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Date: 19981218

Dossier: 96-4594-IT-G

ENTRE :

LORNE DALKE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appelant a fait l'objet d'une cotisation établie en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu en sa qualité d'ancien administrateur de la Seven S Structures Inc. (la “ société ”). Par avis de cotisation daté du 25 avril 1996, le paiement d'un montant global de 27 833,34 $ était exigé de l'appelant aux termes du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) et des dispositions correspondantes de la Income Tax Act (Alberta) ainsi que du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l'assurance-chômage. D'après une annexe jointe à l'avis de cotisation (pièce A-17), ce montant de 27 833,34 $ se composait des éléments suivants :

Impôt fédéral 8 964,60 $

Pénalité fédérale 2 981,94

Impôt provincial 1 768,68

Pénalité provinciale 426,51

RPC 1 564,57

Pénalité au titre du RPC 253,27

Assurance-chômage 4 472,00

Pénalité au titre de l'assurance chômage 447,20

Intérêts accumulés 6 740,07

Autre 214,50

Total 27 833,34 $

[2] Bien que de nombreuses questions aient été soulevées dans l'avis d'appel, l'avocat de l'appelant a déclaré au début de l'audience qu'il revenait à la Cour de trancher deux questions uniquement, celle de savoir si l'appelant avait agi avec le degré de diligence visé au paragraphe 227.1(3) et celle de savoir dans quelles circonstances un administrateur devait prendre des mesures pour s'acquitter de l'obligation de diligence raisonnable. Les avocats des deux parties n'ont pas fait état des conditions prévues au paragraphe 227.1(2). Je conclus, compte tenu de certaines autres déclarations faites par les avocats ainsi que de la manière dont la preuve a été présentée, que ces conditions ont été remplies.

[3] On avait constitué la société sous le régime des lois de l'Alberta au milieu des années 80 en vue de la fabrication et de la vente d'un produit utilisé dans l'industrie de la construction. Décrivant le produit comme un profane, l'appelant a déclaré qu'il se composait de deux plaques d'aggloméré d'environ quatre pieds sur huit qu'il a comparées aux tranches de pain d'un sandwich : au moyen d'un appareil spécial, on insérait un produit d'isolation thermique à la mousse entre les deux plaques, comme la viande que l'on met dans le sandwich, ce qui donnait un panneau préfabriqué isolé d'une surface d'environ 32 pieds carrés. On fabriquait des panneaux dans des largeurs standard de trois, quatre, six et huit pouces. Destinés à la construction de maisons et de bâtiments, ils faisaient partie du mur extérieur et ils constituaient un meilleur matériau isolant que celui qui était normalement inséré entre les montants.

[4] Le brevet d’invention initial de ces panneaux composés de deux plaques d'aggloméré entre lesquelles de la mousse isolante était insérée appartenait à un certain Sidney Tissington. Lorsque la société avait été constituée, la famille Tissington possédait suffisamment d'actions pour contrôler l'entreprise; plus tard cependant, on avait invité certains particuliers à souscrire des actions pour fins d'injection de capitaux dans la société. Il semble que M. Tissington ait cédé son brevet à la société.

[5] Durant toute la période en cause, l'appelant avait été entrepreneur; il possédait de nombreuses entreprises et habitait Chetwynd (Colombie-Britannique), une petite collectivité située à environ 200 milles au nord-est de Prince George. L'appelant est en affaires depuis plus de 45 ans. En 1952, il achetait son premier camion. Par la suite, il a fondé une entreprise de camionnage avant de lancer diverses autres entreprises. Il a déclaré qu'il avait, à un moment donné, 17 compagnies, notamment dans les domaines suivants : la livraison d'huile, les services d'héliportage, la construction et les services financiers. L'appelant est un homme d'affaires du type interventionniste, gérant les activités quotidiennes de la plupart de ces compagnies. C'est un travailleur acharné. D'après son propre témoignage, que j'estime, sans réserve, totalement crédible, il se lève tous les matins vers 5 h et rentre chez lui vers 20 h, ce qui lui fait une journée de travail de 13 heures (avec une pause pour le repas du midi et une autre pour le repas du soir). L'appelant a lui-même reconnu, lors de son interrogatoire principal, qu'en tant que propriétaire de nombreuses entreprises, il s'y connaissait en matière de retenues à la source sur les salaires et les traitements et savait qu'un administrateur pouvait être tenu responsable si une compagnie omettait d'effectuer ces retenues.

