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Date: 19981029

Dossier : 96-935-IT-G

ENTRE :

ANDRÉE NADON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L’appelante en appelle des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le “Ministre”), sous l’autorité de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “Loi”).

[2] Un premier avis de cotisation a été émis le 24 janvier 1994 au montant de 67 513,19 $. Un autre a été émis le 4 janvier 1996 au montant de 4 563,62 $, qui est venu s’ajouter à la première cotisation.

[3] Les faits sur lesquels s’est fondé le Ministre pour établir ces cotisations sont décrits au paragraphe 23 de la Réponse à l’avis d’appel (la “Réponse”) comme suit :

a) Le 9 mai 1989, l'appelante a acheté un terrain en la ville de Repentigny;

b) Au cours de l'été 1989, l'appelante a fait construire, sur ce terrain, une maison portant l'adresse civique du 821 boulevard de l'Assomption;

c) Plusieurs des biens et services ayant servi à la construction de la maison de l'appelante ont été payés par Roca Inc.;

...

i) Quant aux paiements faits par Roca Inc. pour les biens et services ayant servi à la construction de la maison appartenant à l'appelante, ils sont, aux fins de l'établissement de la cotisation du 24 janvier 1994, notamment les suivants :

Fournisseurs/

entrepreneurs

Date

Montant

G. Roy Ltée

02-10-89

18 885,40 $

Techni-Flamme

06-06-89

2 500,00 $

Boiseries Raymond Inc.

04-08-89

229,45 $

G. Roy Ltée

25-06-89

17 734,35 $

Boiseries Raymond Inc.

02-10-89

10 568,00 $

G. Roy Ltée

25-08-89

17 595,99 $

Total

67 513,19 $

j) Par ailleurs, en établissant la cotisation du 4 janvier 1996, dont l'avis porte le numéro 08999 au montant de 4 563,62 $, montant qui vient s'ajouter à la cotisation du 24 janvier 1994, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis, notamment, les faits suivants :

- tous les fais allégués aux sous-paragraphes a) à h) ci-dessus;

- une somme de 4 563,62 $ doit être ajoutée au tableau apparaissant au sous-paragraphe i) ci-dessus, selon ce qui suit :

Fournisseur/

entrepreneur

Date

Montant

Prud'homme et frères Ltée

15-07-89

4 563,62 $

k) Les paiements par Roca Inc., pour la construction de la maison de l'appelante, constituaient des transferts totalisant une somme de 72 076,81 $ (67 513,19 $ + 4 563,62 $);

l) Aux moments des transferts en question, aucune contrepartie n'a été donnée à Roca Inc. par l'appelante;

...

o) Aux moments des transferts en question, l'appelante était une personne liée à Roca Inc., puisqu'elle était l'épouse de son unique actionnaire et administrateur, M. Dany Pomerleau;

[4] Je n’ai pas reproduit les faits établissant la dette fiscale du cédant au moment du transfert, puisque cette dette n’a pas été contestée à l’audience.

[5] Voici les faits décrits à l’avis d’appel sur lesquels s’appuie l’appelante :

1. L'appelante est l'épouse de M. Dany Pomerleau.

2. À l'époque pertinente au présent litige, M. Dany Pomerleau était actionnaire et administrateur de la compagnie Coffrages Roca Inc. (ci-après, “Roca”), laquelle compagnie évoluait dans le domaine de la construction et plus particulièrement dans le domaine des coffrages.

3. En 1989, suite à la vente de sa résidence précédente, l'appelante s'est fait bâtir une nouvelle résidence a 821 boulevard L'Assomption, à Repentigny.

4. Compte tenu que Roca évoluait dans le domaine de la construction et avait par le fait même un accès facile et à de meilleurs conditions à divers fournisseurs et entrepreneurs, l'époux de l'appelante lui a suggéré qu'il pourrait être utile d'adopter la procédure qui suit à l'égard de la commande de certains matériaux ou de la fourniture de certains services relatifs à la construction de la résidence;

a) certains matériaux et/ou services seraient commandés par Roca;

b) ces matériaux ou services seraient, dans un premier temps, payés directement au fournisseur ou à l'entrepreneur par Roca;

c) compte tenu que Roca avait à cette époque des besoins de disposer de fonds en argent comptant pour les fins de son entreprise, l'appelante remettrait par la suite à son époux Dany Pomerleau en argent comptant les sommes ainsi avancées à l'appelante par Roca pour la construction de la résidence de l'appelante;

d) finalement, l'époux de l'appelante utiliserait ces sommes pour les fins de l'entreprise de Roca.

