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Date: 20000530

Dossier: 97-3445-IT-I

ENTRE :

NELIA ARAGON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Le 21 novembre 1997, l'appelante a déposé un avis d'appel à la Cour relativement aux années d'imposition 1992, 1993 et 1994. Elle a choisi la procédure informelle conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt (la “ Loi sur la CCI ”). Le 19 décembre 1997, l'intimée a déposé une réponse à l'avis d'appel. L'appel en l'instance est lié à deux autres appels (Oscar Aragon c. La Reine, no 97-3446 et Roderic Aragon c. La Reine, no 97-3448), qui ont été interjetés le même jour. L'ordonnance que je rends aujourd'hui dans l'appel interjeté par l'appelante aura une incidence sur ces deux autres appels, mais je prononce les présents motifs comme si seul l'appel de Nelia Aragon était en cause.

[2] Le 16 avril 1999, la Cour a envoyé aux parties un avis d'audition indiquant que l'appel en l'instance (no 97-3445) serait entendu à Regina (Saskatchewan) le vendredi 18 juin 1999. Le 20 avril 1999, l'avocat de l'appelante a adressé au greffier de la Cour une lettre contestant la compétence de la Cour de fixer une date d'audition. La lettre étant brève, je la reproduis intégralement :

[TRADUCTION]

Nous avons récemment reçu des avis d'audition concernant les appels des particuliers susmentionnés. Nous estimons que la Cour n'est pas compétente pour fixer une date d'audition à moins de “ circonstances exceptionnelles ”, comme le prévoit le paragraphe 18.17(1.1), puisqu'il s'est écoulé plus de 365 jours depuis le jour où le ministre aurait pu déposer une réponse, même en excluant les périodes du 21 décembre au 7 janvier de chaque année.

À notre avis, la nouvelle cotisation établie par le ministre est par conséquent nulle.

Nous attendons votre réponse à cet égard.

[3] Les arguments de l'appelante équivalant à une requête préliminaire en vue d'obtenir jugement, il a été convenu que l'audition de la requête serait tenue à Regina le lundi 14 juin 1999; les parties ont comparu à cette date. Les passages pertinents de l'article 18.17 de la Loi sur la CCI sont libellés dans les termes suivants :

18.17(1) Sous réserve du paragraphe (1.1), la Cour fixe l'audition d'un appel visé à l'article 18 à une date qui ne peut être ultérieure au cent quatre-vingtième jour ou, lorsqu'elle est convaincue qu'il serait difficilement réalisable de fixer une date d'audition à l'intérieur de ce délai, au trois cent soixante-cinquième jour suivant celle où le ministre du Revenu national est tenu, aux termes des paragraphes 18.16(1) ou (3), de répondre à l'avis d'appel.

18.17(1.1) La Cour peut, dans les cas exceptionnels, fixer l'audition d'un appel visé à l'article 18 à un moment ultérieur aux délais visés au paragraphe (1).

[4] La requête préliminaire de l'appelante a été entendue par le juge suppléant D. W. Rowe à Regina, le 14 juin 1999. Après avoir entendu les observations des avocats des deux parties, le juge Rowe a décidé d'annuler l'avis d'audition; il a ensuite prononcé de brefs motifs à l'audience. Le 25 juin 1999, il a rendu l'ordonnance suivante :

[TRADUCTION]

Vu la requête de l'avocat de l'appelante en vue d'annuler les cotisations établies par le ministre du Revenu national pour le motif que la Cour n'était pas compétente pour fixer une date d'audition de l'appel en l'instance comme le prévoit le paragraphe 18.17(1.1) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, puisqu'il s'était écoulé plus de 365 jours depuis le dernier jour où le ministre était tenu de déposer une réponse à l'avis d'appel.

Il est par les présentes ordonné que l'avis d'audition daté du 16 avril 1999 visant à fixer la date de l'audition de l'appel au 18 juin 1999 à 9 h 30 à Regina (Saskatchewan) soit annulé pour le motif qu'il n'a pas été délivré dans le délai prescrit au paragraphe 18.17(1.1) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt et que, par conséquent, il est sans effet.

