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Date: 19990923

Dossier: 97-3253-IT-I

ENTRE :

TONY DESCHÊNES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Lors de sa vérification de la société Tony Transport Inc. (TTI), le ministre du Revenu national (ministre) a constaté que cette société ne tenait pas de registres comptables adéquats. Le ministre a alors décidé de procéder à une vérification à l'égard de l'unique actionnaire de TTI, soit monsieur Tony Deschênes, et a établi de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 en utilisant la méthode de cotisation selon l'écart de l'avoir net. Le ministre a ajouté comme revenu additionnel de monsieur Deschênes 16 507 $ pour 1992 et 4 273 $ pour 1993. Sa vérification n'a révélé aucun écart non expliqué pour l'année d'imposition 1994. Le ministre a aussi imposé à l'appelant des pénalités de 1 594,09 $ pour l'année d'imposition 1992 et de 480,26 $ pour l'année 1993.

[2] Monsieur Deschênes a interjeté appel à l'encontre des cotisations pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 (années d'imposition pertinentes). Il prétend que le ministre a commis certaines erreurs lors du calcul des écarts de l'avoir net. En particulier, il prétend que certains actifs au bilan du 31 décembre 1991 et le passif qui s'y rapporte ont subi une double imposition lors de leur disposition. Selon l'explication que fournit monsieur Deschênes dans son avis d'appel, il y a eu double imposition : “ en premier lieu, sur la base des paiements réduisant les dettes à chacune des années et en second sur la valeur d'origine, moins la valeur obtenue lors de la disposition de l'actif. ” Les trois actifs (trois actifs) apparaissant dans le bilan dressé par le ministre qui font l'objet du litige sont une automobile Firefly, un “ motorisé ” Mallard et une motoneige Yamaha. Finalement, monsieur Deschênes prétend que le coût d'achat et le produit de disposition du “ motorisé ” sont erronés et que, par conséquent, son revenu non déclaré devrait être diminué de 500 $ pour 1992.

[3] Les appels de monsieur Deschênes ont été entendus par mon collègue le juge Tremblay qui, malheureusement, est décédé avant de pouvoir rendre sa décision. Les parties ont accepté que le juge en chef renvoie les appels à un autre juge de cette cour afin que la décision puisse être rendue sur la foi de la transcription de la preuve faite lors de l'audition, des pièces produites et de l'argumentation écrite. C'est à moi qu'on a renvoyé ces appels.

Faits

[4] Parmi les pièces produites lors de l'audition de l'appel, il y a l'état de l'avoir net dressé par le vérificateur du ministre. J'en reproduis ici les parties les plus pertinentes :

Actifs

1991

1992

1993

1994

Autres actifs(1)

146 922

177 278

577 576

654 157

Pontiac Firefly 1990

13 026

13 026

Motoneige Yamaha

7 280

7 280

7 280

“ motorisé ” Mallard

16 000

TOTAL ACTIFS

183 228

197 584

584 856

654 157

Passifs

Autres passifs(2)

83 574

73 031

444 346

330 750

C.P. St-Jean Folio 3452 Prêt #6

6 570

5 170

3 547

1 766

Dû à G.M.A.C. (Firefly)

10 594

7 773

TOTAL PASSIFS

100 738

85 974

447 893

332 516

Avoir net

82 490

111 610

136 963

321 641

Avoir net des années antérieures

    0,00

82 490

111 610

136 963

Augmentation (Diminution) de l'avoir net

29 120

25,353

184 678

Ajustements

Additions

1992

1993

1994

Dépenses personnelles

38 469

57 037

131 139

Perte sur disposition Firefly

6 690

Perte disposition Yamaha

4 280

Perte sur disposition “ motorisé ” Mallard

3 500

Autres(3)

1 220

2 072

5 478

Total des additions

43 189

65 799

140 897

Déductions

Revenus déclarés

Tony Deschênes

20 800

47 815

236 192

Revenus déclarés Sylvie Hogue

18 539

12 162

27 638

Prestations fiscales

   396

   865

   550

Réclamation B. Huot

10 000

10 000

Revenu de location

12 000

8 000

4 000

Remboursement d'impôt

1 119

213,00

25,00

Don de Robert Deschênes

41 475

Total des déductions

52 854

79 055

319 880

Ajustements nets

-9 665

-13 256

-178 983

Revenu total par avoir net

19 455

12 097

5 695

Pour fins de règlement

Dépenses personnelles

2 948

6 229

4 054

Intérêts vente de roulotte

1 595

1,641

Écart par avoir net :

16 507

4 273

0,00

(1) J'ai regroupé tous les autres actifs sous une seule rubrique.

