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Date: 19980727

Dossiers: 97-1866-IT-G; 96-4365-IT-G; 96-4041-IT-G

ENTRE :

FRED C. HANSEN, H. ROBERT HEMMING, JOHN AMIRAULT,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] L'appelant Fred C. Hansen, soit un homme d'affaires et un consultant, interjette appel à l'encontre des cotisations d'impôt sur le revenu établies à son égard pour les années 1988, 1990, 1991, 1992 et 1993.

[2] L'appelant H. Robert Hemming, qui est comptable agréé, interjette appel à l'encontre des cotisations d'impôt sur le revenu établies à son égard pour les années 1993 et 1994.

[3] L'appelant John Amirault, soit un ingénieur, interjette appel à l'encontre des cotisations d'impôt sur le revenu établies à son égard pour les années 1991, 1992 et 1993.

[4] Ces trois appels ont été entendus sur preuve commune.

Points en litige

[5] Il s'agit de savoir :

a) si des frais juridiques payés par l'appelant sont déductibles du revenu pour l'année dans laquelle ils ont été payés et, dans l'affirmative,

b) si le remboursement de ces frais doit être ajouté au revenu pour l'année dans laquelle il a été reçu.

[6] Dans l'appel de M. Amirault, il y a aussi une question de frais d'intérêt, pour les années 1992 et 1993, sur de l'argent emprunté pour payer des frais juridiques en 1991.

Faits

[7] Les faits ne sont pas vraiment en litige : ce qui m'est soumis, c'est le résultat juridique des faits. J'accepte sans hésitation le témoignage des trois appelants. Dans les cas où il peut y avoir une différence entre leur témoignage et ce qui a été produit dans la documentation écrite et les motifs des jugements des tribunaux de la Nouvelle-Écosse, j'accepte les documents et les motifs des jugements.

[8] Me George MacDonald, c.r. ( « Me MacDonald » ), qui était l'avocat des appelants dans les causes entendues en Nouvelle-Écosse et dans la cause entendue en Ontario, a également produit un témoignage que j'accepte intégralement sans hésitation.

[9] Les appelants dans la présente espèce et d'autres personnes étaient administrateurs de la Seabright Resources Inc. ( « Seabright » ). En 1987, la Westminer Canada Holdings Limited ( « Westminer » ) avait acheté toutes les actions de la Seabright. Les appelants avaient tous résigné leurs fonctions d'administrateurs, et aucun d'eux n'était membre de la direction de la Seabright.

[10] En 1988, la Westminer avait intenté une action en Ontario contre tous les anciens administrateurs de la Seabright, soit une action pour 90 millions de dollars, alléguant qu'il y avait eu « fausse déclaration intentionnelle » , ce qui a été appelé « fraude et malhonnêteté » par le juge de première instance en Nouvelle-Écosse et « fraude » par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse.

[11] De l'avis de Me MacDonald, la meilleure stratégie était de passer à l'attaque, et c'était à un tribunal de la Nouvelle-Écosse qu'il convenait le mieux de soumettre les questions. Les appelants et d'autres personnes ont intenté deux actions contre la Westminer devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse.

[12] Le fondement d'une des actions intentées en Nouvelle-Écosse tenait au fait que, d'après le règlement intérieur de la compagnie, celle-ci était obligée de garantir ses administrateurs contre toute responsabilité. Ainsi, dans la demande introductive de cette action, il était réclamé ce qui suit :

a) une déclaration judiciaire selon laquelle les défendeurs étaient solidairement tenus d'indemniser les demandeurs de tous les frais, y compris les dépens procureur-client, engagés ou devant être payés par suite de l'action intentée en Ontario;

b) des dommages-intérêts généraux;

c) des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs;

d) des intérêts antérieurs au jugement;

e) des dépens procureur-client.

[13] La deuxième action se fondait sur l'allégation selon laquelle la Westminer avait délibérément ou par négligence laissé tomber en déchéance l'assurance responsabilité des administrateurs avant d'intenter l'action en Ontario, privant ainsi les anciens administrateurs de fonds d'assurance pour se défendre. Dans la demande introductive de cette instance, il était réclamé ce qui suit :

a) des dommages-intérêts spéciaux;

b) des dommages-intérêts généraux;

c) des dommages-intérêts punitifs et/ou exemplaires;

d) des intérêts antérieurs au jugement;

e) des dépens procureur-client.

