Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980930

Dossier: 97-2758-IT-I

ENTRE :

CAROLYN M. FREE DONALD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] L’appelante interjette appel contre les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour ses années d’imposition 1991, 1992 et 1993. Le premier point en litige porte sur l’assujettissement à l’impôt de l’allocation d’entretien des enfants versée par l’ex-conjoint de l’appelante. Les paiements en question ont été inclus dans le revenu de l’appelante en vertu de l’alinéa 56(1)b) de la Loi. Cette disposition exigeait l’inclusion dans le revenu de :

b) toute somme reçue au cours de l’année par le contribuable, en vertu d’une ordonnance ou d’un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le bénéficiaire vivait séparé en vertu d’un divorce, d’une séparation judiciaire ou d’un accord écrit de séparation du conjoint ou de l’ex-conjoint tenu de faire le paiement, au moment où le paiement a été reçu et durant le reste de l’année;

[2] Les paiements en question résultaient d’une ordonnance de la Cour de l’Ontario (Division générale) en date du 2 octobre 1990, rendue dans le cadre d’une action entre l’appelante d’une part, en qualité de requérante, et son mari d’autre part, en qualité d’intimé. Cette ordonnance accordait la garde des trois enfants issus du mariage à l’appelante. La Cour a en outre ordonné qu’. . . « une allocation d’entretien provisoire temporaire soit versée pour les enfants par l’intimé, David Harry Donald, soit la somme mensuelle de 500 $ par enfant, à partir du 16 octobre 1990 » .

[3] Les cotisations contestées ont été établies en tenant pour acquis que l’appelante avait reçu les allocations d’entretien des enfants suivantes conformément à l’ordonnance rendue :

1991 2 571 $

1992 23 514 $

1993 8 293 $

[4] L’appelante a déclaré dans son témoignage avoir effectivement reçu de l’argent en 1991, 1992 et 1993 pour le soin de ses enfants. Les paiements ont été faits à intervalles irréguliers. L’appelante a déposé qu’il se passait des mois sans qu’elle reçoive de l’argent parce que son mari ne payait que sous la menace d’être emprisonné. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas déclaré les paiements reçus dans ses déclarations de revenu parce qu’elle croyait que les allocations d’entretien n’étaient imposables que si elles étaient reçues périodiquement. Il est à noter que l’alinéa 56(1)b) exige d’inclure dans le revenu les sommes reçues en qualité d’ « . . . allocation payable périodiquement . . . » (je souligne). L’irrégularité dans les paiements ne soustrait pas les montants visés à l’alinéa 56(1)b) à l’application de cette disposition[1].

[5] Néanmoins, il est clair qu’une partie des 23 514 $ inclus dans le revenu de l’appelante pour 1992 ne peut avoir été versée en vertu de l’ordonnance du tribunal. Même si l’on tient compte du paiement en 1992 des arriérés de 1991, ces arriérés doivent avoir été légèrement inférieurs à 2 000 $, chiffre qui, ajouté à la somme totale de 18 000 $ payable en vertu de l’ordonnance à l’égard de l’année 1992, est moindre que le montant inclus dans le revenu de l’appelante pour 1992. Cette dernière a donc droit à un jugement limitant les inclusions prévues à l’alinéa 56(1)b) aux sommes payées en vertu de l’ordonnance du 2 octobre 1990.

[6] J’en arrive ensuite à la déductibilité des frais judiciaires et comptables que l’appelante a subis pour obtenir l’ordonnance susmentionnée et en assurer l’exécution. L’appelante a déclaré qu’elle a payé 32 564 $ en frais judiciaires entre février 1992 et mars 1994 pour « établir l’entretien des enfants » et qu’elle a versé à son comptable 3 130 $ pour la même fin. Le témoignage de l’appelante à cet égard n’a pas été appuyé par la production de documents ni de récépissés. Néanmoins, je l’admets. Il ne faut pas oublier que l’échec de son mariage a causé à l’appelante beaucoup de chagrin et de stress et qu’elle a dû lutter pour entretenir ses enfants avec l’aide minimale d’un conjoint qui ne voulait pas respecter son obligation alimentaire envers ses propres enfants. À mon avis, les insuffisances de la preuve s’expliquent par l’état émotionnel de l’appelante. Elles ne procèdent pas d’un souhait de cacher les faits ou de les présenter de façon erronée.

[7] L’avocat de l’intimée a concédé que les frais judiciaires subis pour faire exécuter l’ordonnance alimentaire à l’égard des enfants sont déductibles dans le calcul du revenu. Il s’est toutefois montré d’avis que, compte tenu de la décision de la section de première instance de la Cour fédérale dans l’affaire The Queen v. Dr. Beverly Burgess, 81 DTC 5192, les frais judiciaires associés à l’obtention de l’ordonnance alimentaire sont des dépenses en capital et leur déduction est prohibée à l’alinéa 18(1)b) de la Loi. À mon sens, l’arrêt Burgess ne s’applique pas en l’espèce. Dans la mesure où une partie des dépenses de l’appelante visent l’obtention de l’ordonnance du tribunal, cette ordonnance ne peut être considérée comme étant un bien immobilisé. Ce qui est en cause en l’espèce est le droit au paiement d’une allocation que l’ordonnance appelle une « ordonnance alimentaire provisoire temporaire » . L’ordonnance a été remplacée en février 1994. Elle n’avait aucune des qualités durables qui caractérisent un bien immobilisé[2]. L’ordonnance du 2 octobre 1990 ne créait pas un droit; elle ne faisait que quantifier l’obligation préexistance du conjoint de l’appelante d’entretenir ses enfants et elle ordonnait le respect de cette obligation. En outre, il faut maintenant considérer que l’arrêt Burgess est erroné[3].