(2) J'ai regroupé tous les autres passifs sous une seule rubrique.

(3) J'ai regroupé les autres montants sous une seule rubrique.

[5] En annexe à la pièce A-1 produite lors de l'audition, on retrouve le contrat d'achat et le contrat de vente du “ motorisé ” de même que le contrat de vente de l'automobile Firefly. Ces documents révèlent que le prix d'achat du “ motorisé ” s'élève à 17 440 $ et non à 16 000 $ comme l'a indiqué le vérificateur du ministre dans son état de l'avoir net, que le produit de disposition de ce “ motorisé ” s'élève à 13 000 $ (et non à 12 500 $) et que le produit de disposition de l'automobile Firefly s'élève à 6 036 $ (et non 6 336 $). Le montant de la perte subie lors de la disposition du “ motorisé ” s'élève donc à 4 400 $ (et non à 3 500 $) et de celle subie lors de la disposition de l'automobile à 6 990 $ (et non à 6 690 $).

[6] Il est important de noter que l'état de l'avoir net reproduit plus haut ne représente que le résultat final du travail du vérificateur. Avant d'en arriver là, il avait préparé plusieurs autres projets que monsieur Deschênes a eu l'occasion d'analyser et à l'égard desquels il a pu fournir des explications. Au tout début, le premier projet révélait des écarts inexpliqués de 64 536 $ pour 1992, de 20 672 $ pour 1993 et de 56 412 $ pour 1994 pour un total de 141 620 $. Par suite des explications fournies par le contribuable ou son représentant, le ministre a accepté d'apporter des modifications à ses calculs et a donc diminué les écarts inexpliqués à 16 507 $ pour 1992 et à 4 273 $ pour 1993. Quant à l'année 1994, il a totalement éliminé l'écart.

Moyens des deux parties

[7] À la fin de l'audience, le juge Tremblay a demandé aux parties de produire des notes écrites dans lesquelles elles devaient exposer leurs arguments à l'appui de leur position respective. Le représentant de monsieur Deschênes, un comptable agréé, a résumé ainsi la position de son client :

Mon plaidoyer consiste à démontrer que la technique utilisée par Revenu Canada pénalise M. Tony Deschênes. Cette technique est l'objet d'une double taxation.

1) La confection des bilans de 1992, 1993 et 1994 tient compte des remboursements en capital de dettes engagées durant l'exercice précédent ou dans un présent exercice et ceux-ci sont imposés.

Les montants controversés :     1992     1993

Automobile Firefly A-1     2 821 $

Motoneige Yamaha A-2     1 400 $    1 623 $

2) Lors de la disposition d'actifs acquis à l'aide d'emprunt, la valeur d'origine moins la valeur obtenue à la revente, soit la désuétude, est imposée dans l'année de la disposition, lequel montant est considéré comme une addition, un coût de vie lors de l'établissement définitif de l'écart par avoir net.

Les montants controversés : 1992     1993 1994

Roulotte Mallard (DI - 9a) 3 500 $

Automobile Firefly (DI - 9a)     6 690 $

Motoneige Yamaha (DI - 9a) 4 280 $

Cette technique porte également préjudice à M. Deschênes. Le coût de l'immobilisation utilisée est basé sur le coût d'origine acquis moins la valeur reçue, sans tenir compte de la durée de possession de l'actif antérieur aux années sous vérification.

À titre d'exemple, prenons le cas de la roulotte Mallard (A-1 et A-2) :

À la note explicative (A-3), si les deux corrections

proposées ne sont pas acceptées, Revenu Canada

réclame une désuétude    5 440 $

La désuétude ne devrait être calculée que sur les 9 mois

des 40 mois de possession, soit la durée en 1992 :

Coût d'origine acquis le 04-04-89 17 440 $

Disposé le 12-09-92 13 000 $

4 440 x 9/40 = 4 440 999

Excédent d'imposition sur la roulotte 4 441 $

Il en est de même pour l'automobile Firefly disposée en 1993, présentant une désuétude à corriger de 1 997 $ et d'une correction proposée en faveur de l'intimée pour 300 $ et ainsi, réduire l'écart sur l'avoir net de 1 697 $ (A-1).