[14] Chaque appelant avait payé des frais juridiques importants au fil des ans.

[15] Les actions intentées en Ontario et en Nouvelle-Écosse s'étaient poursuivies, celles de la Nouvelle-Écosse franchissant d'abord l'étape de la première instance. Les deux causes de la Nouvelle-Écosse ont été entendues ensemble par le juge Nunn, dans un long procès qui remonte à 1992.

[16] La décision du juge Nunn, rendue le 23 mars 1993, reflétait le fait que, comme demandeurs, les appelants avaient eu presque entièrement gain de cause dans leurs actions. Plus précisément, on leur avait accordé une déclaration d'indemnité pour ce que leur avait coûté l'action intentée en Ontario, des dommages-intérêts généraux, soit 200 000 $ chacun, les intérêts applicables antérieurs et postérieurs au jugement dans la mesure où ils sont applicables et des dépens procureur-client dans les deux actions intentées en Nouvelle-Écosse.

[17] Au sujet de la question de l'assurance, le juge Nunn disait, aux paragraphes 606 et 608 :

[TRADUCTION]

[606] Les demandeurs en Nouvelle-Écosse avaient été privés d'une occasion de se faire défendre et, comme j'ai conclu que cela était attribuable à une négligence de la part des défendeurs, ils ont droit à des dommages-intérêts.

[608] La quantification des dommages-intérêts à cet égard est extrêmement difficile, mais cette difficulté ne doit pas jouer contre les parties lésées. Il ne faut pas spéculer quant à savoir dans quelle mesure l'assureur serait intervenu. Des éléments de preuve font état des frais engagés à ce jour concernant l'action intentée en Ontario, et d'autres frais seront assurément engagés, bien que la présente décision puisse accélérer l'issue de ce litige-là. Il n'est que raisonnable à mon avis que des dommages-intérêts à cet égard soient établis à un montant égal au montant total que les demandeurs sont tenus de payer pour leur défense dans l'action intentée en Ontario, à concurrence de la limite prévue dans la police d'assurance, soit 1 000 000 $. Même si j'ai tort sur le montant et que j'aurais dû limiter tout recouvrement aux frais engagés jusqu'à la date de la modification, la question peut très bien être théorique vu l'examen ultérieur relatif à la présente décision.

[18] Au paragraphe 656 de ses motifs, il évaluait à 200 000 $ les dommages-intérêts généraux pour chacun des appelants dans la présente espèce. Ce paragraphe se lit comme suit :

[TRADUCTION]

[656] Il serait extrêmement difficile, voire impossible, d'essayer d'évaluer individuellement les dommages-intérêts généraux dans ces circonstances. Par suite des allégations de fraude formulées contre eux, chacun a subi des préjudices graves relativement à tous les aspects de sa vie, c'est-à-dire sur les plans commercial, professionnel, social et personnel et sur le plan physique. Je reconnais que tel est le cas. Les défendeurs ont assurément fait preuve d'une grave insouciance à l'égard de ces demandeurs. Les demandeurs et leur avocat m'ont fait valoir instamment que la justice exige l'attribution de dommages-intérêts importants, et j'en conviens. Je pense que la seule façon appropriée de traiter les demandeurs individuels dans les circonstances de l'espèce est d'accorder le même montant à chacun au titre des dommages-intérêts généraux. En conséquence, j'évalue à 200 000 $ les dommages-généraux pour chacun des demandeurs. Dans certaines circonstances, ce montant pourrait être considéré comme élevé, mais je suis convaincu qu'il est bien raisonnable dans les circonstances de l'espèce.

[19] Le premier paragraphe de l'ordonnance qui avait été demandée aux fins du jugement du juge Nunn se lit comme suit :

[TRADUCTION]

1. Que les demandeurs soient en droit d'être indemnisés par la Westminer de tous les frais raisonnables qui ont été engagés et qui seront engagés relativement à l'action intentée en Ontario.

Au paragraphe 4, des dépens procureur-client pour les actions intentées en Nouvelle-Écosse sont adjugés.

[20] La Westminer avait porté le jugement en appel devant la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, et les appelants avaient interjeté un appel reconventionnel. L'appel de la Westminer avait été rejeté. Le point sur lequel l'appel reconventionnel avait été couronné de succès, c'était les intérêts antérieurs au jugement sur les dépens procureur-client.