[6] L'appelant a vu pour la première fois les panneaux préfabriqués isolés à Grand Prairie (Alberta), vers 1988. Très impressionné par le produit, il était arrivé à la conclusion que celui-ci aurait une grande valeur dans l'industrie de la construction. En 1989, alors que M. Tissington invitait des particuliers n'appartenant pas à la famille à souscrire des fonds, en vue d'obtenir des capitaux additionnels pour la société, l'appelant a effectué un investissement initial dans la société, achetant pour 37 500 $ d'actions. La preuve produite n'a jamais permis d'établir le nombre d'actions que l'appelant avait obtenues en contrepartie des 37 500 $, mais la pièce A-1, qui est la copie de l'appelant d'une traite de banque datée du 23 janvier 1989, fait état du paiement de cette somme. L'appelant n'a pu se souvenir de la date à laquelle il est devenu administrateur de la société, mais le premier procès-verbal de réunion du conseil d'administration (produit sous la cote A-3) indiquant que l'appelant siégeait à titre d'administrateur date du 7 décembre 1990. Un certain Vern Estabrook avait prêté une somme d'argent à la société et avait présenté l'appelant à certains des administrateurs. L'appelant s'est rappelé que c'était par l'intermédiaire de M. Estabrook qu'il avait été pressenti pour devenir administrateur.

[7] L'appelant et Harvey Jager sont devenus administrateurs en même temps. L'appelant avait rencontré les autres membres du conseil d'administration avant d'y siéger, mais il ne connaissait guère ceux-ci. Plus précisément, il n'était lié d'aucune façon aux autres administrateurs et n'avait par le passé eu aucune relation d'affaires avec eux. La pièce A-3 indique que le conseil d'administration se composait, le 7 décembre 1990, des personnes suivantes :

Harvey Jager

Sid Tissington

Jerry Wright

Normand Husband

Lorne Dalke

[8] Le procès-verbal de la réunion tenue par le conseil d'administration le 7 décembre 1990 indique que le conseil avait accepté la démission de Harvey Jager de son poste de président de la société, mais ce dernier était demeuré administrateur. Fait curieux, le procès-verbal n'indique pas que les administrateurs ont nommé un nouveau président pour remplacer M. Jager. Selon le témoignage oral de l'appelant, les Tissington ont commencé à assumer la gestion de la société le 7 décembre 1990 ou avant cette date. Sid Tissington, qui était bien entendu l'inventeur du panneau préfabriqué isolé, était de fait devenu le gestionnaire des opérations de la société. Sa conjointe Evelyn s'occupait de la tenue de livres et son fils Keith était contremaître ou gérant de l'usine de production située à Innisfail (Alberta).

[9] Peu après être devenu administrateur de la société, l'appelant s'était rendu compte que celle-ci avait de graves difficultés financières. Au cours des deux ou trois années suivantes, il avait apporté son aide financière à la société à quelques reprises, investissant des sommes d'argent considérables. Entre 1989 et 1994, il avait directement ou indirectement investi environ un million de dollars dans les affaires de la société. À la dernière page de la pièce A-7 figure un tableau établi par l'appelant indiquant les montants qu'il avait avancés à la société à divers moments, et ce jusqu'au 30 juin 1994. Les dates auxquelles les avances ont été consenties n'y sont pas indiquées, mais l'appelant a inscrit presque tous les montants et décrit les occasions auxquelles les avances ont été consenties. Ce tableau se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Avance sous forme de traite de banque pour paiement des salaires (1990) 20 000,00 $

Versé à la Louisiana Pacific pour 5 chargements de panneaux à copeaux orientés 43 023,00 $

Versé à la Seven S (achat de grues) 30 000,00 $

Versé à Northern Metallic (règlement de poursuite judiciaire) 27 000,00 $

Versé à Phil Swagg (plan d'affaires) 1,000,00 $

Versé à la Kaverit Crane (franchise d'assurance) 708,47 $

Dépenses impayées depuis 1989 23 993,64 $

Prêt consenti à la Seven S (50 000 $ plus intérêts) 116 662,00 $

Souscription d'actions (490 000 actions à 0,25 $) 122 500,00 $

Investissement hypothécaire (Innisfail) 352 000,00 $

Investissement dans la cimenterie (Innisfail) 176 000,00 $

Investissement total dans la Seven S depuis mars 1989 969 387,11 $

[10] Le tableau renferme certaines inexactitudes comme le feront voir les commentaires ci-après, mais il constitue un résumé utile des circonstances dans lesquelles l'appelant est venu au secours de la société. J'examinerai la plupart de ces montants, dans l'ordre dans lequel ils apparaissent au tableau.

20 000 $ Montant avancé par l'appelant à une date quelconque en 1990 pour permettre à la société de verser les salaires.

42 023 $ Au mois d'avril 1991, la société avait épuisé son crédit auprès de la plupart de ses fournisseurs, qui n'acceptaient désormais de lui livrer leurs produits que sur paiement en espèces. Un des plus importants fournisseurs était la Louisiana Pacific Panel Products Ltd. En avril 1991, la compagnie avait besoin de produits de cette compagnie mais n'avait pas d'argent comptant pour la payer. Pour payer les factures de la Louisiana Pacific (pièce A-9), l'appelant avait avancé 42 023 $.