Résumé de la position de Revenu Canada

avec celle de l'appelant

   1992     1993 Total

Revenu Canada a établi l'écart par

avoir net (DI - 9a) 16 507 $ 4 273 $ 20 780 $

--------    ------- --------

Proposition si acceptée, à déduire :

Imposés sur les remboursements en

capital :

Automobile Firefly A-1 2 821    2 821

Motoneige Yamaha A-2 1 400    1 623 3 023

Sur la désuétude, partie

de 1991 et avant

Roulotte Mallard ou

Sprinter A-2 et A-3 4 441 4 441

Automobile Firefly A-1         1 697 1 697

Total à réduire 8 662 3 320      11 982

------- -------       --------

Écart par avoir net redressé 7 845 $ 953 $ 8 798 $

[...]

Deux exemples justifiant que les remboursements

en capital sont taxés

À même le document de l'intimé, j'ai reproduis deux exemples, dont l'un se rapportant à l'automobile Firefly, qui tient compte d'un non-remboursement de capital, en ajoutant au passif de 85 974 $, un montant de 2 821 $ (DI - 8a). Ce même montant ajouté au passif, réduit l'écart par avoir net représenté dans la colonne écrite à main levée d'un montant de 2 821 $ (DI - 9a). Cet exemple démontre que le remboursement en capital de 2 821 $ a bel et bien augmenté l'écart par avoir net qui devient imposable.

Il en est de même pour tous les remboursements en capital dont je fais mention.

Pour ce qui est de l'autre exemple, j'ai considéré qu'il n'y avait pas de dette sur l'automobile, montrant là aussi un écart et que l'augmentation de l'avoir net pour 1992 est de 26 299 $ au lieu de 29 120 $ (DI - 8a), imposant par le fait même le contribuable de 2 821 $ à cause des remboursements en capital.

Désuétude antérieure au 31 décembre 1991

non prise en considération par Revenu Canada

Suite à l'annexe apportant des précisions sur le montant en litige de 4 441 $ concernant la roulotte Mallard ou Sprinter, le représentant de l'intimé a précisé à l'audition de la cause qu'une augmentation de la valeur de la roulotte dans l'année de base était annulée lors de l'année de la vente, c'est vrai. Dans le cas présent, l'intimé a établi la disposition de la roulotte à 12 500 $ au lieu de 13 000 $, créant un écart de 500 $.

Ci-après le contenu du montant en litige de 4 441 $

Désuétude avant le 01-01-92

4 440 $ x 31 mois sur 40 mois = 3 441 $

Argent reçu en 1992 non inscrit à la section

des encaissements ou des déductions de (DI - 9a)    500

Écart dans le calcul de la disposition

Disposition (DA - 19)      13 000 $

Valeur prise par le gouvernement

Valeur (DI – 7a) 16 000 $

Perte sur disposition (DI – 9a) 3 500     12 500 500

   4 441 $

Son honneur le Juge, c'est à la demande du contribuable, M. Deschênes, de lui expliquer comment il se faisait qu'il lui semblait être taxé à la fois sur les remboursements et sur le montant de désuétude lors de la disposition d'actifs.

Je n'ai pas pu lui démontrer qu'il était dans l'erreur. C'est pour cela que nous nous trouvons devant vous.

[8] Quant à la position de monsieur Deschênes sur l'imposition de la pénalité, je reproduis les notes écrites de son représentant contenues dans sa lettre du 2 septembre 1998 :

Cette méthode d'écart par avoir net d'évaluation de revenus non déclarés présente des faiblesses. Dans le présent cas, le fait de ramener l'évaluation de revenus non déclarés de 143 620 $ à 20 780 $ justifie cette présomption.

Le fait d'établir par statistique ou moyenne nationale le coût de vie d'un individu peut léser le citoyen en lui signifiant des revenus non gagnés.

Le fait que Revenu Canada est réticent à annuler un écart négatif d'une année contre des revenus excédentaires d'une autre année démontre qu'il y a extrapolation dans l'établissement de coût de vie. Le Ministère atteste dans ce cas que le coût de vie est trop faible et tend à le rehausser pour niveler l'écart à zéro.

Devant ce procédé d'établissement de coût de vie et devant l'écart très grand entre le projet de cotisation et le résiduel en cause, il est difficile de croire que l'appelant a fait sciemment un faux énoncé ou une omission dans les déclarations d'impôts pour les années 1992 et 1993.

