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Date: 20000215

Dossiers: 1999-456-EI; 1999-457-EI; 1999-458-EI

ENTRE :

DANIEL PUTTER, DAVID PUTTER, EQUINOX INDUSTRIES LTD.,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] L'avocat des appelants et l'avocat de l'intimé ont convenu que les trois appels pouvaient être entendus sur preuve commune. Equinox Industries Ltd. (“ Equinox ”) a interjeté appel auprès du ministre du Revenu national (le “ministre ”) à l'encontre d'une décision selon laquelle l'emploi de David Putter et de Daniel Putter chez Equinox pour la période allant du 1er janvier 1997 au 1er décembre 1997 était un emploi assurable. Le 25 septembre 1998, le ministre a donné suite à l'appel et, dans une lettre adressée à chaque appelant, il a indiqué qu'il avait décidé que David Putter et Daniel Putter avaient conclu un contrat de louage de services avec Equinox et que leur emploi était un emploi assurable puisque David et Daniel Putter et Equinox étaient réputés ne pas avoir de lien de dépendance au sens de l'alinéa 5(3)b de la Loi sur l'assurance-emploi. La partie pertinente de la décision qui concerne David Putter et Daniel Putter est rédigée de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Il a été décidé que cet emploi était assurable pour les raisons suivantes : vous aviez conclu un contrat de louage de services et, en conséquence, vous étiez un employé. Même si vous aviez un lien de dépendance avec Equinox Industries Ltd., le ministre est convaincu qu'un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu si vous n'aviez pas eu un lien de dépendance. En conséquence, votre emploi n'était pas un emploi exclu des emplois assurables.

[2] L'avocat des appelants a admis que tous les appelants sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu dans la mesure où elle s'applique aux dispositions pertinentes de la Loi sur l'assurance-emploi.

[3] Dans son témoignage, David Putter a déclaré qu'il est un homme d'affaires et qu'il travaille pour Equinox depuis 1978. Depuis 1986, il est directeur général de la compagnie, poste auparavant occupé par son beau-frère. David Putter a déclaré qu'avant 1986 il s'était occupé de l'établissement du prix des produits, de l'expansion des lignes de produits et de certaines tâches administratives de nature générale. Equinox était une entreprise industrielle qui fabriquait des produits en plastique et en fibre de verre, des articles de salles de bains et divers types de réservoirs à usage industriel et médical servant à entreposer l'eau, les eaux usées et les résidus chimiques. Equinox fabriquait aussi des traîneaux et des toboggans tirés par les motoneiges. À cette époque, son père, en tant que chef de la famille, contrôlait la compagnie même s'il n'était pas en droit propriétaire de la majorité des actions. Il n'avait jamais été envisagé qu'Equinox aurait comme directeur général quelqu'un d'autre qu'un membre de la famille. La compagnie a eu de bonnes et de mauvaises années mais elle a dû affronter de très sérieuses difficultés en 1992. David Putter a indiqué qu'il avait consacré beaucoup de temps à l'exercice de tâches administratives et à la préparation de devis, et qu'Equinox avait dû licencier des employés en raison d'un important fléchissement des ventes. Durant cette période, son frère, Daniel Putter, et lui ont redoublé d'efforts et exercé les fonctions des employés qui avaient été licenciés. En ce moment, Equinox emploie cinquante-cinq personnes dans son atelier et dix dans son bureau. Cependant, après 1992, puisqu'Equinox avait perdu un client important, la compagnie n'employait plus que de quinze à dix-huit personnes. David Putter et son frère ont dû travailler de longues heures pour que la compagnie reprenne sa part de marché. Il leur a paru tout à fait normal d'agir ainsi parce que “ la compagnie représente tout pour nous et doit poursuivre ses activités – elle subvient aux besoins des familles ”. Judith Putter, la belle-soeur de David, ne s'occupe pas de l'entreprise. Les employés de l'atelier reçoivent un salaire horaire, et les employés de bureau un salaire et des commissions. Les employés payés à l'heure pointent, mais les employés de bureau ne pointent pas. David Putter a expliqué qu'il établit ses heures de travail à sa guise, et que la perspective d'être licencié par Equinox ne le préoccupe pas. David et son frère ont décidé ensemble quels seraient leurs salaires et leurs primes, et la compagnie leur verse un salaire fixe de 3 000 $, toutes les deux semaines. De temps en temps, David ou son frère pouvaient avoir besoin de fonds additionnels et ils signaient simplement un chèque tiré sur le compte de la société. Quand cela arrive, les deux frères ne retirent pas nécessairement le même montant du compte de la société. Rochelle Putter, la mère de David et de Daniel, n'intervient pas dans la gestion de la société. Bien que David Putter ait indiqué qu'il pouvait prendre congé à son gré, il n'a pas pris de vacances normales depuis 8 ou 9 ans. Durant les périodes au cours desquelles David et son frère ont travaillé de longues heures, Equinox ne leur a pas versé de primes pour les heures supplémentaires. David et son frère sont venus la nuit à l'atelier durant un cycle de production de traîneaux et de toboggans en particulier pour effectuer une vérification aux fins du contrôle de la qualité en examinant les pièces et la méthode d'assemblage. En outre, ils ont travaillé à l'emballage des produits avant qu'ils soient livrés aux clients. S'il le fallait, David travaillait souvent quatre-vingt heures par semaine, mais, il estime avoir travaillé de cinquante-cinq à soixante heures par semaine en moyenne durant une année. Chez Equinox, l'horaire de travail est réparti sur plusieurs quarts, et des problèmes peuvent se produire au milieu de la nuit. La compagnie interdit l'usage du tabac dans ses installations, mais cette interdiction ne s'applique pas à David ni à son frère. Equinox n'a jamais remboursé David pour les dépenses qu'il avait engagées pour le compte de la compagnie parce qu'il ne s'est jamais donné la peine de les réclamer. En 1997, il a acheté un nouvel ordinateur et l'a apporté de sa maison au bureau. Jusqu'ici, la compagnie ne lui a pas remboursé le prix de l'ordinateur, et cela ne le préoccupe guère. Equinox verse son traitement, et il peut signer les chèques tirés sur le compte bancaire. En 1994, il a gagné 131 000 $, en 1995, seulement 3 000 $ et, en 1996 et 1997, 76 561 $ et 81 538 $ respectivement. David Putter est un administrateur d'Equinox et Daniel Putter est président. David Putter a déclaré qu'il prenait congé les fins de semaine l'hiver et qu'il allait à son chalet au lac l'été. Equinox dispose de marges de crédit bancaires et David et Daniel ont signé des garanties personnelles. Il estime avoir cautionné la compagnie pour plus de 100 000 $ en 1997. À son avis, si un étranger exerçait la fonction de directeur général à Equinox, il recevrait un salaire beaucoup plus élevé.