[21] Me MacDonald avait soutenu devant la Cour d'appel que le juge de première instance voulait que les anciens administrateurs se retrouvent dans la même position qu'avant comme si l'action intentée en Ontario n'avait jamais été engagée. Pour que les anciens administrateurs soient pleinement indemnisés, des intérêts antérieurs au jugement devaient être accordés sur les dépens procureur-client. Cela n'était toutefois pas possible en vertu de la Nova Scotia Judicative Act. La Cour d'appel avait accepté cet argument; au paragraphe 181 de ses motifs, elle disait :

[TRADUCTION]

[181] Pour que les intimés soient pleinement indemnisés de tous les frais raisonnablement engagés à l'égard des actions auxquelles ils étaient partie, il est nécessaire que les dépens qui leur sont adjugés pour avoir eu gain de cause dans l'action intentée en Nouvelle-Écosse fassent partie de l'indemnité. Sur ce point, l'appel reconventionnel est accueilli.

[22] Dans le but de faciliter la réception, par les appelants, d'intérêts antérieurs au jugement sur les dépens procureur-client pour les actions intentées en Nouvelle-Écosse, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse avait décidé que de tels frais devaient être pris en compte comme une partie supplémentaire de l'indemnité accordée, de sorte que les frais adjugés soient considérés comme des dommages-intérêts pour perte d'indemnité correspondant exactement au paiement total des dépens procureur-client dans les actions intentées en Nouvelle-Écosse, comme cela avait précédemment été adjugé par le juge Nunn.

[23] Dans ses motifs, sous la rubrique intitulée Conclusion, à la page 312, paragraphe 1, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse disait :

[TRADUCTION]

1. Les dépens adjugés aux intimés pour avoir eu gain de cause dans les actions intentées en Nouvelle-Écosse font partie de l'indemnité accordée.

[24] L'ordonnance officielle de la Cour d'appel se lit comme suit :

[TRADUCTION]

1. L'appelante, Westminer Canada Limited, est tenue de payer aux intimés 188 663,55 $ d'intérêts antérieurs au jugement sur l'attribution de dommages-intérêts pour perte d'indemnité à l'égard des frais engagés par les intimés dans l'instruction de cette instance, plus des intérêts postérieurs au jugement sur ce montant pour la période allant du 15 mai 1993 au 11 avril 1994, soit 9 659,74 $, moins un crédit de 4 790,41 $ au titre des intérêts postérieurs au jugement déjà payés par les appelants, ce qui totalise 193 532,88 $.

[25] En 1993, les appelants avaient reçu les sommes spécifiées dans l'adjudication du tribunal de première instance et, en 1994, ils avaient reçu les sommes supplémentaires (soit essentiellement des intérêts, antérieurs au jugement, sur les frais juridiques de la Nouvelle-Écosse).

[26] Je suis convaincu que chacun des appelants dans la présente espèce était obligé de se défendre contre les allégations de fraude et la demande de 90 millions de dollars de la Westminer, pour protéger sa réputation ainsi que les biens en immobilisation qu'il avait acquis au cours de sa vie. Il fallait que chacun se défende dans l'action intentée en Ontario; ce n'était pas une option.

[27] Les tactiques de Me MacDonald en intentant les deux actions en Nouvelle-Écosse et en les faisant d'abord instruire étaient indéniablement bonnes et ont été couronnées de succès.

Thèse des appelants

[28] Les appelants soutenaient que les frais juridiques avaient été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[29] Ils soutenaient que, si la Westminer avait eu gain de cause, ils auraient fait faillite et leur réputation aurait été ruinée. Il fallait donc qu'ils se défendent, car ils auraient tous perdu leur capacité de gagner un revenu. Ils allèguent que la défense qu'ils ont fait valoir avec succès dans l'action intentée par la Westminer visait à protéger leur capacité de gagner un revenu.

[30] Ils soutenaient en outre que la réputation d'une personne représente une survaleur personnelle sans valeur marchande et non un bien en immobilisation.

[31] Ils allèguent que le litige tenait au fait qu'ils étaient administrateurs de la Westminer, ce pour quoi ils étaient payés 100 $ par réunion, et que cela était un motif suffisant pour faire entrer les frais juridiques dans le cadre de l'alinéa 18(1)a).

