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Date: 19980515

Dossier: 97-812-IT-I

ENTRE :

R. J. SLOBODRIAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel sous le régime de la procédure informelle contre la nouvelle cotisation que le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établie à l'égard de l'année d'imposition 1995.

[2] Il s'agit de savoir si la prestation de services qu'une personne fournit bénévolement à un établissement universitaire à titre de professeur et de chercheur est un don au sens de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[3] Les faits de la présente espèce ne sont pas réellement contestés. Ils sont décrits comme suit aux paragraphes 3 et 5 de la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

3. Dans le calcul de ses crédits d'impôt non remboursables pour l'année d'imposition 1995, l'appelant a déduit, à titre de dons de bienfaisance, les montants suivants :

Fondation de l'hôpital Laval     20 $

Association canadienne des physicistes 25 $

Congrégations St. Stephen's et St. Vincent 590 $

Université Laval (T4) 447 $

Université Laval — valeur pécuniaire 15 000 $

16 082 $

5. En établissant ainsi la nouvelle cotisation de l'appelant, le ministre a émis les hypothèses de fait suivantes :

a. dans le calcul de ses dons de bienfaisance pour l'année d'imposition 1995, l'appelant a déduit un montant de 15 000 $ au titre des dons de bienfaisance à l'égard du temps qu'il avait consacré à faire des recherches pour l'université Laval (l'“ employeur ”), et ce, sans être rémunéré;

b. l'appelant n'exigeait aucune rémunération de l'employeur;

c. le montant de 15 000 $ n'était pas inclus dans le feuillet T4 préparé par l'employeur;

d. l'appelant n'a pas démontré qu'il avait donné quoi que ce soit à l'employeur;

e. l'appelant n'a pas présenté de reçu officiel délivré par une organisation enregistrée comme l'exige l'article 3501 du Règlement de l'impôt sur le revenu;

[4] Dans son avis d'appel, l'appelant a notamment déclaré ceci :

[TRADUCTION]

Une deuxième nouvelle cotisation tardive a subséquemment été établie et un don, à savoir des recherches scientifiques effectuées pour l'Agence spatiale canadienne ainsi que des activités liées à l'enseignement (enseignement supérieur, activités de directeur de thèses, etc.) effectuées pour l'université Laval, lesquelles avaient été évaluées à leur juste valeur marchande, a été refusé. Un crédit d'impôt de 4 145 $ découlait de ce don.

Le Guide d'impôt général de 1995 dit, à la page 37, sous la rubrique : “ Dons autres que les dons en argent ”, qu'il est possible de déduire des dons autres qu'en argent. La brochure intitulée : “ Les dons et l'impôt ” P113 (F) Rév. 95, mentionne des dons en nature, tant de biens que d'oeuvres d'art. La recherche et la découverte scientifiques appartiennent certainement à la même catégorie que les oeuvres d'art et font partie intégrante du patrimoine culturel d'un pays. [...]

Je crois avoir effectué un véritable don (comme le dit le Guide de l'impôt) ou un don visé par l'esprit de nos lois fiscales et par l'article 118 (dont une copie est jointe aux présentes). De fait, en 1995, j'ai engagé plusieurs dépenses directement liées à mes activités de chercheur principal chargé du contrat et à mes responsabilités en matière d'enseignement. [...] Je joins un exemplaire du rapport que j'ai rédigé pour l'Agence spatiale et une copie d'un article paru dans Physics in Canada, pendant la période ici en cause, établissant les aspects concrets de mes recherches. Je ne crois pas que, selon l'esprit de nos lois fiscales, il soit logiquement possible de faire une distinction entre des oeuvres d'art et des travaux scientifiques (recherche et développement) en ce qui concerne leur admissibilité en tant que don. Les arts et les sciences vont de pair dans les sociétés civilisées, et ce, depuis l'Antiquité.

[5] L'appelant a admis les faits susmentionnés figurant dans la réponse, à l'exception de l'énoncé figurant à l'alinéa 5d).

[6] L'appelant, qui faisait partie du corps enseignant, a pris sa retraite à la fin du mois d'août 1995; il a alors commencé à toucher sa pension. À peu près à ce moment-là, il a été nommé “ professeur associé ” pour la période allant du 1er septembre 1995 au 31 août 1998. Cela lui permettait de conserver son bureau et de continuer à faire partie, à certaines conditions, du corps enseignant et des adjoints à la recherche de la faculté. C'est ce qui est déclaré dans une lettre que le “ vice-recteur aux ressources humaines ” a envoyée à l'appelant en octobre 1995, laquelle a été versée sous la cote R-3.