5. L'appelante n'ayant aucun motif de refuser de procéder sur cette base, cette procédure a été utilisée à l'égard de quelques fournisseurs de matériaux et entrepreneurs.

6. Selon les Cotisations de Revenu Canada-Impôt, les fournisseurs et entrepreneurs utilisés et les montants payés à chacun par l'appelante seraient les suivants :

Fournisseurs/entrepreneurs

Montants payés

Groupe A. Roy

18 885,40 $

17 734,35 $

17 595,99 $

      Total :    54 215,74 $

Techni-Flamme

            2 500,00 $

Boiserie – Raymond

229,45 $

10 568,00 $

      Total :    10 797,45 $

Prud'homme Frère

            4 563,62 $

Total

            72 076,81 $

7. Selon l'appelante, les montants effectivement payés par Roca aux fournisseurs et entrepreneurs mentionnés au paragraphe précédent s'élèvent à un total de 46 971,37 $ plutôt qu'à un total de 72 076,81 , en raison du fait que les chèques payés à Groupe A. Roy comptabilisés par Revenu Canada portaient en partie sur des dépenses légitimes de Roca. Les dépenses payées par Roca à l'égard des fournisseurs et entrepreneurs mentionnés au paragraphe précédent selon l'appelante sont donc les suivantes :

Fournisseurs/entrepreneurs

Montants payés

Groupe A. Roy

1 765,06 $

4 557,85 $

21 622,39 $

      Total :    27 945,30 $

Techni-Flamme

            2 500,00 $

Boiserie-Raymond

229,45 $

11 733,00 $

      Total :    11 962,45 $

Prud'homme Frère

            4 563,62 $

Total

            46 971,37 $

8. Telle qu'elle s'y était engagée, l'appelante a remboursé Roca peu après, soit avant la fin de janvier 1990, en remettant en argent comptant à son époux Dany Pomerleau, agissant pour Roca, le montant total des dépenses afférentes à la construction de la résidence qui avait été avancé à l'appelante par Roca en payant directement les fournisseurs de matériaux ou entrepreneurs concernés.

[6] L'avocat de l’appelante a expliqué au début de l'audience le contexte dans lequel l’appelante a été cotisée. Le mari de l’appelante, monsieur Danny Pomerleau, ainsi que la compagnie Coffrages Roca Inc., ou Roca, dont il est le président ont été poursuivis au criminel pour avoir payé les employés de Roca en espèces liquides sans déclarer leur salaire. Monsieur Pomerleau ainsi que la société ont été trouvés coupables et monsieur Pomerleau a dû faire de la prison. Des documents ont été saisis par Revenu Canada lors de cette enquête et parmi ces documents se trouvait un livre des déboursés, tenu par monsieur Danny Pomerleau, concernant la propriété familiale que l'appelante a fait construire à Repentigny, de mai à décembre 1989. L'avocat explique que tel que mentionné dans l'avis d'appel, la preuve révélera que Roca a aidé l'appelante dans cette construction, mais que cette dernière aurait remboursé Roca pour les dépenses faites pour elle. L’appelante admet que c’est une somme de 57 000 $ et non de 46 000 $ que Roca a payé pour elle. L'appelante aurait vendu une maison dont elle était propriétaire et aurait fait un emprunt hypothécaire pour payer la propriété dont il est question dans le présent litige.

[7] L’avocat de l’intimée a fait part à la Cour au début de l’audience qu’au lieu d’un montant de 72 000 $, il s’agissait plutôt d’un montant de 62 998,47 $, parce que certains chèques qui avaient été pris en compte par le Ministre ont servi à payer des matériaux de Roca.

[8] L’appelante et son époux, monsieur Danny Pomerleau ont témoigné à la demande de l’avocat de l’appelante. Personne n’a témoigné à la demande de l’intimée.

[9] L’appelante a acquis le 9 mai 1986 un terrain situé sur la 87e avenue à Rivière des Prairies, au prix de 13 500 $. Le contrat d’achat a été déposé comme pièce A-1. Le 17 juin 1986, l’appelante a obtenu un prêt hypothécaire de 50 000 $. Le contrat d’emprunt hypothécaire a été déposé comme pièce A-2. La maison familiale, propriété de l'appelante, a été construite sur le terrain. L’appelante a expliqué que le terrain comme les autres terrains avoisinants avait accru en valeur en peu de temps. Le 11 mai 1989, elle vend la maison. Elle accepte d’abord que les acquéreurs éventuels louent la maison. Le bail est fait pour la somme de 9 000 $ dont le premier versement doit se faire le 1er juillet 1989. Ce contrat a été déposé comme pièce A-3. Dans ce contrat de location il y a une clause de promesse d'achat pour le prix de 186 250 $. Le contrat de vente a été produit comme pièce A-4. Il n’y a pas de date sur le contrat mais selon le témoignage de l’appelante et selon les clauses pertinentes de la promesse d'achat, le contrat de vente aurait été passé en janvier 1990.