L'appelante n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

[5] Ni l'une ni l'autre partie n'a tenté d'interjeter appel de l'ordonnance du 25 juin 1999 reproduite ci-dessus. Le 31 mars 2000, le juge en chef Garon, de cette cour, a rendu l'ordonnance suivante relativement à l'appel en l'instance (no 97-3445) :

[TRADUCTION]

IL EST ORDONNÉ que l'appel en l'instance soit entendu par la Cour canadienne de l'impôt, à l'édifice de la Cour provinciale, 1815, rue Smith, Regina (Saskatchewan), le lundi 15 mai 2000 à 9 h 30.

Le 28 avril 2000, l'avocat de l'appelante a adressé au greffier de la Cour une lettre (dont une copie a été envoyée au ministère de la Justice) dans laquelle il contestait encore une fois la compétence de la Cour. La lettre se lit intégralement comme suit :

[TRADUCTION]

Nous avons récemment reçu des avis fixant l'audition des appels des particuliers susmentionnés au lundi 15 mai 2000. Nous demeurons d'avis que la Cour n'est pas compétente pour fixer la date de l'audition à moins de “ circonstances exceptionnelles ”, comme le prévoit le paragraphe 18.17(1.1), puisqu'il s'est écoulé plus de 365 jours depuis le dernier jour où le ministre aurait pu déposer une réponse. En outre, compte tenu de l'ordonnance rendue le 14 juin 1999 par le juge Rowe, nous soutenons que la question de savoir si une date d'audition peut être fixée est chose jugée et ne peut être remise en cause régulièrement que dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

Nous espérons ainsi clarifier la position de notre cliente.

[6] Le 4 mai 2000, l'avocate de l'intimée à adressé à la Cour une lettre (dont une copie a été envoyée à l'avocat de l'appelante) dans laquelle il s'opposait à la thèse de l'appelante et faisait valoir que la Cour était compétente pour fixer une date d'audition. Après consultation, les avocats de l'appelante et de l'intimée ont convenu (i) que la seule question de la compétence de la Cour de fixer une date d'audition serait débattue à Regina le mardi 16 mai 2000, et (ii) que l'audition de l'appel au fond, si elle est permise ou jugée nécessaire, se déroulerait à une date ultérieure. Compte tenu du paragraphe 18.17(1) de la Loi sur la CCI, le dernier jour où le ministre du Revenu national était tenu de déposer une réponse à l'avis d'appel en l'espèce tombait la première semaine du mois de mars 1999. Quoi qu'il en soit, c'était approximativement six semaines avant le 16 avril 1999, date à laquelle le premier avis d'audition a été envoyé aux parties.

[7] À l'audition du 16 mai 2000, conformément à l'ordonnance du juge en chef reproduite précédemment au paragraphe 5, chaque avocat a déposé un mémoire ou des arguments. Le mémoire de l'appelante commence par les deux paragraphes suivants :

[TRADUCTION]

Ainsi que la Cour en prendra connaissance, l'audience en vue de trancher la question de savoir si la Cour est compétente pour fixer la date d'audition des affaires susmentionnées doit avoir lieu à Regina le mardi 16 mai 2000 à 10 h. Vous trouverez ci-dessous les observations supplémentaires que nous soumettons à la Cour pour le compte des appelants.

Notre cliente estime que l'omission de se conformer à l'article 18.17 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt a donné lieu à un déni de son droit d'interjeter appel en temps opportun, et que cela a entraîné un déni de justice naturelle. Nous contestons également la plus récente ordonnance de la Cour inscrivant l'appel pour audition car nous n'avons pas été avisés qu'une ordonnance avait été demandée ou était même envisagée. Nous faisons respectueusement valoir que cette omission constitue elle aussi une violation des règles de justice naturelle.

[8] Je ne vois pas comment l'omission de la Cour de se conformer au paragraphe 18.17(1) de la Loi sur la CCI a pu donner lieu à un déni de justice naturelle. L'appelante n'a produit aucune preuve, par affidavit ou sous une autre forme, que le retard mis à entendre son appel a réduit ses chances d'obtenir gain de cause. Il n'y a dans le dossier de la Cour aucun document qui indique que l'appelante ou son avocat ont tenté à quelque moment que ce soit d'obtenir une audition rapide de l'appel. De fait, au cours de la période allant du 19 décembre 1997 (la date du dépôt de la réponse de l'intimée) au 16 avril 1999 (la date d'envoi du premier avis d'audition), le dossier de la Cour révèle l'absence totale de toute communication de la part de l'appelante et de l'intimée. Ni l'une ni l'autre partie n'a demandé une audition rapide de l'appel. De plus, personne n'a demandé que soit rendue l'ordonnance du 31 mars 2000 prononcée par le juge en chef (voir le paragraphe 5 des présents motifs). La Cour a rendu cette ordonnance de son propre chef.

