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Date: 19990921

Dossier: 96-1829-IT-G

ENTRE :

CENTRE PARKING INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1987, 1990, 1991 et 1992. Dans les cotisations établies à l'égard de l'appelante pour les années 1990, 1991 et 1992, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé les réserves déduites pour créances douteuses, les déductions pour mauvaises créances et les pertes déduites en tant que pertes autres que des pertes en capital sur des avances faites à des sociétés liées; en conséquence, il a refusé le report sur 1987 de ces pertes autres que des pertes en capital. Les montants en cause figurent au paragraphe 11 de l'exposé conjoint partiel des faits, reproduit ci-après :

[TRADUCTION]

Centre Parking Inc. (l' « appelante » ) a été constituée en 1978.

L'appelante a été prorogée le 5 décembre 1991, sans restriction quant à l'entreprise qu'elle pouvait exploiter. Alfred Dignard est le dirigeant et l'administrateur de l'appelante. De 1987 à 1992 inclusivement (la « période en question » ), les actionnaires de l'appelante étaient les personnes suivantes :

Alfred Dignard 54 actions ordinaires

Claire Dignard 20 actions ordinaires

Guy Dignard 14 actions ordinaires

André Dignard 14 actions ordinaires

(Claire est l'épouse de Alfred Dignard et Guy et André sont les fils de ce dernier.)

Beeandee Holdings Limited a été constituée en 1970. Au cours de la période en question, les actionnaires de Beeandee étaient les personnes suivantes :

Alfred Dignard 51 actions ordinaires

Bernard Dignard 49 actions ordinaires

Au cours de la période en question, les administrateurs et dirigeants de Beeandee étaient les personnes suivantes :

Alfred Dignard

Bernard Dignard

(Bernard est le frère d'Alfred Dignard)

Place d'Embrun Place Inc. a été constituée en décembre 1986. Au cours de la période en question, les actionnaires étaient les personnes suivantes :

Alfred Dignard 45 actions ordinaires

Bernard Dignard 45 actions ordinaires

Bernard Dignard en fiducie 1 action ordinaire

Beeandee Holdings Limited 50 actions ordinaires

Centre Parking Inc. 10 actions ordinaires

Claire Dignard 3 actions ordinaires

Autres actionnaires non liés 40 actions ordinaires

Les administrateurs et dirigeants étaient les personnes suivantes :

Alfred Dignard

Bernard Dignard

709276 Ontario Ltd. a été constituée en 1987. Au cours de la période en question, les actionnaires étaient les personnes suivantes :

Barry Arnold Sullivan 50 actions ordinaires

Centre Parking Inc. 50 actions ordinaires

Les administrateurs et dirigeants étaient les personnes suivantes :

Alfred Dignard

Barry Sullivan

Les dépenses suivantes de l'appelante se rapportaient aux engagements salariaux de Place d'Embrun Place Inc. et de 709276 Ontario Inc. de 1988 à 1990 :

Place d'Embrun Place Inc. 96 625 $

709276 Ontario Inc. 51 452 $

L'appelante a avancé 85 733 $ à Beeandee Holdings Ltd. en 1989 et en 1990. Elle a également remboursé l'emprunt de 116 410 $ de Beeandee Holdings Ltd. à la CIBC. Elle a pu récupérer auprès de Beeandee Holdings Ltd. le montant de 41 400 $.

Le 21 mars 1991, la CIBC a retiré le montant de 116 410,34 $ du compte de l'appelante pour payer une partie de la dette de Beeandee Holdings Ltd. dont l'appelante avait garanti le remboursement.

Le 13 juin 1991, la CIBC a retiré le montant de 325 000 $ du compte de l'appelante pour payer une partie de la dette de Place d'Embrun Place Inc. dont l'appelante avait garanti le remboursement.

Le 16 décembre 1992, l'appelante a versé à la Sun Life Trust Company le montant de 100 000 $ au titre de l'emprunt hypothécaire de Place d'Embrun Place Inc. L'appelante avait garanti le remboursement de l'emprunt hypothécaire en question.

Compagnie Année de Objet de    Montant

l'avance l'avance

Place d'Embrun Place Inc. 1988 Engagements 71 797 $

salariaux et frais

d'exploitation

janv. 1988 Beeandee 40 000 $

(coûts de la

construction)

mai 1989 Beeandee 75 000 $

(coûts de la

construction)

1989 Intérêt 33 200 $

Engagements 112 344 $

salariaux et prêt

de Kiminco

Engagements 10 823 $

salariaux et prêt

de Kiminco

juin 1991 Garantie à 325 000 $

CIBC

déc. 1992 Garantie à 100 000 $

Sun Life

Garanties 44 785 $

de loyers

Beeandee Holdings Ltd. 1989 Engagements 48 828 $

salariaux, etc.

1990 Engagements 36 905 $

salariaux, etc.

juin 1991 Prêt de CIBC 116 410 $

1991 Moins (41 400 $)

hypothèques

de 2e rang

709276 Ontario Ltd. 1988 Avances 40 000 $

Engagements 28 327 $

salariaux

1989 Erreur dépôt 4 146 $

Engagements 23 126 $

salariaux

1989 Frais 8 200 $

d'intérêt

1990 Améliorations 47 490 $

locatives

1990 Paiement reçu (6 408 $)

Les montants suivants sont en litige :

Montants en litigeMontant déduit Décision du

ministre

Beeandee Holdings Ltd.

1990 81 852 $ réserve pour refusée

créance douteuse

1991 78 891 $ prêt radié refusé

Place d'Embrun Place Inc.

1990 44 785 $ Garanties de loyer perte en

prêt radié capital

1990 338 148 $ réserve pour perte en capital de

créance douteuse 304 948 $ et

mauvaise créance de

33 200 $

1991 5 016 $ avances perte en capital

prêt radié

325 000 $ emprunt payé

à la CIBC perte en capital

prêt radié

1992 100 000 $ garantie payée

à Sun Life perte en capital

prêt radié

709276 Ontario Ltd.

1991 100 000 $ réserve pour refusée

créance douteuse

1992 44 880 $ prêt radié PDTPE de 108 660 $

(144 800 $ x 75 %)

et mauvaise créance

de 8 200 $

Faits

[2] Au cours des années en question, l'appelante, qui est contrôlée par M. Alfred Dignard, exploitait une entreprise dans le cadre de laquelle elle offrait à des propriétaires de terrains vagues ou d'immeubles commerciaux des services de gestion, à contrat, de leurs terrains de stationnement. L'appelante concluait avec les propriétaires une entente aux termes de laquelle elle payait un loyer pour utiliser les terrains de stationnement en question. Elle percevait des frais auprès des utilisateurs des stationnements (selon un taux quotidien ou un taux mensuel, dans lequel cas elle touchait le paiement le premier jour du mois) et payait le loyer au propriétaire concerné le l5 du mois suivant. La somme qui restait après déduction du loyer des frais de stationnement perçus représentait le profit brut de l'appelant. Outre ce profit, l'appelante avait accès aux rentrées de fonds qui provenaient des frais perçus au cours du mois et qu'elle détenait jusqu'au paiement du loyer. M. Clifford T. Lebarron, qui, en 1983, était directeur du développement commercial à la Banque Canadienne Impériale de Commerce ( « CIBC » ) et qui traitait avec l'appelante, a estimé que les fonds disponibles à court terme s'élevaient chaque mois à un montant de 250 000 $ à 300 000 $ environ. Il a déclaré qu'il avait présenté à Alfred Dignard une proposition de gestion des fonds qui consistait à investir ceux-ci en vue d'obtenir un meilleur rendement. M. Lebarron a quitté la CIBC en 1985.

