Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990316

Dossiers: 97-242-GST-G; 97-333-GST-G

ENTRE :

INSTITUT DE CARDIOLOGIE DE MONTRÉAL, HÔPITAL SACRÉ-COEUR,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune. Ils concernent l'application de l'article 25 de la partie II de l'annexe VI de la Loi sur la taxe d'accise (la “Loi”). L'annexe VI s'intitule Fournitures détaxées et la partie II, Appareils médicaux. L'article 25 se lit ainsi :

La fourniture d'un article de prothèse médicale ou chirurgicale, d'un appareil d'iléostomie et de colostomie et d'un appareil pour voies urinaires ou autres articles semblables destinés à être portés par une personne.

[2] Comme l'article 26 sera aussi mentionné, je le reproduis immédiatement :

La fourniture d'un article et des matières, à l'exclusion des cosmétiques, devant servir à l'utilisateur d'une prothèse, d'un appareil ou d'un article semblable visé à l'article 25 et nécessaires à leur bonne application et leur entretien.

[3] La question en litige est de savoir si des oxygénateurs, des réservoirs et des systèmes de cardiotomie, des canules artérielles, veineuses et intra-aortiques et autres composantes de l'appareil coeur-poumons, qui sont utilisés pour remplir certaines fonctions organiques du patient pendant qu'il subit une opération à coeur ouvert, sont des articles de prothèses médicales ou chirurgicales au sens de l'article 25 ci-dessus.

[4] Monsieur André Cyr, chef perfusionniste à l'Institut de Cardiologie de Montréal, a témoigné pour expliquer le fonctionnement des oxygénateurs et des réservoirs utilisés lors des opérations à coeur ouvert. Il a expliqué ce qui avait été affirmé aux paragraphes 4, 5 et 6 de l'Avis d'appel qui se lisent comme suit :

4) ....les chirurgiens ... font des opérations à coeur ouvert pour traiter certaines maladies du coeur, ou même, dans certains cas, remplacer ... cet organe.

5) Durant le cours de telles opérations, comme le coeur et les poumons du patient ne sont pas en mesure de fonctionner, l'appelante utilise des oxygénateurs ainsi que des réservoirs et systèmes de cardiotomie qui remplissent, le temps de la chirurgie, les fonctions des poumons, soit l'oxygénation du sang, ainsi que du coeur, soit la circulation du sang.

6) Les oxygénateurs ainsi que les réservoirs et systèmes de cardiotomie sont reliés au patient par des canules artérielles, veineuses et intra-aortiques.

[5] Monsieur Cyr a expliqué que ces pièces pouvaient être considérées comme des coeurs et des poumons artificiels parce qu'ils relevaient le coeur et les poumons de leur travail. Le coeur cesse de battre et le poumon cesse de respirer. Toutefois, ces deux organes continuent à être irrigués légèrement pour prévenir leur mort. Ces pièces sont utilisées pour les fins de la chirurgie cardiaque comme les pontages, le remplacement de valve, la chirurgie vasculaire et la chirurgie congénitale. Elles ne sont utilisables qu'une seule fois. Elles remplacent les activités des organes uniquement pendant le temps de la chirurgie. Il est impossible de quitter l'hôpital avec ce genre d'appareil.

[6] L'avocat des appelantes s'est référé aux définitions des dictionnaires pour le sens du mot “prothèse”, notamment au Dictionnaire des termes de médecine, 23e Édition, Maloine, Paris, 1992 . “Prothèse” y est définie comme : ... la pièce ou l'appareil de remplacement. L'avocat des appelantes fait valoir que l'appareillage dont il est question sert à des fins de remplacement. Il attire aussi l'attention de la Cour sur la définition de “prothèse cardiaque”, au même dictionnaire qui dit : V. coeur artificiel. Il fait valoir que les pièces utilisées durant les opérations cardiaques sont considérées comme des coeurs et des poumons artificiels.

[7] L'avocat de l'intimée se rapporte à l'article 25, et plus particulièrement à la dernière partie de cet article qui dit : ... ou autres articles semblables destinés à être portés par une personne. Il fait valoir que les appareils utilisés pour les fins de la chirurgie cardiaque ne sont pas des articles destinés à être portés par une personne.

[8] Il fait aussi valoir que l'article 26 se réfère à l'utilisateur d'une prothèse, d'un appareil ou d'un article semblable, visé à l'article 25. L'avocat de l'intimée soutient donc que l'expression “l'utilisateur d'une prothèse”, à l'article 26, confirme que l'interprétation à donner aux termes “prothèse médicale ou chirurgicale” de l'article 25, est celle d'un article qui est destiné à être porté par une personne.

[9] L'avocat de l'intimée se réfère à de nombreuses définitions de dictionnaire, dont notamment le Dictionnaire de médecine Flammarion qui définit “prothèse” de la façon suivante :

... 1) Branche de la thérapeutique chirurgicale destinée à suppléer ou corriger, par un appareillage, le défaut partiel ou total, congénital ou acquis, d'un organe, d'un membre ou d'une fonction. 2) Par extension, désigne l'appareillage lui-même, c'est-à-dire tout appareil de suppléance destiné à remplacer un membre ou un segment de membre absent, tant dans son aspect extérieur que dans sa fonction. ...