[9] La Cour ne peut trancher que les affaires civiles. Elle n'a aucune compétence en matière criminelle. De façon générale, la personne qui se présente devant la Cour pour demander une mesure de redressement interjette appel d'une décision prise par un fonctionnaire agissant ou prétendant agir sous le régime de l'une des lois énumérées à l'article 12 de la Loi sur la CCI. La personne qui interjette appel d'une telle décision à la Cour est un “ appelant ” ou une “ appelante ”, mais elle est assimilable à un “ demandeur ” dans une affaire civile. D'ordinaire, le demandeur souhaite une audition rapide afin d'obtenir le plus rapidement possible la mesure de redressement demandée. Pour quelque raison que ce soit, l'appelante dans la présente affaire n'a pas demandé d'audition rapide et, lorsque la date de l'audition a été fixée au mois de juin 1999, son avocat a fait valoir avec succès devant le juge Rowe que l'appel de sa cliente ne devait pas être entendu au fond parce que l'avis d'audition était vicié. Compte tenu de la preuve ou de l'absence de celle-ci, je ne peux conclure qu'il y a eu quelque déni de justice naturelle que ce soit en l'espèce.

[10] La décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Regina c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, ne s'applique pas aux circonstances du présent appel car elle concernait une instance criminelle à laquelle la Cour suprême a appliqué la Charte des droits et libertés et dans le cadre de laquelle elle a dû se pencher sur la question de savoir si une personne innocente croupissait peut-être en prison.

[11] L'avocat de l'appelante a fait valoir que je ne pouvais me prononcer sur la question de la compétence de la Cour de fixer une date d'audition parce que les doctrines de la chose jugée et de la préclusion (issue estoppel) m'en empêchaient. La thèse de l'appelante est résumée dans les termes suivants dans le mémoire de l'avocat :

[TRADUCTION]

Nous faisons respectueusement valoir qu'il ne peut y avoir audition de l'affaire en cause en raison des doctrines de la chose jugée et de la préclusion, et que, par conséquent, cette affaire ne peut être à nouveau plaidée. La doctrine de la chose jugée a été décrite dans l'affaire Bashnick v. Mitchell and Crown Mart Ltd., (1981), 8 Sask. R., 338 (B.R. Sask.), à la page 345, dans les termes suivants :

Il ne fait aucun doute quant au droit à cet égard : lorsqu'une décision judiciaire finale a été prononcée par un tribunal compétent à l'égard des parties et que l'objet du litige est le même, les parties ne peuvent dans un litige subséquent débattre à nouveau de la même question. Il y a chose jugée.

Le principe de la préclusion a été énoncé par le juge Holland, dans l'affaire Rasanen v. Rosemount Instruments, (1990) 28 C.C.E.L. 152 (H.C. Ont.), à la page 156, dans les termes suivants :

Pour qu'il y ait préclusion, trois conditions doivent être réunies :

(1)                  La même question a été tranchée dans les deux procédures.

(2)                  La décision judiciaire était finale.

(3)                  Les parties étaient les mêmes.

Nous soutenons que les faits de la présente affaire satisfont clairement à ces trois conditions aux fins de l'application du principe de la préclusion. La première décision de la Cour canadienne de l'impôt était fondée sur la question même dont la Cour est aujourd'hui saisie. Les parties sont les mêmes. Nous faisons respectueusement valoir que la décision du juge Rowe était finale car l'article 18.24 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt prévoit qu'une décision de la Cour canadienne de l'impôt est finale, sous réserve d'un contrôle judiciaire par la Cour d'appel fédérale. [...]

