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Dossier : 2016-4033(IT)I

ENTRE :

TINA GROVES,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 17 février 2017, à Ottawa (Ontario).

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me Bhuvana Sankaranarayanan

 

JUGEMENT

  L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2014 est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2017.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan


Référence : 2017 CCI 66

Date : 20170504

Dossier : 2016-4033(IT)I

ENTRE :

TINA GROVES,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

Le juge Hogan

I. INTRODUCTION

[1]  L’appelante, Mme Tina Groves, a interjeté appel du rejet de ses demandes de crédit d’impôt pour personne entièrement à charge et de crédit d’impôt pour enfants (les « crédits d’impôt ») à l’égard de sa fille, identifiée sous R dans la réponse de l’intimée à l’avis d’appel de l’appelante pour son année d’imposition 2014.

[2]  Les crédits ont été refusés par le ministre du Revenu national (le « ministre ») au motif que la Loi de l’impôt sur le revenu [1] (la « LIR ») empêche un contribuable de réclamer le crédit d’impôt pour personne entièrement à charge et le crédit d’impôt pour enfants à l’égard d’un enfant pour lequel le contribuable est tenu de faire des versements pour le soutien alimentaire d’un enfant à un ex‑époux ou ancien conjoint de fait.

II. CONTEXTE FACTUEL

[3]  L’appelante était la seule témoin à l’audience. Il n’y a essentiellement pas de question en litige concernant le contexte factuel de cette affaire. L’appelante et son ex-époux se sont mariés en 1998. Deux enfants sont nés de ce mariage, soit TB, en 2000, et RB, en 2001. L’appelante et son ex-époux se sont séparés en mai 2011 [2] .

[4]  Aux termes d’un accord de séparation préparé par l’appelante et son ex‑époux et daté du 27 février 2011 (l’« accord de séparation original »), l’appelante et son ex-époux partagent la garde conjointe de leurs deux enfants mineurs.

[5]  Cet accord exigeait également que l’appelante paie à son ex-époux une pension alimentaire pour enfants, conformément aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants [3] (les « Lignes directrices fédérales »), à compter du 1er mai 2011.

[6]  Après que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a refusé les demandes de remboursement des crédits d’impôt de l’appelante pour une année d’imposition antérieure, l’appelante et son ex-époux ont conclu un accord de séparation modifié, daté du 6 juin 2015 (l’« accord de séparation modifié »). Cet accord précisait que les deux parties devaient se payer réciproquement une pension alimentaire pour enfants, conformément aux Lignes directrices fédérales, à compter du 1er mai 2011.

[7]  L’appelante a réclamé les crédits d’impôt à l’égard de RB pour l’année d’imposition 2014.

[8]  Le 4 janvier 2016, l’ARC a établi une cotisation initiale à l’égard de l’appelante, et les demandes de crédits d’impôt de l’appelante ont été refusées au motif que l’appelante était tenue d’effectuer des versements pour le soutien alimentaire d’un enfant à son ex-époux pendant l’année d’imposition 2014.

[9]  Dans un avis d’opposition daté du 31 janvier 2016, l’appelante s’est opposée à la cotisation. Le 15 juillet 2016, le ministre a confirmé la cotisation. Le présent appel a donc été interjeté.

III. QUESTION EN LITIGE

[10]  La seule question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si le ministre a eu raison de refuser les crédits d’impôt réclamés par l’appelante pour l’année d’imposition 2014.

IV. POSITIONS DES PARTIES

[11]  L’appelante fait valoir qu’elle a droit aux crédits d’impôt pour l’année d’imposition 2014 parce qu’elle et son ex‑époux avaient l’intention, au moment de leur séparation, de payer l’un à l’autre une pension alimentaire pour enfants. Elle affirme que, pour des raisons de commodité, elle n’avait en pratique versé que le montant net à son ex‑époux. Elle déclare également que les deux parents avaient convenu à l’époque qu’ils allaient chacun réclamer une déduction relativement à un enfant en tant que personne à charge.

[12]  L’intimée soutient que l’appelante n’avait pas droit aux crédits d’impôt puisque, au cours de l’année en question, elle était la seule partie tenue de payer des montants de pension alimentaire, conformément aux modalités de l’accord de séparation original. L’intimée affirme que l’accord de séparation modifié conclu en juin 2015 ne s’applique pas à l’année d’imposition en cause.

V. ANALYSE

[13]  Il s’agit d’une affaire, comme tant d’autres que la Cour entend, concernant l’admissibilité d’un contribuable à un crédit d’impôt pour personne entièrement à charge et un crédit d’impôt pour enfants lorsque le contribuable est également tenu de verser une pension alimentaire pour enfants à un ex‑époux.

[14]  Le paragraphe 118(5) de la LIR prévoit que les crédits d’impôt ne sont pas déductibles relativement à un enfant à l’égard duquel le contribuable a versé une pension alimentaire pour enfants à un époux ou conjoint de fait ou ex‑époux ou ancien conjoint de fait dans l’année d’imposition pertinente.

