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Date: 20000417

Dossier: 98-2519-IT-G

ENTRE :

KENNETH WAYNE JAMES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de la cotisation de l'appelant pour l'année d'imposition 1993.

[2] La question deviendra claire à la suite d'un bref résumé des faits quelque peu inhabituels.

[3] M. James était le seul actionnaire et employé de Ken James Backhoe Service Co. Ltd. La fin d'exercice de la compagnie était le 31 octobre.

[4] Le 26 mars 1993, à l'insu de M. James, la compagnie a été rayée du registre des compagnies de la Colombie-Britannique. Néanmoins, après cette date, M. James a poursuivi ses activités d'excavation en utilisant le nom de la compagnie, il a adressé des factures à des clients en utilisant le nom de la compagnie et il a prélevé des montants de la compagnie. En 1994, il a embauché un nouveau comptable, M. Ellis, puisque celui qui occupait ce poste l'a quitté en 1992. Lorsqu'il a reconstitué les comptes pour les années 1993 et 1994, M. Ellis ignorait que la compagnie n'existait plus depuis le 26 mars 1993 et il a traité les prélèvements que M. James a effectués après le 26 mars 1993 comme des prêts que la compagnie lui accordait. Le ministère, sachant ce que M. Ellis et M. James ignoraient, soit que la compagnie n'existait plus depuis le 26 mars 1993, a traité le montant, que M. Ellis avait établi comme un montant à payer à la compagnie, comme un montant réparti à la liquidation de son commerce en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou sinon, comme un avantage conféré à un actionnaire en vertu de l'article 15.

[5] La question consiste à savoir si la cotisation établie sur cette base est correcte.

[6] Voici donc les faits en détail. Ce qui suit représente un exposé conjoint des faits partiel déposé par l'avocat des parties, basé sur un avis de demande d'admission signifié à l'appelant par l'intimée.

[TRADUCTION]

1. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déjà établi une cotisation à l'égard de l'appelant, Kenneth James, pour l'année d'imposition 1993 en vertu de l'avis daté du 24 octobre 1994.

2. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de M. James pour l'année d'imposition 1993 en vertu de l'avis de nouvelle cotisation daté du 6 octobre 1997. Le ministre, entre autres choses, a ajouté un dividende imposable de 78 581 $ au revenu de M. James et lui a accordé un crédit d'impôt pour dividendes de 10 477 $.

3. Le montant du dividende imposable a été calculé par le ministre de la façon suivante :

Montant dû par l'actionnaire 65 262 $

Juste valeur marchande des immobilisations 9 000 $

Moins :

Frais comptables assumés par M. James (2 000 $)

Montant dû de James Excavating Ltd. (9 395 $)

Capital libéré des quote-parts (2 $)

Dividende réputé 62 865 $

Dividende imposable (125 p. 100) 78 581 $

4. Ken James Backhoe Service Co. Ltd. (la “ compagnie ”) a été constituée en personne morale en vertu de la Company Act de la Colombie-Britannique le 31 octobre 1980.

5. Les activités de la compagnie consistaient à offrir des services d'excavation à l'aide d'une pelle mécanique.

6. Les services d'excavation consistaient à fournir une pelle mécanique et les services d'un conducteur dans le but d'effectuer des travaux tels que le creusement des fossés, le débroussaillement, le nivellement du sol et l'aménagement paysager.

7. L'appelant, Kenneth James, était le seul actionnaire de la compagnie du 31 octobre 1980 au 26 mars 1993.

8. M. James était le seul employé de la compagnie jusqu'au 26 mars 1993.

9. Les tâches de M. James au sein de la compagnie incluaient la conduite de la pelle mécanique.

10. Après 1992, la compagnie pour laquelle M. James a travaillé se nommait James Excavating Ltd., anciennement connue sous le nom de Stan Holman Holdings Ltd.

11. Le 26 mars 1993, la compagnie a été rayée du registre des compagnies de la Colombie-Britannique puis dissoute pour avoir omis de produire les déclarations annuelles requises en vertu de la Company Act de la Colombie-Britannique.

12. La compagnie a mis fin à ses activités à la même date que sa dissolution, soit le 26 mars 1993.

13. Lorsque les activités de la compagnie ont pris fin, le capital libéré pour ce qui est de la part de la société de M. James n'a pas été réduit.

14. Les états financiers non vérifiés de la compagnie montrent que la compagnie doit un solde de 239 $ à M. James en date du 31 octobre 1992.

