Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990520

Dossiers: 96-521-IT-G; 96-529-IT-G

ENTRE :

LES SOUVENIRS JEANNOIS INC., ADEL TRABOULSI,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de cotisations pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991 et 1992.

[2] Les appels sont connexes, d'où il a été convenu de procéder au moyen d'une preuve commune. Les cotisations furent établies au moyen du procédé dit “Avoir Net” quant au dossier de l'appelant, 96-529(IT)G.

[3] La preuve a été constituée par les témoignages de monsieur Nicol Simard, en sa qualité de mandataire des appelants, ayant travaillé au niveau des comptabilités tant de l'appelant que de la compagnie, Les Souvenirs Jeannois Inc., exploitant un salon-bar sous le nom de “Bar le Sexe-O-Fun Disco le Magnum”. L'appelant a aussi témoigné.

[4] L'intimée a fait témoigner monsieur Jean-Claude Delisle, responsable du travail de vérification à l'origine des cotisations.

PREUVE DES APPELANTS

[5] Monsieur Simard a d'abord témoigné au moyen de documents qu'il avait lui-même préparés. Selon lui, il s'agissait d'un travail effectué après la production des projets de cotisations émis par l'intimée. Comme la date était antérieure à la vérification, il a prétendu qu'il avait simplement fait erreur quant à la date. Le travail et les calculs de monsieur Simard ont été très sommaires. En effet, certaines données n'avaient aucun fondement et étaient essentiellement intuitives. La source des informations colligées était Adel Traboulsi, l'appelant. Il semble que son mandat portait essentiellement sur un travail très superficiel permettant de faire une conciliation apparente. Le but de l'exercice visait à expliquer que l'enrichissement crédité à l'appelant prenait sa source dans un important montant provenant du Liban dont l'appelant avait bénéficié à compter de 1987.

[6] Monsieur Simard n'a jamais été très explicite; il a pris pour acquis que le montant était bel et bien venu du Liban. D'ailleurs, tout au cours de son témoignage, il a utilisé régulièrement les verbes présumer et supposer dans son témoignage. Il a soulevé toutes sortes d'hypothèses pouvant expliquer les écarts constatés mais n'a jamais vraiment étoffé ses prétentions au moyen d'une preuve documentaire persuasive.

[7] Le fait que les grosses bières se vendaient le même prix que les consommations de boissons fortes a fait l'objet de longues observations et commentaires pour expliquer que cela avait pu avoir des effets pervers au niveau des profits nets de l'entreprise. Il s'agissait là de pures spéculations, le tout n'étant soutenu par aucune preuve et pièce justificative. Il a également abondamment fait état des ratios et des pourcentages qui prévalaient dans l'industrie semblable.

[8] L'appelant a ensuite témoigné. D'entrée de jeu, il a indiqué qu'il ne connaissait rien à la comptabilité et qu'il faisait aveuglément confiance à ceux qu'il avait mandaté pour s'occuper de sa comptabilité. Il a d'ailleurs dit et répété qu'il se contentait de signer à l'endroit qu'on lui indiquait.

[9] Il a aussi fait mention qu'il ne savait ni lire, ni écrire pour justifier sa non-connaissance de certains documents. Il a témoigné longuement sur la question du montant de 34 917 $ US, payable à son ordre en provenance du Liban, le 30 septembre 1987. Il a expliqué que ce montant lui venait de sa famille qui avait voulu l'aider à la suite de ses déboires financiers.

[10] Il a prétendu que le montant en question devait servir essentiellement à ses frais de subsistance, ajoutant qu'il lui était interdit d'utiliser cet argent pour une activité commerciale. Pour s'assurer du bon usage du montant, le tout avait été remis à son frère Georges, lequel n'est pas venu témoigner.

[11] S'agissait-il d'un don, d'un prêt ou même de son propre argent placé dans une banque libanaise? La preuve n'a jamais permis d'avoir une réponse acceptable.

[12] Ce montant provenant du Liban, serait devenu disponible quelques mois avant que l'appelant ne fasse cession de ses biens, le 25 janvier 1988. Or, il n'est aucunement fait mention de ce montant ni en terme d'actif, ni au niveau du passif dans la faillite. Selon lui, le montant n'avait pas à être déclaré parce qu'il ne venait pas du Canada et devait servir exclusivement à le faire vivre durant la période difficile qu'il traversait.

[13] Une fois la traite bancaire négociée, l'argent comptant fut remis à son frère Georges; ce dernier lui remettait, au besoin, des sommes toujours en cash à même le montant. Les montants variaient entre 400 $ et 600 $. À certains moments, il s'agissait d'avances, à d'autres de prêts. Aucun document, billet ou reconnaissance de dettes ne furent préparés.

[14] Tout se faisait en cash parce qu'aux dires de l'appelant, lui et sa famille ne font pas confiance aux banques.

[15] Lors de sa faillite, l'appelant cède sa maison à son frère, Georges; ce dernier lui recède, une fois la faillite terminée, moyennant une considération inférieure de plus de 10 000 $. La preuve n'a jamais fourni d'explication si le montant provenait ou non du magot en provenance du Liban.

