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Date: 20000110

Dossiers: 97-1490-IT-G; 97-1494-IT-G

ENTRE :

ALLAN STREMLER, WARWICK F. JONES,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Les présents appels ont été entendus ensemble sur le fondement des énoncés conjoints des faits, qui ont été complétés par les témoignages de vive voix d'Allan Stremler et de Warwick F. Jones (les appelants), et ceux de Suzanne Hubbard et de Frank J. Kelly, Fellows de l'Ordre des comptables agréés pour le compte des appelants. M. Stremler interjette appel des cotisations établies pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 et M. Jones, des cotisations établies pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992.

[2] Les appelants ont acheté les biens par l'entremise de Reemark Properties Ltd., qui faisait la vente d'unités condominiales à usage d'habitation. Les appelants soutiennent qu'ils ont acquis les biens dans le seul but de les revendre à profit et qu'ils étaient donc des négociants dans le domaine immobilier. Le ministre du Revenu national rejette cette prétention et déclare que les biens étaient des immobilisations, que les appelants n'avaient aucune attente raisonnable de profit et qu'ils sont empêchés de qualifier les unités de biens figurant à l'inventaire parce qu'ils les ont déclarés comme des immobilisations dans leurs déclarations de revenu et ont demandé la déduction de pertes locatives découlant de leurs activités de location. Il y a d'autres questions en litige, que je trancherai plus tard.

[3] Les énoncés conjoints des faits sont ainsi libellés :

[TRADUCTION]

Allan Stremler (97-1490(IT)G)

1. Le 9 mai 1990, l'appelant a conclu des ententes avec le groupe de compagnies Reemark dans le but d'acheter deux unités condominiales à usage d'habitation dans un complexe appelé le complexe “ Master's Green ” à Richmond (Colombie-Britannique). L'appelant a obtenu le titre en common law à l'égard des biens le 30 septembre 1993.

2. Le prix d'achat de chacun des biens était de 171 990 $, que l'appelant a payé et financé de la façon suivante :

Comptant 1 500 $

Prise en charge de la première hypothèque 120 393 $

Billets à ordre    50 097 $

Total 171 990 $

3. Au cours des années d'imposition 1991, 1992 et 1993, l'appelant a tiré le revenu de location total suivant des deux biens et a engagé les dépenses totales suivantes relativement aux deux biens :

Année

Revenu de location

Dépenses

Excédent des dépenses sur le revenu de location

1991

18 988 $

61 549 $

42 561 $

1992

19 938 $

58 524 $

38 586 $

1993

21 566 $

50 594 $

29 028 $

4. Les biens n'ont jamais été détenus pour usage personnel ou loués à des locataires qui avaient des liens de dépendance avec l'appelant.

5. La juste valeur marchande des biens à la fin de chaque année d'imposition en litige était la suivante :

Date

Unité

Juste valeur marchande

31 décembre 1991

Unité 510

118 500 $

Unité 511

118 500 $

31 décembre 1992

Unité 510

129 000 $

Unité 511

129 000 $

31 décembre 1993

Unité 510

135 000 $

Unité 511

135 000 $

6. L'appelant a accordé un mandat de vente des deux biens en octobre 1995. L'appelant a vendu l'unité 511, le 15 février 1996, pour la somme de 119 800 $ et l'unité 510, le 22 juillet 1996, pour la somme de 116 500 $.

7. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993, l'appelant a déduit relativement aux biens des pertes égales au montant de l'excédent des dépenses engagées relativement à ces biens sur le revenu de location tiré de ceux-ci. Au moyen de nouvelles cotisations datées du 15 juin 1995, le ministre du Revenu national a rejeté les pertes dont l'appelant avait demandé la déduction dans chacune de ces années d'imposition et a ajouté au revenu total de l'appelant pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 les montants approximatifs de 42 561 $, 38 585 $ et 29 028 $ respectivement. L'appelant s'est régulièrement opposé à ces cotisations au moyen d'avis d'opposition déposés le 10 août 1995.

8. Si l'appelant a détenu chacun des biens dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial, et si le paragraphe 10(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), avant sa modification par L.C. 1998, ch. 19, par. 70(1) s'applique à l'appelant aux fins du calcul du revenu que celui-ci a tiré de ces projets comportant un risque de caractère commercial, le total des pertes admissibles de l'appelant relativement aux deux biens a alors été calculé comme il se devait de la manière suivante :

Année

Coût au

1er janvier

Perte dans l'année

Coût accumulé (coût plus pertes)

Juste valeur marchande, 31 décembre

Déduction dans l'année (excédent du coût accumulé sur la juste valeur marchande)

1991

305 982 $*

42 561 $

348 543 $

237 000 $

111 543 $

1992

237 000 $

38 586 $

275 586 $

258 000 $

17 586 $

1993

258 000 $

29 028 $

287 028 $

270 000 $

17 028 $

* Prix d'achat total de 343 980 $, moins 37 998 $ au titre des frais administratifs.

Warwick F. Jones (97-1494(IT)G)

1. Le 23 septembre 1988, l'appelant a conclu une entente avec le groupe de compagnies Reemark pour acheter une unité condominiale à usage d'habitation dans un complexe appelé “ Wellington Mews ”, qui devait être construit à St. Thomas (Ontario) (le “ bien ”). L'appelant a obtenu le titre en common law à l'égard du bien le 29 septembre 1989.