[15]  Le paragraphe 118(5.1) porte que la restriction prévue au paragraphe 118(5) ne s’appliquera pas dans les cas où elle aurait pour effet de refuser le crédit aux deux parents. Lorsque le paragraphe 118(5.1) s’applique, il faut se reporter à l’alinéa 118(4)b.1), selon lequel si les deux parents ont droit aux crédits, ils doivent s’entendre sur celui d’entre eux qui les réclamera annuellement.

[16]  Le ministre a confirmé la cotisation au motif que seule l’appelante était tenue de verser une pension alimentaire pour enfants conformément aux modalités de l’accord de séparation original.

[17]  L’appelante a déclaré que, dans la rédaction de leur accord de séparation, son intention et celle de son ex‑époux étaient que chaque parent verserait une pension alimentaire à l’autre conformément aux Lignes directrices fédérales. Elle a dit que, étant donné qu’elle gagnait le revenu le plus élevé, elle a payé le montant net à son ex‑époux simplement pour des raisons de [traduction] « commodité » [4] .

[18]  L’appelante a également expliqué que les parties ont modifié l’accord de séparation en 2015 après que l’ARC avait refusé sa demande de crédits d’impôt pour l’année d’imposition 2013. Elle a demandé que la Cour donne un effet rétroactif à l’accord modifié en faisant concorder le libellé de l’accord avec l’intention originale des parties.

[19]  Selon l’appelante, en plus de modifier le libellé de l’accord de séparation original en 2015, depuis lors, elle et son ex‑époux se sont régulièrement fait des chèques l’un à l’autre pour s’acquitter de leurs obligations en matière de pension alimentaire. L’appelante a produit des copies de deux chèques à l’audience. Les deux étaient datés du 1er août 2015. L’un était signé par l’appelante, tandis que l’autre était signé par son ex-époux. Les chèques montrent que, au cours de ce mois, l’appelante a versé 2 091 $ à son ex‑époux et que celui-ci lui a payé 1 557 $. Ces montants correspondent également aux montants applicables, énoncés dans les Lignes directrices fédérales.

[20]  Je n’ai aucune hésitation à conclure que l’appelante est un témoin crédible et franche. Malheureusement, je suis incapable d’admettre ses arguments.

[21]  Étant donné que l’accord modifié a été conclu en juin 2015, il ne s’appliquait pas à l’année d’imposition en cause dans le présent appel. L’accord modifié ne peut pas s’appliquer rétroactivement à l’année d’imposition 2014 de l’appelante. Il s’agit tout au plus d’une preuve écrite de ce que les parties avaient l’intention de faire au moment où elles ont conclu l’accord de séparation original, mais cela seul est insuffisant pour garantir le droit de l’appelante aux crédits d’impôt.

[22]  Ce qui importe dans des cas comme celui-ci, c’est le libellé de l’accord écrit de séparation et tout élément de preuve des pratiques des parents concernant les paiements de pensions alimentaires pour enfants pendant la période pertinente. À cet égard, je suis seulement disposé à admettre que les chèques fournis par l’appelante témoignent de leur pratique depuis 2015.

[23]  En outre, un examen de l’accord de séparation original confirme que l’interprétation du libellé de l’accord par le ministre est correcte. Selon les modalités de cet accord, seule l’appelante était tenue de verser le montant net de la pension alimentaire pour enfants à son ex‑époux.

[24]  Les clauses pertinentes de l’accord original prévoient ce qui suit :

[traduction]

La Partie 1 verse à la Partie 2 les montants de pensions alimentaires pour enfants figurant dans les tables, conformément aux Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, à compter du 1er mai 2011 et chaque mois par la suite jusqu’à ce que les enfants à charge ne soient plus des enfants à charge, comme le définit la Loi sur le divorce. Nous comprenons que les dispositions relatives à la garde et les revenus changent, et nous sommes d’accord lorsque les circonstances changent pour rajuster le montant mensuel conformément aux Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants.

En plus du montant décrit ci-dessus, la Partie 1 paye à la partie 2, pour les dépenses spéciales, le pourcentage de la dépense spéciale, selon la contribution au revenu, lorsque la dépense se produit.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Les décisions antérieures de la Cour et de la Cour d’appel fédérale ont systématiquement rejeté les arguments fondés sur les accords relatifs à la garde partagée supposant des paiements nets de la pension alimentaire régis par les Lignes directrices fédérales. Dans l’arrêt Verones c. La Reine [5] , la Cour d’appel fédérale a établi de façon irréfutable que ce type d’accord de compensation ne satisfait pas aux exigences de l’exception prévue au paragraphe 118(5.1). Cette question a également été examinée à plusieurs reprises par la Cour dans diverses versions depuis lors sans que la Cour ne s’écarte jamais ultérieurement des motifs de la juge d’appel Trudel dans l’arrêt Verones (voir les motifs du jugement de la juge V. Miller dans la décision Commet c. La Reine [6] , ceux du juge Bocock dans la décision Harder c. La Reine [7] et ceux de la juge Woods (tel était alors son titre) dans la décision Sauve c. La Reine [8] ). En raison de la doctrine du stare decisis, la Cour est également tenue en l’espèce d’appliquer la décision de la Cour d’appel fédérale.