[3] Alfred Dignard contrôlait également une autre compagnie, Beeandee Holdings Limited ( « Beeandee » ). Cette compagnie faisait l'achat et la vente de biens immobiliers (y compris des immeubles d'habitation) depuis sa création en 1970. En 1980, Alfred Dignard a transféré 49 pour cent de Beeandee à son frère Bernard. La compagnie faisait alors la construction d'égouts et de conduites d'eau. En 1984, ils envisageaient d'entreprendre, dans la ville d'Embrun (Ontario), un projet de construction de 40 résidences, par Beeandee. Toutes les maisons avaient été vendues et assurées préalablement par la Société canadienne d'hypothèques et de logement, et tout le financement provisoire avait été obtenu auprès du Trust National lorsque, pour une raison quelconque, le Trust National a retiré sa proposition. Alfred Dignard a alors contacté M. Lebarron, et la CIBC a consenti à fournir à Beeandee un financement provisoire de 2 millions de dollars. D'après M. Lebarron, il s'agissait du premier projet de MM. Alfred et Bernard Dignard; la banque a donc exigé que tant l'appelante que les Dignard fournissent des garanties additionnelles à titre personnel et au nom de la société. Pour la banque, les surplus dont l'appelante disposait du fait de ses activités de gestion de terrains de stationnement réduisaient les risques liés au projet. Ils s'attendaient à ce que le montant du financement provisoire soit remboursé dans un délai de 90 à 120 jours.

[4] Au bout du compte, le financement provisoire n'a pas été utilisé complètement car il avait été entendu que l'appelante ferait des avances à court terme à même ses rentrées de fonds excédentaires. Le projet a été couronné de succès. Les travaux de construction ont respecté l'échéancier et le prêt de la CIBC a été remboursé au complet à même la totalité des avances sur prêts hypothécaires.

[5] D'après Guy Jodoin, le comptable de l'appelante et de Beeandee, l'appelante a prêté approximativement 500 000 $ à Beeandee aux fins de ce projet. Elle a reçu 24 000 $ en intérêt sur ce prêt sur une période de huit mois, ce dont elle a fait état dans ses états financiers. Au début du projet, l'appelante avait également acheté en pré-vente trois maisons en rangée, qu'elle avait payées 70 000 $ chacune. Cette transaction faisait partie du plan de financement car, plus il y avait de maisons vendues d'avance, plus il était facile d'obtenir du financement hypothécaire. Selon les estimations d'Alfred Dignard, l'appelante pourrait vendre ces maisons 90 000 $ chacune.

[6] Alfred Dignard était également propriétaire d'une parcelle de terrain de 25 acres sur laquelle il avait décidé de construire un centre commercial. L'appelante et Beeandee n'avaient aucune expérience dans la mise en valeur de biens commerciaux. À la suggestion de M. Jodoin, Place d'Embrun Place Inc. ( « Place d'Embrun » ) a été constituée en société aux fins de la mise en valeur projetée et le terrain lui a été transféré. Alfred Dignard souhaitait contrôler la nouvelle société. L'appelante a grevé d'une hypothèque deux de ses trois maisons en rangée situées à Embrun et a utilisé les fonds ainsi obtenus pour acheter dix actions de Place d'Embrun, qu'elle a payées 100 000 $. Une proposition de placement privé a été rédigée par M. Jodoin en décembre 1986 afin de réunir un montant supplémentaire de 400 000 $ au moyen de la vente d'actions de Place d'Embrun. Alfred Dignard avait calculé que, pour lancer le projet de Place d'Embrun, il fallait un investissement de capitaux de 500 000 $.

[7] La proposition de placement privé prévoyait que Place d'Embrun allait construire le centre commercial de concert avec Beeandee, qui aurait le contrôle de la propriété et qui en assurerait la gestion. Le nom de l'appelante ne figurait nulle part dans cette proposition puisque Alfred Dignard ne voulait pas que les clients de l'entreprise de gestion de terrains de stationnement de l'appelante soient au courant de sa participation financière dans le projet en question. En effet, ces clients auraient pu craindre de perdre le revenu de location que l'appelante percevait pour leur compte si le projet éprouvait des difficultés.

[8] Suivant le plan initial, Beeandee devait construire le centre commercial (Place d'Embrun) pour 4,6 millions de dollars. On avait projeté des revenus de location de 800 000 $ par année les six années suivantes (1987-1992) afin que le projet semble le plus profitable possible. M. Jodoin a déclaré que, au moyen de cette proposition, lui et Alfred Dignard voulaient montrer aux investisseurs susceptibles d'être intéressés à faire un investissement à long terme qu'ils obtiendraient un bon rendement. En fait, l'objectif à long terme de la compagnie (Place d'Embrun), selon la proposition, était de [TRADUCTION] « gérer efficacement le centre commercial afin que les actionnaires à long terme du projet réalisent un profit » (pièce A-1, onglet 26). Cependant, le contrat de rachat des actions subséquemment rédigé par les avocats prévoyait que les investisseurs pouvaient, après deux ans, se prévaloir d'une option de rachat de leurs actions par la compagnie dans un délai de six mois (pièce A-1, onglet 43).

[9] Alfred Dignard a demandé l'aide de Keith Doyle, du Trust National, pour trouver des investisseurs. M. Dignard a promis de verser à M. Doyle une commission de 1 000 $ pour chaque action vendue personnellement et 250 $ pour toute action vendue. M. Dignard aurait dit à M. Doyle qu'il le paierait à la vente du centre commercial, qui, espérait-il, serait conclue dans les deux années suivant la fin des travaux de construction. L'argent a été réuni rapidement et 194 actions de 10 000 $ chacune ont été émises à différents actionnaires (y compris l'appelante, Beeandee et Alfred et Bernard Dignard). Alfred Dignard et sa famille ont gardé le contrôle de Place d'Embrun. M. Jodoin a expliqué que, en émettant les actions de Place d'Embrun, ils avaient fait en sorte que M. Dignard et le groupe de sociétés que lui et sa famille contrôlaient puissent vendre le centre commercial, si c'est ce qu'ils souhaitaient, simplement en faisant adopter une résolution par Beeandee, l'appelante et Place d'Embrun.

[10] Alfred Dignard a témoigné qu'il avait subséquemment fait affaires avec un autre prêteur (Morguard Investments Ltd.) qui avait promis, sur la foi des déclarations de Alfred Dignard selon lesquelles il avait trouvé deux locataires d'importance (la pharmacie Jean Coutu et la chaîne de restauration rapide Burger King), de financer la construction du centre commercial pour 2 500 000 $. Cependant, lorsqu'est venu le temps de toucher cet argent, les travaux de construction avaient été achevés dans une proportion de 10 p. 100; le prêteur n'a fait aucune avance car M. Dignard ne s'était pas acquitté de ses obligations, les deux locataires d'importance n'ayant jamais signé de bail.