2. Le prix d'achat du bien était de 89 990 $, que l'appelant a payé et financé de la manière suivante :

Comptant 1 000 $

Prise en charge d'une première hypothèque 64 793 $

Billets à ordre 24 197 $

Total 89 990 $

3. Au cours des années d'imposition 1990, 1991 et 1992, l'appelant a tiré du bien le revenu de location suivant et a engagé relativement à celui-ci les dépenses suivantes :

Année

Revenu de location

Dépenses

Excédent des dépenses sur le revenu de location

1990

7 920 $

17 283 $

9 903 $

1991

7 920 $

16 689 $

8 769 $

1992

7 168 $

18 844 $

11 376 $

4. Le bien n'a jamais été détenu pour usage personnel ni loué à un locataire qui avait un lien de dépendance avec l'appelant.

5. La juste valeur marchande du bien à la fin de chaque année d'imposition en litige était la suivante :

Date Juste valeur marchande

31 décembre 1990 73 000 $

31 décembre 1991 78 000 $

31 décembre 1992 73 000 $

6. L'appelant a accordé un mandat de vente du bien en juin 1991 et de nouveau en février 1994. Le bien a été vendu 71 000 $ par l'appelant en mars 1994.

7. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992, l'appelant a déduit relativement au bien des pertes égales à l'excédent du montant des dépenses engagées relativement au bien sur le revenu de location tiré de celui-ci. Dans les nouvelles cotisations datées du 27 mai 1994, le ministre du Revenu national a rejeté les pertes dont l'appelant avait demandé la déduction dans chacune de ces années d'imposition et a ajouté au revenu total de l'appelant pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992 les montants approximatifs de 9 903 $, 8 769 $ et 11 376 $ respectivement. L'appelant a obtenu une prorogation du délai pour déposer des avis d'opposition relativement à ces nouvelles cotisations et a régulièrement déposé les avis en question le 29 août 1994.

8. Si l'appelant a acquis le bien dans le cadre d'un projet à risque de caractère commercial, et si le paragraphe 10(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), avant sa modification par L.C. 1998, ch. 19, paragraphe 70(1), s'applique à l'appelant aux fins du calcul du revenu de ce dernier tiré du projet à risque de caractère commercial, les pertes admissibles de l'appelant relativement au bien ont alors été calculées comme il se devait de la façon suivante :

Année

Coût au

1er janvier

Perte dans l'année

Coût accumulé (coût plus pertes)

Juste valeur marchande, 31 décembre

Déduction dans l'année (excédent du coût accumulé sur la juste valeur marchande)

1990

76 750 $*

9 903 $

86 653 $

73 000 $

13 653 $

1991

73 000 $

8 769 $

81 769 $

78 000 $

3 769 $

1992

78 000 $

11 376 $

89 376 $

73 000 $

16 376 $

* Prix d'achat total de 89 990 $, moins 13 240 $ au titre des frais administratifs.

Préclusion

[4] Avant d'examiner le reste des éléments de preuve non mentionnés dans les exposés conjoints des faits, il faudrait trancher la question de la préclusion parce qu'il ne sera pas nécessaire de poursuivre l'affaire si la position du ministre est correcte.

[5] Dans leurs déclarations de revenu pour les années d'imposition pertinentes, les deux appelants ont demandé la déduction de pertes du fait qu'ils avaient qualifié leurs biens d'immobilisations. Le ministre a initialement accepté cette désignation. Il fait valoir que les appelants sont préclus, ou empêchés, de prétendre que les biens étaient en réalité des biens figurant à l'inventaire parce qu'il s'est appuyé sur la prétention initiale à son détriment; autrement dit, il était interdit au ministre, au motif qu'il y avait prescription, d'établir de nouvelles cotisations à l'égard des appelants à l'époque où ils ont modifié leurs positions. Le juge Beaubier a été appelé à trancher une question semblable dans l'affaire McPherson v. The Queen[1]. Je souscris à sa conclusion selon laquelle le ministre ne peut obtenir gain de cause sur ce point parce que la qualification des biens, par les appelants, d'immobilisations est un énoncé de droit et non pas un énoncé de fait. Une déclaration de droit n'est pas un motif de préclusion[2]. Je souscris aux propos tenus par le juge Bowman dans l'affaire Goldstein v. The Queen[3], à la page 1034 :

[...] Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

La question de savoir si les appelants exploitaient une entreprise de location est une question de fait à laquelle la doctrine de la préclusion s'appliquerait. Toutefois, la conclusion selon laquelle les biens sont des immobilisations ou des biens figurant à l'inventaire est un énoncé de droit. Maintenant qu'il a été déterminé que la doctrine de la préclusion ne s'applique pas, la principale question à trancher est celle de savoir si les biens sont des immobilisations ou des biens figurant à l'inventaire.

Immobilisation ou projet comportant un risque de caractère commercial

[6] Les deux appelants ont affirmé qu'ils avaient acheté les unités dans le but de les revendre. Ils voulaient profiter de l'explosion du marché de l'immobilier dont ils étaient témoins à la fin des années 1980 dans la région de Toronto, où ils habitaient. Ils voulaient être dans le coup. Reemark, grâce à une présentation adroite, leur a donné l'impression que la chose était facile. Ils n'ont pas compris tous les documents présentés, qui comprenaient des ententes complexes, mais ils en ont saisi les grandes lignes. Au cours de leur témoignage, ils ont affirmé avoir compris qu'ils pouvaient acheter des unités condominiales attrayantes extrêmement bien situées, en tirer des revenus pour contrebalancer les frais engagés, et les revendre ensuite en réalisant des profits substantiels.