[4] En contre-interrogatoire, David Putter a déclaré que le directeur général jouait un rôle essentiel au sein de la société. En 1997, Equinox était au beau milieu d'une reprise économique, et il ne croit pas qu'un étranger aurait travaillé autant que lui en contrepartie de la rétribution qui lui était versée ainsi qu'à son frère. Il est membre de l'industrie des matières plastiques depuis plus de vingt ans, il a vu les annonces dans les publications spécialisées, et, à son avis, son salaire était de beaucoup inférieur aux normes de l'industrie. Il a rempli et signé le questionnaire déposé sous la cote R-1. Normalement la compagnie versait une prime de 5 000 $ à 10 000 $ durant l'année. La compagnie tenait des réunions d'actionnaires, comme le prévoit la loi, mais sa mère et sa soeur signaient simplement les procès-verbaux qui avaient été rédigés et ne s'occupaient pas des activités de la société. Il admet qu'un directeur général fait peut-être de plus longues journées, mais pas pour très longtemps, s'il est simplement un employé, et il ne croit pas que la plupart renonceraient à leurs fins de semaine ou se rendraient à l'atelier, la nuit, pour inspecter les produits ou aider à l'emballage. De plus, la plupart des individus exerçant la fonction de directeur général ne détiendraient aucune participation dans la compagnie. David Putter a déclaré qu'il ne prévoyait pas être remplacé par une autre personne et qu'il demeurerait directeur général d'Equinox.

[5] Daniel Putter a affirmé dans son témoignage qu'il est un homme d'affaires et le président d'Equinox. Il travaille pour la compagnie depuis quinze ans et il est responsable de la fonction de comptabilité. Lui et David Putter gèrent Equinox de la manière qu'ils jugent appropriée et ne consultent personne d'autre. Ils n'ont pas de superviseurs. Daniel Putter mentionne qu'en 1997 il arrivait au bureau à 9 h, quittait à 18 h pour aller souper à la maison, puis revenait chez Equinox superviser le quart de nuit à l'atelier jusqu'à 1h. C'est la routine onéreuse qu'il s'était imposée pendant trois mois pour que la compagnie puisse afficher de meilleurs résultats financiers en 1998. En 1997, il recevait 3 200 $ à toutes les deux semaines, mais il réduisait ou augmentait sa rémunération après avoir discuté de la question avec David. Il était rémunéré par Equinox même s'il devait s'absenter du travail pour raison de maladie ou d'accident, et il pouvait prendre des vacances quand il voulait. Toutefois, il n'avait pas pris de longues vacances depuis douze ans parce qu'il aime son travail. Il n'a jamais demandé à la compagnie de lui rembourser les petites dépenses qu'il avait engagées à son égard. Il espère que ses six enfants prendront la compagnie en charge après qu'il aura cessé de s'en occuper. Il a acheté les actions que sa mère détenait dans Equinox, et lui et David achèteront bientôt le reste des actions détenues par leur soeur.