[9] Dans ses notes écrites, la procureure du ministre a traité de la question de savoir si la désuétude subie par un bien devrait être considérée dans le calcul effectué selon la méthode de l'écart de l'avoir net. Comme ces notes sont brèves, je les reproduis en entier :

L'audition du présent dossier a eu lieu le 7 août 1998 à Québec. À cette occasion, il a été convenu de faire parvenir des notes écrites sur la question de savoir si la désuétude subie par un bien devait être considérée dans le calcul de la méthode de l'avoir net.

Méthode de l'avoir net

Le paragraphe 152(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet au Ministre d'établir une cotisation en l'absence de déclaration du contribuable ou sans tenir compte des renseignements qui y sont fournis. Cette cotisation est dite “ arbitraire ”.

Une cotisation arbitraire est habituellement fondée sur la méthode de l'avoir net. Cette méthode est définie par P. Dussault et N. Ratti dans L'impôt sur le revenu au Canada, Les Éditions Revue de Droit, Université de Sherbrooke, p. 14-25 :

“ Une cotisation arbitraire est habituellement fondée sur la méthode de l'avoir net qui consiste à évaluer l'augmentation du capital (actif - passif) d'un contribuable au cours d'une période et à ajouter les dépenses de consommation au cours de la même période. Du résultat ainsi obtenu, on soustrait différents montants exonérés d'impôt tels les dons, les legs, les gains de hasard et la partie non imposable des gains en capital réalisés ainsi que, le cas échéant, les revenus déjà déclarés. Le solde représente le revenu additionnel, objet de la cotisation “ arbitraire. ”

Cette méthode détermine donc le changement dans l'avoir net entre le début et la fin d'une année donnée. En référant à l'état de l'avoir net, qui a été produit comme pièce sous la cote I-1, nous remarquons que les biens en litige, soit l'automobile, la motoneige et la roulotte, ont tous été inclus à l'actif du contribuable. Suivant la méthode de l'avoir net, le montant dû à G.M.A.C. pour l'automobile, soit la somme de 7 773 $, a été inclus au passif du contribuable. De plus, à la page 3 de la pièce I-1, les ajustements ont été apportés pour les pertes sur disposition de l'automobile, de la motoneige et de la roulotte.

La méthode de l'avoir net ne tient pas compte de la désuétude subie par le bien. La désuétude ou amortissement est une opération comptable qui consiste à répartir le coût d'un bien sur sa durée d'utilisation. Du point de vue du contribuable, il n'y a aucune sortie de fonds. En conséquence, cette déduction n'est pas calculée dans la méthode de l'avoir net.

Par la méthode de l'avoir net, nous tentons de déterminer l'accroissement du capital du contribuable. Par exemple, si un contribuable acquiert une automobile pour la somme de 10 000 $, il y a augmentation de son capital et l'imposition sera calculée en fonction de cette augmentation. Il serait illogique de permettre au contribuable de déduire une dépréciation s'il ne fait aucune dépense monétaire.

Nous désirons ajouter que la cotisation jouit d'une présomption de validité et à moins que le contribuable ne prouve qu'elle est erronée, la cotisation sera valide et exécutoire. Nous vous soumettons que l'appelant n'a soumis aucune autorité appuyant ses prétentions et les appels concernant les années 1992 et 1993 devraient en conséquence être rejetés. Pour l'année 1994, le ministre n'avait identifié aucun écart non expliqué; alors aucun motif d'appel n'existant, l'appel devrait également être rejeté.

La pénalité:

Pour les années 1992 et 1993, l'appelant n'a pas déclaré la totalité de ses revenus. Puisque l'appelant ne tenait pas de registres comptables, le ministre n'a eu d'autre choix que d'utiliser la méthode de l'avoir net afin d'estimer ses revenus. Nous référons la Cour à la cause Kay c. Canada (1993) CTC 2281, où il a été déterminé que l'appelant doit être considéré comme l'auteur de sa propre infortune s'il est incapable de se décharger de son fardeau de preuve à cause de l'omission de tenir des registres raisonnablement complets. Dans cette cause, la Cour a également maintenu la pénalité.

Analyse

[10] Il ne fait aucun doute que la méthode de cotisation selon l'écart de l'avoir net peut constituer une méthode appropriée pour établir une cotisation. De plus, c'est à monsieur Deschênes qu'incombe la tâche de démontrer que les nouvelles cotisations d'impôt établies par le ministre sont erronées. Par contre, c'est au ministre qu'incombe celle d'établir que les pénalités qu'il a imposées sont bien fondées. Il doit démontrer que monsieur Deschênes a fait, sciemment ou dans des circonstances équivalent à faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les déclarations d'impôt sur le revenu produites pour les années d'imposition 1992 et 1993.