[7] M. Stremler s'est fié à son conseiller financier, qui lui a recommandé d'acheter les unités et à son avocat, qui a approuvé la documentation de façon assez sommaire. M. Stremler est un entrepreneur en construction qui se spécialise dans la construction de stations-service. Il n'était nullement intéressé à être locateur pour la principale raison que ses unités étaient situées à Richmond (Colombie-Britannique). M. Jones, pour sa part, avait un revenu élevé. Il s'agissait pour les deux appelants du premier achat de biens semblables.

[8] M. Jones a déclaré qu'il savait que le marché de l'immobilier était à la hausse et que Ford du Canada Limitée prenait de l'expansion à St. Thomas (Ontario). Le complexe Wellington Mews lui avait été recommandé par un représentant commercial qu'il connaissait et en qui il avait confiance. Il a assisté avec des collègues à un exposé à la station radio CHUM de Toronto, où il travaillait comme représentant commercial. Il a acquis la conviction qu'il pouvait revendre le bien dans les trois à cinq années suivantes et réaliser un profit substantiel.

[9] La question à trancher est celle de savoir comment les biens doivent être qualifiés le jour de leur achat par les contribuables, compte tenu de l'ensemble des circonstances. La situation de chaque contribuable est unique. Chaque affaire doit être examinée individuellement pour déterminer si, le jour de l'achat, le contribuable avait l'intention de conserver le bien pendant une longue période pour en tirer un revenu de location, en tenant compte des déductions fiscales probables, ou s'il avait l'intention de le vendre à plus ou moins brève échéance.

[10] La question de savoir si les appelants ont acquis les biens dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial est une question de fait. Je tiens pour avéré que les deux appelants ont principalement acheté les biens dans l'intention de les revendre. Ils ne les ont pas achetés dans le but de tirer un revenu de l'entreprise de location. Ils étaient des opportunistes, des spéculateurs immobiliers qui suivaient la tendance, c'est-à-dire qu'ils achetaient des biens dans un marché à la hausse dans le but de les revendre à profit quelques années plus tard. Entre-temps, les loyers compenseraient une partie des coûts de possession des unités; en outre, en profitant du plan de Reemark, ils n'auraient pas à débourser beaucoup d'argent personnellement ni à se soucier de la gestion des unités. Leur acquisition était financée environ à 95 p. 100 par une première hypothèque et des billets à ordre, qui tous avaient été obtenus par Reemark. Ils n'avaient même pas à se préoccuper des unités vacantes parce qu'ils avaient conclu une entente de pool locatif de sorte que les répercussions de la non-location des unités étaient assumées par la plupart des propriétaires.

[11] En dépit des faits énoncés ci-après, qui étayent la thèse du ministre selon laquelle les biens ont été achetés à titre d'immobilisations ou d'abris fiscaux :

a) Les deux appelants avaient des revenus substantiels et pouvaient ainsi envisager d'intéressantes déductions fiscales.

b) Ils ont qualifié leurs unités d'immobilisations dans leurs déclarations de revenu.

c) Aucun des acheteurs n'avait auparavant été négociant dans la domaine immobilier.

d) Les documents fournis par Reemark indiquaient que les biens devaient être détenus à titre d'immobilisations.

e) Les documents faisaient état de gains en capital futurs.

f) Le titre en common law n'a pas été accordé immédiatement, mais seulement après que le plan de l'unité condominiale eut été enregistré. (C'est chose courante lors de l'achat de nouvelles unités condominiales.)

j'estime que les indications suivantes, qui mènent à la conclusion que les appelants se comportaient comme des négociants, sont plus convaincantes :

a) Ils savaient qu'ils achetaient des biens dans un marché à la hausse, ce qui l'a emporté dans leurs décisions.

b) Ils se sont renseignés au sujet du marché de la vente dans les régions où ils achetaient les biens, et non au sujet du marché locatif.

c) Ils étaient intéressés par les récits de ceux qui avaient acheté et vendu des biens immobiliers et avaient réalisé des profits substantiels.

d) Ils ne savaient absolument pas que le marché immobilier allait être perturbé par une terrible récession au début des années 1990.

e) Ils ont versé très peu de comptant à l'achat, et plus de 95 p. 100 du prix d'achat était financé d'une manière ou d'une autre.

f) Les projections de dépenses annuelles indiquées par Reemark ne faisaient pas des unités des placements locatifs intéressants.

g) Ils n'avaient aucune expérience de l'exploitation de biens locatifs.

h) Ils ne se sont d'aucune façon renseignés sur les marchés locatifs.

i) Ils occupaient des emplois à temps plein et n'avaient ni le temps ni l'envie de devenir des locateurs.

j) Les événements qui se sont produits après qu'ils eurent acheté les biens étayent leurs intentions comme négociants. Au lieu d'attendre que la tourmente économique ne passe, ils se sont efforcés de vendre leurs unités dès que la chose est devenue possible et faisable.