[11] Alfred Dignard a alors contacté M. Doyle, qui était maintenant courtier en hypothèques chez Coulter Financial Corporation ( « Coulter » ). Coulter a offert de financer la construction initiale à certaines conditions. Elle acceptait d'avancer le montant de 600 000 $ immédiatement si M. Dignard acceptait de signer un billet à ordre de 50 000 $ représentant la commission d'intermédiaire de Coulter. Je crois comprendre, d'après le témoignage de Alfred Dignard, que ce dernier a payé 35 000 $ sur ce billet à ordre. En octobre 1988, un rapport d'évaluation a été envoyé à Coulter par le cabinet Pigeon Roy. Selon le rapport, la valeur marchande estimative du centre commercial, une fois les travaux de construction terminés et tous les locataires installés était de 10 500 000 $. Forte de ce rapport, Coulter a accepté d'injecter 2,8 millions de dollars à la signature par Place d'Embrun d'un contrat de gestion avec le gérant même de Coulter, Claude Lévesque. Le 3 mars 1989, Coulter a finalement envoyé à Place d'Embrun, à l'attention de Bernard Dignard, président, une lettre dans laquelle elle proposait des modalités de financement de l'ensemble du projet. Dans cette proposition, Coulter avait inclus une disposition selon laquelle, si la propriété était vendue par son intermédiaire, elle aurait droit à des honoraires immobiliers de 5 pour cent, dont la moitié devait représenter une commission d'intermédiaire. M. Doyle a expliqué que Alfred Dignard souhaitait obtenir du financement à court terme et qu'il estimait que la propriété serait vendue dans les deux ans suivant la fin des travaux de construction. Coulter aurait alors reçu sa commission; pour sa part, M. Doyle s'attendait à recevoir 20 pour cent des honoraires totaux payés à Coulter. M. Doyle n'a en fait jamais été payé et il ignore si Coulter a en bout de ligne avancé l'argent. Alfred Dignard a déclaré que l'argent n'avait pas été avancé par Coulter. Il a dit que M. Lévesque ne s'était pas occupé exclusivement du projet de Place d'Embrun, qui n'avait donc pas été bien géré, ce qui avait peut-être entraîné le retrait de Coulter.

[12] Toutefois, Coulter a mis Alfred Dignard en contact avec une autre compagnie hypothécaire (Counsel Trust), qui a accepté de prêter de l'argent à Place d'Embrun pour que la première phase du centre commercial soit complétée. Counsel Trust a exigé que le centre commercial ait un gestionnaire professionnel. Claude Lévesque a par conséquent été engagé par l'appelante pour gérer le centre commercial Place d'Embrun exclusivement. Counsel Trust s'est également réservée le droit de financer la deuxième phase, qui présupposait l'achat d'un terrain contigu et la signature de deux locataires clés. Alfred Dignard a témoigné que, à cette époque, il prévoyait payer le coût total du centre commercial grâce à Counsel Trust. Cependant, les deux locataires clés éventuels, les grands magasins Greenberg et la chaîne d'épicerie Steinberg, ont commencé à éprouver des difficultés internes et ont ralenti les négociations avec Place d'Embrun. M. Dignard a déclaré également que Coulter avait alors fait faillite et que, à partir de ce moment-là, Place d'Embrun avait éprouvé des difficultés financières graves car elle avait perdu tout lien avec son bailleur de fonds.

[13] Alfred Dignard a déclaré que, à ce moment-là, il avait essayé de vendre la première phase du centre commercial (Place d'Embrun). S'il a reçu un bon nombre d'offres, aucune d'entre elles ne s'est concrétisée puisqu'elles étaient pour la plupart conditionnelles à l'achèvement du centre commercial. M. Dignard a déclaré qu'il devait trouver un partenaire prêt à investir des capitaux pour permettre l'achèvement du centre commercial.

[14] À la fin de 1989, Alfred Dignard a fait la connaissance de Dave Westfall, directeur du financement d'entreprises chez Douglas MacDonald Development Corporation ( « MacDonald Co. » ). Cette société était active dans le domaine de la construction domiciliaire, des centres commerciaux, des immeubles d'habitation et des immeubles de bureaux. La valeur de ses actifs nets était de 300 000 000 $. Lorsque MacDonald Co. a été contactée, la première phase du centre commercial était terminée et louée en grande partie. En fait, le centre commercial a ouvert ses portes en mai 1988. D'après M. Dignard, les rentrées de fonds du centre commercial s'élevaient à environ 30 000 $ par mois à l'époque. M. Westfall a témoigné que la société s'intéressait à Place d'Embrun parce que la propriété avait un terrain non utilisé et que des négociations étaient en cours avec Steinberg et Greenberg pour qu'elles deviennent les deux locataires clés de la deuxième phase, qui comptait 50 000 pieds carrés additionnels de locaux pour bureaux et pour commerces de vente au détail. Le 9 novembre 1989, un protocole d'entente a été signé entre MacDonald Co. et Place d'Embrun. MacDonald Co. s'engageait à avancer à Place d'Embrun un montant de 1 200 000 $, dont le remboursement devait être garanti par une hypothèque de deuxième rang sur le terrain en cause. Aux termes de ce protocole, MacDonald Co. devait obtenir également une participation directe de 50 pour cent dans le centre commercial. Le 22 mai 1990, Douglas MacDonald ( « M. MacDonald » ) a prêté en son nom personnel 1,5 million de dollars en contrepartie d'une débenture de cinq ans sur les actifs de Place d'Embrun. Cela a été fait lorsque M. MacDonald a finalement accepté de s'associer personnellement à Place d'Embrun.

[15] D'après M. Westfall, en prenant part à cette opération, M. MacDonald voulait sans contredit mettre la propriété en valeur en vue de la vendre. M. MacDonald ne voyait pas la propriété comme un investissement à long terme parce qu'elle était située en milieu francophone et qu'il n'était pas en mesure de s'en accommoder. Son intérêt résidait dans l'achat-revente. M. MacDonald était l'actionnaire majoritaire de MacDonald Co.; dès le début, il avait été entendu qu'il participerait à cette opération à titre personnel.

[16] M. MacDonald et Place d'Embrun ont finalement conclu un contrat de colocation (pièce A-1, onglet 18) au mois de juin 1990. Conformément aux dispositions de ce contrat, M. MacDonald devait détenir une participation de 50 pour cent dans le centre commercial et Place d'Embrun devait détenir l'autre moitié pour le compte de tous les autres actionnaires. M. MacDonald ne voulait faire affaires qu'avec Alfred Dignard et l'appelante puisque ce sont eux qui fournissaient les liquidités pour le projet. À cette époque-là, M. MacDonald avait déjà avancé 950 000 $ provenant de son compte bancaire personnel. Il était censé fournir pratiquement tout le financement additionnel nécessaire pour le projet, estimé à 4 000 000 $. La valeur personnelle nette de M. MacDonald était alors approximativement de 80 000 000 $ et son implication personnelle devait faciliter l'obtention d'un soutien financier permanent.

[17] Le contrat de colocation prévoyait que le centre commercial pourrait être vendu avant ou après l'avance de fonds faite aux termes du mécanisme de financement permanent. Différents scénarios, établis selon le coût total du projet, étaient envisagés pour la distribution du produit de disposition en cas de vente. Essentiellement, les dettes de Place d'Embrun figurant dans l'annexe jointe au contrat de copropriété (annexe G.1) devaient être remboursées en premier. Les profits devaient ensuite être répartis de façon que M. MacDonald puisse récupérer son investissement en premier, et tout profit en sus devait être partagée également entre M. MacDonald et Place d'Embrun.