30 000 $ Lorsqu'elle a acquis le terrain et l'usine situés à Innisfail (Alberta) en 1988, la société a acheté quatre grues neuves de marque Gantry. À un moment donné en 1992, alors que la société avait désespérément besoin d'argent, l'appelant lui avait prêté 30 000 $, à la condition qu'elle consente à l'une des sociétés actives de l'appelant située à Chetwynd (Colombie-Britannique) une hypothèque mobilière sur deux des grues. L'entente a été conclue et l'appelant s'est retrouvé avec une hypothèque mobilière de 30 000 $.

27 000 $ En avril 1991, Northern Metallic Inc. avait intenté une action en justice par laquelle elle réclamait 27 000 $ à la société. Les administrateurs craignaient que si Northern Metallic Inc. devait donner suite à sa poursuite, cela aurait pu inquiéter d'autres créanciers et les inciter à l'imiter, et les biens de la société auraient pu de ce fait être mis sous séquestre. Pour éviter une telle situation, l'appelant avait versé 27 000 $ à Northern Metallic Inc. en règlement de la poursuite. À titre de garantie de remboursement des 27 000 $, la compagnie avait consenti à l'une des compagnies de l'appelant une hypothèque mobilière sur les deux autres grues.

1 000 $ L'appelant et un ou deux autres administrateurs ont retenu les services personnels de Phil Swagg afin qu'il prépare un plan d'affaires pour la société et ont payé ces services de leur propre poche.

23 933,64 $ Ce montant représente une série de dépenses engagées à divers moments par l'appelant au profit de la société. Ce dernier a déclaré que le montant total comprenait ses frais de déplacement (aller et retour) relativement aux réunions des administrateurs (ces frais ne lui ont apparemment jamais été remboursés), ainsi que les frais relatifs à ces réunions, lesquels n'ont pas été remboursés, et d'autres dépenses accessoires engagées de temps à autre par l'appelant.

116 662 $ Le 30 mars 1992, l'appelant avait prêté 50 000 $ à la société. La pièce A-6 est un document faisant état du paiement effectué par télégraphie sur la Banque Toronto-Dominion, la pièce A-7 est la convention de prêt conclue entre l'appelant et la société et la pièce A-8 est une reconnaissance de prêt signée par Jerauld G. Wright en qualité de président du conseil d'administration. Cette dernière pièce fait état d'un taux d'intérêt mensuel de 2,5 pour cent tandis que la reconnaissance de prêt (pièce A-7) fait état d'un taux d'intérêt annuel de 30 pour cent. Autant que l'appelant sache, le montant de 116 662 $ représente le prêt de base de 50 000 $ plus les intérêts accumulés entre le 30 mars 1992 et le 30 juin 1994 au taux annuel de 30 pour cent. Selon mes calculs, si l'on ajoute au prêt de base les intérêts accumulés au 30 juin 1994, même à un taux annuel de 30 pour cent, cela ne donne pas 116 662 $, mais c'est ce que l'appelant a au mieux de sa connaissance affirmé devant la Cour en décembre 1998.

122 500 $ L'appelant achetait ses premières actions de la société le 23 janvier 1989, au coût de 37 500 $. La pièce A-1 est la copie de l'appelant d'une traite de banque établie à ce montant au nom de la société; l'appelant a reconnu que c'était ainsi qu'il avait payé ces premières actions. Par la suite, à une date indéterminée, alors que la société avait besoin d'argent, l'appelant avait convenu d'acheter 490 000 autres actions à 0,25 $ chacune, pour un coût total de 122 500 $. C'est ce montant qui figure à la pièce A-7; il ne comprend toutefois pas l'investissement initial de 37 500 $. L'appelant n'a pu expliquer comment les administrateurs avaient attribué une valeur de 0,25 $ aux actions que l'appelant avait achetées dans un deuxième temps.

352 000 $ La société a acheté le terrain et l'usine vers 1988 moyennant la somme de 700 000 $ environ. Dans les années qui ont suivi, la société a omis de payer ses impôts municipaux, jusqu'à ce que la ville d'Innisfail lui réclame, vers 1992, 800 000 $ au titre d'arriérés d'impôts municipaux sur la propriété. La société ne disposant pas des fonds qui lui auraient permis de payer cette somme, trois des administrateurs lui ont avancé l'argent. La société leur a consenti collectivement une hypothèque sur la propriété en garantie de remboursement du prêt. Les montants avancés par les trois administrateurs respectivement sont les suivants :

Jerauld Wright 500 000 $

L'appelant 200 000 $

Harvey Jager 100 000 $

Le montant de 352 000 $ figurant à la pièce A-7 représente la part des 800 000 $ consentie par l'appelant (200 000 $) en vue du paiement des impôts municipaux à la ville, plus les intérêts accumulés sur cette part.