[12] Dans le passage tiré de l'affaire Bashnick v. Mitchell and Crown Mart, cité précédemment, la Cour parle d'“ une décision judiciaire finale [...] prononcée par un tribunal [...] à l'égard des parties ”; elle renvoie alors à une décision qui touche les droits et les obligations de l'une ou l'autre partie vis-à-vis de l'autre. Ce sens ressort clairement des propos subséquents “ les parties ne peuvent dans un litige subséquent débattre à nouveau de la même question ”. De même, il est dit dans le passage de l'affaire Rasanen v. Rosemount Instruments cité précédemment, que la troisième condition essentielle à l'existence d'une préclusion est que les “ parties étaient les mêmes ”. La Cour n'est pas une “ partie ” au litige dont elle est saisie.

[13] À mon avis, les doctrines de la chose jugée et de la préclusion ne sont pas pertinentes relativement aux questions de savoir (i) si la Cour peut rendre une nouvelle ordonnance au mois de mars 2000 pour fixer une nouvelle date d'audition, et (ii) si je peux à nouveau entendre les arguments portant sur la validité de cette ordonnance. La Cour a la compétence exclusive en première instance pour entendre les appels interjetés sous le régime des lois énumérées à l'article 12 de la Loi sur la CCI. Il n'y a aucun conflit entre la Cour et une partie à un appel donné. La Cour n'est partie à aucun des appels interjetés qui relèvent de sa compétence. L'ordonnance rendue par le juge Rowe le 25 juin 1999 ne concernait pas les droits ou les obligations de l'une ou l'autre partie (appelante et intimée) vis-à-vis de l'autre. En fait, le juge Rowe a pris soin d'éviter d'annuler les cotisations visées par l'appel en dépit de l'observation faite dans la lettre du 20 avril 1999 que l'avocat de l'appelante a adressée au greffier de la Cour (voir le paragraphe 2 des présents motifs). La partie déterminante de l'ordonnance du juge Rowe portait uniquement sur la validité de l'avis d'audition envoyé par la Cour aux parties le 16 avril 1999, bien que le préambule de l'ordonnance renvoie à une requête “ visant à faire annuler les cotisations ”. Le juge a annulé cet avis d'audition.

[14] La Cour (comme d'autres tribunaux) a l'obligation de tenir une audition en temps utile aux fins de la résolution de litiges. Pour les appels interjetés sous le régime de la procédure informelle, l'article 18.17 de la Loi sur la CCI est explicite (voir le paragraphe 3 des présents motifs) relativement au délai dans lequel “ la Cour fixe l'audition d'un appel ”. Les deux avocats ont fait valoir que la question de savoir s'il fallait attribuer au terme “ shall ” dans le texte anglais du paragraphe 18.17(1) un sens impératif ou un sens directif. La question a été récemment examinée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire C.B. (P.G.) c. Canada (P.G.); Acte concernant le chemin de fer de l'Île de Vancouver (Re), [1994] 2 R.C.S. 41. Dans cette affaire, le juge Iacobucci (se prononçant pour la majorité) a écrit ceci aux pages 123 et 124 :

En d'autres termes, les tribunaux ont tendance à se poser la question suivante: y aurait-il des inconvénients graves à considérer comme impérative l'exécution d'une certaine fonction prévue par la loi?

Il ne peut y avoir de doute quant à la nature de l'examen en l'espèce. Les étiquettes “impérative” et “directive” ne sont elles-mêmes d'aucun secours magique pour définir la nature d'une fonction prévue par la loi. L'examen lui-même est plutôt incontestablement axé sur le résultat. Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, notre Cour cite, à l'appui de son point de vue, l'arrêt R. ex rel. Anderson c. Buchanan (1909), 44 N.S.R. 112 (C.A.), motifs du juge Russell, à la p. 130. Je crois utile de citer de nouveau ce passage:

[TRADUCTION] Je ne prétends pas être capable de faire la distinction entre ce qui est directif et ce qui est impératif, et je conclus que je ne suis pas le seul à avoir le sentiment que, selon la jurisprudence, une disposition peut devenir directive s'il est très souhaitable qu'on n'y ait pas dérogé, alors que la même disposition aurait été déclarée impérative s'il n'avait pas été nécessaire de conclure en sens contraire.

Lorsque la conclusion qu'une loi est impérative entraîne des inconvénients graves, on est grandement tenté de faire une exception en faveur de la prétention qu'elle est simplement directive ...