[6] En contre-interrogatoire, Daniel Putter a dit qu'il n'avait pas été appelé à rembourser quoi que ce soit relativement aux dettes d'Equinox qu'il avait garanties personnellement. Si jamais il quittait la compagnie, il ne croit pas qu'il serait remplacé. David et lui exploitent Equinox conjointement, et David pourrait l'exploiter sans lui si c'était nécessaire. Il se rappelle avoir signé le questionnaire déposé sous la cote R-2. À son avis, ni lui ni David n'auraient pu maintenir le dur rythme de travail qui avait été nécessaire quand ils ont dû travailler le jour et une partie de la nuit pendant trois mois pour compléter une importante commande de traîneaux.

[7] L'avocat des appelants a avancé qu'il ressortait clairement de la preuve que David et Daniel Putter avaient pris en charge l'entreprise de leur père. David est devenu directeur général, et Daniel a exercé la fonction de président et était responsable de la fonction de comptabilité de la compagnie. Les éléments de preuve ont établi que les membres de la famille sont dévoués envers la compagnie et qu'une bonne partie du travail effectué pour le compte de la compagnie n'était motivée ni par la perspective d'un revenu d'emploi additionnel ni un régime de participation aux bénéfices déterminé. L'avocat a fait valoir que les éléments de preuve avaient réfuté plusieurs des hypothèses émises par le ministre pour prendre la décision et qu'il avait été démontré qu'en l'absence d'un lien de dépendance entre une compagnie et son directeur général ou son président, ces derniers ne s'obligeraient pas à garantir personnellement les dettes de la compagnie ou ne fourniraient pas les nombreuses heures de travail qui sont nécessaires au rétablissement de la santé financière de la compagnie.

[8] L'avocat de l'intimé a prétendu que le ministre avait correctement exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par les dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi, et que la Cour ne devrait pas intervenir dans cette décision.

[9] Dans Crawford and Company Ltd. and M.N.R., une décision inédite (98-407(UI), 98-537(UI) et 98-538(UI)) rendue le 8 décembre 1999, le juge suppléant Porter, de la C.C.I., examinait les appels interjetés par trois employés d'une compagnie, dont deux frères, qui faisaient partie de la catégorie de personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'autre appelant n'étant pas une personne liée avec la compagnie, le juge avait dû procéder à un examen distinct des faits puisque aucun pouvoir discrétionnaire n'avait été exercé par le ministre en application de l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi. L'analyse effectuée par le juge Porter en ce qui concerne les deux frères est détaillée et pertinente à celle qui doit être nécessairement effectuée dans les présents appels. C'est pourquoi je cite de longs extraits de Crawford parce que le jugement est conforme à ma compréhension du droit et que les faits dans cette affaire et dans les appels en l'instance sont à peu près semblables. À la page 21, en commençant au paragraphe 58, le juge Porter dit :

[58] Dans le cadre du régime établi par la Loi sur l'a.-e., le Parlement a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit à des prestations s'ils cessent, et que d'autres emplois, qui sont “ exclus ”, ne donnent droit à aucune prestation s'ils cessent. Lorsque des personnes qui ont un lien de dépendance concluent une convention d'emploi, il s'agit d'un “ emploi exclu ”. Des conjoints, des parents et leurs enfants, des frères, et des sociétés contrôlées par ces personnes sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui régit cette situation. Cette disposition législative a manifestement pour but d'éviter au régime d'avoir à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d'emploi factices ou fictives; voir les observations de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Paul c. Le Ministre du Revenu national, (A-223-86) inédite, où le juge Hugessen a déclaré :

Nous sommes tous disposés à présumer, comme nous y invite l'avocat de l'appelante, que l'alinéa 3(2)c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et le paragraphe 14a) du Règlement sur l'assurance-chômage visent entre autres à éviter les emplois abusifs de la Caisse d'assurance-chômage par la création de soi-disant rapports “ employeurs-employés ” entre des personnes dont les rapports sont, de fait, très différents. Cet objectif se révèle tout à fait pertinent et rationnellement justifiable dans le cas des époux qui vivent ensemble maritalement. Mais même si, comme le soutient l'appelante, nous ne sommes en présence que d'époux légalement séparés et qui peuvent traiter entre eux sans lien de dépendance, la nature de leurs rapports en qualité de conjoints est telle qu'elle justifie, à notre avis, d'exclure de l'économie de la Loi l'emploi de l'un par l'autre.

[...]

Nous n'écartons pas la possibilité que les dispositions susmentionnées aient d'autres objectifs, comme par exemple la décision conforme à une politique sociale visant à écarter du champ d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage tous les emplois exercés au sein de l'unité familiale, comme l'a suggéré l'avocat de l'intimé. (C'est moi qui souligne.)