[11] À l'exception des corrections à être apportées à l'état de l'avoir net relativement au coût d'achat du “ motorisé ” et sauf pour ce qui est du montant de la perte subie lors de la disposition de ce bien, chacune des parties, à mon avis, a échoué dans sa tâche. Tout d'abord, monsieur Deschênes n'a pas réussi à démontrer que le ministre a commis une erreur dans le calcul des écarts de l'avoir net en tenant compte des remboursements de capital sur les prêts relatifs à l'automobile et au “ motorisé ” et en ne tenant pas compte de la désuétude des trois actifs en litige. Quant aux montants des pertes subies lors de la disposition de ces biens, il est tout à fait approprié de les ajouter comme ajustements. J'y reviendrai un peu plus loin.

[12] Je veux d'abord traiter des erreurs mineures qui se sont glissées dans la confection de l'état de l'avoir net. Le vérificateur n'a pas utilisé les bons chiffres pour déterminer le coût d'achat du “ motorisé ” et pour déterminer le produit de disposition du “ motorisé ” et de l'automobile. Quant à l'automobile, il a surévalué de 300 $ le produit de disposition, ce qui est à l'avantage de monsieur Deschênes. Le montant de l'écart de l'avoir net pour 1993 aurait dû être plus élevé de 300 $. Comme cette cour n'a pas compétence pour augmenter le revenu non déclaré déterminé par le ministre, aucune modification ne sera apportée pour augmenter la cotisation d'impôt pour 1993.

[13] Quant aux erreurs reliées au coût et au produit de disposition du “ motorisé ”, il faut les corriger en modifiant le montant de la perte calculée par le vérificateur du ministre et en le faisant passer de 3 500 $ à 4 440 $, ce qui représente une augmentation nette de 940$. Par contre, si l'on augmente de 1 440 $ le coût du “ motorisé ” qui apparaît dans les actifs de monsieur Deschênes au 31 décembre 1991, soit l'année de base, il en résulte une augmentation de ses actifs nets de 1991 (82 490 $ + 1 440 $ = 83 930 $) et, par conséquent, une diminution de 1 440 $ sous la rubrique “ Augmentation (Diminution) de l'avoir net ” pour 1992 [(111 610 $ - 83 930 $ = 27 680 $) et (27 680 $ - 29 120 $ = -1 440 $)].

[14] Le résultat net de toutes ces modifications est que l'écart de l'avoir net est diminué de 500 $ [940 - 1 440 = -500]. Ces 500 $ représentent essentiellement la somme additionnelle que monsieur Deschênes a reçu lors de la disposition du “ motorisé ” : 13 000 $ et non 12 500 $. Comme l'origine de cette somme de 500 $ a été établie et que celle-ci ne représente pas du revenu pour les fins fiscales, il est tout à fait approprié qu'elle soit exclue de l'écart de l'avoir net pour 1992.

[15] J'aimerais maintenant expliquer pourquoi le représentant de monsieur Deschênes est dans l'erreur quant à ses deux principaux motifs de contestation. Tout d'abord, il se trompe lorsqu'il affirme que la méthode adoptée par le ministre porte préjudice à monsieur Deschênes parce qu'elle ne tient pas compte de la durée de possession de l'actif antérieure aux années visées par la vérification. En d'autres mots, c'est à tort qu'il reproche au ministre de ne pas avoir tenu compte de la désuétude.

[16] Je souscris entièrement aux propos de la procureure du ministre quant à la non-pertinence de la désuétude d'un bien dans le calcul des écarts de l'avoir net. Il est important de se rappeler que cette méthode ne vise pas à déterminer le montant des bénéfices réalisés par un contribuable dans l'exploitation d'une entreprise selon les principes comptables généralement reconnus. Si tel avait été le cas, il aurait été tout à fait approprié de prévoir une déduction pour l'amortissement pour tenir compte de la désuétude des actifs qu'un entrepreneur utilise dans l'exploitation de son entreprise. Ici, la méthode de cotisation selon l'écart de l'avoir net ne vise qu'à quantifier, selon une preuve circonstancielle, les revenus qu'un contribuable a reçus et qu'il n'aurait pas déclarés.