Ainsi, l'application de la distinction entre ce qui est impératif et ce qui est directif est, la plupart du temps, fondée sur une question de fin et non de moyens. En ce sens, pour citer de nouveau le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, le principe est “vague” et “utilisé comme expédient” (p. 742). Cela signifie que le tribunal appelé à décider ce qui est impératif ou directif ne recourt à aucun outil spécial pour prendre sa décision. La décision repose sur le processus habituel d'interprétation législative. Cependant, ce processus suscite peut-être une préoccupation spéciale pour les inconvénients tant publics que privés auxquels donnera lieu l'interprétation adoptée.

[15] Si je comprends bien le droit, lorsqu'il y aurait des inconvénients trop graves à interpréter une directive législative de manière “ impérative ” (au sens public ou privé), un tribunal s'efforcera de conclure que le sens de cette directive est directif et non impératif. Si le terme “ shall ” dans le texte anglais du paragraphe 18.17(1) est impératif, comme l'avocat de l'appelante le soutient, et si, en conséquence, la Cour ne peut fixer une date d'audition après un délai de 365 jours sans établir l'existence de circonstances exceptionnelles, il en résulte des inconvénients graves car les parties (l'appelante et l'intimée dans tous les cas) se verraient refuser une audition sans qu'elles y soient pour quelque chose. Outre les inconvénients qu'il causerait, ce résultat empêcherait la Cour de remplir ses fonctions. La Cour est un tribunal indépendant qui a été créé dans le but de permettre à des personnes (des particuliers, des sociétés, etc.) d'interjeter appel de décisions rendues sous le régime des lois fiscales fédérales énumérées à l'article 12 de la Loi sur la CCI. Si on devait refuser la tenue d'une audition à ces personnes parce que la Cour a omis de satisfaire à une directive législative, la raison d'être de la Cour serait totalement compromise.

[16] Si je devais décider, je conclurais que le terme “ shall ” dans le texte anglais du paragraphe 18.17(1) est directif et non impératif. Il ne me sera peut-être pas nécessaire de me prononcer sur cette question cependant car, à mon avis, l'appelante n'a pas demandé la mesure de redressement appropriée. Comme je l'ai dit précédemment au paragraphe 9, un demandeur demande habituellement la tenue rapide d'une audition. Si l'appelante ou son avocat estimaient qu'un retard mis à entendre l'appel amoindrirait les chances de l'appelante d'obtenir gain de cause, cette dernière aurait pu demander au greffier de la Cour une audition rapide n'importe quand après le 19 décembre 1997, date à laquelle la réponse à l'avis d'appel a été déposée. Elle ne l'a pas fait. Une fois le délai de 365 jours prévu au paragraphe 18.17(1) expiré, elle aurait pu demander au greffier de se conformer à cette disposition. Or, elle n'a pas formulé de telle demande. Si l'appelante estimait que l'audition de son appel était retardée indûment, elle aurait pu déposer un avis de requête en vue d'obtenir une ordonnance semblable à celle que le juge Garon a en fait signée le 31 mars 2000 (voir le paragraphe 5 des présents motifs). Elle n'a pas déposé d'avis de requête. Je doute de la sincérité et de la bonne foi de l'appelante lorsqu'elle prétend que l'omission de la Cour de se conformer au paragraphe 18.17(1) a donné lieu à un déni de justice naturelle ou à une perte de compétence.

[17] L'appelante a probablement pensé en avril 1999 qu'elle pourrait tirer un avantage contre l'intimée de l'omission de la Cour de fixer une date d'audition conformément au paragraphe 18.17(1) car elle a demandé que la nouvelle cotisation établie par le ministre soit annulée. Voir le paragraphe 2 des présents motifs. C'était là en fait une requête en vue d'obtenir jugement. Pourquoi une partie devrait-elle tirer avantage contre l'autre partie de l'omission de la Cour? Le juge Rowe n'a annulé aucune cotisation dans son ordonnance du 25 juin 1999, mais il a probablement cru qu'il accordait une certaine mesure de redressement à l'appelante car il a terminé en disant : “ L'appelante n'a droit à aucune autre mesure de redressement ” (les italiques sont de moi). Voir le paragraphe 4 des présents motifs.