M. Jones a accordé un mandat de vente de son bien en 1991. N'ayant reçu aucune offre, il l'a laissé venir à échéance et a finalement vendu lui-même le bien en 1994, 18 000 $ de moins qu'il l'avait payé. Le conseiller financier de M. Stremler l'a encouragé à conserver son bien jusqu'à ce que le marché reprenne du mieux. Il a accordé un mandat de vente du bien en 1995. Le prix de vente demandé pour chaque unité était inférieur d'au moins 50 000 $ au prix d'achat. Les éléments de preuve ne mènent pas à la conclusion que les appelants avaient l'intention d'acheter un abri fiscal. La déclaration suivante du juge Reid dans l'arrêt Ward v. R.[4]s'applique à la situation en l'espèce :

Je ne puis accepter que le désir du demandeur de diminuer son revenu imposable constitue un objectif principal. L'intention de réduire dans l'immédiat son revenu imposable, tout en prévoyant tirer profit de l'opération à une date ultérieure, est tout à fait compatible avec l'acquisition d'un fonds de terre en vue de sa mise en valeur et de sa revente. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l'intention de tirer profit de la mise en valeur et de la revente aura toujours préséance sur le désir de réduire son revenu imposable. [...]

[12] Au cours des années 1980, il était chose courante d'acheter des propriétés et de les revendre dans les quelques jours, les quelques semaines, voire les quelques mois suivants. On utilisait souvent le terme anglais flip [opération d'achat et de vente rapides] pour désigner cette activité, et les entrepreneurs étaient appelés des flippers [spéculateurs]. En l'instance, les appelants n'étaient pas des flippers au sens véritable du terme. Ils savaient avant d'acheter les biens qu'ils allaient devoir attendre deux ou trois ans avant de les revendre à profit. M. Stremler, pour sa part, devait attendre au moins deux ans, soit le temps nécessaire pour obtenir le titre en common law, avant de revendre le bien. Les deux appelants ont payé pour obtenir, de Reemark, des garanties de paiement et une entente de pool locatif valable pour une période de trois ans. Je conclus que les délais qui ont empêché les appelants de vendre leurs biens ne les excluent pas de la désignation de négociants. Ils n'avaient pas l'intention de conserver les biens à titre d'unités locatives à long terme. Ils voulaient réaliser un profit de la vente des unités, non pas en tirer un revenu locatif. Le revenu locatif les a aidés à payer les frais courants. Au moment de l'achat, ils avaient une attente raisonnable de tirer un profit de la revente des biens. Ils n'avaient pas d'attente raisonnable de tirer un profit du revenu locatif. Ils en tenaient pour preuve l'explosion soudaine des marchés de l'immobilier dont ils étaient témoins et dont ils tiraient leur information, dans la région de Toronto plus particulièrement. Le prospectus faisait état de pertes locatives à long terme. Ce n'était pas ce qu'ils voulaient. Je n'accepte pas que leur objectif principal était de réduire leur revenu imposable. Suzanne Hubbard, une évaluatrice de biens immobiliers fort compétente chez Royal Lepage a déclaré que, pendant les années 1980, le marché de l'immobilier a connu un essor fulgurant dans de nombreuses régions du Canada, particulièrement à Toronto.

[13] Les appelants ont convaincu la Cour, après examen de tous les éléments de preuve, que leur intention principale était de vendre les biens aussi rapidement que possible et de réaliser un profit. La frénésie immobilière était telle qu'ils n'ont pas envisagé la possibilité d'une récession. Ils étaient absolument convaincus que le marché de l'immobilier ne pouvait aller que dans une seule direction, soit vers le haut. La documentation complète que leur a remis Reemark était complexe et ils n'ont pas bien saisi les détails des déductions fiscales, des billets à ordre, du refinancement, des pools locatifs et d'autres éléments semblables.

[14] Ils étaient convaincus qu'ils pouvaient acheter et revendre rapidement les biens sans problème avec un minimum d'efforts et sans débourser trop d'argent. Ce ne sont pas là les actions d'investisseurs à long terme. Si on applique le critère énoncé dans l'arrêt Friesen v. The Queen[5], “ le contribuable avait-il l'intention de revendre? ”, la réponse est certainement affirmative. Dans l'arrêt M.N.R. v. Taylor[6], le critère, ramené à sa plus simple expression, consiste à se demander si, après un examen objectif, les appelants ont agi bien plus comme des négociants que comme des investisseurs à long terme. Pour les raisons invoquées, je conclus que les appelants ont agi bien plus comme des négociants que comme des investisseurs à long terme. À la page 5556 de l'arrêt Friesen, précité, le juge Major a déclaré ceci :

[...] Lorsqu'il s'agit de déterminer si les gains tirés de la vente d'un bien immeuble constituent un revenu ou des gains en capital, l'on tient particulièrement compte de l'intention du contribuable au moment de l'achat initial du bien immeuble. Par conséquent, un bien immeuble particulier devient soit un bien figurant dans un inventaire soit un bien en immobilisation entre les mains du contribuable dès le moment de l'achat initial [...]

Comme il est indiqué, je tiens pour avéré que les deux appelants avaient l'intention, au moment de l'achat initial, de détenir principalement les biens dans le but de les revendre dès que le marché le permettrait.