[10] Le 9 mai 1989, l’appelante acquiert un terrain situé à Repentigny pour une considération de 35 000 $. Le prix est payable le 1er juillet 1989 (pièce A-8b). Le paiement de ce terrain n'est pas véritablement expliqué. La pièce A-8 est un chèque fait à l’ordre de l’appelante et de son mari par la Société de la loterie interprovinciale Inc. au montant de 10 000 $, en date du 20 décembre 1988. L'appelante dit qu’elle s’est servie de ce montant pour payer le terrain. Autrement il n'y a pas d'explication sur le paiement du terrain. L’appelante dit qu’à cette époque elle travaillait. Il n’y a pas de mention de quel emploi ni quel salaire il s'agit.

[11] L'appelante a expliqué que tout au long de la construction, son mari a monté un dossier avec toutes les factures payées par elle et celles payées par Roca pour savoir combien elle devait rembourser à Roca et aussi pour surveiller le budget. Son mari était associé avec son père, monsieur Camille Pomerleau. Toutes les actions étaient au nom du mari de l’appelante mais le beau-père n’en était pas moins associé moitié-moitié.

[12] La pièce A-10 est un contrat de prêt de 20 000 $ de la Caisse populaire en date du 30 août 1989. Il doit être remboursé en totalité le 30 septembre 1989. L’acte de prêt hypothécaire pour la propriété de Repentigny est la pièce A-9 au montant de 130 000 $, en date du 17 août 1989 qui aurait été déposé en total le 16 octobre 1989 au compte de banque de l'appelante (pièce A-5). L'appelante explique qu'à la même date la caisse s’est remboursée du solde du prêt de 20 000 $ avec le paiement hypothécaire ainsi qu'on le voit aux pièces A-5 et A-11. Il restait donc un solde de 108 400 $ (mêmes pièces) qui a été retiré le 1er novembre 1989 en argent comptant. Cette somme selon l'appelante a été remise à son mari pour payer les fournisseurs des travaux de la maison.

[13] Il y a eu aussi un montant de 118 000 $ qui provenait de la vente de la maison de Rivière-des-Prairies en janvier 1990. Il s'agit du prix de vente, moins le paiement de l'emprunt hypothécaire sur la maison vendue, dont on voit le crédit à la pièce A-6, à la date du 5 janvier 1990. Sur ce montant, à la même date, l'appelante a versé 65 000 $ en remboursement partiel de l’emprunt hypothécaire et a retiré en espèces liquides 52 753 $. Ces débits sont montrés aux pièces A-6 et A-12. L'appelante dit qu'il y a toujours un solde hypothécaire sur la deuxième maison. Le montant de 52 753 $ a été déposé le 5 janvier dans un autre compte de l'appelante et 50 000 $ a été retiré en argent comptant le 26 janvier 1990 (pièce A-12). L'appelante dit qu'elle l'a remis à son mari pour rembourser ce que Roca avait payé pour la maison.

[14] La pièce A-13 est une liste de comptes au montant de 57 000 $, payés par Roca, et que l'appelante aurait remboursés en remettant le 50 000 $ à son mari. Il y a une différence de 7 000 $. Elle dit que son mari a évalué à 7 000 $ la récupération des matériaux qui restaient sur le chantier et que son beau-père a accepté.

[15] Monsieur Danny Pomerleau a dit lors de son témoignage que quoiqu'il était sur papier le seul administrateur de Roca, son père Camille Pomerleau avait un rôle administratif important parce que ce dernier était en partie propriétaire de Roca. C'était la raison pour laquelle, monsieur Danny Pomerleau avait tenu un livre des dépenses concernant la propriété de Repentigny. Son père voulait savoir ce qui avait été payé par Roca et ce qui avait été payé par l'appelante. Il était compris par lui et son père que l'appelante rembourserait Roca pour ces apports. C’est sur cet état que l’appelante a été cotisée.

