Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980610

Dossier: 97-2753-IT-I

ENTRE :

MADELEYNE ST-LAURENT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté selon la procédure informelle à l'égard de l'année d'imposition 1993.

[2] La question en litige est de déterminer si les frais judiciaires au montant de 3 488,18 $ engagés par l’appelante lorsqu'elle a présenté une requête en modification des mesures accessoires relativement à une pension alimentaire qu'elle recevait de son ex-conjoint, sont déductibles en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (“ Loi ”).

[3] Par jugement de divorce prononcé le 28 mars 1991, la Cour supérieure du Québec entérinait l'entente sur mesures accessoires par laquelle l'appelante et son ex-conjoint convenaient, entre autres choses, d'assumer conjointement la garde de leurs deux enfants mineurs. Par cette même entente, l'ex-conjoint de l'appelante devait payer une pension alimentaire pour l'entretien des enfants de la façon suivante:

3. Le défendeur paiera à la demanderesse pour l'entretien des enfants mineurs, WESLEY et LYDIA, une pension alimentaire selon les modalités ci-après énumérées:

a) pendant une (1) année à compter de la vente du domicile conjugal, une pension alimentaire de $1,000.00 par mois;

b) à l'exception de cette année, la pension alimentaire pour les enfants mineurs est fixée à un montant de $800.00 par mois pour une (1) année;

c) à l'exception de cette année, la pension alimentaire pour les enfants mineurs est fixée à $600.00 par mois pour une (1) année;

d) Les parties conviennent de rediscuter entre elles les besoins des enfants et d'établir une pension alimentaire appropriée à l'expiration des trois (3) années ci-devant décrites;

3.a) Les parties s'engagent à se faire parvenir leurs rapports d'impôt fédéral et provincial le ou vers le 30 avril de chaque année;

Ladite pension alimentaire sera indexée suivant les dispositions de l'article 638 C.c.Q.;

[4] Selon le témoignage de l'appelante, les deux enfants sont venus habiter avec elle de façon permanente au cours de l'année 1993. L'ex-conjoint de l'appelante lui a fait part au cours de cette même année 1993 qu'il désirait diminuer le montant de la pension alimentaire.

[5] L'appelante a donc présenté une requête en modification des mesures accessoires le ler mai 1993 devant la Cour supérieure du Québec (Chambre de la Famille). Par cette requête, elle demandait une modification concernant la garde des enfants et l'augmentation de la pension alimentaire payable par son ex-conjoint.

[6] Dans cette requête, l'appelante admettait que son ex-conjoint avait payé la pension alimentaire prévue sans indexation. L'ex-conjoint a contesté cette requête au motif qu'il n'y avait pas lieu de modifier la pension alimentaire.

[7] Par jugement en date du 8 juin 1993 (voir pièce A-2), la Cour supérieure du Québec (Chambre de la Famille) révisait la pension alimentaire à la hausse rétroactivement au ler mai 1993. Ainsi le tribunal enjoignait à l'ex-conjoint de payer une somme de 1 400 $ par mois à l'appelante pour leurs enfants mineurs, laquelle pension alimentaire devait être réduite à 1 250 $ pour les mois pendant lesquels les enfants habitaient en alternance chez l'un ou l'autre parent.

[8] L'intimée prétend que les frais judiciaires engagés par l'appelante lorsqu'elle a présenté une requête pour modification des mesures accessoires ne sont pas des dépenses faites dans le but de tirer un revenu de biens aux termes de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. L'intimée soutient que ces dépenses constituent des dépenses en immobilisations visant à constituer un droit et non une dépense effectuée dans le but de forcer le paiement d'un revenu qui est le produit d'un droit préexistant (La Reine c. Burgess, 81 DTC 5192 (C. de l'Ech.)). S'appuyant sur les décisions rendues dans Rita Corbeil-Labelle c. M.R.N., 78 DTC 1893 (CRI) et Hélène Filteau c. M.R.N., 91 DTC 507 (CCI), l'intimée considère que la requête visant l'augmentation de la pension alimentaire a eu pour effet de substituer un bien par un nouveau bien et ainsi d'établir un nouveau droit à une pension alimentaire. Selon l'intimée, les frais judiciaires n'ont donc pas été engagés pour créer un revenu d'un bien.

[9] La Cour d'appel fédérale a décidé dans l'affaire La Reine c. Norma McCready Sembinelli, 94 DTC 6636, que les frais judiciaires engagés par madame Sembinelli pour s'opposer avec succès à la contestation par son ex-conjoint d'une ordonnance alimentaire, imposée conformément à la Loi sur le Divorce au moment de son divorce, étaient déductibles. La Cour d'appel fédérale a confirmé dans cette affaire la décision de madame le juge Lamarre Proulx, qui concluait ainsi :

Je conclus que les frais judiciaires engagés par l'appelante “ pour empêcher l'anéantissement du droit de recevoir le revenu en question ” (précité) l'ont été aux fins de tirer un revenu d'un droit existant générateur de revenu, et non pas aux fins d'acquérir un actif d'un caractère durable ni aux fins de protéger un élément de capital immobilisé. (Norma McCready Sembinelli c. La Reine [1993] A.C.I. no 236, paragraphe 14.)

[10] Même si dans l'affaire Sembinelli, le jugement de la Cour supérieure du Québec (Chambre de la Famille) s'est limité à rejeter la demande du conjoint et que les droits de madame Sembinelli ont été maintenus en application de l'ordonnance alimentaire préexistante et n'ont donc pas été modifiés, je suis d'avis que cette décision trouve application dans la présente affaire. Selon moi, aucun actif n'a été créé ou protégé par le jugement obtenu suite à la requête en modification des mesures accessoires. Tel que le disait madame le juge Lamarre Proulx dans l'affaire Sembinelli au paragraphe 12 :

Le droit à une pension alimentaire est un droit personnel. L'obligation relève exclusivement de la personne du payeur, et le droit aux aliments, à la personne du bénéficiaire. Il s'agit d'une obligation en considération de la personne.1 C'est un droit qui peut varier en fonction des circonstances financières du payeur et du bénéficiaire et qui dépend aussi de la vie de chaque personne. C'est un droit à un revenu qui n'a pas le caractère de capital.

_________________

1 Juge Pineau, La Famille, Presses de l'Université de Montréal, 1983, aux pages 271 et 272.

[11] Je conclus donc que la demande relativement à laquelle les frais judiciaires ont été engagés, était elle-même une demande de revenu auquel l'appelante avait droit, et que ces frais ont été légitimement engagés en vue d'obtenir le paiement de ce revenu (voir Evans c. MRN, 60 DTC 1047 (CSC)).

[12] L'appel est donc admis et la cotisation déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que les frais judiciaires de 3 488,18 $ engagés par l'appelante sont déductibles dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1993.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10ième jour de juin 1998.

"Lucie Lamarre"

J.C.C.I.

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