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Date: 20000724

Dossier: 98-1604-IT-G

ENTRE :

DOREEN WILLIAMS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Le présent appel est interjeté contre quatre cotisations en date du 13 décembre 1996 établies à l'égard de l'appelante en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[2] Au début de l'audience, les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Faits préliminaires

1. L'appelante habite à l'adresse suivante : 435, chemin Georgian Bay, R.R. no 1, Port Severn (Ontario), L0K 1S0.

2. Par les avis de cotisation numéros 00318, 00319, 00320 et 00322, datés du 16 décembre 1996 (les “ cotisations ”), le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a fixé, à l’égard de l'appelante, des cotisations totalisant 332 669,67 $, en vertu du paragraphe 160(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée (la “ Loi ”).

3. Le ministre a ratifié ces cotisations au moyen d'un avis de ratification daté du 17 mars 1998.

4. Les parties conviennent que le montant total fixé à l’égard de l'appelante doit être réduit d'une somme de 124 669,67 $, laquelle somme représente :

a) un remboursement de dépenses d'entreprise, soit des dépenses engagées par l'appelante au nom de son conjoint, Ronald Williams, et remboursées à l'appelante par Environmental Technologies International Inc. (“ ETI ”);

b) des paiements de Broom Management Inc. (“ Broom ”) faits à l'appelante au titre de son salaire;

c) un remboursement de Broom fait à l'appelante au titre d'un prêt consenti à Broom par l'appelante.

5. En conséquence, il reste 208 000 $ (le “ montant attribué ”) comme montant total en litige dans cet appel. Les parties conviennent que le montant attribué représente une somme à laquelle Ronald Williams avait droit comme rémunération de services qu'il avait rendus à ETI au nom de Cable Investments Ltd. (“ Cable ”) ou au nom de Broom. Les chèques relatifs au montant attribué sont énumérés à l'annexe A du présent document.

6. Les parties conviennent en outre que les chèques énumérés à l'annexe A ont été faits par ETI directement à l'appelante et déposés dans le compte bancaire de cette dernière (le “ compte de l'appelante ”) ou qu'ils ont été faits par ETI à Ronald Williams, transmis à l'appelante par voie d'endossement et déposés dans le compte de l'appelante.

7. Les parties conviennent également que le total des montants que Ronald Williams devait payer en vertu de la Loi au cours des années d'imposition dans lesquelles le montant attribué a été transféré par Ronald Williams à l'appelante ou au cours d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années était d'au moins 1 092 493 $, ce qui comprend l'impôt fédéral ainsi que les intérêts et pénalités s'y rapportant.

Faits

8. Durant toute la période pertinente, l'appelante habitait à l'adresse suivante : 143, croissant Princess Anne, Etobicoke (Ontario). Au cours des années d'imposition 1991 à 1996, l'appelante et Ronald Williams occupaient de temps en temps une maison de campagne dont la désignation civique était la suivante : 435, chemin Georgian Bay, R.R. no 1, Port Severn (Ontario).

9. Durant toute la période pertinente, Ronald Williams était le conjoint de l'appelante.

10. Entre février 1990 et avril 1996 (la “ période du transfert ”), Ronald Williams a fourni des services de consultant en gestion à ETI au nom de Cable, en tant qu'employé de Cable, et subséquemment au nom de Broom, en tant qu'employé de Broom, comme cela est indiqué plus en détail ci-après.

11. Durant la période du transfert, Ronald Williams n'avait pas de compte bancaire personnel. Toutefois, il avait bel et bien un compte bancaire en commun avec l'appelante (le “ compte conjoint ”).

12. Les paiements hypothécaires relatifs à la résidence occupée par l'appelante et Ronald Williams provenaient du compte conjoint.

13. Durant la période du transfert, Ronald Williams utilisait les cartes de crédit de l'appelante pour ses activités commerciales et ses besoins financiers personnels.

14. Durant toute la période pertinente, l'appelante était propriétaire en common law et propriétaire bénéficiaire de la résidence du 143, croissant Princess Anne, Etobicoke (Ontario), où elle et son époux habitaient.

15. Durant toute la période pertinente, ETI était une société ouverte qui avait été constituée sous le régime des lois de l'Ontario et qui n'était pas contrôlée directement ou indirectement par Ronald Williams.

16. Durant toute la période pertinente, Ronald Williams était le président-directeur général d'ETI.

17. Conformément à un contrat de gestion entre ETI et Cable, en date du 1er juillet 1991, Cable avait accepté de fournir des services de gestion, ainsi que les services de Ronald Williams, à ETI. Par suite de ce contrat, Cable était en droit de se voir payer des honoraires de gestion par ETI, et Ronald Williams était en droit de recevoir un salaire de Cable, comme employé de Cable. En pratique, le salaire de Ronald Williams était versé directement par ETI à Ronald Williams ou à l'appelante.