[16] Le fameux montant était utilisé chaque fois qu'il devenait nécessaire d'expliquer un trou ou écart dans la comptabilité. Il lui fut ainsi référé pour expliquer la présence d'un montant de 20 000 $ cash, caché dans le plafond de son bureau où encore là, selon l'appelant, il s'agissait de l'argent en provenance du Liban. L'appelant avait une très bonne mémoire pour certains éléments et le temps écoulé avait, par contre, ébranlé sa mémoire pour d'autres aspects. À cela s'ajoutait sa non-connaissance de la comptabilité et son incapacité de lire et d'écrire.

[17] Le Tribunal a noté que l'appelant était une personne très intelligente en mesure de comprendre très bien et, comprenant effectivement très bien, la situation. Vif d'esprit et très clairvoyant, il a toujours très bien contrôlé l'information qu'il voulait bien donner.

[18] La preuve a aussi démontré que l'appelant avait fait l'objet de cotisations au début des années 1980, établies également par “Avoir Net”. L'appelant a aussi reconnu avoir été déclaré coupable d'infractions reliées au trafic des narcotiques. De ces diverses expériences passées, l'appelant aurait dû apprendre et retenir que seule une comptabilité adéquate, transparente et appropriée lui éviterait des problèmes lors d'une éventuelle vérification. Malgré cela, il n'a pu fournir de justifications vraisemblables et cohérentes. La carte de l'ignorance et de l'inexpérience utilisée par l'appelant a eu l'effet contraire à celui recherché, étant donné les expériences passées dont il aurait dû profiter et desquelles il devait apprendre.

[19] Il ne suffit pas de critiquer la méthode utilisée par le ministère du Revenu national (le “Ministère”) en y opposant que les références utilisées, émanant de statistiques ou standards reconnus, ne sont pas pertinentes.

[20] Il ne suffit pas de relever une ou deux lacunes mineures et conclure que tout le processus a été vicié. Il est peut-être approprié de discréditer la façon dont le Ministère a agi en démontrant que certains fondements n'étaient pas opposables ou s'ils l'étaient, ils n'avaient pas l'importance qu'on leur a attribuée. Même si les critiques et griefs peuvent être justifiés en partie, cela ne sera pas pour autant suffisant pour obtenir gain de cause.

[21] Il sera nécessaire, voire essentiel de démontrer par une prépondérance de la preuve que l'enrichissement constaté du patrimoine est justifié et s'explique par des faits vraisemblables et crédibles. Il devra y avoir cohérence dans le cheminement des composantes à l'origine de la plus value.

[22] En l'espèce, dans un premier temps, l'appelant n'a strictement rien démontré qui soit de nature à disqualifier la qualité du travail effectué par les vérificateurs. Il s'est essentiellement replié derrière le mystérieux montant en provenance du Liban en 1987. Il a utilisé ce montant comme fourre-tout pour justifier ce qui ne balançait pas. Quant aux autres rubriques, son procureur a fait mention qu'il ne fumait pas et ne faisait pas de dons. Son comptable a réduit l'allocation pour essence en indiquant que bien que l'appelant avait cinq voitures, il n'en utilisait qu'une à la fois.

[23] Le procureur de l'appelant, lors des plaidoiries, a répété que son client ne correspondait pas au standard établi par Statistiques Canada; il a soutenu qu'il s'agissait d'un cas particulier mais la preuve n'en a jamais été faite. Les griefs soulevés par les appelants furent superficiels et peu importants; ils ne constituent certainement pas une preuve suffisante pour en disqualifier le résultat global.

[24] Je n'ai tout simplement pas cru l'ensemble du témoignage de l'appelant. Ses réponses passe-partout, tels je ne sais ni lire, ni écrire, je ne m'en souviens plus, je ne connais rien en comptabilité, je signe là où on me dit, je ne fais pas confiance aux banques, etc., ne sont certainement pas des éléments qui soient de nature à valider ce témoignage.

[25] Il n'y a aucun doute dans mon esprit que l'appelant et la compagnie qu'il dirigeait ont été grossièrement négligents dans la gestion de leur comptabilité. Cela est d'autant plus inacceptable que la preuve a démontré que l'appelant avait déjà fait l'objet de cotisations découlant du procédé dit “Avoir Net”.

[26] Il a pu prétendre et soutenir qu'il ne maîtrisait pas certaines règles ou se repliait derrière son incapacité de lire et comprendre certains documents; le Tribunal a néanmoins pu constater que l'appelant connaissait parfaitement bien le langage universel des chiffres. Il a choisi de plaider l'ignorance mais la preuve a démontré qu'elle n'était justifiée ni justifiable dans les circonstances d'autant plus que la seule preuve testimoniale soumise a été totalement déficiente mais surtout invraisemblable.

[27] Pour ces motifs, les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada ce 20e jour de mai 1999.

“Alain Tardif”

J.C.C.I.

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