[32] Ils soutenaient en outre que les dépens procureur-client correspondant aux dommages-intérêts accordés par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse ne représentaient pas un remboursement et n'avaient donc pas à être pris en compte dans le revenu de manière à neutraliser la déduction des frais juridiques. Ils se fondent sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Her Majesty the Queen v. Westcoast Energy Inc., 92 DTC 6253, qui maintenait la décision de la section de première instance de la Cour fédérale (91 DTC 5334).

Thèse de l'intimée

[33] L'intimée soutenait que les dépenses déduites n'entraient pas dans le cadre de l'alinéa 18(1)a) de la Loi et n'étaient donc pas déductibles et que, de toute façon, elles devraient être exclues à titre de dépenses engagées pour protéger des biens en immobilisation, soit des dépenses exclues en vertu de l'alinéa 18(1)b) de la Loi; subsidiairement, l'intimée soutenait que, si je devais conclure que les dépenses entraient dans le cadre de l'alinéa 18(1)a), la partie des dommages-intérêts adjugés qui correspondait aux dépens procureur-client représente un remboursement au sens du sous-alinéa 12(1)x)(iv) et doit donc être incluse dans le revenu.

Analyse

[34] Je considère comme avéré que, en intentant son action en Ontario, la Westminer a obligé les trois appelants à se défendre. Ces derniers devaient absolument se défendre, car, si la Westminer avait eu gain de cause, ils auraient perdu tous leurs actifs. Parmi leurs actifs, il y avait leur réputation dans leur collectivité.

[35] Dans ses motifs, aux paragraphes 645 à 648, le juge Nunn disait au sujet de la demande de M. Amirault :

[TRADUCTION]

[645] M. Amirault a déclaré dans son témoignage que, en 1987, il était au faîte de sa carrière; il avait travaillé dur toute sa vie et jouissait d'une bonne réputation, étant considéré comme un « consultant juste, honnête et sérieux » . Cette allégation de fraude l'a atteint au coeur même de toute sa carrière. Il a décrit l'allégation et l'action comme une monstruosité diminuant sa capacité de mener ses affaires et ternissant son image de marque auprès de ses associés ainsi que dans le monde minier, en Nouvelle-Écosse et dans l'ensemble du Canada. La question est soulevée presque quotidiennement dans des discussions avec des amis et des collègues. Dans sa vie personnelle, cela a eu de profondes répercussions. Il dort mal et se réveille tôt, avec cela à l'esprit. Sa concentration est affectée, ce qui affecte son travail. Sa vie familiale, c'est-à-dire la relation avec son épouse et ses enfants, est mise à rude épreuve et en est sérieusement affectée, car il consacre maintenant tout son temps libre à cette affaire. L'allégation de fraude déteint sur toutes ses activités.

[646] Il ne peut dire s'il a perdu des clients ou si d'autres ont évité de le consulter, mais il croit avoir perdu des contrats par suite de l'allégation formulée contre lui. Il dit qu'il ne peut quantifier le tort qui lui a été causé mais que, toutefois, cela représente une valeur très élevée.

[647] Financièrement, ces actions ont consommé tous ses actifs, au point où il ne pouvait plus contribuer à sa défense et est pris en charge par d'autres dans ces actions.

[648] Il a déclaré qu'il a besoin d'une déclaration publique claire selon laquelle « il n'est pas un escroc » et estime que la Westminer devrait publiquement s'excuser de ce qu'elle lui a fait, de sorte qu'il puisse être publiquement blanchi.

[36] Aux paragraphes 649 à 652, le juge Nunn disait ce qui suit au sujet de la demande de M. Hemming :

[TRADUCTION]

[649] M. Hemming, soit un comptable qui réussit bien et qui est lui aussi au faîte de sa carrière, a témoigné en grande partie dans le même sens. Une allégation de fraude l'atteint au coeur même de sa vie professionnelle. Il dit qu'il a passé quatre ans à se battre sans relâche pour expliquer son innocence dans un certain nombre de circonstances, à des clients et à des amis ainsi qu'à des organismes de charité auxquels il s'était joint. Par exemple, il a dit qu'il était trésorier du conseil de direction qui organisait le « Tournament of Hearts » (tournoi des coeurs) et que, comme il s'occupait de la question des fonds, il avait dû expliquer aux autres qu'il était poursuivi pour fraude.