18. Durant toute la période où Cable fournissait des services de gestion à ETI, Ronald Williams détenait toutes les actions en circulation de Cable.

19. Conformément à un contrat en date du 1er septembre 1994, Cable a cédé à Broom le contrat de gestion qu'elle avait conclu avec ETI. Ainsi, Broom a entrepris de fournir des services de gestion et les services de Ronald Williams à ETI. Par suite de ce contrat, Broom était en droit de se voir payer des honoraires de gestion par ETI, et Ronald Williams était en droit de recevoir un salaire de Broom, comme employé de Broom. En pratique, le salaire de Ronald Williams était versé directement par ETI à Ronald Williams ou à l'appelante.

20. Durant toute la période où Broom fournissait des services de gestion à ETI, les actionnaires de Broom étaient l'appelante, son fils David et sa fille Susan.

21. Durant toute la période où Broom fournissait des services de gestion à ETI, Ronald Williams était le président et seul dirigeant de Broom.

22. Dans le cadre de la prestation de services de gestion à ETI au nom de Cable et de Broom, Ronald Williams a beaucoup voyagé, au Canada et à l'étranger.

23. Ronald Williams avait donné pour instructions à ETI de faire des chèques au titre du salaire qu’il recevait de Cable et de Broom à l'ordre de l'appelante.

24. Le montant attribué a été déposé dans le compte de l'appelante. Le compte de l'appelante était au nom de l'appelante seulement. Il n'y avait aucune restriction, entre l'appelante et les établissements financiers où le compte de l'appelante était détenu, quant à la capacité de l'appelante d'exercer un contrôle sur les fonds qui étaient dans le compte de l'appelante.

25. Le montant attribué a été versé par Ronald Williams ou au nom de ce dernier afin de subvenir aux besoins de l'appelante et de payer des dépenses liées aux résidences occupées par l'appelante et Ronald Williams au cours de la période du transfert.

26. Les dépenses du ménage, c'est-à-dire les dépenses pour la famille de Ronald et Doreen Williams, ont été les suivantes, comme l'indiquent les budgets du ménage figurant aux onglets 6, 10, 17, 25 et 34 du recueil conjoint de documents : 64 832,29 $ pour l'année d'imposition 1990, 108 302,44 $ pour l'année d'imposition 1991, 94 500,53 $ pour l'année d'imposition 1992, 114 965,75 $ pour l'année d'imposition 1993 et 96 890,96 $ pour l'année d'imposition 1994, soit au total 474 941,01 $.

27. Le revenu total, les déductions et le revenu imposable de l'appelante pour les années d'imposition 1990 à 1996 ont été les suivants :

Année

Revenu total

Déductions

Revenu imposable

1990

33 149,16 $

NÉANT

33 149,16 $

1991

71 774,64 $

65 615,43 $

6 159,21 $

1992

12 727,62 $

NÉANT

12 727,62 $

1993

513,29 $

588,50 $

NÉANT

1994

54 071,88 $

42 173,82 $

11 898,06 $

1995

25 496,56 $

2 734,58 $

22 761,98 $

1996

31 370,86 $

1,00 $

31 369,86 $

Total

229 104,01 $

111 113,33 $

118 065,89 $

28. Le revenu imposable total de Ronald Williams pour les années d'imposition 1990 à 1995 a été de 547 750 $, comme l'indiquent ses déclarations de revenus.