176 000 $ Lorsqu'elle a acheté l'usine en 1988, la société a acquis non seulement le terrain et le bâtiment, mais aussi tout le matériel se trouvant dans l'édifice. Apparemment, les anciens propriétaires destinaient l'usine à la fabrication du ciment puisque la majeure partie du matériel servait à cette fin. Pour ce qui est des opérations de la société, le matériel acheté faisait double emploi. On a donc décidé de le vendre par encan. La vente aux enchères a eu lieu à Edmonton, mais le matériel étant particulièrement lourd et ne pouvant de ce fait facilement être déplacé, on l'a laissé à l'usine d'Innisfail, les enchérisseurs éventuels devant se contenter de photos du matériel. L'appelant et Jerry Wright étaient à la vente aux enchères. Constatant que les enchères bloquaient à 55 000 $, l'appelant a commencé à miser sur le matériel pour son propre compte, si bien qu'il s'est retrouvé propriétaire du matériel, qu'il a payé environ 180 000 $. On ne peut établir de rapprochement précis entre le montant de 186 000 $ que l'appelant prétend, aux termes de la pièce A-11, être le prix de vente réel à l'encan, le montant de 171 000 $ correspondant au produit net versé à la société d'après la pièce A-3 (le procès-verbal de la réunion tenue par les administrateurs le 7 décembre 1990) et le montant de 176 000 $ qui figure à la pièce A-7. Selon l'appelant, la différence entre ce dernier montant et le produit net (171 000 $) était attribuable au fait qu'une charge antérieure grevait le matériel.

[11] Le tableau produit par l'appelant sous la cote A-7 n'est pas tout à fait exact, mais je suis convaincu qu'il est fondamentalement correct. Il y a en particulier deux omissions importantes. Les 37 500 $ versés par l'appelant lorsqu'il a initialement investi dans la société en 1989 n'y figurent pas. En outre, l'appelant a versé 93 416 $ à la ville d'Innisfail le 25 mars 1993 en paiement des impôts municipaux sur l'usine (voir la pièce A-12). L'appelant a donné l'explication suivante : en tant que détenteur avec deux autres administrateurs d'une créance hypothécaire sur l'usine (l'appelant ayant avancé 200 000 $ relativement à l'hypothèque de 800 000 $ mentionnée plus haut), il avait décidé de payer les impôts municipaux s'élevant à 93 416 $ sans demander immédiatement à Jerry Wright ou à Harvey Jager de contribuer au paiement, estimant que c'était la seule façon pour les trois administrateurs de protéger leur créance hypothécaire collective sur la propriété s'ils voulaient éventuellement effectuer une saisie en forclusion. L'appelant était persuadé qu'en cas de forclusion et de vente, il pourrait recouvrer de MM. Wright et Jager leur part respective des 93 416 $.

[12] Le nombre de fois que l'appelant a fourni une aide financière à la société est réellement impressionnant, tout comme les circonstances dans lesquelles cette aide à été fournie. L'appelant a déclaré qu'il avait ainsi avancé de l'argent à diverses reprises parce qu'il était convaincu du potentiel de vente du produit fabriqué par la société. Malheureusement, celle-ci a mis fin à ses activités en mars 1994. L'appelant croit que l'insuccès de la société est attribuable à une mauvaise gestion, à l'insuffisance des commandes des clients et au manque de capitaux. Bien que la société ait réussi à survivre jusqu'en mars 1994, nombreux sont les événements qui, au fil des ans, indiquaient que la société éprouvait des difficultés financières de façon constante. Je ferai d'abord certains commentaires au sujet des procès-verbaux des trois réunions tenues par le conseil d'administration.

[13] Le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du 7 décembre 1990 figure à la pièce A-3. Il appert de ce procès-verbal que la vente aux enchères au cours de laquelle l'appelant était intervenu pour pousser les enchères bloquées à 55 000 $ (comme il en a été question plus haut) avait eu lieu avant la tenue de cette réunion. Selon le procès-verbal, la première question à l'ordre du jour était l'examen des résultats de la vente aux enchères.

[TRADUCTION]

M. Wright a informé le conseil que la vente du matériel excédentaire de la Seven S par voie d'enchères a rapporté un montant brut de 190 000 $. Après défalcation des honoraires des commissaires-priseurs, soit 10 pour cent, il restait 171 000 $. De cette somme, 17 pour cent (soit 29 070 $) appartiennent à Vern Estabrook en sa qualité de détenteur d'un intérêt indivis sur ce matériel. Les commissaires-priseurs ont donc versé 141 930 $ à la Seven S. De cette somme, 71 398,92 $ et 45 001,38 $ devront être versés à Revenu Canada (Impôt) et Revenu Canada (Accises) respectivement, ce qui laisse un solde de 25 530 $. Après examen de la question des comptes impayés au cabinet d'avocats Howard, Mackie, il a été résolu, sur la proposition de M. Dalke, appuyée par M. Tissington et adoptée à l'unanimité :

QUE le solde du produit de la vente du matériel par voie d'enchères, soit 25 530 $, soit versé au cabinet d'avocats Howard, Mackie en acquittement partiel des montants dus par la Seven S à ce cabinet.