[7] L'appelant a expliqué qu'en 1995, il avait fait à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, pour le compte de l'université Laval, une offre à l'égard d'un projet de recherche. Cette offre a été produite sous la cote A-2. La pièce A-3 est l'appel d'offre. La pièce A-4 fait également partie de l'offre, mais elle se rapporte à l'établissement des coûts du projet de recherche. Selon ce document, il n'en coûterait rien pour les services du chercheur principal. Les pièces A-2 et A-4 sont datées du 28 février 1995. L'appelant a déclaré que, normalement, les universités n'exigent pas de frais pour les services de chercheur principal lorsqu'elles effectuent des travaux de recherche pour les tiers, ces travaux étant un outil utile aux fins de la formation et permettant aux adjoints à la recherche ou aux stagiaires de gagner un revenu. La pièce A-5 est l'acceptation par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, au nom de l'Agence spatiale canadienne. L'annexe A qui y est jointe montre qu'on n'exige pas de frais pour les services du chercheur principal, M. R. J. Slobodrian.

[8] La pièce A-1 est un document signé par M. Pierre Amiot, “ directeur du département de physique, de la faculté des sciences et de génie de l'Université Laval ”, daté du 29 avril 1996. Ce document dit ceci :

A qui de droit,

Le Dr. R.J. Slobodrian a donné un cours gradué durant le trimestre d'automne de 1995, entre septembre et décembre. Il a aussi agi à titre de chercheur principal d'un contrat de l'agence spatiale canadienne en novembre et décembre de 1995. Ces activités ont été effectuées au département de physique de la faculté de sciences et de génie de l'université Laval. Il n'a pas perçu une rémunération pour le temps donné à l'institution.

Dr. Pierre Amiot

Directeur de département

Évaluation monétaire :

Cours gradué, 100 hrs. 44.27/hr. 4 427 $

Chercheur principal, 240 hrs. 44.27/hr. 10 625 $

Total 15 052 $

[9] M. Amiot, qui a témoigné à la demande de l'avocate de l'intimée, a déclaré que, de fait, l'appelant avait donné un cours au niveau des études supérieures et qu'il avait été le chercheur principal dans le cadre des travaux de recherche ci-dessus décrits, sur une base bénévole. M. Amiot a expliqué qu'à la demande de l'appelant, il avait rédigé le document qui a été versé sous la cote A-1. Il croyait sincèrement que l'appelant avait effectué le nombre d'heures mentionnées; il a affirmé que le taux n'était certainement pas excessif. M. Amiot a expliqué que l'appelant travaillait encore à la faculté à titre de professeur associé, comme il en est fait mention dans la pièce R-3 ci-dessus, et que même maintenant, il était difficile d'arriver au bureau avant lui, et qu'il ne doutait donc pas que l'appelant eût effectué le nombre d'heures mentionnées à la pièce A-1.

[10] L'agent du ministre au stade des appels, M. Côté, a expliqué qu'on avait principalement refusé d'accorder le crédit d'impôt à l'appelant parce que la prestation de services bénévoles n'est pas un don. Il est essentiel qu'un reçu soit fourni, mais l'agent fondait sa décision sur le fond de l'affaire.

[11] En établissant la cotisation comme il l'a fait, le ministre suivait ce qui était dit dans le bulletin d'interprétation IT-110R3 : Dons et reçus officiels de dons. L'alinéa 15d) du paragraphe 15, intitulé : “ Contributions non admissibles ”, se lit comme suit :

d) Une contribution sous forme de services ne peut pas être reconnue comme un don simplement parce que l'organisme de bienfaisance a délivré un reçu officiel. Un don doit mettre en cause des biens. Une contribution sous forme de services (p. ex., du temps, des compétences et des efforts) n'est pas un bien et n'est donc pas admissible. Néanmoins, rien n'empêche un organisme de bienfaisance de payer pour des services et de se voir remettre par la suite la totalité ou une partie du paiement sous forme de don, à condition que la remise soit volontaire. En pareil cas, le donateur doit déclarer ce revenu, qui est imposable, qu'il toucherait soit comme rémunération (auquel cas l'organisme pourrait être tenu d'émettre un feuillet de renseignements) ou comme revenu d'entreprise.