[17] Par exemple, si l'on constate que le coût des actifs possédés par un contribuable durant une année donnée a augmenté de 100 000 $ par rapport au coût de ses actifs pour l'année précédente, cela pourrait indiquer que le contribuable s'est enrichi de 100 000 $ durant l'année donnée. On doit alors s'interroger sur l'origine de cet enrichissement. Plusieurs scénarios sont possibles.

[18] Il est possible que le contribuable ait acquis de nouveaux biens entièrement à crédit. Dans un tel cas, l'augmentation du passif de 100 000 $ ferait en sorte qu'il n'y a aucune augmentation de l'avoir net du contribuable, ce qui indiquerait qu'il n'y a pas eu d'enrichissement. Par contre, si le coût de ces biens n'a pas été financé ainsi, il est possible que l'argent nécessaire pour payer ces biens provienne d'un don ou d'un legs. Il revient alors au contribuable de faire la preuve du montant donné ou légué. Ici, le ministre a accepté l'existence d'un don de 41 475 $ et cette somme fait partie des ajustements qui ont diminué l'écart de l'avoir net.

[19] Il est possible aussi que le contribuable ait reçu un revenu de 100 000 $ et qu'il ait utilisé cette somme pour acheter les nouveaux biens en question. Si le contribuable a déclaré ce revenu au fisc, ce montant fera partie des ajustements qui diminuent l'écart de l'avoir net. Si, dans notre exemple, le contribuable n'a déclaré que 10 000 $ de revenu, alors la méthode de l'écart de l'avoir net révélera un écart non expliqué de 90 000 $. À moins d'une explication raisonnable, ces 90 000 $ seront ajoutés au revenu du contribuable.

[20] Cet exemple illustre clairement la non-pertinence de la désuétude des actifs possédés par un contribuable au début de la période pertinente - soit celle qui fait l'objet d'une vérification par le ministre -, puisque tout ce que la méthode vise à quantifier c'est l'augmentation nette du coût des actifs d'un contribuable, augmentation qui pourrait révéler des revenus non déclarés. Tout ce qui importe, c'est que la méthode employée pour chiffrer les actifs apparaissant dans le bilan - soit le coût originel des biens - soit la même pour toutes les années visées par l'état de l'avoir net. Il n'y a pas de preuve que cette méthode n'a pas été suivie pour chacune des années pertinentes figurant dans l'état de l'avoir net.

[21] Il n'y a pas que l'augmentation nette des actifs qui permette de déceler l'existence de revenus non déclarés. En effet, s'il y a diminution du passif d'un contribuable pour une année donnée par rapport à l'année précédente, cela pourrait aussi indiquer que le contribuable a reçu des revenus au cours de l'année. Par exemple, si un contribuable a emprunté au cours d'une année 10 000 $ pour l'achat d'une voiture, qu'il n'y a eu aucune remise de capital au cours de cette année, et que l'on constate qu'à la fin de l'année suivante le solde impayé de ce prêt est passé à 8 000 $, cela peut révéler un débours de 2 000 $ dont il faut aussi expliquer l'origine. Comme dans le cas de l'augmentation nette des actifs, une diminution inexpliquée du passif est traitée comme un revenu non déclaré : il était donc tout à fait approprié que le vérificateur du ministre tienne compte, dans son état de l'avoir net, de la diminution du passif de monsieur Deschênes.

[22] Pour être très clair, je suis tout à fait d'accord avec le représentant de monsieur Deschênes que la diminution du solde impayé des prêts relatifs au “ motorisé ” et à l'automobile a eu comme conséquence d'augmenter les écarts de l'avoir net pour 1992, 1993 et 1994. Par contre, contrairement à ce que prétend le représentant, je crois que ce résultat est tout à fait approprié et ne porte pas préjudice à monsieur Deschênes. Ce dernier pouvait expliquer l'origine des montants en question, soit 2 821 $ pour le remboursement en 1992 du prêt relatif à l'automobile et des sommes de 1 400 $, de 1 623 $ et de 1 781 $ pour le remboursement en 1992, 1993 et 1994 du prêt relatif au “ motorisé ”. Il a réussi à le faire pour 1994 et aucun revenu additionnel n'a été imposé pour cette année. Par contre, il a échoué en ce qui concerne les années 1992 et 1993.

