Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991210

Dossier: 97-1624-UI

ENTRE :

FERNANDE LUPIEN,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

CLUB PARADISE ENR.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Trois-Rivières (Québec), le 18 octobre 1999, dans le but de déterminer si l'appelante exerçait un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la “Loi”), du 1er mars au 1er août 1993, lorsqu'elle était au service de Club Paradise Enr., le payeur.

[2] Par lettre en date du 29 mai 1997, l'intimé informa l'appelante que cet emploi n'était pas assurable parce qu'il n'existait pas de relation employeur-employée entre elle et le payeur.

Exposé des faits

[3] Les faits sur lesquels s'est fondé l'intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

“a) l'appelante et André Leblanc exploitaient un bar sous la raison sociale Club Paradise Enr.; (admis)

b) l'exploitation du commerce a débuté vers le 20 décembre 1991; (admis)

c) l'équipement et le permis d'alcool étaient la propriété des deux associés, tandis qu'ils louaient la bâtisse; (admis)

d) les deux associés étaient signataires des chèques du payeur, et une seule signature était requise; (admis)

e) l'entreprise du payeur employait une personne à temps plein et 3 employés à temps partiel; (nié)

f) les décisions administratives étaient prises conjointement par les 2 associés; (admis)

g) André Leblanc était associé dans une autre entreprise qui l'occupait à temps plein; (admis)

h) avant et après la période en litige, l'appelante s'occupait de la gérance de l'entreprise à temps partiel; (admis)

i) durant la période en litige, l'appelante y travaillait à temps plein, en travaillant au bar en plus de gérer l'entreprise; (admis)

j) durant la période en litige l'appelante travaillait 7 jours par semaine et décidait elle-même de ses heures de travail; (nié)

k) durant la période en litige, l'appelante retirait de l'entreprise la somme de 378 $ à chaque semaine; (nié)

l) avant et après la période en litige, l'appelante ne retirait aucune somme hebdomadaire de l'entreprise; (admis)

m) de 1992 à 1996, l'appelante a déclaré au fisc 50 % des pertes et profits de l'entreprise. (admis)”

[4] L'appelante a reconnu la véracité de tous les alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'elle a niés, ainsi qu'il est indiqué entre parenthèses à la fin de chacun d'eux.

Témoignage d'André Leblanc

[5] Le témoin fait affaire, au temps des faits ci-dessus allégués, comme évaluateur agréé sous la raison sociale d'Évaluation André Leblanc et associés. Il est également associé avec l'appelante dans le bar Club Paradise depuis 1991. Le bar est ouvert de 16 h à 24 h sur semaine et jusqu'à 3 h les fins de semaine. L'appelante est associée avec lui depuis la fin de 1991, ayant investi 10 000 $. Leblanc, pour sa part, avait déjà contribué pour une somme de 50 000 $. Le payeur emploie, dit Leblanc, “madame Lupien qui était à temps régulier et deux employés à temps partiel” (page 9 référence 19 des notes). L'appelante est gérante et serveuse et reçoit une rémunération hebdomadaire de 378 $. Avant le 1er mars 1993, l'appelante travaille sans toucher de salaire comme lui-même. Leblanc s'occupe de la comptabilité et de l'administration. Le Club Paradise est vendu en avril 1997. L'appelante et Leblanc prennent les décisions ensemble. Ce dernier étant son propre patron, entre souvent au bar vers 16 h pour rencontrer les clients et faire la lecture de la caisse. L'appelante reçoit un avis de cessation d'emploi le 1er août 1993 parce que l'été était terminé. L'appelante travaille 42 heures par semaine à 9 $, tel que convenu avec Leblanc.

Témoignage de Fernande Lupien

[6] Madame Lupien produit ses déclarations d'impôt pour 1992, 1993 et 1994 et reconnaît les avoir signées. Dans ses déclarations, elle reconnaît partager avec son associé, Leblanc, les profits et les pertes dans une proportion de 50 % (pièce I-1).

Analyse des faits en regard du droit

[7] La question que je dois déterminer est celle d'établir si l'appelante était engagée en vertu d'un contrat de louage de services avec la société du payeur à l'époque des faits allégués ci-dessus, à savoir du 1er mars au 1er août 1993. Il est important de noter que cette période de temps se situe avant l'adoption du Code civil du Québec (1er janvier 1994).

[8] Si je dois appliquer les critères énoncés par le Conseil Privé dans l'affaire City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161, afin de déterminer s'il y a un contrat de louage de services par opposition à un contrat d'entreprise, soit le contrôle, la propriété des instruments de travail, les possibilités de profit et les risques de perte, je n'ai pas d'autre choix que de conclure à l'inexistence d'un contrat de louage de services. Fernande Lupien est associée dans la société Club Paradise Enr. Ce contrat a pris naissance dans la province de Québec et c'est à la lumière du droit applicable au Québec qu'il faut en analyser les conséquences juridiques.

[9] La société n'est pas définie dans le Code civil du Bas-Canada, mais l'article 1830 en établit la nature comme suit :

“Il est de l'essence du contrat de société qu'elle soit pour le bénéfice commun des associés et que chacun d'eux y contribue en y apportant des biens, son crédit, son habileté ou son industrie.”

[10] Compte tenu des caractéristiques rattachées à un contrat de société sous le Code civil du Bas-Canada, il semble évident qu'un associé ne peut être l'employé de sa propre société. En effet, en tant qu'associé, il participe aux prises de décision de la société, en partage les profits et les pertes, en est le maître et ne peut agir en même temps à titre de subalterne pour lui-même.

[11] Voilà essentiellement ce que dit le juge Lamarre de cette Cour dans la cause de Carpentier et M.R.N., [1996] A.C.I. no. 502.

[12] De la même façon, le juge Archambault proclame que :

“...La société de personnes n'est pas considérée comme possédant une personnalité distincte de celle de ses associés, contrairement aux sociétés par actions. L'entreprise de la société de personnes est celle des associés. Les actifs de la société appartiennent aux associés. C'est donc pour lui-même que monsieur François Parent travaillait. Le travail qu'il a fait n'était donc pas accompli sous la direction ou le contrôle d'une autre personne tel que l'exige l'article 2085 du C.c.Q. Par conséquent, il n'existait pas de contrat de travail entre monsieur Parent et Société DN.” (François Parent et M.R.N., 97-1560(UI)).

[13] Pour ces motifs, l'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de décembre 1999.

“ G. Charron ”

J.S.C.C.I.

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