[15] Le fait que les appelants ont payé pour des services comme un pool locatif et la gestion des biens ne modifie pas leur intention de vendre ou d'agir comme des négociants. Ils n'exploitaient pas une entreprise de location et étaient prêts à payer pour que d'autres s'occupent de leurs biens. Cela est compatible avec leurs intentions et leurs actions d'acheter un bien, d'attendre un certain temps que sa valeur augmente et de le revendre par la suite. Ils voulaient une opération clés en main. Leur projet était une “ entreprise ” au sens où ce terme est défini au paragraphe 248(1) car ils ont satisfait à tous les critères applicables à un projet comportant un risque de caractère commercial.

[16] En plus d'être qualifiés de projet comportant un risque de caractère commercial, les biens en question doivent également être qualifiés de biens figurant à l'inventaire pour que les appelants soient assujettis au paragraphe 10(1.01). Le paragraphe 248(1) définit ainsi le terme “ inventaire ” :

“ Inventaire ” Signifie la description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise pour une année d'imposition.

Dans l'arrêt Friesen, le juge Major a fait les observations suivantes au sujet du sens à attribuer au terme “ inventaire ”. Il a déclaré ceci à la page 5555 :

Le premier élément à noter au sujet de cette définition du terme “inventaire” est qu'il n'est pas nécessaire que ces biens contribuent directement au revenu pour une année d'imposition pour pouvoir être considérés comme des biens figurant dans un inventaire. Il suffit que le coût ou la valeur d'un bien entre dans le calcul du revenu d'entreprise pour une année, pour que ce bien fasse partie des biens figurant dans un inventaire. En général, le coût ou la valeur d'un bien est comptabilisé comme une dépense (et le prix de vente comme un revenu) dans le calcul du revenu.

[...]

Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, un projet comportant un risque de caractère commercial constitue une entreprise au sens de la Loi. Par conséquent, un bien vendu dans le cadre d'un tel projet entre dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise par un contribuable durant l'année d'imposition au cours de laquelle il est aliéné, de sorte qu'il fait partie des biens figurant dans un inventaire au sens ordinaire de la définition donnée au par. 248(1).

[...]

La qualification d'un bien comme bien figurant dans un inventaire ou comme bien en immobilisation est fondée principalement sur le type de revenu qui sera tiré de ce bien.

À la page 5557, le juge Major a dit ceci :

Je préfère [...] suivre le courant jurisprudentiel bien établi où il a été expressément statué, dans les rationes decidendi, que des biens immeubles détenus pour être revendus dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial constituent des biens figurant dans un “inventaire” aux fins du par. 10(1): Bailey, précité; Weatherhead c. M.N.R., [1990] 1 C.T.C. 2579 (C.C.I.); Van Dongen c. La Reine, 90 DTC 6633 (C.F. 1re inst.); Skerrett c. M.R.N., 91 D.T.C. 1330 (C.C.I.), et Cull c. La Reine, 87 D.T.C. 5322 (C.F. 1re inst.). Je souscris à la méthode adoptée dans ces affaires, qui consiste à comprendre la définition du terme “inventaire” dans le contexte de la distinction fondamentale entre le revenu d'entreprise et de gain en capital. [...]

Le juge Major a fait ensuite sienne la déclaration suivante du juge Cullen dans l'arrêt Van Dongen, précité, à la page 87 :

La classification de ces propriétés comme de l'inventaire est importante, parce que le gain ou la perte découlant de l'aliénation de l'inventaire sera considéré comme un revenu ou une perte d'entreprise plutôt que comme un gain ou une perte en capital.

     

J'ai déjà déterminé que les biens ont été achetés dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Par conséquent, je conclus également que les biens étaient des biens figurant à l'inventaire. Les appelants doivent donc calculer le revenu tiré de leur entreprise conformément au paragraphe 10(1.01) de la Loi, s'il s'applique à eux.

[17] J'en viens maintenant aux questions de savoir (i) si le paragraphe 10(1.01) de la Loi de l'impôt sur le revenu récemment adopté, s'applique; et (ii) si les appelants ont le droit de déduire leurs pertes provenant de biens dans le calcul de leur revenu pour les années pertinentes.

[18] Le paragraphe 10(1.01) s'applique-t-il? Les appelants font valoir que le paragraphe 10(1.01) récemment adopté ne s'applique pas à eux de manière rétroactive parce qu'il brime leur droit à la jouissance de leurs biens en contravention du paragraphe 1a) de la Charte canadienne des droits et libertés. Je souscris à la thèse du ministre et je n'ai aucune difficulté à rejeter cette prétention et à conclure que le paragraphe 10(1.01) s'applique en l'espèce.

[19] Le paragraphe 10(1.01) est ainsi libellé :

10(1.01) Pour le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise qui est un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, les biens figurant à l'inventaire sont évalués à leur coût d'acquisition pour le contribuable.

Le sommaire du projet de loi déposé au Parlement donnait la précision suivante concernant le paragraphe 10(1.01) :

Projets à risque de caractère commercial : Met en oeuvre les mesures annoncées par le ministre des Finances le 20 décembre 1995 selon lesquelles les biens figurant à l'inventaire d'un projet à risque de caractère commercial doivent être évalués, aux fins de l'impôt sur le revenu, à leur coût d'origine et non à leur coût ou leur juste valeur marchande, selon le moins élevé de ces éléments. Ainsi, les pertes accumulées sur ces biens ne seront constatées qu'au moment de la disposition des biens.

