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Date: 19990618

Dossier: 97-3403-IT-G; 97-3404-IT-G

ENTRE :

JOHN SHORT, FREDERICK SHORT,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Les appels de John Short c. Sa Majesté la Reine (97-3403(IT)G) et de Frederick Short (97-3404(IT)G) ont été entendus ensemble sur preuve commune. La seule question litigieuse consiste à savoir si une certaine somme que chacun des appelants a reçue en août 1993 constituait un revenu en tant que « versement de rente » au sens de l’alinéa 56(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou un versement à titre de capital en tant que produit de la disposition d’un bien en immobilisation.

[2] En juillet 1988, M. Frederick W. Short père (le père des deux appelants) a demandé à la Great West Life Assurance Company (la « GWL » ) trois rentes distinctes de revenu en intérêts. Les demandes et les stipulations, figurent aux pièces R-3, R-4 et R-5. Le coût de chaque rente s’élevait à 50 000 $ et, à toutes fins pratique, leurs stipulations étaient identiques. Les rentes étaient désignées respectivement par les numéros SNA 22396, SNA 22397 et SNA 22399. Les stipulations suivantes sont tirées de la pièce R-3 :

RÉGIME RENTE DE REVENU EN INTÉRÊTS

NUMÉRO DE LA POLICE SNA 22396

TITULAIRE FREDERICK W. SHORT PÈRE

RENTIER(S) FREDERICK W. SHORT PÈRE

DATE D’ÉMISSION 19 juillet 1988

DATE D’ENTRÉE EN VIGUEUR 13 juin 1988

PRIME UNIQUE 50 0000 $

TYPE DU CONTRAT ENCAISSABLE

PÉRIODE DE GARANTIE DE

L’INTÉRÊT 240 MOIS

TAUX D’INTÉRÊT GARANTI 11 %

MONTANT DE L’INTÉRÊT ET

SA FRÉQUENCE 5 500 $ ANNUELLEMENT À

PARTIR DU 13 juin 1989

DATE DE RENOUVELLEMENT 13 juin 2008

MONTANT DU

RENOUVELLEMENT 50 000 $

DISPOSITIONS APPLICABLES AU RACHAT

Valeur numéraire globale

La valeur numéraire globale disponible en tout temps sera le montant du renouvellement escompté à la date de la fixation pour chaque mois restant dans la période de garantie de l’intérêt, à un taux égal à un pour cent plus la différence entre le taux d’intérêt garanti courant offert par la compagnie à la date de la fixation (pour la même période de garantie de l’intérêt) et le taux d’intérêt garanti, plus tout intérêt couru depuis la date du dernier versement d’intérêt.

Rachat total

Le titulaire, sur demande écrite, peut en tout temps choisir de racheter la police pour sa valeur numéraire globale en un seul paiement forfaitaire.

[3] En mai 1989, le père des appelants a attribué deux rentes (numéros SNA 22396 et SNA 22397) à M. Frederick Short fils (l’un des appelants), et il a attribué la troisième rente (numéro SNA 22399) à M. John Short (l’autre appelant). Si j’examine les faits et que je tranche la question litigieuse dans l’appel de M. Frederick Short, l’appel de M. John Short connaîtra la même issue.

[4] En août 1993, M. Frederick Short, (l’appelant), a décidé de racheter ses deux rentes de revenu en intérêts et de toucher la valeur numéraire globale de chacune d’elles. Il a reçu 87 364,73 $ à l’égard de chaque rente, soit un total de 174 729,46 $. Mme Shelagh Daly, une employée de GWL, a témoigné en qualité de témoin pour les appelants. Elle a soumis la pièce A-14, un document intitulé « Calculateur de la valeur marchande » , pour expliquer comment GWL a établi à 87 364,72 $ la valeur monétaire globale de chaque rente au 17 août 1993. Un résumé de la pièce A-14 expliquera les chiffres et les montants pertinents.