[18] Dans l'annexe G.1, où étaient énumérées toutes les dettes de Place d'Embrun, le nom de l'appelante ne figurait pas en tant que créancier pour toutes les avances qu'elle avait faites à Place d'Embrun. M. Westfall a expliqué que le financement de la construction n'avait pas permis de réunir assez d'argent pour rembourser les avances de l'appelante et que M. MacDonald ne voulait investir aucun montant d'argent pour rembourser ces avances. Il était prêt à financer la deuxième phase, mais pas à rembourser l'appelante de sa poche. Cependant, d'après M. Westfall, l'appelante aurait pu s'attendre à être remboursée dans un délai de deux ans à même les profits réalisés lors de la vente; étant donné l'évaluation de 10,5 millions de dollars du centre commercial, les profits étaient estimés à 1 000 000 $.

[19] La vente n'a jamais été réalisée. Entre le mois de mai et le mois d'août 1990, après que M. MacDonald eût déjà consacré 950 000 $ au projet en cause, Steinberg a décidé de suspendre tous ses nouveaux projets immobiliers et Greenberg a fait faillite la même année. M. MacDonald a lui aussi fait faillite. Sun Life Trust Company, qui avait repris les commandes de Counsel Trust, a saisi la propriété en réalisation de sa garantie hypothécaire, a pris possession du centre commercial et a libéré l'appelante de son obligation à l'égard du centre commercial en 1991.

[20] D'après Alfred Dignard, qui n'avait aucune expérience dans ce domaine en particulier, le centre commercial a éprouvé des difficultés du début à la fin. Au départ, il ne voulait pas investir l'argent de l'appelante dans le projet parce qu'il ne disposait du revenu tiré de la gestion du terrain de stationnement que pendant 45 jours. Son plan initial consistait à réunir 500 000 $ en émettant des actions. Les travaux de construction du centre commercial ont commencé au printemps de 1987 et, au mois de décembre 1987, Place d'Embrun éprouvait des difficultés financières. C'est la raison pour laquelle l'appelante a dû avancer de l'argent tout au long de cette période, afin que les travaux de construction du centre commercial soient achevés et que celui-ci ouvre ses portes. À ce moment-là, l'appelante n'a réclamé aucun intérêt sur ces avances car Alfred Dignard savait que le projet n'était pas encore viable. Il a indiqué qu'il avait l'intention de réclamer de l'intérêt rétroactivement lorsque les travaux de construction seraient achevés.

[21] Alfred Dignard a utilisé l'argent des clients de l'appelante comme moyen de négociation pour obtenir un prêt de la banque aux fins du projet. C'est pourquoi l'appelante a dû signer également, en février 1987, une garantie visant les prêts que la CIBC avait consentis à Place d'Embrun; de fait, elle a dû payer des montants considérables sur cette garantie en 1991. Elle n'a reçu aucun paiement de Place d'Embrun pour signer la garantie. Elle a signé cette garantie avant de devenir actionnaire de Place d'Embrun en juillet 1987. Elle a également garanti le remboursement de prêts consentis par la CIBC à Beeandee sans recevoir quelque contrepartie que ce soit de Beeandee. En fait, en 1991, la CIBC a effectué des retraits du compte bancaire de l'appelante en remboursement du prêt consenti à Beeandee.

[22] L'appelante a également prêté de l'argent à 709276 Ontario Ltd. ( « Deli » ) dont elle était propriétaire à 50 pour cent, le propriétaire de l'autre moitié étant Barry Sullivan, un particulier. Deli était exploitée dans le centre commercial et M. Sullivan en assurait la gestion sous la supervision de Alfred Dignard. Le 1er janvier 1990, Deli avait signé un billet à ordre payable sur demande de 178 753 $, portant intérêt au taux de 16 pour cent par année, en faveur de l'appelante (84,5 pour cent) et de M. Sullivan (15,5 pour cent). Une hypothèque mobilière avait été consentie par Deli à titre de garantie additionnelle relativement au billet à ordre. Cependant, M. Dignard a témoigné qu'il n'avait pas contraint M. Sullivan à rembourser sa part du prêt parce qu'il espérait que l'appelante se fasse rembourser le montant en question par Steinberg, qui était censée acheter Deli. M. Jodoin a témoigné que M. Sullivan entendait demander de se faire rémunérer pour ses heures supplémentaires si M. Dignard ne laissait pas tomber sa réclamation sur le prêt; M. Dignard a finalement laissé tomber sa réclamation. En bout de ligne, on a réclamé 8 200 $ en intérêt à Deli.

[23] M. Jodoin a témoigné que l'appelante était chargée de la gestion du bureau en ce qui a trait au projet du centre commercial et que Alfred Dignard devait personnellement superviser les travaux de construction, le financement et la location. M. Jodoin devait mettre sur pied les comptes de paie de Place d'Embrun. Il a déclaré que l'appelante avait engagé les employés qui devaient effectuer l'entretien et assurer la sécurité du centre commercial et qu'elle avait ensuite facturé Place d'Embrun et Beeandee tous les mois pour le salaire de ces employés. L'appelante faisait la même chose avec les propriétaires des terrains de stationnement, si ce n'est qu'elle leur facturait des frais de gestion alors qu'elle n'en réclamait aucun à Place d'Embrun et à Beeandee. M. Jodoin a indiqué que Alfred Dignard lui avait demandé de réclamer de l'intérêt sur tous les montants impayés. M. Jodoin avait poussé M. Dignard à attendre que les travaux de construction du centre commercial soient terminés avant de récupérer rétroactivement de Place d'Embrun et de Beeandee les frais de gestion et l'intérêt ainsi que les avances faites. M. Dignard a toutefois insisté pour réclamer une partie des frais d'intérêt, et des factures totalisant 33 200 $ ont été établis en 1989.

[24] En contre-interrogatoire, la preuve a permis d'établir que Claude Lévesque, qui avait été nommé gérant du centre commercial, avait traité avec Place d'Embrun directement en ce qui concerne son emploi. Alfred Dignard a déclaré qu'il avait traité avec M. Lévesque par l'intermédiaire de Place d'Embrun parce qu'il ne voulait pas que le nom de l'appelante figure dans quelque document que ce soit concernant le centre commercial. Il a déclaré cependant que Place d'Embrun n'avait pas suffisamment d'argent pour payer M. Lévesque et que c'est pour cette raison que l'appelante avait dû payer ce dernier.

[25] D'après les déclarations de revenus de l'appelante préparées par M. Jodoin et signées par Alfred Dignard qui ont été produites en preuve, la seule activité commerciale de l'appelante était la gestion de terrains de stationnement. M. Jodoin a déclaré que ces déclarations n'étaient que des formulaires administratifs et que, à son avis, l'appelante prenait part à diverses autres activités, y compris celle de prêter de l'argent. De fait, l'appelante avait fourni un soutien financier provisoire et elle s'était occupée aussi de la gestion du centre commercial et de la supervision des travaux de construction par l'intermédiaire de M. Dignard. Cependant, dans les états financiers produits par l'appelante pour les années 1987 à 1992, plus de 90 pour cent du revenu brut de l'appelante provenait de la gestion de terrains de stationnement. L'intérêt ne représentait qu'une source de revenus très secondaire et, à part le montant de 33 200 $ réclamé à Place d'Embrun et les 8 200 $ réclamés à Deli (qui ont été subséquemment radiés pour mauvaises créances), tout le revenu d'intérêt provenait de dépôts bancaires. En 1992, aucun intérêt n'a été réclamé sur les avances faites parce que le centre commercial avait été repris par Sun Life. Rien n'indique que les services de gestion ou les services de paie ont produit un revenu.