[18] Si la mesure de redressement prononcée en faveur de l'appelante par le juge Rowe est la mesure qu'il convient d'accorder lorsque la Cour omet de fixer une date d'audition comme elle y est tenue aux termes de l'article 18.17, le ministre du Revenu national pourrait être le principal bénéficiaire de cette mesure de redressement. Le délai de prescription prévu au paragraphe 18.17(1) s'applique uniquement aux appels interjetés sous le régime de la procédure informelle, dont les montants en litige sont assez peu élevés. Sous le régime de cette procédure, de nombreux contribuables se présentent à la Cour sans avocat ou autre assistance professionnelle. Le ministre pourrait présenter une requête en vue de faire annuler tout avis d'audition délivré après le délai de 365 jours et, à moins de “ circonstances exceptionnelles ”, cet avis serait annulé et le contribuable n'aurait pas droit à une audition ni n'aurait l'occasion d'obtenir réparation. Le rédacteur législatif ou le législateur ne peuvent avoir envisagé ce résultat lorsqu'ils ont utilisé le terme “ shall ” dans le texte anglais du paragraphe 18.17(1).

[19] À mon avis, la mesure de redressement que l'appelante a demandée au juge Rowe de lui accorder au mois de juin 1999 et dont elle a demandé le maintien le 16 mai 2000 n'est pas raisonnable. Cette mesure de redressement est à ce point déraisonnable qu'elle est absurde et qu'il faut par conséquent éviter de l'accorder.

[20] S'il est nécessaire de démontrer l'existence de circonstances exceptionnelles sous le régime du paragraphe 18.17(1.1), je prendrai connaissance d'office des faits suivants. Premièrement, le juge Sobier, de cette cour, est décédé soudainement la première semaine du mois de mars 1998 (autour de la date à laquelle le délai de 365 jours a commencé à courir) et il n'a été remplacé qu'après le mois de juin 1999. Deuxièmement, le juge Sarchuk a choisi de devenir juge surnuméraire au mois de juillet 1998 (acceptant une liste de dossiers réduite) et il n'a été remplacé qu'après le mois de juin 1999. Troisièmement, le juge en chef Couture a pris sa retraite le 31 décembre 1998 et, bien qu'un autre juge de la Cour ait été nommé pour le remplacer, le poste laissé vacant par le départ à la retraite du juge Couture n'a pas encore été comblé. Et, quatrièmement, la Cour a, à Montréal, Toronto, Calgary et Vancouver, une lourde charge de travail qui l'oblige à tenir fréquemment des audiences dans ces villes pour limiter les retards. Les audiences dans les villes plus modestes comme Regina, Halifax, St. John's, Saskatoon et Sudbury sont moins fréquentes. Il est parfois “ difficilement réalisable ” d'entendre tous les appels interjetés sous le régime de la procédure informelle dans le délai de 180 jours ou même le délai de 365 jours prévu au paragraphe 18.17(1). Compte tenu des faits qui précèdent, ce n'est peut-être pas par hasard que la première requête de l'appelante ait été entendue à Regina par un juge suppléant au mois de juin 1999. L'article 9 de la Loi sur la CCI permet la nomination de juges suppléants.

[21] Je tiens pour acquis que le juge en chef et le greffier de la Cour n'épargnent aucun effort pour que tous les appels interjetés sous le régime de la procédure informelle soient entendus dans les délais prescrits au paragraphe 18.17(1). Sur le fondement de cette hypothèse, j'accepterais l'omission d'entendre un appel interjeté sous le régime de la procédure formelle dans ces délais comme une preuve prima facie de l'existence de circonstances exceptionnelles. À mon avis, la Cour est compétente pour fixer une date d'audition d'un appel en tout temps.