EXPOSÉ CONJOINT

DES FAITS

5 juillet 2000

ANNEXE “ A ” RÉVISÉE

Date Numéro de chèque Montant

2 février 1990 0795 3 500 $

9 mars 1990 0844 6 000 $

3 août 1990 0945 3 000 $

3 août 1990 0946 10 500 $

7 septembre 1990 1005 6 000 $

28 janvier 1991 0082 1 500 $

1er février 1991 0090 6 000 $

30 avril 1991 0230 30 000 $

9 mai 1991 0279 6 500 $

21 juin 1991 0385 8 000 $

2 août 1991 0427 4 000 $

22 août 1991 0460 4 000 $

31 août 1991 0517 8 000 $

24 septembre 1991 0576 8 000 $

3 décembre 1991 0730 8 000 $

23 décembre 1991 0840 8 000 $

30 janvier 1992 0899 10 000 $

4 mai 1992 1196 10 000 $

16 septembre 1992 1637 10 000 $

23 décembre 1992 1888 3 000 $

28 avril 1993 2201 10 000 $

27 mai 1993 2278 10 000 $

24 juin 1993 2287 10 000 $

30 juillet 1993 2438 10 000 $

27 octobre 1993 2710 10 000 $

4 décembre 1995 3848 700 $

TOTAL 204 700 $

1er mars 1995 3149 550 $

1er avril 1995 3270 550 $

1er août 1995 3626 550 $

1er septembre 1995 3692 550 $

1er octobre 1995 3755 550 $

1er décembre 1995 3822 550 $

Total 3 300 $

Total global 208 000 $

PREUVES IMPORTANTES PRÉSENTÉES DE VIVE VOIX AU PROCÈS

[3] L'appelante a dit qu'elle dépendait économiquement de son époux en ce qu'elle ne gagnait pas assez d'argent elle-même pour subvenir à ses besoins. Les frais (débours) du ménage ont été détaillés pour 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994. Ils n'ont pas été détaillés pour 1995 et 1996 mais ils étaient comparables.

[4] L'appelante a également dit que son propre revenu, comme l'indiquent ses déclarations T-1, reflétait, pour 1991, une allocation de retraite qu'elle avait reçue et qu'elle avait transférée en franchise d'impôt dans un REER et, pour 1994, un gain en capital théorique visant à accroître le prix de base d'une immobilisation.

[5] L'appelante avait un compte bancaire à son propre nom. Dans ce compte, elle déposait les chèques faits à elle ou à son conjoint. Les fonds de l'appelante et ceux de son conjoint se confondaient dans le compte de l'appelante. L'appelante payait les dépenses du ménage sur ce compte, de même que certaines des dépenses de son conjoint. L'appelante et son conjoint avaient en outre un compte bancaire en commun à seule fin d'effectuer les paiements hypothécaires relatifs à la résidence ainsi qu'à la maison de campagne.

[6] Au cours du contre-interrogatoire, l'appelante a indiqué que son conjoint lui transmettait des chèques au titre d'allocations de voiture d'ETI, qu'elle déposait ces chèques dans son compte et qu'elle faisait les paiements de location de voiture de son conjoint sur son compte. L'appelante a également dit qu'elle n'était pas contractuellement tenue d'effectuer les paiements de location de voiture.

THÈSE DE L'APPELANTE

[7] Les chèques comprenant le montant attribué (208 000 $) qui ont été reçus à titre de salaire par Ronald Williams et qui ont été faits à l’ordre de l'appelante l’ont été en exécution de l’obligation légale que Ronald Williams avait de subvenir aux besoins de sa conjointe et de ses enfants durant la période du transfert ou ont été versés pour une contrepartie de valeur. Le paiement du montant attribué — à l'appelante par Ronald Williams ou au nom de ce dernier — n'était pas un “ transfert de biens ” au sens du paragraphe 160(1) de la Loi.

THÈSE DE L'INTIMÉE

[8] Le transfert du montant de 208 000 $ (le “ montant attribué ”) fait à l'appelante était un transfert de biens au sens du paragraphe 160(1) de la Loi.

ANALYSE

[9] Le paragraphe pertinent de la Loi se lit comme suit :

Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

a) son conjoint ou une personne devenue depuis son conjoint;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent :

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des article 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[10] Pour que le paragraphe 160(1) de la Loi s'applique, quatre conditions doivent être réunies. Premièrement, il doit s'agir d'une opération avec lien de dépendance; deuxièmement, un transfert de biens doit avoir lieu; troisièmement, il doit y avoir absence de contrepartie de la part de la personne qui reçoit le bien; quatrièmement, l'auteur du transfert devait être tenu de payer de l'impôt l'année où le bien a été transféré ou une année antérieure.

[11] En ce qui a trait à la signification du mot “ transfert ”, je renvoie à la décision rendue par la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Fasken v. Minister of National Revenue, 49 DTC 491, dans laquelle le président Thorson a dit, à la page 497 :

[TRADUCTION]

Le mot “ transfert ” n'est pas un terme spécialisé ayant un sens technique. Il n'est pas nécessaire qu'un transfert de biens d'un époux à son épouse soit fait sous une forme particulière ou directement. Tout ce qui est requis, c'est que l'époux se départisse d'un bien en faveur de son épouse, c'est-à-dire qu'il fasse en sorte que ce bien passe de lui à son épouse. Le moyen, direct ou non, par lequel il parvient à ce résultat peut à juste titre être assimilé à un transfert.