[12] L'avocate de l'intimée a cité l'article 1806 et le premier paragraphe de l'article 1807 du Code civil, qui se lisent comme suit :

Art. 1806. La donation est le contrat par lequel une personne, le donateur, transfère la propriété d'un bien à titre gratuit à une autre personne, le donataire; le transfert peut aussi porter sur un démembrement du droit de propriété ou sur tout autre droit dont on est titulaire.

Art. 1807. La donation entre vifs est celle qui emporte le dessaisissement actuel du donateur, en ce sens que celui-ci se constitue actuellement débiteur envers le donataire.

[13] L'avocate a également cité La Collection Bleue, Faculté de Droit, Section de droit civil, Université d'Ottawa, dans la section intitulée : “ Donations, substitutions et fiducie ”, page 14, paragraphe I, L'élément matériel :

Pour qu'il y ait donation, il faut d'abord qu'il y ait une transmission de valeur d'un patrimoine à un autre, cela sans contrepartie. En d'autres termes, il faut que le donateur se dépouille d'un droit patrimonial sans compensation, pour le faire acquérir par le donataire; il est donc nécessaire qu'il y ait un lien de causalité entre l'abandon du droit et son acquisition.

[14] En réponse à la position de l'intimée selon laquelle les services ne sont pas des biens et ne peuvent pas faire l'objet d'un don, l'appelant a soutenu qu'il ne fournissait pas des services bénévoles ordinaires, mais qu'il effectuait des travaux scientifiques qu'il donnait, comme l'artiste qui donne une oeuvre d'art.

[15] En ce qui concerne l'argument de l'appelant, il faut dire que cela ne correspond pas à la réalité juridique. L'appelant n'a pas donné les travaux de recherche qui sont devenus le produit de ses services étant donné que ces travaux appartenaient à la personne qui les avait payés. L'artiste peut donner un tableau, mais il ne donne pas ses aptitudes. L'appelant a fourni des services, quoique de nature scientifique. Il reste à savoir si la prestation de services bénévoles constitue un don.

[16] Il est reconnu, pour l'application de la Loi, que le mot “ don ” s'entend d'un transfert volontaire de biens sans contrepartie : The Queen v. Burns, 88 DTC 6101, à la page 6104 (C.F. 1re inst.), conf. 90 DTC 6335 (C.A.F.). Cela n'est pas différent de la définition qui figure à l'article 1806 du Code civil, cité au paragraphe 12 des présents motifs.

[17] En fin de compte, il faut déterminer si les services sont visés par la définition de “ biens ”.

[18] Le mot “ biens ” est défini comme suit au paragraphe 248(1) de la Loi :

“ biens ” Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

b) à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

c) les avoirs forestiers;

d) les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

[19] Le mot “ biens ” n'est pas défini dans le Code civil. Son sens juridique a été établi par les auteurs et par la jurisprudence; il s'agit de quelque chose qu'il est possible de s'approprier ou de posséder.

[20] Comme l'a mentionné l'avocate de l'intimée, il ne semble pas y avoir de décision canadienne portant sur la question de savoir si des services peuvent faire l'objet d'un don au sens de l'article 118.1 de la Loi.

[21] Aux États-Unis, l'article 170 du Internal Revenue Code prévoit une déduction à l'égard des sommes versées à des organismes de bienfaisance et des dons qui sont faits au cours d'une année imposable. Dans la décision John R. Holmes v. Commissioner of Internal Revenue, (1971), 57 TC 430, voici ce que le juge Forrester a dit, à la page 436 :

[TRADUCTION]

Aux fins de notre examen, le mot “ biens ” est défini de diverses façons comme étant “ ce qui est ou peut être possédé ”, “ le droit exclusif de posséder une chose, d'en jouir et d'en disposer ” et “ ce sur quoi une personne a un titre légal ”, alors que le mot “ services ” peut être défini de diverses façons comme se rapportant à des actes “ accomplis au profit ou sous la direction d'une autre personne ”, des actions “ qui assurent la réalisation d'un but ou d'une fin ”, une conduite “ qui aide quelqu'un ou qui aide à quelque chose, ou qui est profitable à quelqu'un ou à quelque chose ” et des “ actes utiles ou accessoires à un objet ”. Webster's New International Dictionary, p. 1818, 2075 (3e éd., 1961).

