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Date: 19991214

Dossier: 1999-2406-EI; 1999-2408-CPP

ENTRE :

CONSUMER CONCEPTS CORPORATION,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1] Les appels qui nous occupent sont interjetés par Consumer Concepts Corporation (ci-après appelée l'“ appelante ”) à l'encontre d'une décision rendue par le ministre du Revenu national (ci-après appelé l'“ intimé ”) à la demande de l'appelante sur la question de savoir si Chantal Gelinas (ci-après appelée la “ travailleuse ”) avait exercé pour l'appelante, du 23 mai 1997 au 9 avril 1998, un emploi assurable et un emploi ouvrant droit à pension au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (ci-après appelée la “ Loi ”) et du Régime de pensions du Canada respectivement.

[2] Les parties ont au départ accepté de joindre les appels, de traiter l'appel se rapportant à l'assurance-emploi puis d'en appliquer la preuve à l'appel se rapportant au Régime de pensions du Canada.

[3] Sur le fondement de la preuve produite, la Cour tire les conclusions de fait qui suivent.

[4] L'entreprise de l'appelante fait la démonstration de produits de fabricants dans des points de vente au détail. L'appelante conclut avec le fabricant des contrats prévoyant la prestation de ce service à un prix convenu, et engage ensuite le personnel nécessaire pour effectuer la démonstration comme telle.

[5] L'appelante exploite son entreprise partout au Canada et, dans les diverses régions, elle retient les services de chefs de secteur dont les fonctions consistent à engager des personnes qui feront la démonstration de produits, après que l'appelante en a été informé et y a consenti, à négocier les taux horaires, à déterminer avec les établissements de détail le moment auquel la démonstration aura lieu et l'endroit dans le magasin en question où elle aura lieu et, lorsque la démonstration est terminée, à recevoir et à approuver la facture présentée par le démonstrateur ou la démonstratrice.

[6] Avant d'engager l'appelante, le fabricant détermine l'endroit où la démonstration du produit aura lieu et prend les dispositions initiales avec le magasin de détail ou le magasin à succursales, selon le cas. Le fabricant fournit un produit-témoin, détermine l'établissement de détail où la démonstration aura lieu et l'heure ainsi que la durée de cette démonstration. Pour sa part, le chef de secteur assure la liaison avec le gérant de chaque magasin pour régler les détails particuliers.

[7] L'appelante reçoit du fabricant des instructions écrites qu'elle remet au démonstrateur ou à la démonstratrice par l'entremise du chef de secteur. Ces instructions donnent des renseignements généraux sur le produit exposé, énoncent les objectifs de la démonstration, donnent les détails sur la façon de monter et de tenir le présentoir, suggèrent un discours pour vanter le produit et précisent la façon de se présenter, de se conduire et de s'habiller.

[8] Le démonstrateur ou la démonstratrice qui présente une boisson alcoolisée dans un magasin appartenant au gouvernement doit se procurer le produit dans le magasin et acheter les produits alimentaires dans un magasin ou une boulangerie de l'endroit, et est ensuite remboursé par l'appelante.

[9] Dans certains cas, le démonstrateur ou la démonstratrice doit fournir la table sur laquelle le produit est exposé ainsi qu'une composition florale ou un panier décoratif quelconque devant servir de centre de table.

[10] Lorsque la démonstration est terminée, le démonstrateur ou la démonstratrice remet au chef de secteur, sur un formulaire pré-imprimé de l'appelante, une facture indiquant les heures convenues au taux convenu ainsi que les frais remboursables, et cette facture est envoyée à l'appelante, qui paye le démonstrateur ou la démonstratrice par chèque.

[11] Le chef de secteur ou l'appelante appelle à l'occasion les démonstrateurs et démonstratrices qui font un travail satisfaisant pour effectuer la démonstration d'autres produits. Ces derniers peuvent refuser de travailler. Cela ne les empêche pas pour autant d'être appelés à l'avenir, et ils peuvent aussi travailler pour des concurrents de l'appelante. Une fois engagé, le démonstrateur ou la démonstratrice peut choisir une autre personne pour effectuer le travail, auquel cas le chef de secteur intervient habituellement et le remplaçant doit être jugé acceptable.