Le passage qui précède en dit long en ce qui a trait aux dettes de la société envers Revenu Canada. En outre, j'infère du libellé de la résolution que la société devait encore plus d'argent au cabinet d'avocats Howard, Mackie, puisque la résolution prévoyait que le montant de 25 530 $ serait versé “ en acquittement partiel des montants dus ”.

[14] Le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du 17 avril 1991 figure à la pièce A-5. Aucune réunion n'avait été tenue depuis le 7 décembre 1990 puisque le premier point à l'ordre du jour était l'adoption du procès-verbal de la réunion tenue à cette date. La deuxième question à l'ordre du jour était l'examen de la situation financière de la société.

[TRADUCTION]

Les administrateurs ont examiné la situation financière de la Seven S et ont discuté de la dette de la société envers les fournisseurs, laquelle s'élevait à environ 500 000 $. Le conseil d'administration a également examiné les comptes non réglés au titre de l'impôt sur le revenu (environ 26 000 $) et au titre de l'indemnisation des accidentés du travail (environ 20 000 $). M. Husband a laissé entendre que des états financiers non vérifiés devraient être remis aux administrateurs sur une base mensuelle. Il a été résolu, sur la proposition de M. Husband, appuyée par M. Tissington et adoptée à l'unanimité :

QUE soient remis aux administrateurs, dans les 15 jours qui suivent la fin de chaque mois, des états financiers, notamment une balance de vérification et une ventilation complète des sommes à verser et des sommes à recevoir.

Ici encore, le passage précité parle de lui-même. La société devait 500 000 $ à ses fournisseurs. Elle devait 26 000 $ au titre de l'impôt sur le revenu et 20 000 $ au titre de l'indemnisation des accidentés du travail. On peut difficilement dire qu'une compagnie qui a de telles dettes semble bien se porter.

[15] Le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du 19 août 1992 figure à la pièce A-10. Cette réunion revêtait une importance particulière puisqu'elle marquait le départ des Tissington (Sid, Evelyn et Keith) en leur qualité de gestionnaires de la société. À la page 2 du procès-verbal, il est indiqué que l'appelant avait présenté une motion en vue de faire une proposition quelconque aux membres de la famille Tissington, mais sa motion était restée sans effet, ne trouvant pas appui. M. Husband a alors présenté une motion différente qui a été adoptée par le conseil d'administration, l'appelant ayant exprimé son désaccord. Ce procès-verbal démontre la volonté de l'appelant de se dissocier de ses collègues dirigeants. Selon les dires de ce dernier, à la suite de cette réunion, la gestion de la société avait été assumée par Jerry Wright, qui était président du conseil d'administration et président de fait de la société, que ce dernier eût été nommé à ce poste ou non. Étant donné que M. Wright était un homme d'affaires ontarien résidant à Ottawa, il a été convenu de déménager le siège social de la société d'Innisfail à Ottawa, les opérations bancaires étant toutefois encore effectuées à Innisfail. À compter du mois d'août 1992, Judy (la teneuse de livres travaillant à Innisfail) faisait parvenir tous les chèques émis par la société à M. Wright, à Ottawa, pour qu'il les signe. On a suivi cette procédure jusqu'à ce que la société ferme ses portes en mars 1994.

[16] L'appelant a déclaré que le transfert du siège social à Ottawa allait de soi, puisque M. Wright était le plus important actionnaire de la société et que c'était lui qui avait investi le plus d'argent. L'appelant avait obtenu une liste des actionnaires (pièce A-13) et, d'après ses propres calculs, les cinq plus importants actionnaires de la société étaient les suivants (le pourcentage des actions émises détenues par chacun respectivement étant indiqué en regard de son nom) :

Jerry Wright 20,5 pour cent

Famille Tissington 17,2 pour cent

Harvey Jager 19,0 pour cent

Normand Husband 7,7 pour cent

Lorne Dalke 7,4 pour cent

[17] Une autre raison pour laquelle l'appelant attribuait de l'importance à la réunion tenue par le conseil d'administration en août 1992 tient au fait que, avant cette réunion, on lui avait souvent demandé d'avancer directement de l'argent à la société ou de payer les fournisseurs de cette dernière, comme la pièce A-7 permet de le constater. L'appelant a cependant déclaré qu'après cette réunion, on ne lui avait plus demandé d'avancer directement des fonds à la société. Je ne doute aucunement ni de la sincérité ni de la crédibilité de l'appelant, mais il convient de formuler une réserve quant à cette affirmation, en ce sens qu'en mars 1993, alors que la société avait omis de payer les impôts municipaux se rapportant à son usine d'Innisfail, l'appelant avait dû lui-même verser 93 416 $ à la ville d'Innisfail en paiement des arriérés d'impôt pour prévenir la fermeture de l'usine. Au paragraphe 11, ci-dessus, il a été fait mention du paiement de ce montant, qui devrait être ajouté au tableau figurant à la dernière page de la pièce A-7.