15. De temps en temps, après le 26 mars 1993, M. James a prétendu faire des prélèvements en tant qu'actionnaire de la compagnie parce qu'il ignorait à ce moment que la compagnie avait été rayée du registre des compagnies et il croyait que la compagnie existait encore.

16. Les prélèvements que M. James a prétendu faire entre le 26 mars 1993 et le 31 octobre 1993 sont inscrits dans les états financiers non vérifiés de la compagnie qui démontrent que M. James doit un solde de 65 262 $ à la compagnie en date du 31 octobre 1993. Ces prélèvements font partie du montant représenté comme le “ montant dû par l'actionnaire ” au point 3 susmentionné.

17. Le comptable de M. James, Murray Ellis, a préparé à partir des renseignements fournis par M. James les états financiers non vérifiés de la compagnie en date du 31 octobre 1993 ainsi que la déclaration de revenus de la compagnie pour l'année d'imposition 1993. Il a préparé ces documents vers le mois de septembre 1994.

18. M. James a découvert que la compagnie avait été rayée du registre des compagnies vers le 29 mai 1995, lorsque Revenu Canada en a avisé M. Ellis.

19. Revenu Canada a appris vers le 29 mai 1995, ou avant, que la compagnie avait été rayée du registre des compagnies le 26 mars 1993.

20. Dans une correspondance du 23 avril 1999, Revenu Canada a avisé la compagnie qu'elle devait un montant de 30 479,35 $ en date du 21 avril 1999 pour ce qui est des arriérés d'impôt pour l'année 1993.

21. M. James n'a entrepris aucune démarche afin de faire en sorte que la compagnie réintègre le registre des compagnies.

22. La compagnie n'a jamais réintégré le registre des compagnies.

[7] M. James m'a semblé être un homme honnête, dont les connaissances sont assez sommaires en matière d'impôts, de comptabilité et de tenue de livres. Il avait tendance à laisser les comptables s'occuper de tout. Au cours de l'année 1993, il a continué de prélever des montants de sa compagnie et d'agir comme si la compagnie existait encore. Rien ne démontre qu'il n'a pas agi de bonne foi.

[8] Vers la fin de l'année 1994, il a retenu les services de M. Murray Ellis C.A. dans le but de préparer les déclarations de revenus de la compagnie pour les années 1993 et 1994. M. Ellis, qui s'est joint à la compagnie après sa dissolution, a dû procéder en se basant sur certaines hypothèses et tirer ses propres conclusions à partir des documents qu'il avait en sa possession. Il manquait pourtant un fait important aux renseignements qu'il possédait, soit que la compagnie avait cessé d'exister le 26 mars 1993.

[9] J'en arrive maintenant à l'impressionnant travail de détective accompli par M. Ellis.

[10] Il a préparé lui-même la pièce A-3 le 30 septembre 1994 et celle-ci est intitulée

[TRADUCTION]

Ken James Backhoe Service

Résumé de compte

1993-10-30

La date du 1993-10-30 représente bien la fin de l'exercice financier 1993 de la compagnie, si celle-ci avait continué d'exister.

[11] Ce document de travail indique le compte de prêts de l'actionnaire qui dévoile que la compagnie doit un montant de 238,66 $ à M. James en date du 30 octobre 1992. Il indique également une insuffisance de trésorerie au montant de 2 326,16 $ que M. Ellis a traité comme un prélèvement effectué par M. James ainsi qu'un montant de 6 314,84 $ qu'il a traité comme un autre prélèvement. Ce montant représentait les principaux paiements effectués afin de rembourser un emprunt pour un camion appartenant à M. James mais utilisé par la compagnie.

[12] Un autre montant de 69 416,57 $ a été traité comme un salaire. Quelqu'un, probablement l'ancien comptable, avait délivré un relevé T-4 au montant de 12 556,80 $ à M. James pour la période se terminant le 31 décembre 1992.

[13] Lorsqu'on fait le calcul de tous ces montants, on obtient le résultat suivant :

(2 326,16 $ + 6 314,84 $ + 69 416,57 $ = 78 057,57 $)

moins [238,66 $ + 12 556,80 $]

= 65 262,11 $

[14] Il s'agit du montant que M. Ellis a enregistré dans les états financiers de la compagnie pour la période se terminant le 31 octobre 1993 comme la somme que M. James devait à la compagnie.

[15] Je devrais mentionner plusieurs autres hypothèses sur lesquelles M. Ellis s'est basé en plus de l'hypothèse erronée que la compagnie existait après le 26 mars 1993.