[12] Au cours de la période en cause, l'appelante a engagé la travailleuse pour faire la démonstration de produits dans plusieurs établissements de vente au détail.

[13] Le chef de secteur en cause a négocié un taux horaire; la travailleuse a accompli essentiellement les services précédemment décrits, elle a présenté ses factures et elle a été payée par chèque. La preuve de son emploi a été produite sous les cotes A-1, A-2, A-3 et A-4. Dans certaines des pièces, on retrouve les commentaires de gérants de magasin qui, dans certains cas, ont signé la facture. Il y a aussi des cas où la signature du chef de secteur fait foi de son approbation.

Observations

[14] L'appelante a fait valoir que la travailleuse était une entrepreneuse autonome et qu'elle avait été engagée aux termes d'un contrat d'entreprise et non pas d'un contrat de louage de services, pour les motifs suivants :

La travailleuse pouvait en tout temps refuser le travail proposé et elle était libre de travailler pour des concurrents de l'appelante.

Dans le cadre de la prestation de ses services, la travailleuse n'était pas supervisée et elle avait le droit de changer ses heures de travail après consultation du gérant du magasin et sans consultation de l'appelante ou du chef de secteur.

Après s'être engagée à fournir elle-même les services, la travailleuse pouvait engager des remplaçants.

La véritable question que la Cour doit trancher est celle de savoir à qui appartient l'entreprise que la travailleuse exploite. Est-ce la sienne ou est-ce celle de l'appelante? On demande à la Cour de se reporter aux affaires Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R. 87 DTC 5025, Moose Jaw Flying Fins Inc. v. Minister of National Revenue, 88 DTC 6099 et Drummond c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1998] A.C.I. no 309, DRS 98-11450, nos de greffe 96-862(UI), 96-35(CPP), 96-918(UI) et 96-38(CPP).

[15] L'intimé a fait valoir que la travailleuse avait été engagée aux termes d'un contrat de louage de services et qu'aucune des modalités d'emploi énoncées dans les observations de l'appelante ne pouvait lui conférer le statut d'entrepreneuse autonome. L'intimé demande à la Cour de se reporter à l'affaire Instore Focus Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1986] A.C.I. no 107, DRS 95-05616, action no 84-470(UI), une décision du juge suppléant Labelle.

Décision

[16] L'arrêt Wiebe Door, précité, a confirmé que, s'il en existe d'autres, les quatre critères les plus couramment utilisés pour déterminer si un contrat constitue un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise sont : a) le degré ou l'absence de contrôle exercé par le présumé employeur, b) la propriété des instruments de travail, c) les chances de bénéfice et les risques de perte, et d) l'intégration des travaux effectués par le présumé employé à l'entreprise du présumé employeur. Voici une analyse de la preuve produite dans la mesure où elle se rapporte à ces critères.

Contrôle

[17] Dans la présente affaire, même si elle était seule dans l'établissement de vente au détail, la travailleuse était sous le contrôle du chef de secteur en ce sens qu'il supervisait son travail à l'occasion et qu'elle effectuait son travail en conformité avec les instructions qu'elle avait reçues de l'appelante ou du fabricant ou distributeur du produit dont elle faisait la démonstration.

[18] La travailleuse était employée pour travailler un certain nombre d'heures et pendant une certaine période, déterminées par le chef de secteur en consultation avec le gérant du magasin de détail où les produits étaient exposés.

Propriété des instruments de travail

[19] La travailleuse était dans certains cas tenue, suivant son contrat de travail, de fournir la table sur laquelle le produit devait être présenté et une pièce décorative quelconque mettant le présentoir en valeur. Le produit alimentaire ou l'objet en question était fourni par le fabricant, et tout produit supplémentaire pouvant être requis pour la démonstration était acheté par la travailleuse, qui était ensuite remboursée par l'appelante.