[18] L'appelant a déclaré qu'il croyait, après la réunion d'août 1992, que la société se portait bien. Il a mentionné qu'il n'avait aucune raison de vérifier si la société payait les montants dus au titre de l'impôt puisque chaque fois qu'il téléphonait à Judy (la teneuse de livres travaillant à Innisfail), celle-ci lui disait que les chèques avaient été envoyés à Ottawa. Judy lui confirmait que les chèques libellés au nom de Revenu Canada au titre des retenues salariales comptaient parmi les chèques qu'elle avait fait parvenir à Ottawa, mais l'appelant ne demandait pas à Jerry Wright s'il signait et postait effectivement ces chèques. Lorsqu'il s'enquérait des dettes de la société auprès de M. Wright, ce dernier lui disait que les montants à recevoir étaient nombreux.

[19] Au cours de l'année 1993, Harvey Jager et Norman Husband, se disant incapables d'obtenir quelque donnée financière que ce soit, avaient démissionné de leur poste d'administrateur de la société. L'appelant a déclaré qu'il savait que les deux hommes avaient démissionné mais qu'il était pour sa part dans l'impossibilité de faire la même chose parce qu'il avait investi trop d'argent dans la société et qu'il lui semblait nécessaire de rester sur place s'il voulait protéger son investissement.

[20] Judy (la teneuse de livres) a très bien pu, après août 1992, avoir affirmé à l'appelant à diverses reprises qu'elle avait envoyé à Jerry Wright, à Ottawa, les chèques nécessaires au paiement des dettes courantes, y compris les sommes dues à Revenu Canada. L'annexe jointe à l'avis de cotisation relatif à l'appelant (pièce A-17) indique que la société avait accumulé, du 5 avril 1993 au 22 mars 1994, la dette totale de 27 833,34 $ dont le paiement était, aux termes de l'avis de cotisation, exigé de l'appelant. En d'autres termes, c'est au cours de cette période de 12 mois que la société avait accumulé ces dettes en omettant de payer ce qu'elle devait à Revenu Canada; l'obligation de payer cette somme était passée à l'appelant en sa qualité d'administrateur de la société durant cette période. L'appelant avait démissionné de son poste d'administrateur le 8 février 1996, comme en fait foi la lettre de démission produite sous la cote A-1. D'après la pièce A-18, les seuls administrateurs de la société, le 17 juin 1996, étaient Jerry Wright et Sid Tissington.

[21] L'avocat de l'appelant a avancé l'argument suivant. L'appelant était administrateur externe; il ne faisait pas partie d'un groupe dominant et n'était pas un des dirigeants de la société. Tout au long de la période en cause, l'appelant habitait Chetwynd (Colombie-Britannique), qui se trouve approximativement à quatre heures d'avion (il n'y a aucun vol direct) et à dix heures de route d'Innisfail (Alberta). Bien que la société ait constamment éprouvé des difficultés financières, et ce jusqu'en août 1992, mois au cours duquel les membres de la famille Tissington avaient perdu leurs postes de gestionnaires et Jerry Wright avait commencé à assumer la direction de la société, l'appelant n'avait aucune raison de croire que le paiement des sommes dues à Revenu Canada avait posé un problème après ce même mois. L'appelant prétendait qu'il avait fait tout ce qui était nécessaire en demandant à Judy si elle avait envoyé les chèques à Jerry Wright et en demandant de temps à autre à ce dernier si la société payait ses dettes.

[22] L'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit la responsabilité des administrateurs d'une société qui a omis d'effectuer les retenues mentionnées au paragraphe (1) et permet à ceux-ci de se soustraire à une telle responsabilité s'ils satisfont au test de diligence raisonnable visé au paragraphe (3).

227.1(1) Lorsqu'une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

[...]

(3)                       Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence ou d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[23] L'article 227.1 de la Loi a été interprété et appliqué par les tribunaux à maintes reprises et il serait impossible de rapprocher les diverses causes. Une décision récente de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Soper v. The Queen, 97 DTC 5407, contient une analyse très utile de la question du degré de soin, de diligence et d'habileté visé au paragraphe 227.1(3). Neil Soper était administrateur externe de la Ramona Beauchamp International (1976) Inc. (la “ RBI ”) et avait fait l'objet d'une cotisation établie en vertu de l'article 227.1. La présente cour avait préalablement admis un appel interjeté par Lorraine Sanford (96 DTC 1912) qui était pour sa part directrice interne de la RBI. La décision rendue dans l'affaire Soper est particulièrement instructive en ce sens que la Cour d'appel fédérale a maintenu la cotisation établie à l'égard de M. Soper en sa qualité d'administrateur externe. À la page 5416, le juge Robertson (appuyé par le juge Linden) avait résumé comme suit la norme de prudence :

Le moment convient bien pour résumer mes conclusions au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la “ compétence ” et l'idée de “ circonstances comparables ”. Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme “ objective subjective ”.

À la page 5417, un “ administrateur interne ” est décrit comme suit :

[...] il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. [...]