[650] Il a déclaré que, depuis que l'action a été intentée, il ne s'est pas passé une seule nuit sans que, deux ou trois fois, il ne se réveille avec cela à l'esprit. L'allégation déteint sur toutes ses activités et a de profondes répercussions sur sa famille. Financièrement, a-t-il dit, il doit utiliser tout l'argent qu'il peut obtenir par son travail et grâce à des prêts pour payer les frais juridiques. Il n'a pas les moyens de prendre des vacances, ce qu'il faisait auparavant, et a dit qu'il n'avait plus les moyens d'assister aux cérémonies de la fête de la reine mère, auxquelles il était invité du fait de son engagement auprès de la Société canadienne de la Croix-Rouge.

[651] Il estimait que, dans son cas, ce litige avait accaparé environ 100 jours de son temps, soit simplement des heures de préparation concernant l'examen de la documentation, les interrogatoires préalables, les rencontres avec les avocats et les rencontres avec les autres administrateurs. Au cours de cette période, s'il avait travaillé, il aurait demandé 150 $ à 190 $ l'heure.

[652] Il dit lui aussi que le tort qui lui a été causé depuis quatre ans par ces fausses accusations représente une valeur très élevée et que la Western Mining et les autres compagnies devraient payer cher ce qu'elles ont fait. Il était d'avis que l'action avait été intentée contre eux de manière que M. Morgan n'ait pas à faire face à son conseil d'administration relativement à sa propre négligence.

[37] Dans le témoignage qu'il m'a présenté, M. Hemming a dit que, s'il faisait faillite, il perdrait sa désignation de CA. Je n'accepte pas cela comme un énoncé exact quant à l'état du droit. Une loi intitulée An Act to Incorporate the Institute of Chartered Accountants of Nova Scotia prévoit à l'article 25 que l'institut a le droit d'adopter des règlements intérieurs. Pour ce qui est de tels règlements, une preuve doit être présentée à la Cour, et je ne peux prendre connaissance d'office de ces règlements. Sachant qu'ici, en Ontario, une faillite n'empêche pas automatiquement un avocat d'exercer le droit, je n'accepte simplement pas la déclaration de M. Hemming comme étant factuelle.

[38] Au paragraphe 653, le juge Nunn disait au sujet de la demande de M. Hansen :

[TRADUCTION]

[653] M. Hansen a déclaré que, avant que l'action ne soit intentée, il réussissait en affaires, c'est-à-dire dans une entreprise qu'il avait mis 30 ans à bâtir, qu'il était bien nanti, qu'il jouissait d'une bonne réputation et qu'il avait une vie familiale harmonieuse. Depuis, sa santé s'est détériorée, il a des problèmes de sommeil, fait de l'hypertension et avait commencé à avoir des accès de colère qui devenaient incontrôlables et pour lesquels il a dû recevoir une aide médicale. Il pensait tous les jours à cela et était incapable de prendre de décisions commerciales quotidiennes, ce qui a eu des conséquences sérieuses pour son entreprise. Sa vie familiale s'est détériorée, et il décrit sa situation comme étant un « véritable enfer depuis quatre ans, et ce n'est pas fini » . Il dit qu'il a perdu un certain nombre d'occasions d'investissement surtout à cause du préjudice causé à sa réputation.

[39] L'alinéa 18(1)a) de la Loi, qui figure sous la rubrique « Déductions » , se lit comme suit :

(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:

a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

[40] Les deux avocats se fondent sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Symes v. The Queen, 94 DTC 6001.

[41] Les appelants soutenaient que l'arrêt Symes fait jurisprudence pour ce qui est de la proposition selon laquelle c'est l'objet et non le résultat de la dépense qui est en cause. Je souscris à ce point de vue.