[8] L’appelante a signé un document en date du 30 décembre 1996 intitulé « Renonciation au droit d"opposition ou d’appel » . Elle renonçait dans ce document à . . . tout droit d’opposition ou d’appel relativement aux frais judiciaires afférents à l’exécution de l’ordonnance alimentaire du tribunal à l’égard de mes enfants si Revenu Canada établit une nouvelle cotisation comme suit :

[TRADUCTION]

Admet une déduction de 5 000 $ pour l’année d’imposition 1992 à l’égard des frais judiciaires afférents à l’exécution de l’ordonnance alimentaire du tribunal relative à l’entretien de mes enfants.

La partie dactylographiée du document doit être lue de concert avec la portion manuscrite, libellée comme suit :

[TRADUCTION]

J’ai signé ce document puisque je n’ai d’autre choix que d’accepter votre décision visant les 5 000 $. Je crois toujours que les frais judiciaires subis pour obtenir le paiement des arriérés de l’allocation d’entretien des enfants dépassent 20 000 $. Vous savez que je suis un parent unique et que je dépends de mon salaire d’institutrice pour assurer ma subsistance et celle de 3 enfants adolescents - sans l’avantage d’une allocation d’entretien de la part de leur père. Je n’ai pas les ressources financières ni émotionnelles pour continuer à lutter avec vous sur ce point. Je m’attends à ce que toutes les questions documentées par L. Brode soient présentées en vue des examens internes.

[9] Lorsque le document est interprété dans son ensemble, j’estime que la renonciation porte uniquement sur l’année d’imposition 1992. Il ne serait pas raisonnable de le considérer comme étant la renonciation au droit de l’appelante de déduire des dépenses faites au cours d’autres années que 1992, l’année à l’égard de laquelle il a été convenu qu’une déduction de 5 000 $ et rien de plus serait admise. En outre, rien dans le libellé du document ne limite la déduction des frais comptables que l’appelante a subis relativement à l’exercice du droit de ses enfants de recevoir une allocation d’entretien de leur père. La renonciation peut créer un compromis[4] ayant force exécutoire, mais elle ne peut agir que pour écarter un appel à l’égard de la question qu’elle vise, soit les frais judiciaires de 1992.

[10] La preuve manque de clarté au sujet des années au cours desquelles les frais judiciaires et comptables ont été payés[5]. Les appels pour chacune des trois années seront par conséquent admis et les cotisations seront déférées au ministre du Revenu national pour qu’il établisse de nouvelles cotisations permettant d’une part, la déduction des frais de comptabilité jusqu’à concurrence de ceux qui ont été faits au cours de chaque année, et d’autre part, la déduction des frais judiciaires jusqu’à concurrence de ceux qui ont été subis en 1991 et en 1993.

[11] Je ne puis terminer sans exprimer mon inquiétude à l’égard de l’usage de renonciations dans les rapports entre les professionnels employés par Revenu Canada et les contribuables qui sont sans expérience des subtilités du droit fiscal. Dans de telles affaires, il existe un réel danger qu’un contribuable non averti conclue un règlement irréfléchi. Le danger inhérent à une telle situation augmente lorsqu’il s’agit d’une contribuable comme l’appelante dont les ressources émotionnelles avaient été usées par sa longue lutte judiciaire avec son ancien conjoint, et qui était alors contrainte de se pencher de nouveau sur un sujet pénible afin de se préoccuper de ses aspects fiscaux. Je ne veux pas laisser entendre que les fonctionnaires de Revenu Canada qui ont traité avec l’appelante l’ont dupée. Cette question n’a pas été explorée. Néanmoins, la partie manuscrite de la renonciation est fort troublante. Il est loin d’être clair que l’appelante comprenait réellement les conséquences de la renonciation ou, si c’était le cas, qu’elle y a consenti sans équivoque. Le sujet n’a pas été traité de façon détaillée à l’audition de l’appel. Dans les circonstances, il conviendrait tout à fait à mon avis que le ministre mette fin à l’ambiguïté en écartant la renonciation et en permettant à l’appelante de déduire la totalité de ses frais judiciaires pour 1992 en plus des autres sommes qu’il faut admettre en vertu du jugement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de septembre 1998.

« Michael J. Bonner »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de mai 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Voir The Queen v. Barbara D. Sills, 85 DTC 5096 (C.A.F.).

[2]           Johns-Manville Canada Inc. v. The Queen, 85 DTC 5373.

[3]           Marise Nissim c. La Reine, C.C.I. 97-2560(IT), 5 août 1998 (non encore publié).

[4]           Voir a) par.169 (2.2) L.I.R. et b) Consoltex v. The Queen, 97 DTC 724.

[5]           La nature peu satisfaisante de la preuve était sans doute imputable au défaut des actes de procédure d’exposer clairement les questions en litige.

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