[26] Les états financiers de l'appelante produits en preuve pour les années en cause montrent que les avances faites à Beeandee et à Place d'Embrun ne portaient pas intérêt et qu'aucun terme de remboursement n'avait été établi. D'après M. Jodoin, c'est parce que le soutien financier provisoire et les chèques d'urgence provisoires émis par l'appelante à Place d'Embrun et à Beeandee, et les comptes clients pour les services rendus, y compris les services de paie fournis par l'appelante à Place d'Embrun et à Beeandee, n'étaient consignés dans aucun document officiel (aucun billet à ordre ni aucun document hypothécaire n'ont été signés). M. Jodoin a déclaré que, lorsqu'aucun document officiel n'est signé relativement à de telles avances, la pratique comptable consiste à faire état d'avances ne portant pas intérêt dans les états financiers. Pour reprendre les termes de M. Jodoin :

[TRADUCTION]

la seule chose que vous avez à consigner dans les notes [des états financiers] sont les dettes de la compagnie, et vous devez informer le lecteur dans les termes suivants : « Soyez prudent lorsque vous lisez les présents états financiers, il existe des dettes que la compagnie sera peut-être un jour appelée à rembourser » . (page 70, vol. 1, transcription)

[27] M. Jodoin a déclaré que ces notes sont destinées aux lecteurs des états financiers, aux banquiers et aux prêteurs d'argent éventuels à la société contribuable.

[28] Dans les états financiers de 1987 de l'appelante qui ont été déposés avec sa déclaration de revenus en avril 1988, les avances figuraient sous la rubrique des éléments d'actif à court terme dans le bilan. M. Jodoin a indiqué qu'elles avaient été ainsi consignées parce qu'à cette époque le projet ne faisait que commencer. Ces avances auraient normalement dû être remboursées dans un délai de 30 à 60 jours. Dans les états financiers de 1988 de l'appelante, ces mêmes avances figuraient sous la rubrique des investissements à long terme dans le bilan parce qu'il était évident à cette époque-là qu'elles n'allaient pas être remboursées au cours de l'année en cours.

[29] Le profit réalisé sur les maisons en rangées vendues par l'appelante a été déclaré comme gain en capital dans la déclaration de revenus de l'appelante. M. Jodoin a déclaré que, à cette époque, l'appelante n'avait encore jamais fait le commerce de valeurs mobilières. Par la suite, l'appelante n'a investi que dans Place d'Embrun et elle n'a investi dans aucun autre projet puisqu'elle était pour ainsi dire en faillite.

Observations des parties

[30] L'avocat de l'appelante fait valoir que tous les montants en cause en l'espèce dont il est fait un résumé au paragraphe 11 de l'exposé conjoint partiel des faits sont des pertes courantes que l'appelante a subies au cours des années en cause et qu'elle devrait pouvoir déduire de son revenu à titre de dépenses.

[31] L'avocat de l'appelante a fait valoir deux arguments subsidiaires à l'appui de sa thèse. D'une part, soutient-il, l'appelante a pris part à un projet comportant un risque de caractère commercial, à savoir celui de construire et de vendre le centre commercial, et toutes les avances faites sont par conséquent déductibles de son revenu. D'autre part, l'appelante a avancé les fonds dans le cours normal des activités de son entreprise et les pertes subies sont par conséquent déductibles de son revenu.

[32] L'intimée soutient qu'aucune des pertes en cause n'est déductible car l'appelante n'a pas pris part à un projet comportant un risque de caractère commercial et elle n'a pas avancé les fonds ni garanti le remboursement des prêts dans le cours normal des activités de son entreprise.

Analyse

[33] L'argument de l'appelante repose sur les deux exceptions reconnues au principe général selon lequel les pertes de la nature de celles décrites précédemment sont des pertes en capital. De fait, dans la plus récente décision sur le sujet, Easton et al. v. The Queen et al., 97 DTC 5464, la Cour d'appel fédérale a déclaré ceci à la page 5468 :

En guise d'énoncé général, il est raisonnable de conclure qu'une avance faite par un actionnaire à une société ou une dépense faite par un actionnaire au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti dans l'intention de fournir un fonds de roulement à cette société. Dans le cas où le prêt n'est pas remboursé, la perte est réputée être une perte en capital pour l'une ou l'autre des deux raisons suivantes. Le contribuable a consenti le prêt soit pour en retirer un revenu continu, ce qui est typique d'un investissement, soit pour permettre à la société d'exploiter son entreprise de manière à procurer à l'actionnaire un avantage durable sous forme de dividendes ou grâce à une augmentation de la valeur des actions. Comme la loi présume que l'acquisition a été faite dans le but de faire un placement, il ne semble que trop raisonnable de supposer que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capital. Les mêmes considérations s'appliquent aux garanties données par les actionnaires à l'occasion de prêts consentis à des sociétés. Dans l'arrêt The Minister of National Revenue c. Steer, [1967] R.C.S. 34, il a été statué que la garantie donnée à une banque par un contribuable relativement à la dette d'une société en contrepartie d'actions de la société devait être traitée comme un prêt différé consenti à la société et que le paiement effectué pour régler cette dette devait être considéré comme une perte en capital. Cet arrêt n'appuie toutefois pas la proposition que chaque fois qu'une société omet de rembourser un actionnaire relativement à une avance, à une dépense ou à un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, la perte est nécessairement une perte en capital. Il existe simplement une présomption réfutable à cet égard. J'en viens maintenant aux circonstances dans lesquelles cette présomption peut être réfutée.

Il existe deux exceptions reconnues au principe général que des pertes semblables à celles dont il vient d'être question sont des pertes en capital. Premièrement, il se peut que le contribuable soit en mesure de démontrer que le prêt a été consenti dans le cours normal des activités de son entreprise. L'exemple classique est celui du contribuable/actionnaire qui est dans l'entreprise de prêt d'argent ou d'octroi de garanties. Cette exception s'applique toutefois aussi aux situations dans lesquelles l'avance ou la dépense a été faite dans un but productif de revenu lié à la propre entreprise du contribuable et non à celle de la société dont la contribuable est actionnaire. À titre d'exemple, dans l'affaire L. Berman & Co. Ltd. c. M.N.R., [1961] C.T.C. 237 (C. de l'É.), la société contribuable avait volontairement effectué des paiements aux fournisseurs de sa filiale afin de protéger sa clientèle. La filiale avait manqué à ses obligations et comme la contribuable avait traité avec les fournisseurs, elle désirait continuer de le faire plus tard. [La Cour suprême a cité et paru approuver la décision Berman dans l'arrêt Stewart & Morrison Ltd. c. M.R.N., [1974] R.C.S. 477, à la p. 479.]

La deuxième exception est exposée dans l'arrêt Freud. Lorsqu'un contribuable possède des actions dans une société non pas comme un placement mais comme un actif commercial, la perte résultant d'une dépense accessoire, y compris un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, sera imputable au compte de revenu. Cette exception s'applique aux personnes qui sont considérées comme des négociants en actions. Les personnes qui n'appartiennent pas à cette catégorie devront prouver qu'elles ont acquis les actions dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Selon moi, cette « circonstance exceptionnelle » ne constitue pas une solution pour les contribuables qui cherchent à déduire des pertes. Je dis cela parce qu'il existe une présomption réfutable voulant que les actions aient été acquises à titre d'immobilisations : voir l'arrêt Mandryk c. La Reine, 92 D.T.C. 6329 (C.A.F.), à la p. 6634.