Chances de bénéfice ou risques de perte

[20] La rétribution de la travailleuse était fixée au moment de son embauchage; cette rétribution ne pouvait être augmentée selon son rendement au travail et ne pouvait être diminuée que si la travailleuse n'effectuait pas la démonstration conformément à son contrat de travail.

Critère d'intégration

[21] L'appelante exploite une entreprise de démonstration de produits pour des fabricants ou des distributeurs. Le travail effectué par la travailleuse faisait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante.

[22] Dans l'arrêt Wiebe Door, précité, la Cour d'appel fédérale a décidé qu'un tribunal ne pouvait se pencher sur chacun des critères susmentionnés séparément et qu'il devait plutôt y voir un seul critère composé de quatre parties intégrantes qu'il fallait appliquer en insistant toujours sur l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations, et ce, même si la Cour a reconnu l'utilité des quatre critères subordonnés. La Cour a indiqué que c'était le juge Cooke qui avait, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte ”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[23] Dans l'arrêt Wiebe Door, précité, la Cour a déclaré que, lorsqu'il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[24] Dans l'affaire Instore Focus Inc., précitée, les faits sont semblables à ceux de la présente affaire. Il y a quelques différences en ce qui concerne ce que le payeur et la travailleuse étaient tenus de fournir, mais ces différences sont minimes et sans importance. L'embauchage de la travailleuse, la formation, l'organisation de la démonstration, le droit de la travailleuse de refuser de travailler si elle avait déjà été employée, son droit de trouver une remplaçante si elle était dans l'impossibilité de respecter l'engagement elle-même ainsi que la méthode de rapport et de réception de la rétribution étaient identiques.

[25] À la page 21 de la décision précitée, le juge écrivait ceci :

Il a été prouvé qu'Instore Focus Inc. a été constituée afin de promouvoir la vente de produits alimentaires. M. Salt communiquait avec des producteurs comme Kellogg, Colgate, Heinz, General Food et d'autres pour offrir les services de promotion de sa compagnie. Il communiquait alors avec des magasins d'alimentation, surtout des grands magasins à succursales multiples tels que Steinberg, A & P, Dominion, Woolco et d'autres, pour obtenir leur consentement à son projet de promotion, susceptible de leur être avantageux. Étant donné que cette entreprise s'étend d'un océan à l'autre, on a fait des enquêtes et on a créé de quarante à quarante-cinq districts pour lesquels on a nommé des superviseurs. Le siège social d'Instore reçoit, des fournisseurs des produits, des instructions qu'il transmet aux superviseurs de district avec les dépliants appropriés et les boniments correspondants. Les superviseurs communiquent alors avec les démonstratrices qui, après certaines rencontres, sont prêtes à se rendre au magasin désigné par le superviseur pour faire une démonstration avec le matériel acheté des magasins au prix de détail par Instore, avec une trousse de tables, parasols et tabliers portant le nom Instore et fourni par cette dernière, et parfois avec leur propre matériel, mais dans ce cas avec indemnisation.

Je juge qu'il s'agit là d'une chaîne parfaite, qui commence avec le siège social d'Instore et se poursuit jusqu'au client qui achètera la bouteille de ketchup Heinz ou tout autre produit alimentaire. Sans cette chaîne, il n'y aurait pas d'entreprise de promotion pour Instore. Les superviseurs et les démonstratrices sont des maillons de cette chaîne. Ils font partie intégrante de l'entreprise de leur employeur. Ils sont payés par Instore selon le nombre de magasins pour les superviseurs et selon une base horaire pour les démonstratrices.

Le siège social supervise les superviseurs et leur dit quoi dire, quoi faire et comment le faire; de leur côté, les superviseurs indiquent aux démonstratrices ce qu'elles doivent dire, faire et comment le faire.

Il n'y a aucun risque de pertes ou possibilité de bénéfice puisque les superviseurs sont rémunérés selon le nombre de magasins qu'ils supervisent, et non selon une commission, et que les démonstratrices sont rémunérées selon un tarif horaire, peu importe la quantité de marchandises vendues.

