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Date: 19980609

Dossier: 97-485-UI

ENTRE :

BETTY BATES,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

C.S.I. CAULKING SERVICES INC.,

intervenante,

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1]Cet appel a été entendu à Winnipeg (Manitoba) le 17 mars 1998.

[2]L'appelante, appuyée par l'intervenante (la « compagnie » ), interjette appel à l'encontre du règlement du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en date du 5 novembre 1996 selon lequel l'emploi qu'elle a exercé pour la compagnie du 6 janvier au 25 mai 1994 et du 28 juillet au 13 décembre 1995 n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ). Le motif du règlement était le suivant :

[TRADUCTION]

[...] Vous n'exerciez pas un emploi prévu par un contrat de louage de services et n'étiez donc pas une employée.

Outre le fait que vous n'exerciez pas un emploi prévu par un contrat de louage de services, il a été conclu que la CSI Caulking Services Inc. et vous aviez un lien de dépendance. Le ministre n'est pas convaincu qu'un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu si la CSI Caulking Services Inc. et vous n'aviez pas eu un lien de dépendance.

[3]Les faits établis révèlent que, à l'époque pertinente, 50 p. 100 des actions émises et en circulation de la compagnie étaient détenues par Steve Bates, soit l'époux de l'appelante, et 50 p. 100 par un certain Albert Hrushka, soit une personne non liée. Ces deux personnes étaient les seuls administrateurs de la compagnie; ils en étaient respectivement président et secrétaire.

[4]Bien que l'appelante et son époux soient des personnes liées au sens de la Loi, l'avocate du ministre a concédé que l'appelante et la compagnie ne sont pas des personnes liées.

[5]Les points en litige sont un peu obscurcis du fait de l'existence d'une lettre qu'Emploi et Immigration Canada avait envoyée à la compagnie le 31 octobre 1990 pour l'informer que l'emploi exercé par Betty Bates du 19 septembre 1988 au 19 septembre 1990 était un emploi assurable parce qu’il était régi par un contrat de louage de services.

[6]À la conclusion de la preuve, l'avocate du ministre a concédé que Betty Bates exerçait effectivement un emploi aux termes d'un contrat de louage de services durant les périodes en cause. La seule question restant à trancher est donc de savoir si les parties, soit la compagnie et l'appelante, traitaient ensemble avec ou sans lien de dépendance. Cette question est toutefois également obscurcie en raison du libellé regrettable du règlement du ministre selon lequel ce dernier n'était pas convaincu que les parties auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu en fait un lien de dépendance. Cette utilisation du même libellé que celui qui figure au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi concernant l'exemption applicable à des personnes liées dans certaines circonstances présuppose que le ministre estimait que la compagnie et l'appelante étaient des personnes liées, alors que, en fait, elles ne l'étaient pas, comme l'a concédé l'avocate.

[7]La question devant être tranchée par notre cour est de savoir si la compagnie et l'appelante traitaient en fait ensemble avec ou sans lien de dépendance à l'époque pertinente. Si elles traitaient ensemble sans lien de dépendance, il s'agit d'un emploi assurable, et l'appelante, si elle répond aux autres critères, aurait droit à des prestations d'assurance-chômage. Si elles traitaient ensemble avec lien de dépendance, il s'agit d'un emploi exclu au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi, c'est-à-dire que ce n'est pas un emploi donnant droit à des prestations d'assurance-chômage au moment de la cessation d’emploi.

Le droit

[8] Dans le régime établi par la Loi, le législateur a prévu que certains emplois seraient assurables, c'est-à-dire qu'ils donneraient lieu au versement de prestations au moment de la cessation d’emploi, et que d'autres seraient des emplois « exclus » , soit des emplois qui, au moment de la cessation, ne donneraient pas droit à des prestations. Un arrangement conclu entre personnes traitant ensemble avec lien de dépendance entre dans la catégorie des « emplois exclus » . Il est bien clair que l'objet de cette loi est d'empêcher que, dans le cadre du régime, on doive verser une multitude de prestations fondées sur des contrats de travail artificiels ou fictifs.

[9] Le paragraphe 3(2) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit en partie comme suit en anglais :

3(2) Excepted employment is

[...]

c) subject to paragraph (d) employment where the employer and employee are not dealing with each other at arm’s length and, for the purposes of this paragraph,

(i) the question of whether persons are not dealing with each other at arm’s length shall be determined in accordance with the provisions of the Income Tax Act; [...]

En français, ces dispositions se lisent comme suit :

3(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d) [qui renvoie à des personnes et à des personnes morales liées, ce qui ne s'applique pas en l'espèce], tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu, [...]