Le paragraphe 1a) de la Déclaration canadienne des droits porte ce qui suit :

1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe :

a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ces biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;

C'est un fait bien établi que la législation fiscale peut s'appliquer rétroactivement, à la condition que cette intention soit exprimée de façon explicite[7]. L'adoption du paragraphe 10(1.01) n'a pas privé les appelants du droit à la jouissance de leurs biens en vertu de la Charte parce que les appelants ne considéraient pas que les biens étaient des biens figurant à l'inventaire au moment de la diffusion du communiqué[8]. L'application exécutoire des modifications n'est pas fonction de la diffusion du communiqué ou du fait que les appelants étaient ou non au courant de ces modifications[9]. En plus de préciser clairement qu'elles s'appliquent rétroactivement, les modifications de l'article 10 comprennent des dispositions pour protéger les droits acquis des contribuables pendant la période transitoire. Le communiqué précisait en partie que “ [...] si un contribuable demande une réduction de la valeur des biens à l'inventaire [...] pour une année d'imposition terminée aujourd'hui au plus tard [soit le 20 décembre 1995] [...] ”, cette réduction lui sera accordée.

[20] Les appelants peuvent-ils demander une réduction de la valeur des biens à l'inventaire et, le cas échéant, quel devrait en être le montant? Essentiellement, le paragraphe 10(1) de la Loi énonce les PCGR[10] en précisant que, pour le calcul du revenu tiré d'une entreprise, les biens figurant à l'inventaire peuvent être évalués à leur coût d'acquisition ou, s'il est inférieur, à leur juste valeur marchande. En effet, cela permet aux entreprises de déduire des pertes accumulées du fait de la diminution de la valeur de l'inventaire de l'entreprise, même si la perte n'a pas été réalisée dans les faits au moment de l'aliénation de l'inventaire. La réduction de la valeur des biens figurant à l'inventaire diffère du traitement dont font l'objet les pertes accumulées dans le cas de biens en immobilisation non amortissables; autrement dit, ces pertes sont comptabilisées comme des pertes en capital uniquement dans l'année au cours de laquelle les biens sont véritablement aliénés.

[21] Dans l'arrêt Friesen, la Cour suprême a déterminé que la valeur de l'inventaire détenu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial pouvait être réduite en conformité avec l'article 10 de la Loi (maintenant modifié). Le gouvernement fédéral a émis un communiqué peu de temps après indiquant que l'arrêt Friesen risquait de déstabiliser l'assiette fiscale du Canada du fait d'un grand nombre de contribuables demandant des déductions dans le calcul de leur revenu pour l'année 1995 au titre de la réduction de la valeur de biens figurant à l'inventaire[11]. Le communiqué indiquait également que l'article 10 allait être modifié de façon que l'inventaire détenu aux fins d'un projet comportant un risque de caractère commercial ne puisse plus être admissible à une réduction de la valeur.

[22] Les modifications apportées à l'article 10 ont créé une nouvelle catégorie de biens, qui se situe en quelque sorte à mi-chemin entre les biens en immobilisation et les biens figurant à l'inventaire. Le paragraphe 10(1.01) porte que les biens figurant à l'inventaire détenus dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial ne sont plus admissibles à une réduction de la valeur de ces biens; toute augmentation ou diminution de leur valeur sera constatée au moment où ils seront effectivement aliénés. L'ajout du paragraphe 10(1.01) présume de la réponse à la question de savoir de quelle façon devraient désormais être traités les frais courants, comme les pertes locatives, engagés relativement aux biens figurant à l'inventaire détenus dans le cadre d'un projet à risque de caractère commercial. Aux termes de l'ancien article 10(1), ces pertes seraient capitalisées et ajoutées au coût des biens figurant à l'inventaire et, au moment de la réduction annuelle de la valeur de ces biens, le revenu du contribuable serait ajusté en fonction de cette réduction[12]. Le nouveau paragraphe 10(1.01) ne permet pas de réduire la valeur des biens figurant à l'inventaire détenus dans le cadre d'un projet à risque de caractère commercial; par conséquent, les augmentations ou les diminutions accumulées de la valeur des biens ne seront constatées qu'au moment de l'aliénation des biens. À cet égard, il semblerait que les biens figurant à l'inventaire détenus dans le cadre d'un projet à risque de caractère commercial doivent être traités de la même manière que les biens en immobilisation, à cette différence que le gain ou la perte constaté au moment de l'aliénation des biens figurant à l'inventaire sera déductible de tout autre revenu du contribuable.

[23] Avant l'adoption du paragraphe 10(1.01), plusieurs décisions ont été rendues suivant lesquelles les dépenses se rapportant aux biens figurant à l'inventaire devraient être capitalisées. Dans la décision Stein v. The Queen[13], le juge Archambault de notre cour a conclu que, quoique le contribuable avait une attente raisonnable de profit relativement à la revente du bien, il devait capitaliser les frais courants, y compris les pertes locatives, et les ajouter au coût des biens figurant à l'inventaire. Les pertes seraient réalisées au moment de la réduction de la valeur des biens figurant à l'inventaire en conformité avec l'arrêt Friesen. Le juge Archambault a cité les mêmes sources que celles sur lesquelles s'est appuyé le juge Major, qui a rédigé l'arrêt Friesen pour la majorité des membres de la Cour suprême.