[23] Quant au deuxième point soulevé par le représentant de monsieur Deschênes, je peux comprendre qu'il ait eu de la difficulté à expliquer à son client pourquoi l'inclusion de la perte subie lors de la vente des trois actifs dans le calcul des écarts de l'avoir net ne constitue pas un revenu additionnel pour son client. En effet, on peut avoir l'impression que l'on augmente ainsi le coût de vie de monsieur Deschênes et cela pourrait équivaloir à une augmentation des revenus non déclarés.

[24] Pourtant, cette impression n'est qu'une illusion. Tout d'abord, il est important de comprendre que cet ajustement, contrairement à ce qu'affirme le représentant, ne constitue pas une augmentation du coût de vie de monsieur Deschênes. Il ne peut en être autrement parce que tout ce qu'on ajoute comme “ coût de vie ” - essentiellement des dépenses de subsistance - représente des débours qu'un contribuable aurait effectués pour se nourrir, se loger, se divertir, etc.

[25] La perte subie lors de la disposition des trois actifs n'occasionne aucun débours. Le débours a eu lieu soit lors de l'achat de ces actifs, soit lorsque monsieur Deschênes a remboursé les prêts obtenus pour financer les achats. Quand monsieur Deschênes a subi la perte de 6 390 $ lors de la vente de sa voiture en 1993, il n'a pas déboursé une somme de 6 390 $. Il a plutôt remboursé son prêt de 7 773 $, qui représente une somme plus élevée que les 6 390 $. Si on prenait comme hypothèse que monsieur Deschênes avait payé comptant cette voiture lors de son acquisition en 1991, il n'aurait alors rien déboursé en 1993 lorsqu'il l'a vendue.

[26] De toute façon, le coût d'achat d'une voiture ne fait pas partie des dépenses comprises dans le coût de vie. Il fait plutôt partie du coût des actifs figurant au bilan dont l'établissement constitue la première étape des calculs aboutissant à l'état de l'avoir net. S'il était inclus dans le coût de vie, le coût de la voiture serait alors comptabilisé deux fois.

[27] Alors, pourquoi ajoute-t-on le montant de la perte relative à chacun des trois actifs aux ajustements à apporter aux écarts résultant de l'augmentation des actifs nets? La réponse toute simple est que cet ajout ne constitue qu'un ajustement technique nécessaire pour respecter l'intégrité des calculs effectués selon la méthode de cotisation fondée sur l'avoir net.

[28] Pour bien saisir pourquoi il est nécessaire d'apporter un tel ajustement au calcul des écarts de l'avoir net, il suffit d'utiliser l'exemple qu'a présenté le vérificateur du ministre comme pièce I-2. Les hypothèses utilisées pour cet exemple sont les suivantes : le contribuable a en caisse une somme de 10 000 $ et une voiture dont le coût d'acquisition s'élève à 12 000 $. Le coût de vie du contribuable est égal au salaire qu'il a gagné et déclaré. La voiture est finalement vendue pour une somme de 4 000 $ dans la troisième année, ce qui entraîne donc une perte de 8 000 $. Voici les résultats obtenus si on applique correctement la méthode de calcul de l'avoir net :

19x0 19x1 19x2

Caisse 10 000 10 000 14 000

Auto 12 000 12 000     0

Avoir net 22 000 22 000 14 000

Avoir net de l'année 22 000 22 000 14 000

Avoir net année précédente      (22 000)      (22 000)

Augmentation (diminution)

de l'avoir net (1)      0 -8 000

Plus : coût de vie (2) 25 000 25 000

Perte sur disposition (2)     0    8 000

Moins : Salaires (3) (25 000) (25 000)

Écart de l'avoir net [(1) + (2) - (3)]    0      0

[29] Cet exemple révèle que si on ajoute aux ajustements le montant de la perte relative à la voiture, on arrive à un résultat conforme à la réalité. En effet, l'état de l'avoir net ne révèle aucun écart. Cela n'est pas surprenant puisque le contribuable a déclaré tous ses revenus. Si on n'avait pas apporté d'ajustement pour augmenter l'avoir net d'une somme de 8 000 $, soit le montant de la perte relative à la voiture, on aurait obtenu un écart négatif de 8 000 $. En ajoutant le montant de la perte de 8 000 $, on fait disparaître l'écart négatif. Cela est tout à fait approprié puisqu'on ne cherche à établir que des écarts positifs qui pourraient révéler un revenu non déclaré. Ayant déterminé pourquoi il y a eu une diminution de l'avoir net, il est important d'ajouter le montant de la perte afin de faire disparaître cet écart dont on connaît la cause. Il s'agit donc strictement d'un ajustement technique qui vise à ramener l'écart à zéro.