[42] Le juge Iacobucci, écrivant pour la Cour, disait à la page 6012 :

Pour être déductibles à titre de dépense d'entreprise, les frais de garde d'enfants de l'appelante doivent avoir été engagés « en vue de tirer un revenu [...] de l'entreprise ou de faire produire un revenu [...] à l'entreprise » au sens de l'al. 18(1)a) de la Loi. Cela ne veut pas dire que les dépenses doivent directement mener à la production d'un revenu. Même à partir du libellé plus restrictif de la disposition antérieure à l'al. 18(1)a), on avait reconnu dans l'arrêt Imperial Oil Ltd. c. Minister of National Revenue, [1947] C.T.C. 353 (C. de l'É.), à la p. 371, qu'il n'est pas nécessaire d'établir un lien causal entre une dépense donnée et une recette donnée. En fait, une dépense peut être déductible même si elle donne lieu à une perte pourvu qu'elle satisfasse par ailleurs à l'al. 18(1)a).

[43] Il poursuivait en disant, à la page 6013 :

[...] le libellé actuel de l'al. 18(1)a) suffit à justifier le point de vue que le Parlement a procédé à la modification de l'ancien article pour élargir les déductions au titre des dépenses d'entreprise. Le professeur Brooks est de cet avis et dit que la seule véritable question en vertu de l'al. 18(1)a) est la suivante: [TRADUCTION] « la dépense a-t-elle été engagée à une fin personnelle ou à une fin commerciale? » [...]

Puis, à la page 6014, il disait :

En conséquence, à la réflexion, on n'a proposé aucun critère qui améliorerait ou modifierait sensiblement un critère reposant directement sur le libellé de l'al. 18(1)a). L'analyse nous ramène à la source, et je peux simplement me poser la question suivante: l'appelante a-t-elle engagé des frais de garde d'enfants en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise?

Comme dans d'autres domaines du droit, lorsqu'il faut établir l'objet ou l'intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l'objet subjectif d'une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l'objet se manifeste objectivement, et l'objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. C'est pourquoi il n'est pas possible de formuler une liste fixe de circonstances qui permettront de prouver d'une façon objective que le contribuable visait à tirer un revenu ou à faire produire un revenu. En résumant certains faits fréquemment observés, le professeur Brooks a cependant dégagé certains facteurs à examiner et j'estime que son analyse est généralement utile: loc. cit., aux pp. 256 à 259. Dans les paragraphes qui suivent, je mentionnerai certains de ces facteurs.

[44] À la page 6015, il poursuivait en disant :

Il pourrait également être pertinent d'examiner si une dépense donnée aurait été engagée si le contribuable ne visait pas la production d'un revenu d'entreprise.

[45] À la même page, traitant de ce qui pourrait être décrit comme le critère du « à défaut de » , il disait ensuite :

En disant qu'une personne doit se nourrir, se vêtir et s'héberger, je reconnais que je me trouve à revenir à un critère du « à défaut de » qui est l'inverse de celui que j'ai déjà examiné. Ici, le critère serait le suivant: « à défaut de gain ou de production de revenu, les dépenses en question auraient de toute façon été faites » . Je dois reconnaître que ce genre de critère peut être manipulé. Par exemple, on peut soutenir que « à défaut de travail, le contribuable n'aurait plus besoin de vêtements coûteux. » Toutefois, dans la plupart des cas, ce type de manipulation pourra être facilement rejetée. Toujours avec le même exemple, on peut conclure que les dépenses d'habillement « n'augmentent pas sensiblement » (Brooks, loc. cit., à la p. 258) du point de vue fiscal lorsqu'une personne améliore sa garde-robe. Subsidiairement, on peut dire que le changement de garde-robe constitue un choix personnel. Enfin, puisque toutes les satisfactions psychiques représentent une forme de consommation à l'intérieur de l'assiette fiscale exhaustive idéale, on peut mettre l'accent sur la satisfaction personnelle accrue liée à la possession d'une belle garde-robe.

Sur ce dernier point, je tiens à faire remarquer qu'à l'intérieur d'un régime fiscal orienté, au moins en partie, vers le maintien d'une équité verticale et horizontale (l'équité horizontale exige simplement que les « égaux » soient traités également; le terme « égaux » étant l'égalité quant à la capacité de payer » et [TRADUCTION] « l'équité verticale exige simplement que l'incidence du fardeau fiscal repose davantage sur les riches que sur les pauvres » : V. Krishna, « Perspectives on Tax Policy » dans Essays on Canadian Taxation, op. cit., aux pp. 5, 6 et 7), on cherche à empêcher les déductions correspondant à des dépenses de consommation personnelle. Dans la mesure où un contribuable peut exercer un choix quant à son style de vie et conserver la même capacité de tirer un revenu ou de faire produire un revenu, on a tendance à considérer ces choix comme des décisions de consommation personnelle, et les dépenses qui en résultent, comme des dépenses personnelles. Le professeur Brooks donne l'exemple des frais de déplacement qui varient nécessairement selon l'endroit où une personne choisit de vivre (en supposant bien sûr que le contribuable a un choix à cet égard). Dans certains cas, il peut être utile d'analyser les dépenses en ces termes.