Il est vrai que le travail n'est pas régulier et qu'il peut y avoir interruption entre la démonstration d'un produit et la démonstration d'un autre. Toutefois, il ne s'agit pas d'un emploi occasionnel exclu. Il peut y avoir plusieurs contrats de travail.

Par exemple, un briqueteur peut travailler trois semaines pour un entrepreneur en vertu d'un contrat de travail et son emploi est assurable. Il peut ensuite travailler pendant une autre période de trois semaines pour un concurrent de son premier employeur, en vertu d'un autre contrat de travail, et il exercera encore un emploi assurable. La même situation peut se produire ici. Entre deux contrats de travail pour Instore, il est possible qu'une démonstratrice ait travaillé pour un concurrent; cela ne change pas la nature de son emploi.

[26] À mon avis, le passage précité est une réplique de la preuve produite en l'espèce, hormis quelques petites variations sans importance.

[27] L'avocat de l'appelante a fait valoir que la décision rendue dans l'affaire Instore, précitée, avait précédé la décision rendue dans l'arrêt Wiebe Door, précité, et que le juge avait examiné la question de l'organisation et de l'intégration du point de vue de l'employeur et non de celui de l'employé. Il a cité plus particulièrement les remarques de l'auteur du jugement, feu le juge MacGuigan :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l'“ employé ” et non de celui de l'“ employeur ”. En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question “ À qui appartient l'entreprise ”.

[28] L'avocat de l'appelante a cité l'affaire Drummond, précitée, et plus particulièrement les paragraphes 38 et suivants. Le juge suppléant Cuddihy, de la C.C.I., y résume la preuve, qu'il accepte finalement au paragraphe 50. Pour fins de comparaison, il est nécessaire de reproduire amplement certains passages des motifs du juge. Aux paragraphes 38 et suivants, il déclarait ce qui suit :

La preuve a démontré l'existence d'un contrat véritable; il s'agit de déterminer s'il y a entre les parties un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail ou s'il n'y a pas plutôt un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise.

La preuve présentée à l'audience au sujet de l'entente initialement conclue entre les personnes en cause et de la conduite subséquente de leurs affaires est extrêmement importante. Il importe également d'analyser la dépendance mutuelle qui existe entre ces personnes par suite du contrat qu'elles ont conclu entre elles afin de déterminer quelle était la véritable relation intrinsèque.

Le payeur importe et distribue des parfums et des produits connexes. Il ne vend sa ligne de produits qu'à de grands magasins. Il ne possède pas de magasins de détail. Il n'est pas détaillant et il ne vend pas de produits à des clients individuels.

Dans le contrat (pièce A-1), il n'est pas fait mention du payeur. Seule la preuve nous a appris que Michele Brunet était chef de secteur du payeur. Il semblerait donc que c'était le chef de secteur qui décidait en fait à quels moments il faudrait avoir recours aux services de démonstratrices contractuelles et combien il en faudrait, ainsi que des frais qui seraient payés. Cette activité du chef de secteur pouvait varier d'un chef à l'autre. La chef de secteur semblait agir de son propre chef avec l'assentiment implicite du payeur. Aucun élément de preuve ne montrait que le payeur avait autorisé la chef de secteur à embaucher qui que ce soit à titre d'employé. Le contrat était donc le principal document utilisé pour retenir les services de la démonstratrice contractuelle et il faut reconnaître que si le contrat n'était pas signé, aucun travail n'était assigné et aucun montant n'était versé. Par conséquent, en ce qui concerne l'analyse de la preuve, ce contrat de base constituait le fondement sur lequel reposait l'intention des parties et déterminait la relation intrinsèque qui existait entre le payeur et la travailleuse par suite de l'activité de la chef de secteur.