[24] Comme il a été précisé, le paragraphe 10(1.01) a été adopté pour faire échec à l'arrêt Friesen.Le paragraphe en question porte que, pour les fins de l'évaluation des biens figurant à l'inventaire dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial, “ [...] les biens figurant à l'inventaire sont évalués à leur coût d'acquisition pour le contribuable ”. Il s'agit d'une exception au “ principe du rapprochement ”[14]. Cela soulève la question de savoir à quel moment il faut déduire les frais courants se rapportant aux biens figurant à l'inventaire, à l'exception des fonds de terre vacants[15] détenus dans le cadre d'un projet à risque de caractère commercial. Quelle méthode faut-il utiliser pour déterminer les profits ou les pertes du contribuable?

[25] Dans l'arrêt Canderel Ltd. v. Canada[16], le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de tous les membres de la Cour suprême, a insisté sur la nécessité, pour les tribunaux, d'utiliser la méthode qui donne une image fidèle du revenu du contribuable pour l'année. Il a déclaré ce qui suit à la page 6106 :

[...] Le postulat de départ est évidemment que la détermination du bénéfice visé au par. 9(1) est une question de droit, non de fait. Les facteurs juridiques déterminants sont au nombre de deux: premièrement, l'existence d'une disposition expresse de la Loi de l'impôt sur le revenu commandant l'application d'un traitement précis à l'égard de certaines dépenses ou recettes, notamment la limite générale formulée à l'al. 18(1)a), et, deuxièmement, l'existence de règles de droit établies découlant de l'interprétation que les tribunaux ont donnée de ces diverses dispositions au fil des ans.

À part ces paramètres, tous les autres moyens d'analyse susceptibles d'aider à déterminer le bénéfice ne sont que ce que leur nom indique: des critères d'interprétation, sans plus. Entrent dans cette catégorie les “principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable)” mentionnés dans l'arrêt Symes, également appelés “principes commerciaux ordinaires” ou “principes ordinaires des affaires commerciales”, entre autres. Ces principes ont été formellement codifiés dans les “principes comptables généralement reconnus” (“PCGR”) établis par la profession comptable pour la préparation des états financiers. La profession comptable reconnaît que ces principes produisent une information financière fidèle relativement à l'objet des états financiers, et ils deviennent “généralement reconnus” soit parce qu'ils sont effectivement suivis dans un certain nombre de cas, soit parce qu'ils trouvent appui [...] dans les écrits d'universitaires et d'autres personnes, [...] Il ne faut toutefois pas oublier qu'il s'agit d'outils non juridiques et, de ce fait, extrinsèques à la détermination du bénéfice en droit, alors que les dispositions de la Loi et les autres règles de droit établies constituent la base même de cette notion.

[...]

[...] La comptabilité générale vise habituellement à fournir une image comparative du bénéfice d'une année à l'autre et tend donc à respecter une uniformité méthodologique pour le bénéfice de ceux à qui sont destinés les états financiers: notamment les actionnaires, les investisseurs, les prêteurs, les organismes de réglementation. Par contre, le calcul de l'impôt vise seulement à produire, pour le bénéfice du contribuable et du percepteur d'impôts, une image fidèle du revenu pour chaque année d'imposition. Selon l'activité commerciale du contribuable au cours d'une année donnée, la méthode utilisée pour calculer le bénéfice aux fins de l'impôt peut être très différente de celle utilisée l'année précédente, qui elle aussi a pu différer de celle utilisée l'année d'avant. Par conséquent, bien que la comptabilité générale puisse, dans les faits, constituer à certaines fins une méthode fidèle de détermination du bénéfice, son application à la question juridique du bénéfice est intrinsèquement limitée. La prudence s'impose dans l'application de principes comptables à des questions juridiques.

   [Les italiques sont de moi.]

[26] Quelle méthode faudrait-il utiliser pour traiter les frais courants des biens? On ne peut tout simplement faire abstraction de ces frais. Le juge Iacobucci suggère d'utiliser la méthode qui permet d'avoir une image fidèle du revenu du contribuable pour l'année.

[27] Les appelants font valoir que les frais courants[17] devraient être déduits dans l'année d'imposition au cours de laquelle ils sont engagés. Pour sa part, l'intimée soutient que tous les coûts liés aux biens devraient être capitalisés[18]. À mon avis, les coûts doivent être capitalisés dans le cas des biens figurant à l'inventaire qui sont admissibles à une réduction de la valeur en application du paragraphe 10(1), mais cela n'est pas valable aux fins du paragraphe 10(1.01). L'esprit de l'article 10 comme tel peut être invoqué pour étayer la position des appelants selon laquelle les frais courants devraient être déductibles annuellement, à l'exception des frais d'intérêt et des impôts fonciers applicables à un fonds de terre vacant, dont il est expressément question au paragraphe 10(1.1)[19]. Les coûts prévus au paragraphe 10(1.1) comprennent les frais d'intérêt et les impôts fonciers, dont la déduction est habituellement refusée aux termes du paragraphe 18(2). Toutefois, dans la mesure où le paragraphe 18(2) ne permet pas la déduction de ces dépenses, le paragraphe 10(1.1) prévoit qu'elles peuvent être capitalisées ou ajoutées au coût d'acquisition, pour le contribuable, du fonds de terre vacant.