[59] La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e., lequel prévoit qu'un emploi dans un cas où l'employeur et l'employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable, s'il remplit toutes les autres conditions, c'est-à-dire si le ministre est convaincu, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance de travail accompli, qu'il est raisonnable de conclure qu'ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu (en fait) un lien de dépendance.

[60] Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends cet alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d'assurance, à moins qu'on ne puisse convaincre le ministre que la convention d'emploi est bel et bien la même qu'auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n'ont manifestement aucun lien de dépendance. Le Parlement a jugé que, s'il s'agit d'un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c'est le ministre qui décide. Sauf s'il est convaincu qu'il y a lieu de l'inclure, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit à des prestations.

[61] Le paragraphe 93(3) de la Loi sur l'a.-e. porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. Il dispose que “ [l]e ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées. ”

[62] Le ministre est donc tenu de régler la question. La Loi l'exige. Si le ministre n'est pas convaincu, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d'aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l'employé a droit à des prestations, pourvu qu'il remplisse les autres exigences. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il peut alors juger que l'emploi est assurable. Il doit “ régler la question ” et, selon ce qu'il décide, aux termes de la Loi l'emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n'a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n'a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question que le même critère s'applique à une multitude d'autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada and Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352 et Her Majesty the Queen and Bayside Drive-in Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[63] Le rôle de ce tribunal est alors, en cas d'appel, de réviser la décision du ministre et de décider s'il l'a prise légalement, c'est-à-dire conformément à la Loi sur l'a.-e. et aux principes de la justice naturelle. Dans l'affaire Her Majesty the Queen v. Bayside et al. (précitée), la Cour d'appel fédérale a relevé certains points à considérer par le présent tribunal lorsqu'il entend de tels appels. Ce sont les suivants :

[...] (i) le ministre a agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié; (ii) le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii); ou (iii) le ministre a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[64] La Cour d'appel fédérale a ensuite ajouté :

Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et [...] le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[65] Je ne dois pas oublier, à l'examen de cette affaire, qu'il n'appartient pas à ce tribunal de substituer son opinion concernant la preuve à celle du ministre. Toutefois, si la façon dont ce dernier en est arrivé à la décision était illégale à la lumière des jugements mentionnés ci-dessus, je pourrais ne pas tenir compte des parties concernées des faits énoncés et je devrais alors me demander s'il se dégage des faits qui restent des motifs justifiant la décision. Si ces motifs sont en soi suffisants pour que le ministre prenne une décision, même si le tribunal pourrait ne pas l'agréer, la décision doit être maintenue. Si par ailleurs, d'un point de vue objectif et raisonnable, il ne reste plus rien sur lequel le ministre pourrait, d'un point de vue objectif et raisonnable, légalement fonder une telle décision, celle-ci peut alors être infirmée, et le tribunal peut examiner la preuve qui lui a été présentée en appel et rendre sa propre décision.

[66] Bref, si le ministre dispose de suffisamment de faits pour rendre sa décision, c'est à lui qu'il appartient de régler la question et, s'il “ n'est pas convaincu ”, il n'appartient pas au présent tribunal de substituer à celle du ministre sa propre opinion au sujet de ces faits et de dire que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre était convaincu, il n'appartient pas au présent tribunal de substituer à celle du ministre sa propre opinion selon laquelle il n'aurait pas dû être convaincu (scénario peu probable de toute façon). C'est seulement si la décision est prise d'une manière inappropriée et qu'elle est déraisonnable d'un point de vue objectif, compte tenu des faits qui ont été légitimement présentés au ministre, que le tribunal peut intervenir.

[10] Dans l'arrêt Adolfo Elia c. Le ministre du Revenu national - A-560-97 – une décision de la Cour d'appel fédérale rendue le 3 mars 1998, le juge Pratte dit à la page 2 :

Contrairement à ce qu'a pensé le juge, il n'est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu'il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c'est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n'a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre.

[11] Dans l'arrêt Légaré c. Le ministre du Revenu national [1999] A.C.F. no 878 – une autre décision de la Cour d'appel fédérale – le juge Marceau, s'exprimant au nom de la Cour, dit à la page 2 :

La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judiciaire portées à l'encontre de deux jugements d'un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans des affaires reliées l'une à l'autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d'interprétation et d'application de cette disposition d'exception du sous-aliéna 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l'impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu'il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l'étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l'impôt dans le cadre d'un appel sous l'égide des articles 70 et suivants de la Loi.

Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était “ convaincu ” paraît toujours raisonnable.