Pour ce qui est de l'analyse du témoignage de la travailleuse et des réponses données par l'intimé au questionnaire (pièce R-5), la travailleuse était employée à forfait, pour un nombre d'heures indéterminé, pour un nombre de jours indéterminé. Elle était rémunérée en fonction du nombre d'heures qu'elle décidait d'effectuer. Si elle effectuait un plus grand nombre d'heures, elle gagnait davantage; si elle en effectuait un moins grand nombre, ou si elle ne se présentait pas au travail, elle n'était pas rémunérée. Elle travaillait là où bon lui semblait. On a reconnu qu'elle travaillait dans des magasins où les produits Calvin Klein étaient vendus, mais elle pouvait aussi travailler pour des concurrents. Le contrat ne l'interdisait pas. La travailleuse fournissait personnellement ses services de démonstratrice contractuelle. Elle n'aurait pas embauché quelqu'un d'autre pour fournir ces services, mais selon le contrat (pièce A-1) et la preuve présentée à l'audience, rien n'empêchait la travailleuse d'embaucher quelqu'un pour l'aider pendant qu'elle travaillait dans un magasin particulier à un moment donné. [...] C'étaient la chef de secteur ou les magasins qui informaient la travailleuse des périodes pendant lesquelles on faisait la promotion des produits Calvin Klein, mais c'était la travailleuse qui décidait du magasin où elle irait, des heures qu'elle effectuerait et de la façon dont elle s'acquitterait de sa tâche. Les allées et venues de la travailleuse ne semblaient pas être reliées aux activités du payeur. On a reconnu que la démonstratrice contractuelle travaillait pour les magasins qui vendaient le produit et, indirectement, pour le payeur, qui était le fournisseur. Ce travail n'était pas intégré aux activités quotidiennes ou hebdomadaires du payeur, mais ne constituait qu'une activité secondaire. Il ne faisait pas partie des activités d'importation des produits ou de distribution des produits dans les magasins en tant que telles. Il était relié à l'activité promotionnelle périodique à laquelle on se livrait dans certains magasins pendant certaines périodes de pointe de l'année. Le produit était toujours offert dans ces magasins, mais il n'était pas toujours nécessaire d'avoir recours aux services des démonstratrices contractuelles. Selon la preuve, on avait uniquement besoin des démonstratrices contractuelles de façon temporaire et variable. Le nombre d'heures effectuées et facturées au payeur pouvait varier énormément. [...]

La travailleuse pouvait accepter ou refuser le travail qu'on lui offrait. [...]

La travailleuse ne possédait pas sa propre entreprise. Elle était libre de choisir la façon dont elle exécutait son travail et il n'existait aucun lien de subordination entre le payeur et elle à cet égard. [...] Le rapport des ventes (pièce R-2) devait indiquer les heures de travail. Tout employé du magasin pouvait initialer le rapport, ce qui constituait une condition pour que la travailleuse soit payée. [...]

[29] J'ai fait, dans les paragraphes qui suivent, une comparaison entre la preuve produite dans l'affaire Drummond, précitée, et la preuve produite dans la présente affaire. Aux fins de cette comparaison, la démonstratrice contractuelle dans l'affaire Drummond sera appelée la travailleuse puisque c'est ainsi qu'elle a été appelée dans le jugement, même si la Cour a finalement déterminé qu'elle était une entrepreneuse autonome.

[30] Dans l'affaire Drummond, la travailleuse a conclu un contrat directement avec le fabricant par l'entremise du chef de secteur. Même si elle était employée directement par le fabricant, elle ne faisait pas partie intégrante de ses activités car il ne vendait pas de produits au détail ni n'exploitait de magasin. Les allées et venues de la travailleuse n'étaient pas reliées aux activités du payeur. Cette conclusion a été tirée par le juge de première instance. Dans la présente affaire, la travailleuse a conclu un contrat avec l'appelante en vue de faire la démonstration des produits de fabricants, et la travailleuse engagée pour accomplir cette tâche faisait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante, qui consistait à faire la démonstration de produits de fabricants.