[28] Reprenant le raisonnement du juge Iacobucci dans l'arrêt Canderel, je conclus que les frais courants liés aux biens devraient être déduits dans les années au cours desquelles ils ont été engagés. Dans l'arrêt Canderel, il est précisé que la méthode de calcul à utiliser est celle qui reflète le mieux les pertes de revenu du contribuable. Cette méthode correspond également à celle proposée par M. Kelly, dont j'accepte le témoignage d'expert. Les appelants ont présenté dans leur plaidoirie un calcul de leurs pertes annuelles en application du paragraphe 10(1.01), lequel calcul indique le bon résultat du point de vue comptable. Les parties avaient convenu dans l'exposé conjoint des faits que leurs appels seraient traités de la même manière si l'ancien article s'appliquait. Je suis d'accord avec les calculs reproduits ci-après :

Calcul des pertes annuelles des appelants en application du paragraphe 10(1.01)

Tableau des pertes — Jones

Année

Coût au 1er janvier

Perte dans l'année

Coût accumulé (coûts plus pertes)

“ Coût d'acquisition ”

Déduction dans l'année (excédent du coût accumulé sur le “ coût d'acquisition ”)

1990

76 750 $

9 903 $

86 653 $

76 750 $

9 903 $

1991

76 750 $

8 769 $

85 519 $

76 750 $

8 769 $

1992

76 750 $

11 376 $

88 126 $

76 750 $

11 376 $

Tableau des pertes — Stremler

Année

Coût au 1er janvier

Perte dans l'année

Coût accumulé (coûts plus pertes)

“ Coût d'acquisition ”

Déduction dans l'année (excédent du coût accumulé sur le “ coût d'acquisition ”)

1991

305 982 $

42 561 $

348 543 $

305 982 $

42 561 $

1992

305 982 $

38 586 $

344 568 $

305 982 $

38 586 $

1993

305 982 $

29 028 $

335 010 $

305 982 $

29 028 $

Même si ce n'est peut-être pas l'intention qu'avait le législateur en réagissant rapidement en apparence à l'arrêt Friesen, c'est la conclusion qui doit être tirée du libellé du paragraphe 10(1.01) conjugué à l'esprit de l'article 10. Cette façon de faire reflète le plus fidèlement possible la situation des contribuables. Les frais courants sont des dépenses réelles. Le refus de ces frais ne permettrait pas de donner une image fidèle du revenu et des pertes des appelants.

[29] Les appels sont admis, avec frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations pour le motif que les biens sont des biens figurant à l'inventaire et qu'ils ont été acquis dans le cadre d'un projet à risque de caractère commercial, que le paragraphe 10(1.01) s'applique et que les frais courants liés aux biens sont déductibles dans les années au cours desquelles ils ont été engagés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de janvier 2000.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de mars 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Dossier de la Cour no 95-2798(IT)G, (jugement daté du 29 septembre 1997).

[2]               Maritime Electric Co. v. General Dairies Ltd., 1937 A.C. 610, cité par le juge Bowman dans l'affaire Goldstein v. The Queen, 96 DTC 1029, à la page 1034.

[3]               Précitée.

[4]               [1988] 1 C.T.C. 336 (C.F. 1re inst.).

[5]               [1995] 2 C.T.C. 369 (C.S.C.).

[6]               56 DTC 1125 (C. de l'Échiquier).

[7]               Gustavson Drilling (1964) Ltd. v. M.N.R., 75 DTC 5451 (C.S.C.), à la page 5456. Il a été statué qu'une modification de l'article 83 de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquait parce qu'elle n'avait pas d'effet rétroactif mais prévoyait simplement que les nouvelles règles devaient s'appliquer aux années ultérieures.

[8]               Le communiqué annonçant la modification de l'article 10 précise ce qui suit :

                Si un contribuable demande une réduction de la valeur des biens à l'inventaire détenus aux fins d'une affaire de caractère commercial pour une année d'imposition terminée aujourd'hui au plus tard, le montant déclaré à titre de juste valeur marchande du bien (ou le montant révisé déterminé par Revenu Canada lors d'une cotisation ou nouvelle cotisation) sera considéré comme égal au coût de ce bien pour le contribuable aux fins du calcul du revenu ou de la perte susceptible d'être réalisée ultérieurement.

[9]               Intertan Canada Ltd. v. M.N.R., [1993] 1 C.T.C. 2311, 93 DTC 354 (C.C.I.), confirmé par 96 DTC 6522 (C.F. 1re inst.). Même si cette affaire traitait d'un communiqué diffusé avant la modification d'un règlement, le principe énoncé ci-dessus peut être appliqué aux faits de l'espèce.

[10]             Principes comptables généralement reconnus.

[11]              Communiqué daté du 21 décembre 1995.

[12]             Bailey v. M.N.R. [1990] 1 CTC 2450, 90 DTC 1321 (C.C.I.), Stein v. The Queen, 96 DTC 1526.

[13]             Précitée.

[14]             Le principe comptable en vertu duquel les charges et les produits sont rattachés les uns aux autres afin de déterminer le revenu net pour une période comptable.

[15]             Les fonds de terre vacants sont visés par le paragraphe 10(1.1).

[16]             98 DTC 6100.

[17]             Il s'agit des frais courants liés aux biens figurant à l'inventaire détenus dans le cadre d'un projet à risque de caractère commercial.

[18]              Voir également le bulletin IT-473R de Revenu Canada.

[19]              Le paragraphe 10(1.1) prévoit expressément que certaines dépenses doivent être incluses dans le coût d'acquisition, pour un contribuable, d'un fonds de terre figurant à l'inventaire pour l'application des paragraphes (1), (1.01) et (10).

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