[12] Comme l'appelante a reçu de l'argent dans son compte bancaire, il est difficile de conclure qu'aucun transfert n'a eu lieu, sauf si l'appelante agissait comme représentante de Ronald Williams, et la preuve ne me permet pas d'arriver à cette conclusion. Dans l'affaire White c. La Reine, C.C.I., no 93-1134(IT)G, 10 février 1995 (96 DTC 1552), soit une cause qui ressemble à la présente espèce à certains égards, j'avais rejeté l'argument selon lequel aucun transfert n'avait été fait à l'appelante. Dans l'affaire White, précitée, l'appelante soutenait que les sommes déposées dans un compte-chèques personnel étaient destinées à payer des dépenses d'entreprise et frais personnels de son époux, de même que certains frais de subsistance de la famille. En rejetant l'argument de l'appelante, ainsi que l'appel de cette dernière, j'ai dit à la page 6 (DTC : à la page 1554) :

En l'absence de preuve de moyens justifiant de soustraire les dépôts à l'application du paragraphe 160(1) of the [sic] Loi1, l'entente qui a pu exister entre les parties ne concerne aucunement le ministre ni quelque autre tierce partie au transfert. Le fait qu'une partie de l'argent devait servir à soutenir les affaires du mari de l'appelante ne fait qu'ajouter foi à l'avis que le transfert visait à échapper au paiement des impôts dus.

En résumé, je conclus, d'après la preuve, que le compte chèques personnel de l'appelante a été établi pour échapper à la saisie possible de fonds par Revenu Canada. La nature et le caractère des transferts donnaient lieu à une cession absolue de contrôle à l'appelante, faite sans contrepartie contractuelle.

___________________

1 Voir Sarraf et al. v. M.N.R., 94 DTC 1506, le juge Bowman, à la page 1508.

Sur la foi de la preuve présentée en l'espèce, je conclus qu'un transfert de biens a eu lieu.

[13] La question suivante est donc de savoir quelle était la valeur de la contrepartie donnée par l'appelante, si une contrepartie a été donnée. Un transfert sans contrepartie de valeur a été assimilé au concept d'“ enrichissement sans cause ” par plusieurs tribunaux en vertu de l'article 160 de la Loi. Le juge McArthur, de notre cour, a examiné ce concept et l'obligation légale relative au droit de la famille concernant l'article 160 de la Loi dans l'affaire Ferracuti c. La Reine, C.C.I., no 96-770(IT)G, 2 octobre 1998 (99 DTC 194), et il a dit aux pages 7 et 8 (DTC : à la page 198) :

[20] La Cour suprême du Canada a, dans l'arrêt Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, examiné le concept de l'enrichissement sans cause. En statuant en faveur de l'intimée, Mme Becker, la Cour suprême a tenu compte des services fournis par cette dernière et a appliqué la théorie de la fiducie par interprétation. À la page 847, la Cour suprême déclarait ceci : “ Le principe de l'enrichissement sans cause est au coeur de la fiducie par interprétation ”. Le juge Dickson ajoutait ce qui suit à la page 848 :

[...] Dans l'arrêt Rathwell, je me suis risqué à avancer qu'il y a trois conditions à respecter pour que l'on puisse dire qu'il y a enrichissement sans cause : un enrichissement, un appauvrissement correspondant et l'absence de tout motif juridique à l'enrichissement.

[14] Dans l'affaire Ferracuti, le juge McArthur a conclu que M. Ferracuti avait un “ motif juridique ” de payer certains frais comme les intérêts hypothécaires, les taxes, les frais d'électricité, les frais d'aqueduc et les frais d'assurance. Il avait une obligation légale de subvenir aux besoins de sa famille comme l'indiquent les articles 30, 31 et 35 de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario.

[15] Mme le juge Lamarre Proulx, de notre cour, a examiné la question de la contrepartie de valeur relativement au paiement d'un “ emprunt hypothécaire fait sur la demeure familiale ” dans l'affaire Michaud c. R., C.C.I., no 97-1312(IT)G, 13 août 1998 ([1998] 4 C.T.C. 2675). Aux paragraphes 19 et 20, elle disait :

19 Je suis d'avis que lorsque l'ex-conjoint de l'appelante a payé les charges hypothécaires de la maison familiale qui était la propriété de l'appelante, il ne faisait qu'exécuter une obligation légale soit celle de subvenir aux besoins de sa famille en lui procurant le logement dont elle avait besoin. L'appelante aurait pu payer elle-même ces frais hypothécaires et le mari aurait pu payer ce que l'appelante avait pris à sa charge. Mais ce n'était pas ainsi que les charges familiales s'étaient naturellement réparties dans ce couple. De toute façon, cette répartition pécuniaire des charges familiales n'est pas de l'essence de ma décision. Car ici, il s'agit d'un couple où les deux époux gagnent de l'argent. S'il s'était agi d'un couple où seul un des deux époux gagnait le revenu familial, ma décision serait la même : le paiement de l'emprunt hypothécaire fait sur la demeure familiale n'est pas de la nature d'un transfert de biens fait sans contrepartie valable s'il est en fait en exécution de l'obligation légale de pourvoir aux besoins de sa famille.