(a) Que le montant susmentionné de 69 416,57 $ a été inscrit au débit comme un salaire. On peut le constater dans son document de travail, soit la pièce A-3. Cependant, ce montant n'apparaît pas comme une déduction dans la déclaration des pertes et profits pour la période se terminant le 31 octobre 1993.

(b) Qu'il n'avait pu produire les relevés T-4 pour ces prélèvements car il était beaucoup trop tard. Il avait raison à ce propos, mais pour d'autres raisons. Il n'a pu produire de relevés T-4 parce que les déclarations ont été préparées à la fin de 1994 et personne n'aurait pu les produire puisque la compagnie n'existait plus et ils auraient ainsi représenté des salaires ou des traitements reçus d'une entité non existante.

(c) Que les prélèvements totalisant 69 416,57 $ ont tous été effectués après le 30 mars 1993. On peut lire une note sur la pièce A-3 :

[TRADUCTION]

Dave, le crédit/salaire de 12 556 $ contrebalance selon toute vraisemblance les prélèvements effectués avant 93-03. Il semble que l'excédent a été pris entre 93-04 et 93-10.

[16] Il a soutenu la troisième hypothèse en soulignant que les activités d'excavation sont au ralenti durant l'hiver et ne reprennent qu'au printemps ou à l'été. M. James a confirmé ce fait. Je crois que cette hypothèse est probablement exacte.

[17] Nous avons donc obtenu une constitution (ou une reconstitution) de comptes basée sur des hypothèses qui étaient peut-être compréhensibles et même raisonnables. Cependant, de manière objective, certaines d'entre elles étaient erronées.

[18] Passons maintenant à la cotisation. Lorsqu'on a effectué la vérification en 1997, la compagnie avait bien entendu cessé d'exister le 26 mars 1993 et le ministère le savait. La vérificatrice a donc traité la déclaration de la société pour l'année 1993 comme la déclaration finale de la compagnie. La déclaration pour 1993 a donc été vérifiée comme si on avait obtenu un bénéfice net de 59 307 $. Malgré les négociations et la correspondance entre la vérificatrice, Mme McDonough et M. Ellis concernant un certain nombre de points, la cotisation qui a finalement été établie en ce qui concerne le dividende réputé de 62 865 $ dont il est question dans l'exposé conjoint des faits et le dividende imposable de 78 581 $ qui en est issu a été calculée comme nous l'avons démontré plus tôt et comme il est indiqué dans la lettre de Mme McDonough datée du 24 juillet 1997.

[19] La cotisation est principalement basée sur le fait que les comptes préparés à partir du 31 octobre 1993 étaient gelés depuis le 26 mars 1993 et que les chiffres au 26 mars 1993 étaient les mêmes qu'au 31 octobre 1993. Je peux comprendre ce qui a poussé la vérificatrice à procéder en se basant sur ce fait, de façon pratique. Mme McDonough affirme dans son témoignage “ J'ai fait de mon mieux avec l'information que je possédais. ” Je suis certain que c'est le cas et j'éprouve de la sympathie à son égard. Elle a travaillé dans des conditions très difficiles. Cependant, tout comme M. Ellis s'est basé sur certaines hypothèses qui étaient erronées (notamment en ce qui concerne l'existence de la compagnie après le 26 mars 1993), Mme McDonough a cru qu'on aurait pu reporter au 26 mars 1993 les comptes qui avaient été préparés à partir du 31 octobre 1993 dans le but d'offrir un historique financier de la compagnie jusqu'à cette date, et ce, sans les changer. Cette hypothèse était erronée sur le plan des faits pour la simple raison que, le 26 mars 1993, Ken James ne devait pas la somme de 65 262 $ à la compagnie. Bien qu'on puisse douter du fait que M. Ellis a traité les montants que M. James a prélevés d'une compagnie qu'on croyait existante à tort comme des prêts à un actionnaire, on peut au moins affirmer ce qui suit : les avances ou prélèvements ou peu importe le nom qu'on leur donne ont tous eu lieu après que la compagnie a cessé d'exister.