[16] La pièce A-14 qui est aussi reproduite à l'onglet 88 de la pièce I-1, est une compilation faite par monsieur Danny Pomerleau des coûts totaux relatifs à la maison du 821, boulevard de l’Assomption. L'onglet 85 de la pièce I-1 et la pièce A-13 sont les descriptions des paiements faits par Roca et devant être payés par l'appelante. Ils sont au montant respectif de 59 090 $ et “57 000 $ approximativement”.

[17] D'après la preuve, le montant de 59 090 $ apparaît comme le plus probable. L'onglet 85 est un document préparé par monsieur Danny Pomerleau et on n'y parle pas de montant approximatif. C'est aussi le montant qui est retenu par l'avocat de l'intimée. À ce montant, l'avocat de l'intimée ajoute toutefois la fourniture des placages que monsieur Pomerleau avait évalué à 2 500 $ à la pièce paraissant à l'onglet 88, tout en nuançant cette inclusion en y mettant les mots “moi-même Danny”. Roca était propriétaire des placages et les avait prêtés à l'appelante. Monsieur Pomerleau n'a pas inclus ce montant dans les sommes à payer par l'appelante à Roca comme le montre le document paraissant à l'onglet 85 de la pièce I-1.

[19] L’avocat de l’appelante fait valoir que l’appelante n’a pas à se préoccuper de la manière dont Coffrages Roca a utilisé l’argent. Ce qui compte c’est qu’elle ait remis l'argent qu'elle devait à monsieur Pomerleau pour s'acquitter de sa dette envers Roca. Elle n'avait pas à vérifier la manière dont l'argent a été utilisé par monsieur Pomerleau.

[18] L’avocat de l’intimée fait valoir, en ce qui concerne le montant de 50 000 $, que l’appelante prétend avoir remis à son mari en paiement de ce qu’elle lui devait, qu’il n’y a pas de preuve que ce montant a été utilisé pour payer Roca. Il n'y a pas non plus de document écrit donnant quittance pour les sommes dues. L'avocat de l'intimée n'a pas semblé contester que le montant ait été retiré par l'appelante de son compte en espèces liquides. Il n'a pas semblé contester non plus le montant de l'évaluation de la récupération des matériaux. En fait, il n'en a pas parlé. Il s'est par ailleurs attardé sur la fourniture des placages évaluée à 2 500 $ par monsieur Danny Pomerleau.

[19] Sur ce dernier aspect l'avocat de l'appelante a fait valoir que cette inclusion n'avait pas été mentionnée dans la Réponse et qu'il n'était pas préparé à plaider sur ce sujet. Je dois constater que cette inclusion d'un service bénévole offert par Roca à l'appelante et évalué à 2 500 $ par monsieur Danny Pomerleau, ne faisait pas partie de la Réponse et je suis d'avis que cette inclusion prend en effet l'autre partie par surprise. Donc, je n'en permets pas l'inclusion à ce stade tardif.

[20] En ce qui concerne le paiement au montant de 50 000 $ fait par l'appelante à Roca pour s'acquitter de sa dette envers Roca, il me faut déterminer si je crois la version des deux époux. Ils ont témoigné en l'absence l'un de l'autre et leur version a concordé. Aucun agent du Ministre n'a témoigné, aussi je ne sais pas s'il y a déjà eu une version différente de la part de l'appelante et de son mari. La version des époux me paraît plausible. Il semble véridique que le père de monsieur Danny Pomerleau était propriétaire à cinquante pour-cent de Roca. Ceci est confirmé par un extrait du jugement au criminel qui a été produit à l'onglet 79 de la pièce I-1. Donc, son intérêt à savoir ce qui avait été payé par Roca dans la construction de la maison est plausible comme est également plausible l'exigence du remboursement de ces sommes. Le même extrait du jugement confirme aussi l'habitude de ces personnes de traiter avec des sommes importantes d'argent en espèces liquides. En ce qui concerne l'évaluation à 7 000 $ des matériaux qui demeuraient sur le chantier, comme elle n'a pas été contestée par l'avocat de l'intimée je l'accepte également. Il reste donc la différence entre le montant de 59 090 $ que j'ai accepté comme le montant des avances de Roca, au paragraphe 17 de ces motifs, et celui de 57 000 $ remboursé par l'appelante, soit 2 090 $ qui devient le montant de la cotisation de l'appelante.

[21] L'appel est accordé avec dépens en faveur de l'appelante et la cotisation est déférée au ministre pour l'établir au montant ci-avant mentionné.

Signé à Ottawa, Canada, le 29 octobre 1998.

“Louise Lamarre Proulx”

J.C.C.I.

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