[26]  En ce qui concerne le deuxième paragraphe de l’accord de séparation original ci-dessus, il est clair que l’accord obligeait les deux parents à partager les dépenses spéciales proportionnellement, en fonction de leur revenu. L’accord précisait que l’appelante paierait sa part des dépenses spéciales à son ex-époux au fur et à mesure que les dépenses se produisent.

[27]  Selon l’appelante, ce libellé ne reflétait pas sa pratique réelle concernant le paiement des dépenses spéciales. Elle a affirmé que les parties créaient un budget pour l’année et versaient ensuite leurs contributions mensuellement dans un compte bancaire conjoint auquel les deux parents avaient accès.

[28]  L’appelante a soutenu que les contributions de son ex-époux au compte conjoint constituaient une pension alimentaire qui lui était versée à elle.

[29]  Je ne peux admettre l’argument de l’appelante selon la définition de « pension alimentaire » au paragraphe 56.1(4) de la LIR. Le terme « pension alimentaire » est ainsi défini :

56.1(4)

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a) le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

b) le payeur est légalement le père ou la mère d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

[30]  Le libellé de l’accord de séparation original indique clairement que seule l’appelante était tenue de payer sa part des dépenses spéciales à son ex-époux. Par conséquent, les versements effectués par l’ex‑époux de l’appelante dans le compte bancaire conjoint ne peuvent être réputés avoir été faits aux termes d’un « accord écrit » comme l’exige l’alinéa a) de la définition de « pension alimentaire » au paragraphe 56.1(4). L’argent versé dans le compte conjoint, qui servait à financer les dépenses spéciales des enfants, ne pouvait pas non plus être utilisé par l’appelante à sa discrétion comme l’exigeait le libellé de cette définition. Par conséquent, les versements effectués par l’ex-époux de l’appelante dans le compte conjoint ne peuvent constituer un montant de pension alimentaire au sens de la LIR.

[31]  En rejetant l’appel, il convient de faire remarquer que la Cour demeure sympathique à la position de l’appelante. À l’audience, l’appelante a exprimé son sentiment de frustration quant à la qualité des conseils offerts sur le site Web de l’ARC aux contribuables qui tentent de résoudre le problème des paiements de pensions alimentaires pour enfants lorsqu’ils rédigent un accord de séparation sans l’aide d’un avocat. L’appelante a souligné en particulier les exemples d’accords relatifs à la garde partagée et aux pensions alimentaires pour enfants fournis par l’ARC sur son site Web.

[32]  Ces mêmes préoccupations ont également été soulevées par la Cour dans des décisions antérieures (voir les motifs du jugement du juge C. Miller dans la décision Ochitwa c. La Reine [9] ). La Cour espère qu’une telle ressource sous régime gouvernemental ajoutera à l’avenir une note précisant que les paiements de pension alimentaire pour enfants, effectués uniquement en fonction d’une compensation, ne sont pas suffisants, dans les cas de garde partagée, pour permettre aux deux contribuables de demander les crédits d’impôt relativement à une personne à charge admissible et à un enfant admissible. Il serait regrettable que les autorités fiscales continuent d’induire en erreur par inadvertance les contribuables à cet égard.

VI. CONCLUSION

[33]  L’appelante n’avait pas le droit de demander les crédits d’impôt pour l’année d’imposition 2014 parce qu’elle seule était tenue d’effectuer des paiements de pension alimentaire à son ex‑époux durant l’année en question. Pour cette raison, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de mai 2017.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 66

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-4033(IT)I

INTITULÉ :

TINA GROVES c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 février 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 4 mai 2017

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me Bhuvana Sankaranarayanan

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] LRC 1985, ch. 1 (5e suppl.).

[2] Nota : Mme Groves a affirmé à l’audience qu’elle et son ex-époux s’étaient séparés en mai 2011. L’accord de séparation original a toutefois été signé le 27 février 2011 et stipule que les parties [traduction] « acceptent de vivre séparés et ont vécu séparés » depuis le 1er janvier 2011. Les paiements pour la pension alimentaire des enfants aux termes de l’accord ont débuté le 1er mai 2011.

[3] DORS/97-175.

[4] Transcription de l’audience à la page 6, lignes 6-7.

[5] 2013 CAF 69.

[6] 2016 CCI 48.

[7] 2016 CCI 197.

[8] 2014 CCI 99.

[9] 2014 CCI 263.

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