[22] Dans l'affaire Paynter et al. c. La Reine, C.A.F., no A-754-96, 22 octobre 1996 (96 DTC 6578), la Cour d'appel fédérale a examiné le pouvoir discrétionnaire dont jouit le juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt lorsqu'il refuse d'ajourner l'audition d'un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle. Après avoir examiné les parties de la Loi sur la CCI portant sur les appels interjetés sous le régime de la procédure informelle, le juge Strayer a dit ceci aux pages 5 et 6 (DTC : à la page 6580) :

[...] Ces dispositions précisent que de tels appels ne sont pas destinés à se dérouler à une petite allure choisie par les parties, mais qu'ils doivent être entendus normalement et tranchés avec célérité et méthodiquement. Cela non seulement colore le sens à donner à l'expression “difficilement réalisable” figurant au paragraphe 18.2(1), mais indique également la portée du pouvoir discrétionnaire que la Cour tient du paragraphe 18.2(2), celui de refuser des ajournements lors même que tous les avocats y consentiraient.

À mon avis, c'est là une description fidèle de ce que le législateur et le rédacteur législatif envisageaient dans le cas de la procédure informelle. Si les appels interjetés sous le régime de la procédure informelle doivent être “ entendus [...] et tranchés avec célérité et méthodiquement ”, de quelle manière une partie qui demande l'annulation d'un avis d'audition pour le motif que, à première vue, celui-ci ne respecte pas les délais prescrits au paragraphe 18.17(1), contribue-t-elle à la réalisation de cet objectif?

[23] Dans l'affaire Anthony M. Hayes c. La Reine, C.C.I., no 97-3080(IT)I, 14 octobre 1998 (98 DTC 3462), le juge en chef adjoint Christie devait examiner l'avis d'audition d'un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle délivré par la Cour après le délai de 180 jours prévu au paragraphe 18.17(1). Il a décrit l'omission de la Cour de se conformer au paragraphe 18.17(1) comme un “ oubli administratif ”. C'est peut-être ce qui s'est effectivement produit dans l'affaire Hayes. Dans l'appel en l'instance, interjeté par Nelia Aragon, l'omission de la Cour de se conformer au paragraphe 18.17(1) n'était peut-être pas un oubli; elle était peut-être le fait d'une incapacité consciente d'envoyer un juge à Regina pour la tenue d'une audition dans le délai prescrit. Cette incapacité ne compromet pas la compétence de la Cour de convoquer la tenue d'une audition dès que possible.

[24] Dans un renvoi spécial à la Cour d'appel fédérale, In Re Anti-dumping Act and Other Matters, [1980] 1 C.F. 233, la Cour a été saisie de la question de savoir si le tribunal antidumping conservait sa compétence de tenir une nouvelle audition et de statuer sur la question même si le délai de prescription de 90 jours prévu au paragraphe 16(3) de la Loi antidumping était expiré. Le juge Pratte, s'exprimant pour la Cour, a dit ceci à la page 238 :

L'article 16(3) impose indéniablement au Tribunal l'obligation de rendre une décision “dans un délai de 90 jours à compter de la date de la réception d'un avis d'une détermination préliminaire du dumping”. Il ne s'ensuit pas qu'à l'expiration de ce délai, le Tribunal n'a plus l'obligation de procéder à une enquête sur la question dont il a été saisi ni qu'il est privé du pouvoir de rendre une ordonnance ou de prendre des conclusions en la matière. A mon avis, seule une disposition expresse permettrait de tirer pareille conclusion qui serait contraire à l'objet de la Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15. Je ne vois dans celle-ci aucune disposition expresse dans ce sens. A l'expiration du délai de 90 jours, les parties peuvent prendre toutes mesures nécessaires pour protéger leurs intérêts et pour forcer le Tribunal à se prononcer mais, à mon avis, ce dernier conserve sa compétence pleine et entière.

Tout tribunal peut excéder sa compétence dans le cadre de son processus décisionnel, mais l'omission d'agir dans le délai prescrit aura rarement pour effet de retirer au tribunal sa compétence de trancher les affaires mêmes qu'il a été créé pour résoudre.

[25] L'ordonnance rendue par le juge en chef Garon le 31 mars 2000 (reproduite au paragraphe 5 des présents motifs) est valide. Les ordonnances semblables rendues dans les appels de Oscar Aragon c. La Reine (no du greffe 97-3446) et de Roderic Aragon c. La Reine (no du greffe 97-3448) sont également valides. Les parties ayant convenu que l'audition des trois appels au fond (si elle était permise ou nécessaire) se déroulerait après le 16 mai 2000, je demanderai au greffier de la Cour de communiquer avec elles dans le but de fixer une nouvelle date d'audition.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de mai 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de novembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

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