[12] J'examine maintenant la preuve et son effet, le cas échéant, sur certaines des hypothèses qui sont énoncées dans la réponse à l'avis d'appel de David Putter et que le ministre a utilisées pour prendre les décisions qui font l'objet des appels en l'instance. Les hypothèses utilisées par le ministre en ce qui concerne le type d'entreprise exploitée par Equinox, l'actionnariat, les relations entre les parties pertinentes, notamment les autres compagnies possédant des actions dans Equinox, les fonctions de David Putter et de Daniel Putter, telles qu'énoncées aux paragraphes 6(a) à 6(p), ne sont pas contestées. Toutefois, selon le paragraphe 6(p) de la réponse aux avis d'appel des deux frères, le ministre s'est fondé sur l'hypothèse suivante :

[TRADUCTION]

Daniel Putter ne prend aucune décision financière tout seul, puisque toutes les décisions importantes étaient prises par tous les actionnaires (même chose pour David).

[13] Cette conclusion n'est pas étayée par la preuve. Même s'ils n'étaient que des actionnaires minoritaires, David et Daniel Putter ont exploité la compagnie conjointement à l'exclusion des autres actionnaires. On procédait à la rédaction de procès-verbaux des réunions d'actionnaires prévues à la loi que leur mère et leur soeur se contentaient de signer parce qu'elles n'intervenaient pas dans la gestion des activités journalières de l'entreprise ni non plus sur le plan opérationnel. Le ministre a émis l'hypothèse que les cinquante-cinq autres employés recevaient un salaire horaire, qu'ils pointaient et qu'ils étaient rémunérés pour les heures supplémentaires. Cela n'est pas tout à fait exact puisque les dix employés de bureau ne pointaient pas et recevaient un salaire mensuel et non un salaire horaire. L'hypothèse énoncée au paragraphe 6(s) de la réponse à l'avis d'appel, qui est fondée sur une réponse figurant dans le questionnaire rempli par David Putter (pièce R-2) selon laquelle une partie des salaires de David et de Daniel Putter visait à couvrir les dépenses personnelles de base et que le reste était lié aux profits réalisés par la compagnie, n'est pas étayée par la preuve. Le salaire versé à chaque frère était arbitraire, fluctuait d'une année à l'autre et ne semble pas dépendre des profits réalisés par la compagnie. En 1996, Equinox a subi une perte nette de 14 000 $ et elle a versé 76 561 $ à David Putter. En 1995, David Putter a reçu un salaire de 3 000 $, et la compagnie a terminé l'année avec une perte de 4 000 $. En 1994, il a reçu un salaire de 131 000 $ et la compagnie a réalisé un profit de 133 000 $. Quant à lui, Daniel Putter a reçu les sommes suivantes : 156 000 $ en 1993 et 1994, 3 000 $ en 1995 et 89 561 $ en 1996. Au paragraphe 6(mm) de la réponse à l'avis d'appel de Daniel Putter, le ministre a exprimé l'hypothèse suivante :

[TRADUCTION]

[...] il n'a pas effectivement reçu toute la somme de 156 000 $ figurant sur son relevé T4 pour l'année 1994 puisqu'une partie de cette somme a été affectée à son compte débiteur des prêts aux actionnaires de la compagnie.

[14] Comme ils l'avaient convenu, lorsque c'était nécessaire et dans des circonstances spéciales, les frères retiraient des montants différents. En outre, d'après le paragraphe 6(kk), le ministre s'est fié à la réponse de David et de Daniel Putter selon laquelle ils avaient pris la somme de 3 000 $ en 1995 à titre de salaire tel que leur comptable l'avait recommandé. Toutefois, en 1995, David a reçu un revenu de 75 000 $ de Jomat Entreprises Ltd., une compagnie dont il détenait deux tiers des actions. En 1995, Daniel Putter a reçu un revenu de 75 000 $ de Jaz Ventures Ltd., une compagnie dont il détenait toutes les actions émises. Au paragraphe 6(y), qui s'applique tant à David qu'à Daniel Putter, il est dit que le ministre a émis l'hypothèse suivante :

[TRADUCTION]

David (Daniel) a déclaré qu'il n'accumulait pas les jours de congé de maladie, mais, puisqu'il fait partie de la famille, il recevait quand même son salaire s'il devait s'absenter pendant une longue période.

