.

Erich Klein, réviseur



[1]               Ce qu'il faut inférer des éléments de preuve dont dispose le tribunal, c'est que les paiements litigieux ont été faits avant la dissolution du mariage. Comme nous le verrons, l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit la déduction d'une somme payée “ à titre de pension alimentaire ou autre allocation ”. Strictement parlant, la pension alimentaire se rapporte aux paiements effectués pendant que le mariage existe encore, et “ autre allocation ” désigne les paiements effectués après la dissolution du mariage. À mon avis, les considérations qui s'appliquent lorsqu'il s'agit de déterminer si un montant peut être déduit à titre de pension alimentaire ou bien comme autre allocation sont les mêmes. Par conséquent, la jurisprudence et la doctrine portant sur la déductibilité d'une allocation s'appliquent également à la déductibilité de paiements faits pendant l'existence du mariage.

[2]               Les 1 000 $ étaient payés au titre d'une hypothèque grevant le foyer conjugal. Les 450 $ représentaient le remboursement d'un prêt d'amélioration résidentielle.

[3]               Pour ce qui est de la modification ou de l'abrogation de ces dispositions, voir les Lois du Canada, 1997, ch. 25, paragraphes 10(1), 8(3), 11(1) et 11(2).

[4]               Les paiements ont été faits conformément à une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan en date du 27 novembre 1991. Les motifs du jugement du juge de la Cour de l'impôt sont publiés dans Armstrong v. The Queen, [1995] 1 C.T.C. 2718. À la page 2720, il est fait mention d'une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine en date du 15 octobre 1993. Cette ordonnance traite de questions telles la garde des enfants, le droit de visite, l'occupation du foyer conjugal par Karla Armstrong et l'éventuelle aliénation de ce foyer. L'ordonnance de 1993 est postérieure de près de deux ans à celle de 1991. Cela laisse supposer que les paiements litigieux ont été faits, en tout ou en partie, avant la dissolution du mariage. En outre, une copie de la déclaration de revenus de M. Armstrong pour 1992 a été envoyée par le sous-ministre du Revenu national à notre cour comme l'exige le paragraphe 170(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le paragraphe 9(1) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle) prévoit que la déclaration de revenus doit être traitée comme un élément du dossier de la Cour. Dans cette déclaration, M. Armstrong a répondu à la question suivante : “ Le 31 décembre 1992, vous étiez Marié(e), Conjoint de fait, Veuf(veuve), Divorcé(e), Séparé(e), Célibataire ”, qu'il était séparé.

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