Ce même dictionnaire définit “prothèse incluse” comme se référant au terme anglais “surgical prosthesis” :

Prothèse insérée au sein d'un tissu, soit dans un but plastique ..., soit dans un but fonctionnel ....

[10] L'avocat des appelantes fait valoir que l'expression “ou autres articles semblables destinés à être portés par une personne” ne s'applique pas aux termes de prothèse médicale ou chirurgicale, mais seulement aux articles spécifiques énumérés à l'article 25, soit l'appareil d'iléostomie et de colostomie, et l'appareil pour voies urinaires. Il se réfère à l'Interprétation des lois, 2e éd., Pierre-André Côté, aux pages 294 et 299, pour dire que les règles noscitur a sociis et ejusdem generis doivent être utilisées avec prudence. Ici, il s'agit plutôt de la règle noscitur a sociis, qui veut que le sens d'un terme puisse être révélé par son association à d'autres termes. Il fait valoir que l'article 25 doit s'interpréter dans le contexte de la partie II de l'annexe VI qui a pour titre “Appareils médicaux”, et que cette partie II énumère aux articles précédant l'article 25 les yeux artificiels, les dents artificielles, les appareils auditifs, le larynx artificiel, les chaises d'invalides, les membres artificiels. Ces fournitures sont des prothèses. Dans ce contexte, les termes de prothèse médicale ou chirurgicale employés à l'article 25 doivent avoir leur signification propre d'appareils médicaux et ne pas signifier le même genre d'appareils médicaux que les prothèses déjà énumérées.

[11] Donc, l'avocat des appelantes soutient que les appareils utilisés pendant la chirurgie cardiaque étant des articles de remplacement, ils sont des prothèses chirurgicales et comme, selon lui, l'article 25 n'exigerait pas que les prothèses médicales ou chirurgicales soient destinées à être portés par une personne, lesdits appareils sont des articles de prothèses chirurgicales au sens de l'article 25.

[12] Je ne partage malheureusement pas cet avis, ni selon le sens habituel du mot prothèse, ni selon le contexte textuel des articles 25 et 26.

[13] À la lecture des différentes définitions, on voit que l'expression “prothèse” s'entend communément d'une pièce qui s'ajoute de façon externe ou interne pour des fins fonctionnelles ou cosmétiques, ou pour les deux à la fois, en remplacement d'un membre, une partie de membre ou un organe gravement atteint ou détruit. Cette fonction de remplacement s'entend selon le sens commun pour les activités de la vie après la chirurgie et non pour les seules fins de l'intervention chirurgicale, si tant soit peu que l'on puisse parler de remplacement dans ce cas. La fonction de remplacement d'une prothèse évoque une notion de temps et d'usage. L'expression “prothèse chirurgicale” signifie selon le dictionnaire une pièce incluse chirurgicalement dans le corps d'une personne, soit pour un but fonctionnel, soit pour un but plastique. La notion de fonction de remplacement ou de suppléance n'est pas différente de celle de toute autre prothèse et ne s'applique pas à l'appareillage utilisé pour les fins d'une opération à coeur ouvert.

[14] L'avocat des appelantes s'était référé à la définition du dictionnaire de “prothèse médicale” qui indiquait : V. coeur artificiel. La définition de “coeur artificiel” n'aide pas la thèse des appelantes. Si nous allons voir la définition de “coeur artificiel” au même dictionnaire, nous y voyons qu'il s'agit d'un appareil implantable destiné à remplacer le coeur défaillant, soit temporairement (dans l'attente d'une prochaine transplantation), soit définitivement. De tels dispositifs n'en sont actuellement qu'au stade expérimental. Cette définition ne décrit pas du tout l'appareillage dont il est question.

[15] Selon le contexte textuel, il n'y a aucune raison de dissocier les articles de prothèse médicale ou chirurgicale des autres articles mentionnés à l'article 25 et auxquels s'appliquent les mots ou autres articles semblables destinés à être portés par une personne. Ni la logique, incluant le sens du mot “prothèse”, ni l'analyse grammaticale peuvent permettre une telle dissociation. Il était loisible au législateur, si telle avait été son intention, d'inclure les articles de prothèse médicale et chirurgicale dans une catégorie à part et de leur donner le sens d'appareils de remplacement lors d'une intervention chirurgicale. De plus, selon le contexte textuel, l'article 26 confirme l'interprétation que les mots ou autres articles semblables destinés à être portés s'appliquent à la prothèse médicale et chirurgicale, puisque l'article 26 réfère à l'utilisateur de toutes les prothèses mentionnées à l'article 25.

[16] Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars, 1999.

“Louise Lamarre Proulx”

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.