[22] Il est intéressant de noter que, dans l'affaireCharles L. and Billie W. Etheridge v. Commissioner of Internal Revenue, (1977), TC Memo 1977-175, où les faits étaient semblables à ceux de la présente espèce, les requérants, qui enseignaient dans un collège, avaient soutenu, comme l'a fait le présent appelant, qu'une distinction devrait être faite entre les services professionnels et les services bénévoles ordinaires de façon que les premiers puissent être déduits. La Cour a statué que le libellé de la loi ne permettait pas de faire pareille distinction :

[TRADUCTION]

[...] Les requérants affirment que leurs services étaient de nature purement professionnelle et qu'il s'agit donc de services différents de ceux qui sont ordinairement fournis à titre bénévole aux organismes de bienfaisance. [...]

[...] Si les requérants avaient été rémunérés en espèces pour les services qu'ils ont fournis à titre bénévole et s'ils avaient ensuite investi l'argent dans le projet, ils auraient peut-être eu droit à des déductions à l'égard du montant reçu en espèces, mais ces déductions auraient été compensées par un revenu imposable additionnel. Le règlement est destiné à empêcher la déduction de la valeur d'un service lorsque cette valeur n'est pas incluse dans le revenu imposable. Il faut louer les requérants pour avoir offert leurs précieux services de façon que ceux qui bénéficiaient du projet reçoivent une meilleure instruction, mais le Internal Revenue Code ne permet tout simplement pas la déduction demandée.

[23] Dans le jugement Kahn-Tineta Horn v. M.N.R., 89 DTC 147, j'ai eu à me demander si les compétences et la formation étaient des biens pour l'application du paragraphe 90(1) de la Loi sur les Indiens, et j'ai conclu qu'elles ne l'étaient pas. J'ai cité la décision Rapistan Canada Ltd. v. M.N.R., 74 DTC 6426 (C.A.F.), dans laquelle le juge en chef Jackett a statué, à la page 6428, que les connaissances et les idées ne constituent pas des biens. Je cite le juge :

[...] ces connaissances, compétence ou expérience, pour autant que je sache, ne constituent pas, au regard d'aucun système juridique au Canada, des “biens” pouvant faire l'objet d'une donation, d'un octroi ou d'une cession, [...] Si je comprends bien la loi, les connaissances ou les idées en tant que telles, ne constituent pas des biens.

[24] De fait, la distinction entre les biens et les services peut également être facilement constatée dans l'usage ordinaire de ces mots, tels qu'ils sont définis dans le Shorter Oxford English Dictionary. Le mot “ service ” (service) est défini comme suit :

[TRADUCTION]

II. 1. Exécution des tâches par un préposé; fonction de préposé; travail effectué sous les ordres et au profit d'un commettant [...] b. Fait de servir; tâche ou travail effectué pour un commettant ou un supérieur. [...] IV. 1. Action de servir, d'aider, d'être utile; conduite tendant à assurer le bien-être d'une autre personne ou à lui être utile. [...] c. Collect. pl. Aide amicale ou professionnelle.

Le mot “ property ” (bien) est défini comme suit :

[TRADUCTION]

1. Chose susceptible d'appropriation, droit de propriété; [...] 2. Ce qui appartient à une personne; possession ou possessions collectivement, richesses ou avoirs d'une personne.

[25] En témoignant, l'appelant a déclaré qu'il avait engagé des dépenses en vue de fournir des services bénévoles. Cela ne me semble pas non plus être un don de biens à un organisme de bienfaisance. Si l'appelant avait le droit d'être dédommagé de ces frais, ce droit serait un bien meuble. Si l'appelant avait cédé ce bien gratuitement à un organisme de bienfaisance, cela aurait peut-être fait l'objet d'un don. De même, si la personne qui fournit des services a le droit d'être rémunérée à cet égard, ce droit devient le bien de cette personne. Toutefois, c'est le droit au paiement qui est le bien plutôt que les services eux-mêmes.

[26] Compte tenu des circonstances de l'espèce, l'appelant a apporté ses connaissances, ses compétences et ses talents sous forme de services fournis à l'université. Ces services ont ajouté une valeur, et ont en fin de compte donné lieu à un travail susceptible d'appropriation, lequel était un bien, mais les services eux-mêmes n'étaient pas susceptibles d'appropriation et ils ne devraient donc pas être considérés comme des biens. Cela étant, les services ne peuvent pas constituer l'objet d'un don.

[27] Par conséquent, l'appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 1998.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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