[30] Pour encore mieux saisir l'importance de l'ajout du montant de la perte subie lors de la vente de la voiture, modifions l'exemple du vérificateur de la façon suivante. Aux hypothèses déjà adoptées, ajoutons que le contribuable a gagné en 19x2 un revenu non déclaré de 8 000 $ et qu'il a utilisé cette somme pour s'acheter une motoneige durant cette année. Son avoir net pour 19x2 serait encore une fois 22 000 $ (14 000 $ + 8 000 $) et l'état de l'avoir net serait modifié de la façon indiquée ci-dessous. Pour bien illustrer l'importance de l'ajout de la perte, la première colonne de 19x2 ne tient pas compte de cette perte alors que la deuxième en tient compte :

   19x1 19x2 19x2

Caisse     10 000 14 000 14 000

Auto     12 000     0    0

Motoneige      0    8 000 8 000

   ______ ______ ______

AVOIR NET    22 000 22 000 22 000

Avoir net de l'année précédente (22 000)    (22 000)

Augmentation (Diminution)

de l'avoir net (1)       0     0

Plus : coût de vie (2)     25 000 25 000

perte - voiture (2)       0 8 000

Moins : salaires déclarés (3)    (25 000) (25 000)

Écart par avoir net [(1) + (2) - (3)]      0 8 000

[31] Lorsqu'on n'ajoute pas la perte de 8 000 $ à la première colonne 19x2, aucun écart n'est calculé et le revenu non déclaré de 8 000 $ n'est pas relevé alors que lorsqu'on l'ajoute dans la deuxième colonne 19x2, on obtient un écart de 8 000 $ qui reflète de façon appropriée le fait que le contribuable n'a pas déclaré un revenu de 8 000 $. Je crois que cet exemple illustre clairement la nécessité d'ajouter le montant de la perte de 8 000 $ survenue en 19x2, sans quoi le revenu non déclaré de 8 000 $ s'en trouve occulté.

[32] Reste la question de la pénalité. Je ne crois pas que le ministre ait démontré que monsieur Deschênes a fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1992 et 1993. Au départ, le vérificateur avait relevé dans son premier projet d'état de l'avoir net un total de 143 620 $ de revenus non déclarés. Lors de l'établissement des premières nouvelles cotisations, le revenu total non déclaré a été diminué à 93 971 $. À la suite des avis d'opposition du contribuable, le ministre a établi des deuxièmes nouvelles cotisations, a de nouveau diminué les revenus déclarés et en a ramené le montant total à 20 780 $, dont 16 507 $ pour l'année 1992 et 4 273 $ pour l'année 1993. Il a, de plus, entièrement éliminé les revenus non déclarés pour l'année 1994.

[33] Compte tenu des montants importants qu'il avait relevés lors des premières nouvelles cotisations, je peux comprendre que le vérificateur ait cru que le contribuable avait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé dans ses déclarations de revenus. Toutefois, en fin de compte, le montant des revenus non déclarés a été diminué de façon considérable.

[34] Dans l'appréciation des circonstances entourant la préparation et la production des déclarations de revenus de monsieur Deschênes, il faut tenir compte non seulement des montants qu'il n'a pas déclarés mais aussi de ceux qu'il a déclarés. Les revenus non déclarés relevés par la méthode de l'avoir net représentent 6 p. 100 du revenu que monsieur Deschênes aurait dû déclarer. Les revenus déclarés par ce dernier pour les trois années d'imposition en litige s'élèvent à 304 807 $. Compte tenu de l'importance des revenus déclarés par rapport aux revenus non déclarés par monsieur Deschênes, je ne crois pas qu'il ait tenté manifestement d'éluder le paiement de ses impôts. Je ne crois pas que le contribuable ait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé dans ses déclarations de revenus. Bref, le ministre a échoué dans sa tâche d'établir que les pénalités sont justifiées.

[35] Pour ces motifs, les appels de monsieur Deschênes pour les années d'imposition 1992 et 1993 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que le montant des revenus additionnels pour l'année d'imposition 1992 s'élève à 16 007 $ (et non à 16 507 $) et que les pénalités doivent être annulées. L'appel pour l'année d'imposition 1994 est rejeté. Le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de septembre 1999.

“Pierre Archambault”

J.C.C.I.

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