Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991209

Dossier: 98-2329-IT-I

ENTRE :

WAYNE E. A. GETTY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Le 6 janvier 1998, une nouvelle cotisation a été établie à l'égard de l'appelant en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) pour l'année d'imposition 1996, afin d'inclure dans son revenu les prestations de 28 298,51 $ qu'il a touchées aux termes de son régime collectif d'assurance invalidité (le régime). Le régime, offert par le gouvernement du Canada à ses employés, est administré par la Sun Life du Canada et vise à indemniser les employés du gouvernement fédéral qui subissent une perte de leur revenu par suite d'une invalidité. L'employeur et l'appelant cotisaient tous deux au régime pour le compte de ce dernier.

[2] Pour établir la cotisation en cause à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur l'alinéa 6(1)f) de la Loi, libellé de la façon suivante :

6(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

[...]

f) le total des sommes qu'il a reçues au cours de l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l'un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué :

un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents,

un régime d'assurance invalidité,

un régime d'assurance de sécurité du revenu; le total ne peut toutefois dépasser l'excédent éventuel du total visé au sous-alinéa (iv) sur le total visé au sous-alinéa (v) :

le total des sommes qu'il a ainsi reçues avant la fin de l'année et :

lorsqu'une de ces sommes a été, en vertu du présent alinéa, incluse dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure se terminant après 1971, après cette année,

sinon, après 1971,

le total des cotisations versées par le contribuable dans le cadre du régime avant la fin de l'année et :

lorsqu'il y a eu une année d'imposition antérieure, visée à la division (iv)(A), après cette année,

sinon, après 1967;

[3] L'appelant fait valoir deux moyens distincts à l'encontre de la cotisation. Premièrement, il soutient que l'article 19 des Règles concernant l'application de l'impôt sur le revenu (RAIR) a pour effet d'exclure les paiements en cause de son revenu. Deuxièmement, l'alinéa 6(1)f) de la Loi ne peut être appliqué à son égard car il va à l'encontre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[4] L'appelant est atteint de spondylarthrite ankylosante. Par souci de simplicité, je parlerai de “ la maladie ”. La maladie est une forme d'arthrite qui, dans le cas de l'appelant, se manifeste dans l'articulation sacro-iliaque, la région lombo-sacrée de la colonne vertébrale ainsi que la colonne thoracique. Elle a été diagnostiquée pour la première fois en 1991, mais elle était déjà bien installée, semble-t-il. D'après une lettre écrite par le Dr J. Karsh aux fins de l'audition du présent appel, [TRADUCTION] “ ... il est possible que les premiers symptômes de cette maladie soient apparus au début des années 1960 ”. Dans son témoignage, l'appelant a maintenu que la maladie avait débuté en fait à l'adolescence. En effet, a-t-il soutenu, des douleurs lombaires l'avaient forcé à abandonner les compétitions de course à pied à l'école secondaire. Il a cependant admis en contre-interrogatoire ne pouvoir affirmer avec certitude à quel moment la maladie avait fait son apparition. En 1994, il s'est blessé au dos à la suite d'une chute, et la maladie a empiré. Après cela, il a touché des indemnités d'accident du travail, puis des prestations d'invalidité de longue durée conformément au régime.

[5] Le paragraphe 19(1) des RAIR porte que :

(1) Malgré l'article 9, l'alinéa 6(1)f) de la loi modifiée ne s'applique pas à des sommes reçues par un contribuable au cours d'une année d'imposition et qui lui étaient payables relativement à la perte, par suite d'un événement survenu avant 1974, de la totalité ou d'une partie de son revenu afférent à une charge ou un emploi, dans le cadre d'un régime visé à cet alinéa et établi avant le 19 juin 1971.

[6] L'appelant soutient que la perte de revenu relativement à laquelle il a reçu les prestations en question faisait suite à l'apparition des premiers symptômes de sa maladie, qui est un événement survenu avant 1974. À l'appui de cet argument, il a invoqué principalement le passage suivant du Bulletin d'interprétation IT-428 de Revenu Canada :

Exonération pour les régimes créés avant le 19 juin 1971

En vertu des dispositions transitoires de l'article 19 des Règles de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le revenu, tous les montants qui seraient par ailleurs inclus dans le revenu en vertu de l'alinéa 6(1)f) ne doivent pas l'être s'ils ont été reçus en vertu d'un régime qui existait le 18 juin 1971, à la suite d'un événement qui s'est produit avant 1974. Le Bulletin d'interprétation IT-54 traite de ces dispositions transitoires, notamment des modifications des conditions d'admissibilité pour les régimes établis avant le 19 juin 1971. Il faut noter que pour 1974 et les années d'imposition suivantes, l'exemption prévue à l'article 19 des RAIR ne vise que les montants que le contribuable a reçus à la suite d'un événement qui s'est produit avant 1974. Au sens du présent Bulletin, “événement” désigne la cause de l'invalidité. Si par exemple, il se produit un accident qui ne semble par avoir de conséquences visibles ou graves sur la santé du contribuable jusqu'en 1974 ou ultérieurement, mais qu'il en résulte une invalidité par la suite, l'“événement” est réputé avoir eu lieu avant 1974 si l'accident qui est la cause directe de l'invalidité est survenu avant 1974. De même, dans le cas d'une maladie de dégénérescence comme la dystrophie musculaire, l'“événement” se produit dès l'apparition des premiers symptômes de la maladie, peu importe le moment où l'invalidité se manifeste vraiment. Par contre, dans le cas d'une maladie rechutante comme une allergie saisonnière ou une amygdalite chronique, l'“événement” ne désigne que le moment précis d'une attaque.