Puisque j'ai fait quelques commentaires sur la notion sous-jacente de « besoins de l'entreprise » , il peut être utile aussi de parler des facteurs qui entrent en jeu dans la classification des dépenses en fonction des besoins. Plus précisément, il peut être utile de recourir au critère du « à défaut de » pour l'appliquer non pas à la dépense mais aux besoins que la dépense satisfait. Indépendamment de l'entreprise, le besoin existerait-il? Si un besoin existe même en l'absence de l'activité d'entreprise, et indépendamment de ce que le besoin a été ou aurait été satisfait par des sommes versées à un tiers ou par le coût d'option du labeur personnel, la dépense faite pour répondre au besoin est considérée traditionnellement comme une dépense personnelle. Des dépenses qui peuvent être identifiées ainsi sont des dépenses engagées par le contribuable pour se dégager d'obligations personnelles et être disponible pour des activités d'entreprise. Traditionnellement, des dépenses permettant simplement au contribuable de se libérer pour affaires ne sont pas considérées comme des dépenses d'entreprise parce qu'on attend du contribuable qu'il soit disponible pour exercer des activités d'affaires en contrepartie du revenu reçu. Cela se traduit dans la distinction fondamentale souvent mentionnée entre la production ou la source du revenu, d'une part, et la réception ou l'utilisation du revenu d'autre part.

[46] Dans une poursuite pour des sommes importantes, les actifs des défendeurs dans une telle affaire sont menacés. Les appelants dans la présente espèce auraient été obligés de se défendre même s'ils avaient tous été à la retraite et qu'ils n'avaient gagné aucun revenu. La dépense correspondant aux frais juridiques visait à protéger les actifs qu'ils avaient accumulés. Je parle d'actifs accumulés au sens le plus large. La réputation des appelants était en jeu. Toutefois, en maintenant la décision Upenieks v. The Queen, 94 DTC 6656, la Cour d'appel fédérale a confirmé que des frais juridiques payés pour maintenir et protéger la réputation d'un contribuable n'étaient pas déductibles.

[47] Je ne vois nullement la nécessité de passer en revue les nombreux jugements faisant jurisprudence qui ont été cités à la Cour, car les dépenses ne sont simplement pas admissibles en vertu des dispositions de l'alinéa 18(1)a) telles qu'elles ont été commentées par le juge Iacobucci dans l'arrêt Symes.

[48] Néanmoins, je suis d'avis qu'une désignation de CA représente, tout comme le droit d'exercer le droit ou tout comme un diplôme d'ingénieur, un bien en immobilisation au même titre que la réputation. Ainsi, les frais juridiques engagés pour défendre le droit d'être comptable agréé sont des frais engagés pour protéger un bien en immobilisation.

[49] En vertu de l'alinéa 18(1)b), on ne peut déduire, entre autres, une somme déboursée ou un paiement à titre de capital, ce qui empêche la déduction de frais juridiques engagés pour protéger une immobilisation. Cet alinéa se lit comme suit :

b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;

[50] Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, dans ses motifs et dans l'ordonnance officielle, a établi très clairement que, ce qu'elle ordonnait, c'était une indemnisation complète à l'égard de « tous » les frais juridiques et qu'elle a adjugé des intérêts là-dessus antérieurs au jugement à tous les anciens administrateurs de la Seabright.

[51] Ainsi, les appelants dans la présente espèce n'avaient aucuns frais à déduire du revenu, car ils avaient été pleinement indemnisés de ces frais par les tribunaux, plus les intérêts antérieurs au jugement, et avaient intégralement reçu cet argent.

[52] Les appels sont rejetés, avec frais.

Signé à Edmonton (Alberta) ce 27e jour de juillet 1998.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de décembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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