Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980611

Dossier: 97-3668-IT-I

ENTRE :

GILLES TREMBLAY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel en se prévalant de la procédure informelle d'une cotisation établie à l'égard de l'année d'imposition 1995.

[2] Par cette cotisation, le ministre du Revenu national (“ Ministre ”) a refusé à l'appelant le crédit d'impôt non remboursable pour déficience mentale ou physique réclamé au montant de 719,61 $ en vertu des articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu (“ Loi ”).

[3] Selon le témoignage de l'appelant, celui-ci souffre de tachycardie ventriculaire. Cette déficience physique a été diagnostiquée en 1986 alors que l'appelant a dû être hospitalisé pour une période de 50 jours. Cette déficience cause des étourdissements, de l'essoufflement et de l'épuisement et ne se contrôle par aucun médicament. Bien que l'appelant soit muni d'un régulateur cardiaque, il peut subir une attaque de tachycardie à n'importe quel moment s'il fait un moindre effort. Dans ces circonstances, l'appelant doit se rendre immédiatement à l'hôpital à l'urgence. Les crises se produisent environ dix fois par mois au cours de l'hiver et trois à quatre fois par mois au cours de l'été. Lorsqu'il est en crise, l'appelant ne peut plus fonctionner normalement. Le Dr. Teresa Kus qui a complété le certificat médical pour l'appelant (voir pièce A-1) décrit cet état de la façon suivante :

Tachycardie ventriculaire idiopathique qui se manifeste par palpitations rapides et étourdissements nécessitant l'implantation d'un stimulateur antitachycardie qui peut être activé seulement à l'urgence d'un hôpital pour faire interrompre le rythme rapide sous surveillance médicale. Ces tachycardies sont déclenchées par effort modéré.

[4] En dehors des périodes de crise, l'appelant doit se présenter deux fois par semaine à l'Institut de Cardiologie et une fois par mois à l'hôpital Sacré-Coeur de Montréal.

[5] L'appelant qui est toujours considéré comme un employé de la Société du Port de Montréal est en congé d'invalidité depuis l'attaque massive de tachycardie qu'il a subie en 1986.

[6] Depuis ce temps, l'ensemble de ses revenus provient du produit des assurances qu'il reçoit à cause de son invalidité. Il reçoit ainsi des revenus provenant de la compagnie d'assurances Sun Life du Canada et de sa police d'assurance avec La Société du Port de Montréal. Il reçoit également une rente d'invalidité de la Régie des Rentes du Québec. De plus, toujours à cause de cette invalidité, il est exonéré du paiement d'une partie des primes payables sur sa police d'assurance-vie qu'il a avec la compagnie London Life.

[7] Selon le certificat médical fourni par le Dr. Teresa Kus, l'appelant souffre de tachycardie ventriculaire idiopathique et a une limitation marquée à l'activité physique par risque de déclenchement de la tachycardie et ce, depuis 1986.

[8] Selon la preuve qui m'est présentée, et m'appuyant sur la décision de cette Cour dans les affaires Denis Radage c. La Reine [1996] A.C.I. no 730 et Avril Maureen Cotterell c. La Reine [1986] A.C.I. no 1781, je suis d'avis que l'appelant rencontre les exigences prévues aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi pour avoir le droit à un crédit pour déficience mentale ou physique.

[9] Je souscris entièrement aux propos du juge Bowman de cette Cour dans l'affaire Radage au paragraphe 46 (pp. 60-61) et dont je citerai quelques extraits:

[...]Chaque cas dépend des faits qui lui sont propres et, jusqu'à un certain point, de la perception de la Cour quant à la gravité du problème. A la question de savoir s'il convient de fixer les limites, je ne puis que répondre que, dans une affaire donnée, je fixe les limites là où le bon sens me l'indique, selon la preuve présentée et d'un point de vue compatissant par rapport au but que visait à mon avis le législateur à l'article 118.3.

5) Je ne veux pas dire par là que la détermination doit se fonder sur une réaction instinctive, arbitraire et subjective. Elle doit être basée non seulement sur les faits propres à un cas, mais également sur les principes juridiques appropriés. J'essaierai d'énoncer brièvement les principes sur lesquels se fonde ma décision en l'espèce:

a) L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

b) La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique.