[34] L'appelante soutient que ces deux exceptions s'appliquent à elle. En ce qui concerne la première exception, l'appelante est d'avis qu'elle a fait toutes les avances en question et effectués tous les paiements aux termes de garanties dans le cours normal des activités de son entreprise ou à des fins productives de revenu liées à son entreprise. L'avocat de l'appelante a fait valoir qu'il était courant pour sa cliente d'avancer des fonds en vue de tirer un revenu d'intérêt à court terme dans le cours normal des activités de son entreprise. D'après l'avocat, l'appelante avait dans le passé fourni du soutien financier provisoire. À titre d'exemple, l'appelante prêtait régulièrement à la banque de l'endroit les frais de stationnement perçus et en tirait des intérêts; elle avait fourni des avances en espèces, des garanties hypothécaires et des garanties sur prêt dans le domaine de la mise en valeur immobilière avant le projet de centre commercial et, en 1989, elle avait réclamé des intérêts à Place d'Embrun et à Deli et elle avait tiré un revenu d'intérêt des avances qu'elle avait faites à ces sociétés.

[35] L'avocat de l'intimée soutient que le prêt d'argent rapportant des intérêts ne s'inscrivait pas dans le cadre des activités commerciales normales de l'appelante. D'après l'avocat, tous les montants en litige se rapportaient à des avances et à des prêts constituant des paiements à titre de capital au sens de l'alinéa 18(1)b) de la Loi, et aucune de ces avances n'était déductible à titre de dépense courante. L'avocat a souligné que les avances et les prêts étaient traités comme des placements dans les états financiers de l'appelante, qui révélaient également que 95 pour cent des revenus de l'appelante provenaient des frais de stationnement.

[36] On a mentionné l'affaire Newton v. Pyke, (1908) T.L.R. 127, citée par la Commission de révision de l'impôt dans l'affaire Orban v. M.N.R., 54 DTC 148, à l'appui de l'énoncé selon lequel, dans une certaine mesure, les opérations de prêt doivent être assujetties à un système et avoir une continuité pour que l'on puisse conclure qu'il y a exploitation d'une entreprise de prêt d'argent.

[37] Dans l'affaire R.S. Jackson Promotions Ltd. v. M.N.R., 85 DTC 145, la contribuable avait commencé à investir ses fonds excédentaires dans des hypothèques. L'une d'elles lui ayant fait perdre des montants d'argent considérables, elle avait tenté de déduire les montants en question à titre de mauvaises créances. Le ministre avait refusé la déduction pour le motif que la contribuable n'exploitait pas une entreprise de prêt d'argent. Le juge Sarchuk, de la Cour, a conclu dans les termes suivants aux pages 148 et 149 :

J'en ai conclu qu'en l'espèce, l'entreprise de l'appelante ne consistait pas à prêter de l'argent et qu'elle ne faisait qu'investir ses fonds excédentaires. L'appelante ne se livrait pas à cette activité de la même manière que l'aurait fait un prêteur. Elle n'a jamais acheté ou vendu des hypothèques au rabais et n'a jamais emprunté d'argent pour les besoins de sa prétendue entreprise de prêt. En effet, elle n'a fait qu'investir ses bénéfices non distribués. Le prêt d'argent ne figurait pas parmi les objectifs commerciaux de la compagnie. Elle n'était pas disposée à consentir des prêts à tout venant; on ne constate aucun ensemble d'activités permettant de mettre des fonds à la disposition des emprunteurs en puissance, et la compagnie n'effectuait aucun démarchage; l'ensemble des prêts hypothécaires ont été consentis à une même personne et par l'intermédiaire du même cabinet d'avocats. L'appelante ne se présentait pas comme prêteur, ni dans sa publicité ni dans l'ensemble de ses relations d'affaires, et elle n'était pas inscrite en tant que prêteur et ne possédait aucune organisation commerciale dédiée à cette fin. Le nombre des prêts consentis par l'appelante est très faible; au cours des six années en cause, on n'en relève que dix. En plus de ses activités publicitaires et médiatiques, le principal dirigeant de la compagnie était directeur d'une école secondaire d'Ottawa entre 1971 et 1974 et, en 1975 et 1976, entraîneur de l'équipe de football de Toronto. Tout au plus a-t-il consacré une très faible partie de son temps à la gestion de l'entreprise. La compagnie appelante n'a pas participé activement et commercialement à la production du revenu en cause. Ajoutons que, dans les années d'imposition 1975, 1976, 1977, 1978 et 1980, l'appelante n'a pas, aux fins de la déduction fiscale que l'article 125 de la Loi autorise aux petites entreprises, considéré l'intérêt provenant des prêts comme faisant partie du revenu d'une entreprise en activité mais a justement fait passer ces sommes dans la catégorie d'un revenu de placement.

[...]

La présence ou l'absence d'un des facteurs cités plus haut ne suffit pas en soi à démontrer que l'appelante n'exploitait pas une entreprise de prêts, mais la preuve prise dans son ensemble porte la Cour à conclure qu'il en est effectivement ainsi.

[38] Dans la présente affaire, l'appelante ne s'est jamais présentée comme un prêteur et elle n'a jamais prêté d'argent à une compagnie non liée. Les états financiers de l'appelante indiquaient que la plupart des prêts n'étaient pas porteurs d'intérêt et n'avaient aucun terme fixe de remboursement. Pour reprendre les termes du comptable, M. Jodoin, cela indique au lecteur des états financiers que la compagnie qui emprunte de l'argent n'est aucunement tenue de payer de l'intérêt et n'aura peut-être jamais à rembourser le prêt lui-même. En outre, les deux seuls prêts sur lesquels des intérêts ont été réclamés au cours de la période pertinente ont été subséquemment radiés à titre de mauvaises créances. Finalement, il n'existait aucune résolution de l'entreprise, aucun document (à l'exception d'un billet à ordre qui n'est apparu qu'après que des intérêts eurent été réclamés à Deli) et aucuns honoraires ni aucune disposition relative au paiement d'honoraires en contrepartie des garanties données.

[39] Je conviens avec l'avocat de l'intimée que les avances faites et les garanties données par l'appelante n'ont rien en commun avec les prêts ou les avances qu'aurait consentis un créancier ordinaire. Les prêts que l'appelante a consentis n'avaient aucune des caractéristiques des prêts systématiques. Tous ces prêts ont été consentis sporadiquement, chaque fois que Place d'Embrun, Beeandee ou Deli ont eu désespérément besoin d'argent pendant la totalité de la période au cours de laquelle le projet de centre commercial a suivi son cours. Pour reprendre les termes de Alfred Dignard, ce projet a éprouvé des difficultés presque dès le départ, et lui-même ne voulait pas que le nom de l'appelante figure dans quelque document que ce soit se rapportant à Place d'Embrun. Dans ces circonstances, on ne peut certainement pas dire que l'appelante, dont l'entreprise principale était la gestion de terrains de stationnement, exploitait aussi une entreprise de prêt d'argent, que le prêt d'argent faisait partie intégrante de ses activités commerciales ou que des fonds étaient avancés dans le cours normal des activités de son entreprise. Le fait que l'appelante a pris des dispositions particulières avec la CIBC pour maximiser le rendement des fonds excédentaires investis à court terme ne signifie pas que l'appelante était un prêteur d'argent ou qu'elle avançait des fonds dans le cours normal des activités de son entreprise. Il suffit de comparer le revenu d'intérêt au revenu tiré de la gestion des terrains de stationnement dans les états financiers pour conclure que le revenu provenant du placement des fonds excédentaires était très secondaire et qu'il ne constituait pas l'une des principales activités commerciales productrices de revenus de l'appelante. Cette dernière ne faisait en fait qu'investir ses fonds excédentaires.