[10] L'alinéa 251(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit en anglais :

it is a question of fact whether persons not related to each other were at a particular time dealing with each other at arm’s length. (Le caractère gras est de moi.)

En français, cet alinéa se lit comme suit :

la question de savoir si les personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

[11] Bien que la Loi de l'impôt sur le revenu spécifie que la question de savoir si des personnes traitaient ensemble sans lien de dépendance à un moment donné est une question de fait, cette question factuelle doit être tranchée dans le cadre du droit et est en réalité une question mixte de fait et de droit; voir la décision rendue par le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M. Canadian Enterprises et al. v. The Queen, 97 DTC 302.

[12] Le sens de l'expression « arm's length » (lien de dépendance) a été l'objet de nombreux examens judiciaires au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays du Commonwealth comme l'Australie, dont les lois fiscales renferment un libellé semblable. Dans la mesure où l'expression a été utilisée dans des affaires de fiducie et de succession, cette jurisprudence n'a pas été prise en considération au Canada aux fins d'interprétation des lois fiscales; voir la décision rendue par le juge Locke dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd., 55 DTC 1110.

[13] Dans l'examen de la signification de « lien de dépendance » , il ne faut pas perdre de vue les termes de la version anglaise de la Loi de l'impôt sur le revenu que j'ai précédemment indiqués en caractères gras, soit « were at a particular time dealing with each other at arm's length » (qui désignent le fait, pour des parties, de traiter ensemble sans lien de dépendance à un moment donné). Au Canada, la jurisprudence, comme le fait remarquer le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M., précitée, a eu tendance à insister sur la nature de la relation plutôt que sur la nature des opérations. Je ne suis pas certain que, vu l'inclusion de ces termes dans la version anglaise de la Loi de l'impôt sur le revenu, cette approche soit nécessairement la seule qui doive être adoptée, car procéder de la sorte, c'est faire fi de ces termes plutôt pertinents auxquels une signification doit assurément être attribuée. Cette évolution tient peut-être aux situations factuelles considérées dans un certain nombre des principales causes faisant jurisprudence au Canada. En général, il s'agissait d'une seule personne (morale ou physique) qui contrôlait les deux parties à une opération particulière. Ainsi, bien que l'opération ait pu s'apparenter à une opération commerciale ordinaire sans lien de dépendance, cela n'a pas en soi été suffisant pour que l'opération soit jugée comme n'entrant pas dans la catégorie des opérations avec lien de dépendance; voir par exemple l'affaire Swiss Bank Corporation et al. v. M.N.R., 72 DTC 6470 (C.S.C.).

[14] En fait, ce que disent ces jugements, c'est que, si une personne transfère de l'argent d'une de ses poches dans l'autre, même si elle le fait systématiquement dans le cadre d'une opération commerciale ordinaire, elle traite encore avec elle-même, et l'opération demeure par nature une opération « avec lien de dépendance » .

[15] Cependant, le simple fait que ces causes faisant jurisprudence comportaient de telles situations factuelles ne signifie pas que des personnes pouvant habituellement être dans une relation avec lien de dépendance ne peuvent en fait traiter ensemble à un moment donné sans lien de dépendance, pas plus que cela ne signifie que des personnes n'ayant ordinairement aucun lien de dépendance ne pourraient de temps à autre traiter ensemble avec lien de dépendance. Ces causes sont tout simplement des exemples de ce que n'est pas une relation sans lien de dépendance; elles ne définissent pas en termes positifs ce qu'est une opération sans lien de dépendance. Ainsi, au bout du compte, tous les faits doivent être pris en considération, et tous les critères ou tests pertinents énoncés dans la jurisprudence doivent être appliqués.

[16] La notion de « lien de dépendance » a été examinée par le juge Bonner, de la C.C.I., dans l'affaire William J. McNichol et al. v. The Queen, 97 DTC 111, dans laquelle il déclarait, aux pages 117 et 118 :

On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle « de facto » (réel).

[...]

En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :

[TRADUCTION]

Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même « cerveau » , on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne « dictait » les « conditions de la transaction » au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

[...]

Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106.

[17] Cette approche a également été adoptée par le juge Cullen dans l'affaire Peter Cundill & Associates Ltd. v. The Queen, [1991] 1 C.T.C. 197, dans laquelle il déclarait, à la page 203 :

La question de savoir si les parties en l'espèce n'avaient aucun lien de dépendance est une question qui doit être examinée selon les propres faits particuliers de l'affaire.