[7] Personne ne conteste que le régime a été établi avant le 19 juin 1971. Le litige porte plutôt sur la question de savoir si la situation de l'appelant est visée par les termes “ par suite d'un événement survenu avant 1974 ” utilisés à l'article 19.

[8] Se fondant sur le Bulletin d'interprétation IT-428, l'appelant fait valoir que, dans son cas, l'événement est survenu à tout le moins dans les années 1960, lorsque les premiers symptômes de sa maladie sont apparus. L'interprétation formulée dans le bulletin a été adoptée par la Cour dans l'affaire Phillips v. M.N.R., [1990] 2 CTC 2495. Malheureusement pour l'appelant, elle a été rejetée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Jastrebski c. Canada, [1994] 3 C.F. 466. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'invalidité et la perte de revenu doivent survenir avant 1974 pour que l'exonération prévue à l'article 19 des RAIR s'applique.

[9] La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Jastrebski a été rendue dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt à la suite d'un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle. L'article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt est libellé de la façon suivante :

Les jugements rendus sur les appels visés à l'article 18 ne constituent pas des précédents jurisprudentiels.

Selon l'appelant, cela signifie que je ne suis pas tenu de suivre l'arrêt Jastrebski et que, de plus, je ne suis pas autorisé à le lire. Cet argument n'est pas fondé. Il existe différentes raisons possibles justifiant l'inclusion de l'article 18.28 dans la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, lesquelles pourraient mener à différentes conclusions sur l'effet de cette disposition dans le contexte d'un jugement de la présente cour. Cependant, il n'est nul besoin de faire des conjectures sur cette question dans la présente affaire. Dans l'arrêt Jastrebski, la Cour d'appel fédérale a rejeté une demande fondée sur l'article 28 et a laissé intacte la décision de la Cour canadienne de l'impôt dans l'appel fondé sur l'article 18 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. La décision de la Cour d'appel fédérale n'a pas été rendue sous le régime de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, mais sous le régime de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. L'article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt ne s'y applique donc pas. Je suis lié par la décision.

[10] L'appelant a fait valoir également que le ministre du Revenu national ne peut en l'espèce contester l'application de l'article 19 des RAIR en se fondant sur le passage du Bulletin d'interprétation IT-428 que j'ai cité précédemment. Il souligne que ce bulletin est daté du mois de juillet 1972 et qu'il n'a pas été modifié, bien que la décision dans l'affaire Jastrebski ait été rendue en mai 1994. Pour disposer rapidement de cet argument, je dirai qu'il ne peut y avoir préclusion (“ estoppel ”) relativement à une question de droit, par opposition à une question de fait : voir les affaires Stickel v. M.N.R., 72 DTC 6178, à la page 6185; M.N.R. v. Inland Industries Ltd., 72 DTC 6013, à la page 6017.

[11] Enfin, l'appelant a fait valoir que, ensemble, les dispositions de l'alinéa 6(1)f) de la Loi et du paragraphe 19(1) des RAIR créent un régime de droit qui va à l'encontre des dispositions sur l'égalité énoncées à l'article 15 de la Charte. Il soutient que ce cadre législatif entraîne l'application de règles différentes d'imposition des prestations d'invalidité, selon, par exemple, que les prestations sont versées en application d'une loi sur les accidents du travail ou d'un régime d'assurance invalidité ou, dans ce dernier cas, que les cotisations sont versées en totalité par l'employé ou en tout ou en partie par l'employeur. On fait également des distinctions, en ce qui concerne la déductibilité des cotisations versées, entre ceux qui touchent des prestations imposables desquelles des cotisations peuvent être déduites en vertu de l'alinéa 6(1)f) et ceux qui ne touchent jamais de prestations et qui, par conséquent, ne pourront jamais déduire quelque cotisation que ce soit de leur revenu. Il a également insisté sur la distinction faite entre les contribuables touchant des prestations imposables qui ont travaillé pour un certain nombre d'employeurs, comme c'est le cas de l'appelant, et ceux qui, pendant la même période, ont travaillé pour un seul employeur; les contribuables faisant partie de cette dernière catégorie seront en mesure de déduire de leurs prestations une plus grande partie des cotisations versées.

[12] L'appelant a tout à fait raison : la Loi et les RAIR ensemble prévoient un certain nombre de niveaux possibles d'imposition qui vont de l'exonération d'impôt à la pleine imposition et qui peuvent s'appliquer à des paiements de remplacement du revenu, selon la situation du contribuable concerné. Cependant, les lois sont remplies de dispositions établissant des distinctions entre les gens; elles ne vont à l'encontre de l'article 15 de la Charte que si elles ont pour effet de désavantager un individu ou un groupe d'individus en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles énumérées à l'article 15 de la Charte, ou d'une caractéristique personnelle analogue à celles qui y sont énumérées. Les diverses distinctions sur lesquelles l'appelant se fonde n'ont rien à voir avec des caractéristiques personnelles, qu'elles soient énumérées ou non, et ne peuvent donc donner lieu à une contestation de la loi fondée sur l'article 15 : voir les arrêts Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 et Symes c. La Reine, [1993] 4 R.C.S. 695.

[13] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 9e jour de décembre 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de septembre 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

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