Enfin, à la page 5418, on peut lire un commentaire utile quant au moment où l'obligation expresse d'agir prend naissance :

[...] je ne m'attendrais pas à ce qu'un administrateur externe, au moment de sa nomination au sein du conseil d'administration de l'une des sociétés canadiennes qui dominent le marché, se rende directement au bureau du contrôleur pour se renseigner sur les retenues et les versements. De toute évidence, si je ne m'attendais pas à ce que les gens d'affaires les plus avertis prennent de telles mesures, alors je ne m'attendrais certainement pas à ce que les personnes qui ont une moins grande expérience des affaires en fassent autant. Je ne veux pas donner à entendre qu'un administrateur peut adopter une attitude entièrement passive, mais seulement que, à moins qu'il n'existe des motifs d'avoir des soupçons, il est permis de compter sur les personnes qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société pour payer des dettes comme les créances de Sa Majesté. [...]

À mon avis, l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d'autres termes, il incombe vraiment à l'administrateur externe de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. [...]

[24] Je retiens le fait que l'appelant était administrateur externe, mais je ne puis accepter l'argument de l'appelant selon lequel il n'avait aucune raison de s'inquiéter des difficultés financières de la société après le mois d'août 1992. À mon avis, il y a quatre raisons distinctes pour lesquelles l'appelant aurait dû, après août 1992, se soucier de la question de savoir si la société payait ses dettes, notamment les sommes dues à Revenu Canada. La première raison a trait aux antécédents de la société. Depuis le jour où l'appelant s'est intéressé aux affaires de la société, celle-ci n'a cessé d'avoir des difficultés financières. Il savait très bien à quel point la société était endettée envers lui en raison des nombreuses avances qu'il lui avait consenties directement ou des nombreux paiements qu'il avait effectués aux créanciers de cette dernière. Aucune indication ne permettait à l'appelant de conclure que la société était capable soit de se libérer de l'hypothèque mobilière sur les grues qu'elle lui avait consentie soit de lui rembourser les sommes d'argent qu'elle lui devait. Si l'appelant s'était trouvé être un important créancier de la société, c'est uniquement en raison de la piètre situation financière de cette dernière.

[25] La deuxième raison est l'important versement de 93 416 $ que l'appelant a effectué le 25 mars 1993 à la ville d'Innisfail en vue de protéger l'intérêt personnel qu'il avait dans l'hypothèque sur l'usine de la société que celle-ci lui avait consentie ainsi qu'à deux autres administrateurs. Ce paiement était devenu nécessaire par suite de l'omission de la société de payer une partie ou la totalité des 93 416 $ qu'elle devait à la ville au titre des impôts municipaux. Selon la pièce A-17, la société a commencé à manquer à ses obligations envers Revenu Canada le 5 avril 1993, soit 11 jours seulement après que l'appelant eut versé les 93 416 $ à la ville. Le fait que l'appelant ait dû lui-même payer une somme d'argent aussi importante était ou aurait dû être perçu par ce dernier comme un signe des graves difficultés financières de la société, alors qu'elle ne pouvait même pas assurer la survie de son usine de fabrication en raison de ses impôts municipaux. De par sa longue expérience dans divers secteurs d'activités, l'appelant savait ce que c'était que d'avoir des problèmes de liquidités et savait qu'il pouvait être tentant pour une entreprise, afin d'éviter la faillite, de reporter le paiement de ses dettes à des créanciers (comme Revenu Canada) qui ne fournissaient pas des biens et des services essentiels à l'entreprise.

[26] L'appelant aurait dû à tout le moins exiger qu'on lui remette tous les mois un état des dettes impayées de la société, y compris un état détaillé établi par la teneuse de livres quant aux dates auxquelles le paiement de ces dettes était effectué. Les prêts consentis par l'appelant et par Jerry Wright auraient dû compter parmi ces dettes. Il n'a pas été établi que l'appelant se soit rendu à Innisfail après le mois d'août 1992 expressément pour demander à avoir accès aux registres de la société et pour vérifier si celle-ci payait ses dettes. Je crois l'appelant lorsqu'il déclare qu'il était inquiet et qu'il téléphonait à Judy de temps à autre, particulièrement les jours de paie, pour lui demander si les chèques de paie avaient été envoyés; je le crois également lorsqu'il affirme avoir appelé Jerry Wright de temps en temps pour vérifier si on payait les dettes. Dans toutes les circonstances, il ne s'agissait pas là de mesures suffisantes, compte tenu des antécédents de la société et du fait que l'appelant a été dans l'obligation de payer en mars 1993 les 93 416 $ exigés par la ville d'Innisfail. Le fait que le paiement à la ville représentait un paiement d'impôt est particulièrement significatif. Pourquoi l'appelant ne s'est-il pas demandé, en mars 1993 et par la suite, si le paiement à quelque autre administration fiscale avait pu être reporté?