[15] Au paragraphe 6(z), le ministre reconnaît que Daniel et David fixaient eux-mêmes leurs heures de travail et qu'ils prenaient des congés quand ils le voulaient (paragraphe 6(x)). Le fait d'être remboursés ou non par la compagnie pour les petites dépenses qu'ils avaient engagées à l'égard d'Equinox n'avait pour l'un ou l'autre frère aucune importance. Ce comportement reflète leur perception de la compagnie comme seulement un véhicule doté d'un statut juridique particulier pour diverses fins, notamment le paiement de l'impôt sur le revenu, mais aussi comme une extension de leur famille sous la forme d'une entreprise traditionnelle, une entreprise dont ils avaient maintenant la charge à la suite de leur père, et qu'ils exploitaient pour le bénéfice de tous les Putter. Le salaire versé à un directeur général ou à un président ordinaire de la compagnie, qui n'aurait pas été un actionnaire ou un membre de la famille, n'aurait pas fluctué de manière aussi importante que celui qui a était versé à David et à Daniel Putter au cours des années. Il serait hautement improbable qu'un étranger occupant un poste élevé chez Equinox, garantisse personnellement les dettes de la compagnie, travaille pendant plusieurs années sans prendre de vacances convenables, exerce ses fonctions de cinquante à soixante heures par semaine durant toute l'année sans bénéficier, en contrepartie, d'une rémunération substantielle en argent, de vacances prolongées ou d'autres avantages accessoires. De même, les nombreuses heures de travail accomplies tant par Daniel que David Putter durant une période de trois mois pour compléter une commande importante, excèdent la norme de rendement attendue du personnel de direction qui passe des journées complètes au bureau à administrer une entreprise de taille moyenne. Il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce que les employés de cette catégorie reviennent travailler la nuit, et supervisent l'assemblage, l'emballage et l'étiquetage des produits, toutes des tâches inférieures, jusqu'à 1 h. Le ministre a accepté la réponse de David et Daniel Putter voulant que leurs salaires soient inférieurs aux normes de l'industrie (paragraphe 6(r)).

[16] Il est clair que le ministre n'a pas tenu compte de plusieurs facteurs pertinents, notamment du fait que les frères avaient signé des garanties personnelles et effectué de nombreuses heures de travail sans être rémunérés adéquatement. En d'autres occasions, les hypothèses du ministre sont conformes à la preuve, comme lorsqu'il avance que la rémunération versée aux Putter était inférieure aux normes de l'industrie, qu'ils auraient pu prendre des congés quand ils le voulaient, qu'ils auraient reçu leur salaire même s'ils n'avaient pas été capables de travailler pendant de longues périodes, et ce, parce qu'ils étaient des membres de la famille. Certaines hypothèses ont été utilisées de façon illogique. De nombreuses hypothèses étayent l'opinion selon laquelle il n'existait pas une relation de travail normale entre David Putter, Daniel Putter et Equinox, et que les frères avaient carte blanche sous de nombreux rapports. Tel qu'énoncé au paragraphe 6(s), le ministre s'est, dans chaque cas, fondé sur l'hypothèse que les salaires de Daniel Putter et de David Putter avaient été établis en vue de couvrir leurs dépenses personnelles de base et que le reste de leur rémunération dépendait des profits réalisés par la compagnie. En supposant pour un instant que c'était le cas, comment ce fait représenterait-il une indication qu'il n'y avait pas de lien de dépendance avec l'employeur? Il est évident qu'en prenant la décision, on n'a pas tenu compte de l'interdépendance économique entre les frères et la compagnie, une compagnie, imbue de traditions, qui était une extension de la famille. D'une année à l'autre, les salaires étaient versés suivant ce que les comptables avaient recommandé, et ils avaient chacun retiré de l'argent par l'entremise d'une autre compagnie. Quel directeur général est, en tant qu'employé, payé, en totalité ou en partie, par l'entremise de sa propre entité constituée en compagnie? Les directeurs généraux et les présidents de compagnies doivent généralement rendre compte régulièrement d'abord au conseil d'administration puis aux actionnaires, et n'ont pas le droit d'augmenter ou de réduire les salaires, en s'abstenant simplement de signer des chèques pendant une certaine période ou en prenant plus d'argent, quand le besoin se faisait sentir, sans consulter personne. Dans les présents appels, pour les Putter, la compagnie, considérée du point de vue de son rôle comme agent payeur, était à peine plus qu'un compte familial d'où ils pouvaient, de temps en temps, et lorsque la situation financière de la compagnie était meilleure, effectuer des retraits, pourvu qu'il y ait suffisamment de fonds dans le compte. D'après la preuve, il n'y a aucune raison de supposer que le ministre a agi de mauvaise foi ou s'est appuyé sur un objectif ou un motif inapproprié pour prendre sa décision. Toutefois, puisque, d'une part, il n'a pas tenu compte de circonstances très pertinentes et que, d'autre part, il a tenu compte de certains facteurs non pertinents, inexacts ou ambigus, je conclus que je dois nécessairement intervenir pour le motif que la décision ne peut être objectivement maintenue en droit.