[40] Je conclus par conséquent que l'appelante n'était pas visée par la première exception énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Easton, car les avances, les prêts et les garanties n'ont pas été effectués ni donnés dans le cours normal des activités de l'entreprise de l'appelante.

[41] En ce qui concerne la deuxième exception, l'appelante soutient qu'elle détenait des actions de Place d'Embrun à titre d'actif commercial car elle les avait acquises dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial.

[42] L'avocat de l'appelante soutient que sa cliente, ainsi que Beeandee et les Dignard, ont pris part à une coentreprise visant à mettre le centre commercial en valeur et à le vendre, et que cela était un projet comportant un risque de caractère commercial. D'après l'avocat, ce groupe de coentrepreneurs s'était en outre adjoint M. MacDonald, qui était un promoteur professionnel.

[43] Dans Canadian Law Dictionary, J. A. Yogis définit ainsi l'expression « joint venture » ( « coentreprise » ) :

[TRADUCTION]

Entreprise commerciale d'au moins deux parties qui conviennent d'en partager les profits, les pertes et le contrôle. Le terme est souvent considéré comme synonyme de société de personnes, mais il peut renvoyer à une entreprise dont la portée et l'existence sont limitées. La responsabilité mutuelle, dans les deux cas, est analogue.

[44] Dukelow et Nuse, dans The Dictionary of Canadian Law, citent la définition de « joint venture » ( « coentreprise » ) qui figure dans la Loi sur Investissement Canada, L.R.C. (1985) ch. 28 (1er suppl.), , art. 3, dont voici le libellé :

« coentreprise » Association de plusieurs personnes ou unités dans le cas où leurs rapports ne constituent pas, en vertu des lois canadiennes, une personne morale, une société de personnes ou une fiducie et si, dans le cas d'un investissement visé par la présente loi, les droits de participation indivise à la propriété des actifs de l'entreprise canadienne ou des intérêts avec droit de vote de l'unité visée par l'investissement appartiennent ou appartiendront à celles-ci.

[45] Les faits dans la présente affaire indiquent que le projet de centre commercial n'était pas mené par un groupe de coentrepreneurs, mais par une société, à savoir Place d'Embrun. L'appelante ne participait pas au projet en tant qu'associée ou que coentrepreneur. Elle injectait des capitaux dans une société liée lorsque celle-ci ne pouvait en trouver nulle part ailleurs. En outre, suivant la définition de « joint venture » ( « coentreprise » ) formulée par Yogis, une telle entreprise suppose un niveau de responsabilité mutuelle qu'on ne retrouve pas dans la présente affaire. En fait, les témoins de l'appelante ont affirmé que cette dernière n'avait pas initialement pris part au projet car elle voulait éviter de devoir assumer toute obligation. De plus, le fait que M. MacDonald a pu participer au projet dans le cadre d'une coentreprise commerciale ne signifie pas que le statut de l'appelante a changé puisque M. MacDonald détenait une participation de 50 p. 100 dans le centre commercial, l'autre moitié appartenant à Place d'Embrun.

[46] Il reste maintenant à déterminer si l'appelante détenait ses actions de Place d'Embrun à titre d'actif commercial. L'avocat de l'intimée a fait valoir que, même si Place d'Embrun avait pris part à un projet comportant un risque de caractère commercial pour mettre en valeur et vendre le centre commercial, cela ne signifie pas que les pertes de l'appelante étaient des pertes d'exploitation.

[47] L'avocat a déclaré que la mise en valeur et la vente du centre commercial auraient pu être réalisées par l'appelante directement, mais Alfred Dignard a choisi de le faire par le truchement de Place d'Embrun. Par conséquent, l'appelante doit maintenant établir qu'elle a acheté et détenu ses actions à titre d'actif commercial.

[48] Dans l'arrêt Fraser v. M.N.R., [1964] R.C.S. 657, le contribuable appelant et un associé avaient acheté des terrains qui ont été subséquemment transférés à deux sociétés en contrepartie de toutes les actions des sociétés en question. Le contribuable a à la fin réalisé un profit sur la vente de ces actions. La Cour suprême du Canada a jugé que le fait que le contribuable avait constitué les compagnies pour détenir le bien immobilier ne faisait aucune différence. C'était tout simplement une autre façon d'atteindre l'objectif fixé : réaliser un profit à la vente du terrain.

[49] Dans l'arrêt Freud v. M.N.R., [1969] R.C.S. 75, le juge Pigeon, s'exprimant pour la cour, a déclaré ceci aux pages 80 et 81 :

[TRADUCTION]

[...] Dans l'affaire Fraser, l'opération principale était l'acquisition de terrain en vue de réaliser un bénéfice à la revente, de sorte que le terrain devenait un actif commercial. La conclusion de la Cour implique que l'acquisition d'actions de compagnies constituées afin de posséder des terrains était de la même nature, vu qu'à la vente des actions au lieu de terrains, le bénéfice était un bénéfice commercial et non un bénéfice d'immobilisation à la réalisation d'un placement.

[50] Dans l'arrêt Freud, le contribuable, un particulier, avait avancé des montants d'argent à une compagnie américaine qu'il avait constituée en société en vue de promouvoir et de mettre au point son invention, une voiture de sport prototype. Peu après, le contribuable a laissé tomber le projet et il a déduit d'un revenu provenant d'une autre source le montant qu'il avait avancé à la compagnie. La Cour suprême du Canada a admis la déduction de cette perte pour le motif que, dans cette affaire, l'avance devait être qualifiée de commerce et non de placement.

[51] La portée véritable de l'arrêt Freud a été expliquée dans les termes suivants par le juge Robertson, dans l'affaire Easton, précitée, à la page 5467 :

[...] En d'autres termes, si un actionnaire peut démontrer qu'il a acquis ses actions comme un actif commercial, et non dans l'intention de faire un placement, alors la perte découlant d'une avance faite par un actionnaire à la société ou d'une dépense faite par un actionnaire au nom de la société, y compris des paiements effectués à l'occasion d'une garantie, sera également imposée comme une perte imputable au compte de revenu. [...]

[52] Dans l'arrêt Irrigation Industries Ltd. v. M.N.R., 62 DTC 1131 (C.S.C.), le juge Martland, s'exprimant pour la majorité, a déclaré ceci à la page 1133 :

[TRADUCTION]

[...] À mon avis, on ne peut dire qu'une personne qui met de l'argent dans une entreprise commerciale en achetant les actions d'une compagnie à une occasion isolée et non dans le cadre de ses activités commerciales courantes a pris un risque de caractère commercial simplement parce que l'achat était spéculatif en ce sens qu'à l'époque, la personne entendait non pas détenir les actions indéfiniment mais plutôt, si possible, de les vendre à profit dès qu'il serait raisonnable de le faire. Je pense qu'il faut des indications de l'existence d'un « commerce » plus claires que cela avant de pouvoir dire qu'il y avait un risque de caractère commercial.