[...] Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante. L'article 12 de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

c) S'il existe un doute quant à savoir de quel côté de la limite se situe une personne demandant le crédit, on doit accorder à cette personne le bénéfice du doute.

[...]

e) Enfin, il faut considérer et c'est le principe le plus difficile à formuler les critères à employer pour en arriver à déterminer si la déficience mentale est d'une telle gravité que la personne a droit au crédit, ... Il n'est pas nécessaire que la personne soit complètement automate ou dans un état anoétique, mais la déficience doit être d'une gravité telle qu'elle imprègne et affecte la vie de la personne au point où cette dernière est incapable d'accomplir les activités mentales permettant de fonctionner d'une manière autonome et avec une compétence raisonnable dans la vie quotidienne.

[10] Il est à noter que la Cour d'appel fédérale a cité avec approbation certains extraits ci-haut dans l'affaire Johnston c. La Reine [1998] A.C.F. no 169, plus particulièrement en ce concerne l'interprétation législative entourant l'application des articles 118.3 et 118.4 de la Loi. Le juge Létourneau ajoute ceci aux paragraphes 11, 12 et 13 :

[para 11] En effet, même si elles ne s'appliquent qu'aux personnes gravement limitées par une déficience, ces dispositions ne doivent pas recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l'intention du législateur, voire irait à l'encontre de celle-ci.

[para 12] Dans l'arrêt Landry v. Her Majesty the Queen ([1995] 1 C.T.C. 2030), le juge Lamarre Proulx a fait l'historique de ces dispositions légales. [...]

[para 13] En 1986, on a décidé d'accorder également la déduction aux personnes victimes de l'un ou l'autre de plusieurs handicaps qui, bien que graves, ne les obligeaient pas à garder le lit ou à rester dans un fauteuil roulant (voir les Documents budgétaires du 23 mai 1985 à la page 57) :

Une nouvelle définition applicable aux années d'imposition 1986 et suivantes, et dont l'application sera vérifiée par les experts médicaux du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, a été élaborée afin de s'appliquer à tous les Canadiens victimes d'un handicap grave. Elle s'appliquera aux personnes souffrant, par exemple, de cécité, d'une insuffisance cardio-respiratoire grave, d'une maladie ou déficience mentale, de surdité bilatérale profonde et de lésion fonctionnelle du système neuro- ou musculosquelettique, qui ont également besoin d'une aide fiscale. Les personnes chargées d'appliquer cette définition médicale générale évalueront l'admissibilité des demandeurs en évaluant les renseignements fournis par la personne handicapée (ou son représentant). Si le handicap a pour effet de restreindre sensiblement les activités de la personne dans sa vie quotidienne et que l'incapacité a duré ou est censée durer pendant une période ininterrompue d'au moins 12 mois, la personne recevra un certificat d'invalidité et aura droit à la déduction fiscale. La nouvelle définition est conforme à l'objectif d'existence autonome des personnes handicapées qui est énoncé dans le rapport du Comité parlementaire spécial concernant les invalides et les personnes handicapées.

[11] Dans l'affaire Radage il s'agissait d'une déficience mentale. Dans le cas présent, l'appelant souffre d'une déficience physique. Les principes d'interprétation demeurent les mêmes.

[12] A l'instar du juge Bowman, je suis d'avis qu'il s'agit ici d'un cas dans lequel l'intention du législateur ne saurait être mieux respectée qu'en accordant à l'appelant le crédit d'impôt pour déficience physique qu'il réclame.

[13] Par ailleurs, l'appelant a souligné le fait que l'obtention d'un certificat médical annuel était très coûteux. Je suis d'avis qu'il s'agit ici d'un cas de déficience physique permanente qui ne devrait plus requérir la production d'autres certificats médicaux à l'avenir tel que cela est permis par une politique de Revenu Canada prévue dans le bulletin d'interprétation IT-519R du 20 février 1995.

[14] L'appel est donc admis avec dépens en faveur de l'appelant s'il y a lieu.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11ième jour de juin 1998.

"Lucie Lamarre"

J.C.C.I.

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