[17] Si je reviens à la décision du juge Porter dans l'arrêt Crawford, précité, je constate que le résumé des faits en ce qui a trait à la décision à prendre en vertu de l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi est pertinent aux appels en l'instance. Le juge Porter dit à la page 36 :

[88] Je ne compte pas examiner l'ensemble de la preuve une nouvelle fois. Elle a déjà été amplement discutée. Il ressort clairement de celle-ci qu'il y avait une interdépendance économique totale entre les deux frères Sharp et Leslie Anderson, d'une part, et la société, d'autre part. Leurs intérêts économiques étaient totalement entremêlés qu'il s'agisse des prêts à la société, des primes versées par cette dernière et des garanties signées par les employés. Cette situation correspond en tous points à celle que le ministre invoque habituellement dans des appels du genre pour refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de la disposition législative en cause afin de permettre à des personnes liées de bénéficier du régime. Je n'irais pas jusqu'à dire que ces employés exploitaient la compagnie comme leur alter ego, comme si c'était entièrement leur propre entreprise, mais c'était presque ce qu'ils faisaient. À eux trois, les employés étaient manifestement l'âme dirigeante de la société. J'ai cru constater que Leslie Anderson était en quelque sorte pour les deux frères une figure paternelle de bon conseil, que le père avait lui-même embauché il y a de nombreuses années pour les aider à exploiter l'entreprise dont il leur cédait les rênes. Aucune de leurs conditions d'emploi ne correspondait au genre d'arrangement auquel on s'attendrait entre des employés et des employeurs n'ayant pas de lien de dépendance.

[89] Leslie Anderson a dit qu'ils étaient les “ propriétaires ” et il a parlé de ses “ associés ”. Je n'ai aucun doute que c'est ainsi qu'ils exploitaient la société, comme leur propre entreprise personnelle. Cela ne revient pas à dire que toute conclusion selon laquelle ils traitaient entre eux sans lien de dépendance se trouve écartée, mais manifestement, en l'espèce, on ne retrouve pas dans leurs arrangements cet esprit d'intérêts économiques contraires. Je ne peux m'empêcher de penser que si le ministre considérait la situation sous l'angle opposé, par exemple, si l'un des trois travailleurs essayait d'obtenir des prestations d'assurance-emploi, ce dernier serait rapidement exclu du régime. Les appels dont cette cour a été saisie abondent de situations moins claires que celle-ci, où des prestations ont été refusées pour le motif que les parties avaient entre elles un lien de dépendance.

[90] C'est sans hésitation aucune que je conclus en l'espèce que ces trois employés avaient un lien de dépendance avec la société appelante. Des employés traitant avec leurs employeurs sans lien de dépendance, même s'ils font partie de la direction, ne fixeraient pas le montant de leurs primes de manière à satisfaire aux besoins fiscaux de la société, ne signeraient pas des garanties de plusieurs millions de dollars, ne consentiraient pas à l'employeur des prêts de plusieurs dizaines de milliers de dollars, ne seraient pas parachutés dans des postes de gestion quand ils n'ont aucune expérience en la matière, ne seraient pas conduits par d'autres employés après la suspension de leur permis de conduire, n'auraient pas accès non seulement aux registres financiers de la société mais aussi, sans restriction aucune, au compte de banque de celle-ci, et n'auraient pas autant de latitude pour exécuter leurs fonctions.

[91] Enfin, il me semble, de façon générale, que le régime établi par le législateur exclut très clairement des emplois assurables les situations où des personnes sont en affaires pour elles-mêmes ou exercent un contrôle important sur la société pour laquelle elles travaillent, soit avec des personnes avec lesquelles elles sont liées ou avec lesquelles elles ont un lien de dépendance. Dans les situations où la relation de travail est à peu près semblable à celle qui existe entre des personnes non liées traitant entre elles sans lien de dépendance, le législateur a manifestement atténué la sévérité des dispositions visant à priver ces personnes de la possibilité de se prévaloir du régime en accordant au ministre le pouvoir discrétionnaire de les y admettre. Il semble manifeste que le processus n'a pas été conçu par le législateur dans le but d'englober dans le filet du régime d'assurance-emploi les arrangements de travail où les personnes exploitent à toutes fins utiles leurs entreprises constituées en société comme leur propre entreprise; où elles font à ce point corps avec leurs sociétés sur le plan économique qu'il n'y a en réalité aucun intérêt économique contraire entre eux; où, essentiellement, elles sont des entrepreneurs, plutôt que des travailleurs exerçant un emploi.

[92] Bien qu'il y ait manifestement de nombreux cotisants au régime qui pourraient ne jamais s'attendre à en bénéficier, ce qui n'est pas pertinent en l'espèce, il est clair que le régime est conçu pour les vrais employés qui le soutiennent par leurs cotisations et non pour ceux qui prennent en quelque sorte le risque de se lancer en affaires. Ceux qui agissent ainsi le font à leurs risques et sont censés, selon le législateur, subvenir à leurs propres besoins en cas de crise. Le régime a très clairement été mis sur pied pour assurer la protection des personnes qui occupent des emplois réguliers et non pas celle des personnes qui sont en affaires pour elles-mêmes. Il est manifeste, dans les appels en l'instance, que les trois travailleurs en cause étaient en affaires pour eux-mêmes.