[18] Bon nombre de ces causes, comme je l'ai dit, se fondent sur la relation existant entre les parties, ce qui a été déterminé comme étant absolument concluant. On y trouve peu d'indications claires quant à la nature de l'opération ou transaction elle-même. Cette question a toutefois été abordée, bien succinctement, par la Cour d'appel d'Australie dans l'affaire The Trustee for the Estate of the late AW Furse No 5 Will Trust v. FC of T, 91 ATC 4007/21 ATR 1123. À propos d'une loi semblable de ce pays, le juge Hill déclarait :

[TRADUCTION]

En ce qui a trait au problème en cause, il y a deux questions à trancher au regard du paragraphe 102AG(3). La première est de savoir si les parties à la convention pertinente traitaient ensemble sans lien de dépendance relativement à cette convention. La seconde est de savoir si le montant du revenu imposable pertinent est supérieur au montant mentionné dans le paragraphe comme étant le « montant correspondant au lien de dépendance » .

On ne doit pas trancher la première des deux questions uniquement en déterminant si les parties à la convention pertinente n'avaient entre elles aucun lien de dépendance. Dans ce paragraphe, l'insistance est plutôt mise sur la question de savoir si ces parties, relativement à la convention, traitaient ensemble sans lien de dépendance. Le fait que les parties elles-mêmes aient un lien de dépendance ne signifie pas qu'elles ne peuvent, à l'égard d'une opération particulière, traiter ensemble sans lien de dépendance. Ce qui ne veut pas dire que la relation entre les parties n'est pas pertinente par rapport à la question à trancher au regard du paragraphe [...]

[Le soulignement est de moi.]

[19] Le juge Bowman, de la C.C.I., a fait allusion à ce type de situation dans l'affaire R.M.M., précitée, à la page 311 :

Je ne crois pas que, dans tous les cas, du simple fait qu'une relation mandant-mandataire existe entre des personnes, ces dernières ont nécessairement entre elles un lien de dépendance au sens de la Loi. Je ne crois pas non plus que si l'on retient les services de quelqu'un pour accomplir une tâche particulière et qu'on verse à cette personne une rémunération pour fournir le service, cela veut nécessairement dire qu'une relation dans laquelle il y a un lien de dépendance est créée. Ainsi, le procureur qui représente un client dans une opération peut bien être le mandataire de celui-ci, mais je ne crois pas que cela veuille nécessairement dire que ces personnes ont entre elles un lien de dépendance.

Le concept du lien de dépendance a évolué.

[20] En Écosse, dans l'affaire Inland Revenue Commissioners v. Spencer-Nairn, 1991 SLT 594 (entendue par un tribunal appelé « court of Sessions » ), les lords juges écossais examinaient un cas dans lequel les parties étaient dans une situation comportant un lien de dépendance. Ils ont formulé des observations favorables sur l'approche adoptée par Whiteman dans l'ouvrage intitulé Capital Gains Tax (4e éd.), dans lequel l'auteur donnait à entendre que deux questions devaient être prises en considération relativement à la notion de « lien de dépendance » . Il s'agissait premièrement de savoir si une représentation distincte ou autre représentation professionnelle était possible pour chacune des parties et, deuxièmement, ce qui est peut-être plus pertinent aux fins de la situation considérée en l'espèce, s'il y avait « présence ou absence d'une négociation de bonne foi » .

[21] Aux États-Unis, la notion de « lien de dépendance » a été définie comme suit dans l'affaire Campana Corporation v. Harrison (7 Circ; 1940) 114 F2d 400, 25 AFTR 648 :

[TRADUCTION]

Une vente sans lien de dépendance comporte l'idée d'une vente entre parties ayant des intérêts économiques contraires.

[22] J'ai traité de ces causes dans l'affaire Campbell c. M.R.N. (96-2467(UI) et 96-2468(UI)), ainsi que des principes qui y sont appliqués. J'adopte tout ce que j'ai dit dans cette affaire-là.

[23] En définitive, il me semble que la meilleure façon de décrire ce qu'on entend par les termes anglais « dealing at arm's length » (traiter avec quelqu'un sans lien de dépendance) est de donner un exemple. Disons que deux personnes, deux étrangers, qui font du commerce sur le marché, négocient ensemble, l'une pour obtenir le meilleur prix possible pour ses produits ou services, l'autre pour avoir le plus grand nombre possible ou la meilleure qualité possible de produits ou services; ces personnes, dirait-on, traitent ensemble sans lien de dépendance. Toutefois, si ces deux personnes, des étrangers, agissaient soit dans l'intérêt sous-jacent d'une aide mutuelle soit d'une façon différente de celle dont on traiterait avec un étranger, ou si leur intérêt était de conclure une opération factice pour parvenir conjointement à un résultat ou obtenir d'un tiers quelque chose qu'elles n'auraient pu par ailleurs avoir sur le marché libre, ces personnes, dirait-on, ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance.