Principal 50 000 $

Paiement de l’intérêt Annuellement

Taux d’intérêt garanti 11 %

Taux d’intérêt courant 6,375 %

Période de garantie de l’intérêt 240 mois

Début de la période de garantie

de l’intérêt 13/06/88

Valeur au 17 août 1993

Valeur accumulée 50 937,92 $

Gain (Perte) au rachat 36 426,81 $

Valeur marchande/de rachat 87 364,73 $

[5] Dans le résumé susmentionné, le taux d’intérêt courant de 6,375 % est le taux d’intérêt annuel que GWL offrirait à quiconque voudrait acheter une rente de revenu en intérêts pour les mois restants au sein de la période de garantie de l’intérêt, soit 178 mois à compter du 17 août 1993. La valeur accumulée de 50 937,92 $ représente le principal de 50 000 $ plus des intérêts de 11 % courus du 13 juin 1993 au 17 août 1993, cette date étant celle de l’évaluation. La valeur marchande/de rachat de 87 364,73 $ représente la somme qui devrait être investie le 17 août 1993 au taux annuel de 6,375 % pour produire des intérêts annuels de 5 500 $ pour les mois restants au sein de la période de garantie de l’intérêt. Et, finalement, le soi-disant gain de 36 426,81 $ est la différence entre la valeur marchande/de rachat et la valeur accumulée. Je considérerais que le gain réel est l’excédent de la valeur marchande/de rachat sur le principal de 50 000 $.

[6] À la fin de 1993, GWL a remis à Frederick Short une formule de Revenu Canada appelée T5 État des revenus de placements, qui montrait des intérêts courus de 11 000 $ et un autre revenu en intérêts de 74 729,46 $. Les 11 000 $ représentaient les intérêts annuels de 11 % versés à Frederick le 13 juin 1993 à l’égard de ses deux rentes. La somme de 74 729,46 $ a été calculée comme suit :

Valeur marchande/de rachat 87 364,73 $

Moins le principal 50 000,00 $

Gain réalisé sur la première rente 37 364,73 $

Gain réalisé sur la seconde rente 37 364,73 $

Gain total 74 729,46 $

En produisant sa déclaration d’impôt pour 1993, Frederick a déclaré 11 000 $ en tant qu’intérêts provenant des deux rentes plus 74 729,46 $ en guise de revenu. La pièce R-1 est la déclaration d’impôt sur le revenu de Frederick pour 1993, qui contient la formule T5 de Revenu Canada. Après avoir reçu sa cotisation d’impôt, Frederick a déposé un avis d’opposition, affirmant que la somme de 74 729,46 $ constituait un gain en capital provenant de la disposition des deux rentes. C’est là la question litigieuse, revenu ou capital, dans les deux appels en l’espèce.

[7] Bien que sur la formule T5 de Revenu Canada figurait le montant total de 74 729,46 $ à l’égard du gain réel total provenant des deux rentes, je ne prendrai en compte que la somme de 37 364,73 $ parce que c’est là le gain réel réalisé sur une rente tel qu’il est expliqué à la pièce A-14 et l’autre appelant, M. John Short, n’était titulaire que d’une seule rente. En justifiant la cotisation établie à l’égard de Frederick Short, l’intimée ne soutient pas que la somme de 37 364,73 $ à l’égard de la rente unique constituait des intérêts. L’intimée soutient plutôt que la somme consistait en un « versement de rente » au sens de l’alinéa 56(1)d) de la Loi et selon la définition du mot « rente » au paragraphe 248(1).

56(1) Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

[. . .]

d) toute somme reçue au cours de l’année par le contribuable à titre de versement de rente sauf [. . .]

248(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« rente » Sont compris dans les rentes les sommes payables à intervalles réguliers plus longs ou plus courts qu’une année, en vertu d’un contrat, d’un testament, d’une fiducie ou autrement.

[8] La réponse décisive à l’argument de l’intimée est que la somme de 37 364,73 $ ne constituait pas « [une] somm[e] payabl[e] à intervalles réguliers » de quelque façon ou dans quelque circonstance que ce soit. En fait, cette somme était l’antithèse d’une somme payable à intervalles réguliers parce qu’elle faisait partie d’un paiement forfaitaire effectué une fois pour toutes pour mettre fin aux paiements d’intérêts annuels de 5 500 $; pour rendre le principal (50 000 $) au titulaire; et pour payer la valeur courante (à la date du 17 août 1993) de la série des paiements d’intérêts à venir pendant le reste de la période de garantie de l’intérêt.