[27] La troisième raison est que l'appelant savait que Jerry Wright non seulement était le plus important actionnaire de la société, mais encore qu'il avait avancé à cette dernière plus d'argent que lui. Peu importe jusqu'à quel point l'appelant se fiait à Jerry Wright, il aurait dû être désireux de savoir si ce dernier, en sa qualité de créancier et d'administrateur de la société, cherchait à recouvrer les sommes qu'il avait prêtées à celle-ci, par priorité aux prêts consentis par l'appelant et avant remboursement des sommes dues à Revenu Canada. La prudence normale quant à la conduite des affaires aurait dû inciter l'appelant, comme administrateur et important créancier de la société, à surveiller plus étroitement quels chèques étaient émis et à chercher à connaître l'identité des créanciers (notamment Revenu Canada) qui étaient payés. Compte tenu du fait que l'appelant avait investi d'importantes sommes d'argent dans la société, ce qui l'avait incité à demeurer administrateur de celle-ci en 1993 après que Harvey Jager et Normand Husband eurent donné leur démission, il n'était pas déraisonnable de s'attendre à ce qu'il se déplace à l'occasion pour aller rencontrer Judy à Innisfail de façon à vérifier d'une part quels chèques celle-ci avait fait parvenir à Jerry Wright et, d'autre part, quels chèques avaient été encaissés et retournés accompagnés des relevés bancaires mensuels. L'appelant aurait ainsi pu savoir quels chèques avaient été de fait signés et postés par Jerry Wright et encaissés par les divers créanciers de la société, y compris Revenu Canada.

[28] La quatrième raison est la démission des deux administrateurs en 1993. Aux dires de l'appelant, Harvey Jager et Normand Husband avaient démissionné parce qu'ils ne pouvaient réussir à obtenir des renseignements convenables sur la situation financière de la société. Bien que MM. Jager et Husband ne soient pas venus témoigner dans la présente cause, je présume qu'ils sont des hommes d'affaires raisonnables. Si l'on prend la démission des deux hommes comme modèle de conduite raisonnable, qu'est-ce que ces démissions indiquaient à l'appelant? Leurs postes d'administrateurs n'ont pas été comblés. Après leur départ, il ne restait que trois administrateurs : l'appelant ainsi que Jerry Wright et Sid Tissington. En août 1992, les administrateurs avaient écarté ce dernier et sa famille de toute autre forme de participation à la gestion de la société. Le 12 mars 1993, l'appelant avait écrit à Jerry Wright une lettre désobligeante (pièce A-11) dans laquelle il accusait ce dernier d'essayer d'acquérir certains biens achetés par l'appelant lors de la vente aux enchères, comme s'il s'agissait de biens “ abandonnés ”. Vers la fin de la lettre, l'appelant écrivait ceci :

[TRADUCTION]

Jerry, j'ai toujours cru que si l'on ne pouvait se fier à la parole d'une personne, on ne pouvait pas non plus se fier à cette personne. Jerry, vous nous aviez également affirmé que vous nous feriez parvenir un état vérifié de vos comptes relatifs à la Seven S datant de plus de deux ans; je vous ai fait parvenir le mien, mais vous ne m'avez jamais envoyé le vôtre.

[29] À mon avis, mars 1993 est un mois particulièrement important dans cette histoire. Le 25 mars (pièce A-12), on avait exigé que l'appelant verse 93 416 $ à la ville d'Innisfail pour sauvegarder l'usine de la société. Le 12 mars, l'appelant écrivait à Jerry Wright, alors que celui-ci était de fait le président et gestionnaire de la société ainsi que le seul signataire autorisé à l'égard des chèques, une lettre (pièce A-11) dans laquelle il l'accusait d'être de mauvaise foi. Et, d'après l'avis de cotisation établi à l'égard de l'appelant (pièce A-17), c'est au cours de ce même mois que les retenues salariales dues à Revenu Canada avaient été versées pour la dernière fois.

[30] Si on applique la norme objective, plusieurs signes indiquaient à l'appelant, à la fin de mars 1993, qu'il aurait dû mettre en doute la compétence de M. Wright en tant que gestionnaire ainsi que les possibilités de survie de la société. Si on applique la norme subjective, l'appelant était un homme d'affaires averti qui savait, à la suite des réunions antérieures du conseil d'administration (pièces A-3 et A-5), que la société avait préalablement omis de verser à Revenu Canada les sommes qu'elle lui devait. Il savait qu'il pouvait être tentant pour une entreprise ayant un découvert de trésorerie de reporter le paiement de ses dettes. Il savait que la société était de fait en manque d'argent. On sait que le paiement des sommes à Revenu Canada qui étaient devenues payables en avril 1993 avait été reporté au mois de mars 1994 (voir la pièce A-17).

[31] À la fin de mars 1993, l'appelant se devait de prendre des mesures pour s'assurer que les retenues salariales seraient à l'avenir versées à Revenu Canada. L'appelant n'a pris aucune mesure en ce sens. Compte tenu de la norme de prudence “ objective subjective ” décrite dans l'arrêt Soper, je conclus que l'appelant n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement, quant aux retenues salariales, qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. L'appel est rejeté, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 1998.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour d'août 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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