[24] Si la relation elle-même — encore là, il faut se rappeler que la version anglaise de la Loi ne dit pas « where they are in a non arm's length relationship » , soit le fait, pour deux parties, d'être dans une relation avec lien de dépendance; elle dit « where they are not dealing with each other at arm's length » , soit le fait pour deux parties de ne pas traiter ensemble sans lien de dépendance — est telle qu'une partie est sensiblement en mesure de contrôler ou d'influencer l'autre ou d'exercer un pouvoir sur l'autre ou que les deux parties ont une relation dans laquelle elles fonctionnent ou dirigent leur entreprise très étroitement, par exemple s'il s'agit d'amis, de parents ou d'associés en affaires, sans aucune preuve claire du contraire, la Cour pourrait bien conclure que les parties ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance. Cela ne signifie toutefois pas que les parties ne peuvent réfuter cette conclusion. On doit cependant à mon avis faire une distinction entre la relation et l'opération. Les parties qui sont dans ce qu'on pourrait appeler une « relation avec lien de dépendance » peuvent assurément traiter ensemble sans lien de dépendance dans les circonstances appropriées, tout comme deux étrangers peuvent, dans certaines circonstances, s'associer et ainsi ne pas traiter ensemble sans lien de dépendance.

[25] En définitive, s'il y a un doute dans l'interprétation à donner à ces termes, je ne puis que me fonder sur les propos tenus par Mme le juge Wilson dans l'affaire Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S., à la page 10 :

Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.

[26] Au bout du compte, on en revient aux deux personnes, aux deux étrangers, qui font du commerce sur le marché. La question pertinente est de savoir si le même genre d'indépendance d'esprit, d'indépendance quant aux objectifs, d'intérêts économiques contraires et de négociations de bonne foi caractérisait les opérations en cause, comme on pourrait s'y attendre dans cette situation commerciale. Si, sur la foi de l'ensemble de la preuve, tel est le genre d'opération ou transaction qui a eu lieu, la Cour peut conclure que les parties traitaient ensemble sans lien de dépendance. Si un de ces éléments était absent, ce serait l'inverse.

Les faits

[27]Steve Bates et Albert Hrushka détenaient chacun la moitié des actions émises de la compagnie à l'époque pertinente. La compagnie exploitait une entreprise de calfeutrage, c'est-à-dire qu'elle faisait en sorte, à l’aide de divers produits, d'empêcher les infiltrations d'eau par le sous-sol ou le toit d’immeubles. La compagnie avait été constituée en 1984. Steve Bates s'occupait surtout des ventes : il se déplaçait tous les jours pour promouvoir l'entreprise et obtenir des contrats. Il s'occupait aussi de l'administration générale de la compagnie. Le bureau de la compagnie était situé dans une pièce distincte de sa résidence. Albert Hrushka ne prenait guère part à l'administration; il s'occupait plutôt des travaux effectifs de la compagnie, c'est-à-dire qu'il surveillait les travailleurs, et ainsi de suite.

[28]Dans les deux années en cause, les ventes de la compagnie variaient de mois en mois, mais, dans l'ensemble, elles ont généré annuellement des revenus bruts d'environ 150 000 $. L'entreprise était une entreprise saisonnière, la période de grande activité allant à peu près de mai à septembre.

[29]D'une manière générale, l'appelante, au fil des ans, a dirigé le bureau de la compagnie : elle prenait les appels téléphoniques, s'occupait des comptes et de la paye, établissait des rapports et des propositions et payait les factures. Il ressortait de la preuve qu'elle était souvent engagée par la compagnie pour toute la durée de la haute saison.