[31] Dans la présente affaire, la travailleuse a été engagée pour faire une démonstration particulière à un moment déterminé, pour une durée déterminée et à un taux convenu, conformément au contrat que l'appelante a conclu avec le fabricant. Après la démonstration, et une fois la travailleuse payée, le contrat était terminé. La travailleuse concluait un autre contrat lorsqu'elle était engagée de nouveau par l'appelante. Dans l'affaire Drummond, le contrat avec la travailleuse était ouvert, il demeurait en vigueur peu importe le nombre de démonstrations faites et il pouvait être exécuté selon le bon vouloir de la travailleuse. Cette dernière n'était pas engagée pour travailler pendant un certain nombre d'heures ou de jours. Elle était avisée de temps à autre des promotions faites par un fabricant, mais elle pouvait choisir l'établissement de vente au détail où elle voulait travailler et les heures qu'elle voulait effectuer, et déterminer la façon dont elle s'acquitterait de ses tâches. Aucun lien de subordination n'existait entre le payeur et elle quant à la façon dont elle accomplissait le travail. Elle pouvait exécuter le contrat elle-même, ou engager une remplaçante si elle le désirait. Sa facture devait simplement être vérifiée par n'importe quel employé de l'établissement de vente au détail où elle avait fait la promotion du produit du fabricant. Elle pouvait travailler pour des concurrents.

[32] Dans l'affaire Drummond, si elle ne faisait pas la promotion du produit du payeur, la travailleuse n'était pas payée, et personne n'était engagé à sa place. Dans la présente affaire, si la travailleuse ne se présentait pas au travail pour faire la démonstration du produit selon les modalités de son contrat, elle n'était pas payée non plus, mais l'appelante, par l'intermédiaire du chef de secteur, engageait quelqu'un d'autre pour effectuer la démonstration aux termes d'un contrat distinct.

[33] Il est clair que, dans les deux cas :

le travail effectué par les deux travailleuses était accompli pour l'établissement de détail qui vendait les produits des payeurs respectifs, et pour les payeurs eux-mêmes.

les travailleuses pouvaient refuser de conclure un contrat et pouvaient travailler pour des concurrents même si elles avaient une relation contractuelle avec leur payeur respectif.

[34] L'avocat de l'appelante a mentionné la conclusion tirée par le juge de première instance dans l'affaire Drummond, selon laquelle le chef de secteur n'était pas autorisé à embaucher qui que ce soit à titre d'employé. Il a fait valoir qu'il n'y avait pas de preuve que le chef de secteur, dans la présente affaire, avait une telle autorisation. Cependant, peu importe comment chacun des chefs aurait appelé l'embauchage de personnes, la question de savoir si un contrat est un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise est toujours une question de droit qui ne peut être tranchée sur la foi du nom que les parties ont donné à ce contrat.

[35] Compte tenu de la comparaison qui précède, et si l'on applique le critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door, précité, je ne suis pas convaincu que l'appelante a fait la preuve que la travailleuse, Chantal Gelinas, jouissait d'un degré d'autonomie suffisant pour que l'on puisse conclure que son travail était régi par un contrat d'entreprise. Elle était supervisée ou, à tout le moins, l'appelante avait le pouvoir d'exercer un contrôle sur elle. À l'exception de la table et du centre de table, on lui fournissait tout ce dont elle avait besoin pour s'acquitter de sa tâche. Elle n'avait aucune chance de réaliser un bénéfice en sus du salaire horaire convenu, et elle ne pouvait subir de perte non plus. Enfin, son travail était en fait assimilé à l'entreprise de l'appelante et, par conséquent, en faisait partie intégrante. Étant donné l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations, il s'agissait d'une relation employeur-employé.

[36] L'appelante n'a pas réussi à produire de preuve réfutant ou “ démolissant ”, selon la prépondérance des probabilités, les principales hypothèses de l'intimé.

[37] Je suis convaincu qu'à la question “ À qui appartient l'entreprise? ”, il faut répondre qu'elle est celle de l'appelante et que le contrat conclu entre Chantal Gelinas et l'appelante était un contrat de louage de services.

[38] Les appels de l'appelante sont par conséquent rejetés.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick) ce 14e jour de décembre 1999.

“ Murray F. Cain. ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de septembre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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