20 Je veux préciser que c'est quand la preuve révèle que le paiement hypothécaire est fait en exécution de l'obligation légale de subvenir aux besoins de la famille, qu'il est fait pour une contrepartie valable au sens du paragraphe 160(1) de la Loi. Si par hypothèse, le mari dans la présent affaire avait payé un loyer à son épouse et en plus aurait fait les paiements hypothécaires, il est peu probable que les paiements hypothécaires auraient été faits en exécution d'une obligation légale de subvenir aux besoins de la famille.

[16] Dans le présent appel, le conjoint avait donné pour instructions à ETI de faire tous les chèques au titre du salaire qu’il recevait de Cable et de Broom à l'ordre de l'appelante. Le montant attribué a été déposé dans le compte de l'appelante. Il a été dépensé par l'appelante pour subvenir à ses besoins et pour payer des frais liés à la maison de campagne de Georgian Bay et à la résidence urbaine d'Etobicoke. Une fois l'argent transféré, l'appelante exerçait un contrôle complet sur les fonds, qu'elle utilisait à son entière discrétion. Son conjoint n'a pas fait de paiements à des tiers au titre de dépenses du ménage.

[17] L'appelante soutient qu'à cause de la faiblesse de son revenu elle se tournait vers son conjoint pour les frais du ménage impayés. Elle a fourni une certaine preuve documentaire à l'appui des dépenses. Telles qu'elles ont été caractérisées, les dépenses excédaient d'une manière générale ce qui serait normalement considéré comme des dépenses moyennes pour les besoins d'un ménage.

[18] L'appelante a invoqué la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario à l'appui de son argument selon lequel son conjoint était légalement tenu de la faire vivre, car elle dépendait financièrement de lui et était dans le besoin. Il est à noter que la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario énonce que l'obligation première d'un conjoint est de subvenir à ses besoins et à ceux de l'autre conjoint selon ce qui est nécessaire et dans la mesure où il est capable de le faire.

[19] Dans le présent appel en matière d'impôt pour les années 1990 à 1996 inclusivement, alors que le conjoint de l'appelante avait une obligation fiscale de plus d'un million de dollars, l'appelante a reçu un revenu total de 229 104,01 $, et le total des dépenses du ménage a été de 474 941,01 $ pour les années 1990 à 1994 inclusivement. Je conclus que le montant attribué comme quantification de soutien basée sur les besoins représente en réalité une quantification de convenance basée sur le mode de vie de conjoints vivant ensemble et ayant des moyens indépendants suffisants pour répondre à leurs besoins individuels. Plus particulièrement, vu cette conclusion, j'estime que le transfert du montant attribué n'a pas été fait en exécution d'une obligation légale en matière de soutien et que le “ montant attribué ” a donc été transféré sans contrepartie de valeur.

[20] Cette conclusion quant à une quantification de convenance s'impose encore plus étant donné les efforts du conjoint de l'appelante pour que son salaire ne lui soit pas remis en main propre et soit versé par ETI dans le compte de l'appelante. Il en était ainsi malgré le fait que la banque avait insisté pour que l'appelante et son conjoint aient un compte en commun sur lequel les paiements hypothécaires seraient faits à la banque. Les circonstances du transfert sont en fait douteuses et pourraient amener à d'autres conclusions quant à l'intention du conjoint de l'appelante.

[21] Je conclus donc que le transfert, à l'appelante, du montant attribué (208 000 $), moins 3 300 $ d'allocations de voiture[1] versés dans le compte de l'appelante en remboursement de frais payés au nom de son conjoint (soit un solde de 204 700 $), était un transfert sans contrepartie au sens du paragraphe 160(1) de la Loi.

DÉCISION

[22] L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu de ce qui est établi au paragraphe numéro quatre de l'exposé conjoint partiel des faits figurant dans les présents motifs et compte tenu de la conclusion selon laquelle le montant attribué doit être réduit de 3 300 $ de plus, ce qui laisse un solde impayé de 204 700 $ au titre du montant attribué.

[23] L'intimée a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juillet 2000.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de février 2001.

Isabelle Chénard, réviseure



[1]               Voir les six dernières inscriptions de l'annexe A de l'exposé conjoint partiel des faits.

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