[9] Indépendamment de la définition du terme anglais « annuity » (rente) au paragraphe 248(1), ce même terme est défini dans le Concise Oxford Dictionary, huitième édition (1990), de la façon suivante :

[TRADUCTION]

1. allocation ou subvention annuelle.

2. placement d’argent qui donne le droit à l’investisseur de recevoir une série de sommes annuelles égales.

3. une somme payable à l’égard d’une année en particulier.

Le terme anglais « annuity » tire sa racine du mot latin « annus » , qui désigne un an. Dans la vie de tous les jours, une rente est une somme payable annuellement. La définition précitée de « rente » au paragraphe 248(1) en confirme le sens ordinaire dans la vie de tous les jours en ce sens qu’elle désigne une somme payable à intervalles réguliers; et elle élargit ce sens ordinaire pour comprendre des intervalles plus longs ou plus courts qu’un an. Bien que la définition au paragraphe 248(1) soit large en ce sens que « [s]ont compris [. . .] les sommes payables [. . .] » , cette même définition ne dit ni ne suggère ni même ne laisse entendre qu’une rente, à des fins d’impôt, peut être un gros paiement fait une fois pour toutes comme c'est le cas pour la somme de 87 364,73 $ qui figure à la pièce A-14, composée i) du principal de 50 000 $, ii) des intérêts courus de 937,92 $, et iii) du solde de 36 426,81 $ qui dépend des taux d’intérêt qui varient au jour le jour comme ils sont fixés à une date particulière d’évaluation.

[10] L’avocate de l’intimée a fait valoir que le terme « rente » , tel qu’il est défini au paragraphe 248(1), ne peut se limiter au libellé de la définition en raison des mots « [s]ont compris » . J’accueille cet argument, mais je ne peux conclure que le législateur voulait que le terme « rente » , aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, ait un sens contraire au sens lexicographique ordinaire simplement parce que sa définition dans la Loi commence par les mots « [s]ont compris » . Si le rédacteur de la Loi avait voulu que le terme « rente » , dans la Loi, puisse viser un paiement forfaitaire ou un gros versement effectué une fois pour toutes, il se serait exprimé de façon beaucoup plus explicite pour démontrer que le sens donné par la Loi comprenait l’antithèse du sens ordinairement attribué par les dictionnaires.

[11] À mon sens, ces appels ont déraillé lorsque GWL a inclus la somme globale de 74 729,46 $ dans la formule T5 de Revenu Canada comme étant un revenu, et lorsque les deux appelants ont déclaré ces montants en guise de revenu en produisant leurs déclarations d’impôt pour 1993. Voir les pièces R-1 et R-2. La désignation effectuée par GWL dans les formules T5 et la déclaration des sommes par les appelants ne règle pas la question litigieuse dans les présents appels, qui est une question de droit.

[12] Il est intéressant de noter que la pièce A-14 désigne le montant final de 87 364,73 $ comme étant la valeur marchande/de rachat. J’ai demandé à l’avocate de l’intimée au cours de la plaidoirie quelle serait la position de sa cliente si M. Frederick Short, l’un des appelants, avait vendu ses deux rentes à un tiers le 17 août 1993 au prix de 174 729,46 $. Me Sheppard a reconnu que M. Frederick Short aurait en main le produit de la disposition provenant de la vente d’un bien en immobilisation. Je ne vois pas pourquoi la conclusion serait différente simplement parce que M. Frederick Short a cédé ses deux rentes à GWL à la même date. GWL, en qualité d’institution financière faisant le commerce des billets de trésorerie, peut considérer la somme de 74 729,46 $ comme étant des intérêts versés au détenteur d’un tel billet, mais cette désignation par elle ne détermine pas, en droit, la nature de la somme en question entre les mains de M. Frederick Short.

[13] Les deux appels sont accueillis avec dépens en tenant compte du fait que, lorsque chaque rente de revenu en intérêts a été cédée en août 1993, la somme d’environ 87 000 $ provenant de GWL représentait le produit de la disposition d’un bien en immobilisation ayant un prix de base rajusté de 50 000 $. Les pleins dépens entre parties sont adjugés dans l’appel de M. Frederick Short. Les dépens dans l’appel de M. John Short sont fixés à 400 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juin 1999.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de mars 2000.

Benoît Charron, réviseur

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