[20] La position de la Couronne est fondée sur les deux dispositions suivantes de la Loi :

Paragraphe 84(2) :

Lorsque des fonds ou des biens d'une société résidant au Canada ont, à un moment donné après le 31 mars 1977, été distribués ou autrement attribués, de quelque façon que ce soit, aux actionnaires ou au profit des actionnaires de toute catégorie d'actions de son capital-actions, lors de la liquidation, de la cessation de l'exploitation ou de la réorganisation de son entreprise, la société est réputée avoir versé au moment donné un dividende sur les actions de cette catégorie, égal à l'excédent éventuel du montant ou de la valeur visés à l'alinéa a) sur le montant visé à l'alinéa b) :

a) le montant ou la valeur des fonds des biens distribués ou attribués, selon le cas;

b) le montant éventuel de la réduction, lors de la distribution ou de l'attribution, selon le cas, du capital versé relatif aux actions de cette catégorie;

chacune des personnes qui détenaient au moment donné une ou plusieurs des actions émises est réputée avoir reçu à ce moment un dividende égal à la fraction de l'excédent représentée par le rapport existant entre le nombre d'actions de cette catégorie qu'elle détenait immédiatement avant ce moment et le nombre d'actions émises de cette catégorie qui étaient en circulation immédiatement avant ce moment.

Paragraphe 15(1.2) :

Pour l'application du paragraphe (1), la valeur de l'avantage accordé à un actionnaire du fait qu'un prêt ou une autre dette est réglé ou éteint à une date donnée par le paiement par l'actionnaire d'un montant inférieur au montant impayé de la dette à cette date ou autrement que par paiement par l'actionnaire est réputée être l'excédent éventuel du montant impayé de la dette à cette date sur le total du montant inférieur éventuel et de la valeur de l'avantage incluse, au titre de la dette, dans le revenu de l'actionnaire à la date où la dette a été contractée.

(Le paragraphe 15(1) inclut généralement dans le revenu la valeur des profits conférés à un actionnaire par une société.)

[21] L'avocat de l'intimée a fait allusion à un passage tiré de l'affaire RMM Canadian Enterprises Inc. c. La Reine, C.C.I., no 94-1732(IT)G, 10 avril 1997, à la page 16 (97 DTC 302, à la page 308) qui précise :

Les mots “ distribués ou autrement attribués, de quelque façon que ce soit, lors de la liquidation, de la cessation de l'exploitation ou de la réorganisation de son entreprise ” ont une portée fort large et visent un bon nombre de façons de remettre aux actionnaires les fonds de l'entreprise.

[22] Je suis d'accord avec cet énoncé. Encore faut-il qu'il y ait un montant à distribuer. La cotisation révèle que le montant de la dette a été distribué à M. James en se basant sur les faits que M. James devait 65 262 $ à sa compagnie en date du 26 mars 1993 et que, le même jour, à l'insu de l'appelant, le registraire des compagnies a mis un terme à l'existence de la compagnie. Premièrement, il n'existait aucune dette envers la compagnie en date du 26 mars 1993. Deuxièmement, même si cela avait été le cas, on ne doit pas croire, en droit, que lorsqu'une compagnie cesse involontairement d'exister, les montants dus à cette compagnie par un actionnaire doivent automatiquement lui être distribués.

[23] On peut affirmer la même chose du paragraphe 15(1.2). Pour qu'un profit soit conféré par une société au moyen d'une remise de dette, l'actionnaire doit avoir contracté une dette et on doit lui en avoir fait grâce. Dans la présente affaire, il n'existait aucune dette en date du 26 mars 1993 et il n'aurait pas pu y en avoir après cette date puisque la compagnie n'existait plus.

[24] Il est exact que M. James aurait, après le 26 mars 1993, en toute innocence, prélevé de l'argent de la compagnie. Même s'il est juste d'affirmer que, lorsqu'une compagnie cesse d'exister et que le seul actionnaire poursuit ses activités au nom de la compagnie, la compagnie devient alors la responsabilité de l'actionnaire, cela n'implique pas que les montants prélevés ont nécessairement un lien avec les profits de la compagnie.

[25] Je suppose qu'il est concevable qu'un montant indéterminé ait échappé aux filets de l'impôt en raison d'une série de malentendus et d'hypothèses erronées provenant de plusieurs sources. C'est exactement la façon dont les choses se sont produites dans la présente affaire. Le montant pourrait bien être minime. Il n'y a aucun moyen de le savoir à ce point. La perte encourue par le gouvernement, s'il y en a une, ne doit pas forcément être la cause d'une grande souffrance ou de lamentations. De toute façon, il ne s'agit pas de la question dont l'appelant avait à traiter.

[26] L'appel est admis et la cotisation pour l'année d'imposition 1993 est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de supprimer du revenu de l'appelant les dividendes imposables au montant de 78 581 $ inclus par le ministre lorsqu'il a établi les cotisations.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'avril 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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