Conclusion

[93] À mon avis, il n'existait pas entre chacun des travailleurs en cause dans ces appels et la société appelante le degré d'intérêt économique contraire qui permettrait d'affirmer qu'il s'agissait d'intérêts distincts. Sans contredit, leurs intérêts économiques étaient liés si étroitement à ceux de la société qu'on ne pouvait dire de cette dernière qu'elle agissait de manière indépendante. Il n'y avait pas dans ces arrangements le genre de négociation véritable qu'il y aurait entre des personnes, des étrangers sur le marché et dont j'ai parlé précédemment. Il n'y avait pas le genre d'indépendance d'esprit ou d'indépendance quant aux objectifs entre la société et les trois particuliers qui permettrait d'affirmer qu'ils traitaient entre eux sans lien de dépendance. En conséquence, je conclus qu'aucun d'eux n'exerçait un emploi assurable.

[18] Je n'ai pas l'intention de reprendre tous les éléments de preuve dans les appels en l'instance parce que je les ai examinés durant le processus au terme duquel j'ai décidé d'intervenir. Il est raisonnable de conclure que, David et Daniel Putter, après avoir travaillé respectivement 21 ans et 15 ans pour la compagnie, n'étaient pas employés... en vertu de circonstances-...notamment leur rétribution, (inférieure aux normes de l'industrie), la quantité de travail effectué, le manque de vacances, la capacité à contrôler leur rémunération, l'absence de toute obligation de se plier à la volonté des actionnaires majoritaires, le risque qu'ils ont couru pendant de nombreuses années en se rendant personnellement responsables des dettes de la compagnie... et ont clairement établi qu'ils n'auraient pas conclu un contrat de travail semblable avec Equinox s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance avec la compagnie. Il m'apparaît que le ministre peut difficilement déterminer, d'une manière objective, s'il est raisonnable de conclure que les parties auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable, à moins d'avoir devant lui une preuve sur les salaires ou les conditions de travail comparables au sein de la même industrie ou d'une industrie connexe. Il est certainement possible d'utiliser un critère à partir duquel est évalué un emploi en particulier, parce que, autrement, il serait loisible aux parties de prétendre que, en dépit du fait qu'elles n'ont pas suivi les pratiques normales des entreprises dans un marché semblable, elles ont tout de même conclu le contrat d'emploi sur une base purement subjective. C'est, sans aucun doute, la manière dont les choses se passent, dans la situation inverse, quand la demande de prestation est rejetée pour le motif que les modalités de l'emploi du prestataire auprès d'un employeur lié, une fois que tous les faits ont été examinés, ne correspondent pas aux modalités qui s'appliquent normalement, ou que l'on s'attendrait voir s'appliquer dans le cas d'employés non liés ayant conclu un contrat de travail à peu près semblable.

[19] En 1935, le Parlement a adopté la Loi sur le placement et les assurances sociales, et a établi le premier régime national d'assurance-chômage. En 1940, la Loi sur l'assurance-chômage a été adoptée. Le 30 juin 1996, la Loi sur l'assurance-emploi, appellation qui peut paraître curieuse, a été proclamée en vigueur. Les dispositions les plus notables de la nouvelle loi modifiaient les normes d'admissibilité, fondées dorénavant sur les heures travaillées plutôt que les semaines travaillées, et reserraient les critères d'admissibilité. Malgré ces modifications, la loi visait toujours à venir en aide aux travailleurs en chômage. Je doute que la loi ait, d'une manière ou d'une autre, comporté un nouveau mandat autorisant le ministre à prendre des décisions par l'entremise des ses fonctionnaires ou à établir des cotisations à l'égard d'entreprises familiales qui sont administrées dans des circonstances semblables à celles dans les appels en l'instance, à moins qu'il n'existe une politique, distincte de la loi, dont l'objectif est de garnir les coffres du fisc.

[20] J'accueille chaque appel, modifie la décision dans chaque cas et conclus que :

-                       David Putter était employé en vertu d'un contrat de louage de services conclu avec Equinox pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1997, mais qu'il n'occupait pas un emploi assurable parce qu'il existait un lien de dépendance entre lui et la compagnie et, qu'en conséquence, il occupait un emploi exclu au sens de la Loi sur l'assurance-emploi.

- Daniel Putter était employé en vertu d'un contrat de louage de services conclu avec Equinox pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1997, mais qu'il n'occupait pas un emploi assurable parce qu'il existait un lien de dépendance entre lui et la compagnie et, qu'en conséquence, il occupait un emploi exclu au sens de la Loi sur l'assurance-emploi.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 15e jour de février 2000.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de septembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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