[30]En1994, parce qu'il y avait eu un fléchissement des affaires (il est toutefois à noter qu'aucun chiffre n'a été produit pour le confirmer), la compagnie avait décidé de se lancer dans un nouveau secteur d'activité, soit les immeubles métalliques. Cela n'avait jamais auparavant fait partie de l'entreprise de la compagnie. L'appelante avait été engagée, a-t-elle dit, pour parcourir la ville de Winnipeg, repérer les immeubles métalliques et déterminer à qui ils appartenaient ou qui les gérait. La raison pour laquelle elle avait été engagée pour faire ce travail — alors que Steve Bates était lui-même libre, puisque ce n'était pas la haute saison — est loin d'apparaître clairement à la Cour. Quoi qu'il en soit, c'est ce qui, disent-ils, s'est produit. Au bout de 20 semaines, soit une période au cours de laquelle l'appelante était payée à la quinzaine, on a mis fin à son emploi. C'était au début de la période de pointe, pendant laquelle son travail au bureau, avait-on dit antérieurement, était pratiquement indispensable. Elle a été mise à pied, a dit Steve Bates, parce qu'ils avaient un gros découvert et qu'il n'y avait aucune rentrée d'argent, ce qui fait la compagnie n'avait pas les moyens de la garder. Il fallait mettre à pied soit l'appelante soit d'autres travailleurs, et la compagnie avait besoin d'exécuter les travaux pour survivre. Ils ont dit que, d'une manière générale, on permettait que le travail de l'appelante s'accumule, mais l'appelante continuait de s'occuper de la paye bénévolement. L'appelante a dit que cela lui demandait 15 minutes par mois. Il est à noter que sa période d'emploi a été exactement de 20 semaines, soit le minimum requis pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage. Il est également à noter que le relevé de cessation d'emploi faisait état d'un manque de travail comme motif du licenciement, alors que, en fait, la preuve indiquait que le motif était un manque de fonds.

En 1995, l'appelante n'a commencé à travailler que le 28 juillet et a fini de travailler le 13 décembre. Encore là, il est à noter que cela fait exactement 20 semaines. L'appelante a dit qu'elle reprenait alors ses fonctions normales et faisait du rattrapage pour ce qui est du travail comptable de l'année précédente.

[31]Il est à noter également que Pauline Hrushka, soit l'épouse d'Albert Hrushka, avait été engagée par la compagnie exactement pour la même période de 20 semaines. Il a été dit qu'elle travaillait sur le terrain. Elle-même n'a pas témoigné.

Conclusion

[32]L'avocate du ministre prétend que le fait que l'appelante a travaillé exactement 20 semaines pendant deux années d'affilée et que, la deuxième année (1995), les deux épouses ont été engagées exactement pour la même période de 20 semaines, démontre que l'appelante et la compagnie ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance. L'avocat de l'appelante soutient que ce n'est pas nécessairement ce qui s'ensuit. Il soutient que l'appelante est en droit d'organiser ses affaires comme elle l’entend et que, s'il se trouve y avoir coïncidence avec les dispositions touchant les exigences en matière d'assurance-chômage, cela ne signifie pas nécessairement que l'appelante et la compagnie ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance. La compagnie concluait un contrat de travail avec l'appelante pour la période pendant laquelle la compagnie avait besoin des services de l'appelante et pouvait se les permettre. L'appelante concluait un contrat pour une certaine période d'emploi. Il y avait deux parties distinctes, affirme l’avocat, dans cette équation.

[33]Je suis d'avis que le fait que les périodes d'emploi en question étaient de 20 semaines, soit le minimum requis pour obtenir des prestations, déborde le cadre de la coïncidence. Il en est de même pour ce qui est du fait que les deux épouses avaient été engagées en 1995 pour la même période minimale de 20 semaines. Tout cet arrangement présente un certain élément de collusion entre les parties, soit les administrateurs de la compagnie et leurs épouses, qui faisaient en sorte d'organiser leurs affaires de manière à ce que des prestations d'assurance-chômage puissent être demandées.

[34]Je doute fort que l'emploi exercé de janvier à mai 1994 découlait véritablement d'un arrangement conclu au profit de la compagnie. Steve Bates lui-même aurait pu faire ce travail. Ce n'était pas la haute saison. Dans son travail, il devait normalement, entre autres, se déplacer et trouver des contrats. La compagnie, semble-t-il, était en difficulté financière, bien qu’on n’ait produit ni comptes ni chiffres. L'arrangement conclu, me semble-t-il, n'était pas authentique en ce sens qu'il avait été élaboré aux fins de l'obtention de prestations d'assurance-chômage plutôt que pour répondre aux besoins de la compagnie. Cet arrangement fructueux a été suivi d'un arrangement identique l'année suivante pour ce qui est des deux épouses.

[35]La collusion perçue est telle que je ne puis dire que le ministre a eu tort de conclure que l'appelante et la compagnie ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance. En définitive, je suis d'accord sur sa conclusion. Il est indéniable que, les années précédentes, Betty Bates avait exercé un véritable emploi pour la compagnie. Les faits relatifs aux années précédentes peuvent bien avoir été très différents des faits qui m'ont été exposés concernant les années 1994 et 1995. Je ne soulève aucun doute quant à la réputation de l'appelante à cet égard. Cependant, pendant ces deux années, l'appelante et la compagnie ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance, à mon avis.

[36]En conséquence, l'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 9e jour de juin 1998.

Michael H. Porter

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour de novembre 1998.

Philippe Ducharme, réviseur

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