[53] La Cour suprême du Canada a mentionné les volets positifs et les volets négatifs du critère permettant de déterminer si une opération donnée constitue un projet comportant un risque de caractère commercial qui ont été passés en revue par le président Thorson de la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'affaire M.N.R. v. Taylor, 56 DTC 1125.

[54] Les volets positifs du critère consistent à déterminer si une personne a traité le bien acheté comme le ferait normalement un négociant et si la nature et la quantité de la chose visée par l'opération peuvent exclure la possibilité que la vente de cette chose fût la réalisation d'un placement, ou, par ailleurs, d'une immobilisation, ou qu'on puisse l'avoir aliénée autrement que par une opération commerciale. Le volet négatif du critère est résumé dans les termes suivants par le juge Cartwright, dans l'arrêt Irrigation Industries Ltd., à la page 1137 :

[TRADUCTION]

Le caractère unique ou isolé d'une opération ne peut pas constituer un critère lorsqu'il s'agit de savoir si elle constitue un projet comportant un risque de caractère commercial; c'est la nature de l'opération qui doit être déterminée, et non son caractère unique ou isolé.

Pour qu'une opération constitue un projet comportant un risque de caractère commercial, il n'est pas essentiel qu'une organisation soit établie pour la conclure.

Le fait que la nature d'une opération est tout à fait différente de celle des autres activités du contribuable et que ce dernier n'avait jamais conclu d'opération de ce genre auparavant ou qu'il n'en a jamais conclu depuis lors n'a pas en soi pour effet d'exclure l'opération de la catégorie des projets comportant un risque de caractère commercial.

L'intention de vendre les marchandises achetées moyennant un bénéfice ne constitue pas en soi un critère lorsqu'il s'agit de savoir si le bénéfice est assujetti à l'impôt car l'intention de réaliser un bénéfice peut tout autant exister dans le cas d'un investissement que dans le cas d'une opération commerciale. Les considérations qui ont donné lieu à la conclusion de l'opération peuvent être d'une nature commerciale telle qu'elles ont pour effet de conférer à celle-ci le caractère d'un projet comportant un risque de caractère commercial même s'il n'existe aucune intention de réaliser un bénéfice au moment où la marchandise achetée est vendue.

[55] Dans la présente affaire, l'appelante détenait 10 actions ordinaires sur les 194 actions émises par Place d'Embrun. Il est vrai que l'appelante a obtenu des prêts des banques et qu'elle a utilisé l'argent de ses clients pour financer les avances qu'elle a faites à Place d'Embrun. Il est vrai également qu'elle est contrôlée par les Dignard, qui, indirectement, contrôlaient également Place d'Embrun et qui auraient pu contraindre celle-ci à vendre le centre commercial. Cependant, il ressort clairement de la preuve qu'Alfred Dignard ne voulait pas que l'appelante investisse plus que les fonds excédentaires dont elle disposait dans le projet du centre commercial lorsque celui-ci a été lancé. Ainsi qu'Alfred Dignard l'a dit, l'intention au départ était d'utiliser l'argent des clients de l'appelante pour négocier des prêts avec les banques aux fins du projet de Place d'Embrun. M. Dignard insistait pour que le nom de l'appelante ne figure sur aucun document lié à Place d'Embrun parce qu'il ne voulait pas que les clients de l'appelante dans l'entreprise de gestion de terrains de stationnement s'inquiètent du paiement de leur revenu locatif.

[56] De plus, si MM. Westfall et Doyle ont témoigné qu'ils s'attendaient à être remboursés dans un délai de deux ans à même le produit de la vente du centre commercial, la preuve ne permet pas de dire clairement ce que Alfred Dignard avait l'intention de faire de Place d'Embrun lorsqu'il a décidé que l'appelante participerait financièrement au projet de centre commercial. Il a reconnu qu'il n'avait aucune expérience de la construction et de l'exploitation de centres commerciaux. Cependant, en raison des profits réalisés sur la vente des 40 maisons en rangée par l'intermédiaire de Beeandee, M. Dignard a cru qu'il pourrait faire de l'argent avec Place d'Embrun. Avait-il l'intention de réaliser un profit en vendant le centre commercial lorsque celui-ci serait terminé et de jouir des fruits de son placement, ou voulait-il simplement conserver le centre commercial en vue d'en tirer un revenu? Ou encore, l'appelante a-t-elle acquis les actions de Place d'Embrun dans l'intention de les vendre, espérait-elle, à profit?

[57] Ainsi que l'a dit lord Normand dans l'affaire C.I.R. v. Fraser, (1942) 24 T.C. 498, citée par le juge Martland dans l'arrêt Irrigation Industries Ltd., à la page 1134 :

[TRADUCTION]

Un individu peut acheter des actions avec l'intention de les vendre rapidement avec bénéfice mais ce faisant, il achète quelque chose qui constitue pour lui un investissement, une source de revenu éventuelle pendant qu'il le détient.

[58] De fait, Place d'Embrun tirait un revenu locatif du centre commercial et M. Dignard souhaitait que l'appelante tire un certain revenu du déneigement et de l'entretien du centre commercial. Selon la proposition initiale relative à Place d'Embrun, l'objectif à long terme de la compagnie était de gérer efficacement le centre commercial pour que les actionnaires à long terme du projet réalisent un profit. En outre, il ressort clairement de la décision de la Cour suprême du Canada dans Irrigations Industries que la question de savoir si des valeurs mobilières sont achetées avec les fonds de l'acheteur ou avec de l'argent emprunté importe peu lorsqu'il s'agit de déterminer si l'acquisition et la vente subséquente constituent un placement (voir Struan Robertson v. The Queen, 98 DTC 6227 (C.A.F.)).

[59] La situation en l'espèce est comparable à celle de l'affaire Easton, où les appelants avaient acheté un terrain à des fins de lotissement et l'avaient subséquemment transféré à leurs compagnies de portefeuille. Les appelants dans cette affaire avaient subi des pertes lorsqu'ils avaient honoré des garanties liées à la dette de leurs compagnies de portefeuille. Les contribuables n'ont pas réussi à établir dans cette affaire que la garantie avait été donnée à un moment où ils avaient l'intention de vendre à profit les actions de leurs compagnies de portefeuille respectives.

[60] Dans la présente affaire, l'appelante ne m'a pas convaincue selon la prépondérance des probabilités que, lorsqu'elle a consenti les prêts ou donné les garanties, elle avait l'intention de vendre les actions à profit. Du moins, cela ne ressort pas clairement de la preuve produite en l'espèce. À mon avis, la preuve démontre plutôt que l'appelante a investi de l'argent dans Place d'Embrun en contrepartie d'actions, et qu'elle a simplement avancé un fonds de roulement à cette compagnie liée.

[61] Je conclus par conséquent que l'appelante n'a pas réussi à réfuter la présomption que les pertes découlant des prêts ou du paiement fait aux termes de garanties sont des pertes en capital. L'appelante n'a pas réussi non plus à démontrer qu'elle était visée par l'une ou l'autre des exceptions à la présomption générale en question. De fait, elle n'a pas établi que les prêts et les garanties avaient été consentis ou donnés dans le cours normal des activités de son entreprise. L'appelante n'a pas réussi à démontrer non plus que les actions de Place d'Embrun étaient détenues à titre d'actif commercial et, par conséquent, que les prêts et les paiements faits aux termes de garanties étaient des dépenses accessoires donnant lieu à des pertes d'exploitation.

[62] Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de septembre 1999

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mai 2000.

Benoît Charron, réviseur

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