Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2012-950(IT)G, 2013-1251(IT)G,

2013-1252(IT)G, 2013-1253(IT)G,

2013-1254(IT)G, 2013-2961(IT)G

et 2013-2962(IT)G

ENTRE :

CIT GROUP SECURITIES (CANADA) INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Observations écrites sur les dépens

Devant : L’honorable juge John R. Owen

Participants :

Avocats de l’appelante :

Mes Edwin G. Kroft, c.r.,
Deborah J. Toaze et Paul K. Tamaki

Avocats de l’intimée :

Mes Elizabeth Chasson, Darren Prevost et Leonard Elias

 

ORDONNANCE

APRÈS avoir lu les observations des parties sur les dépens;

Conformément aux motifs de l’ordonnance ci-joints, la Cour ordonne :

  1. qu’une somme globale de 1 100 000 $ soit adjugée à l’appelante au lieu des dépens taxés pour les honoraires d’avocat;

2.  que les débours dont l’appelante réclame le remboursement à l’égard des présents appels soient taxés conformément aux Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), les dépens adjugés à l’appelante pour les débours associés à l’obtention de rapports d’experts dans le cadre des présents appels ne pouvant toutefois  pas excéder 175 000 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d’avril 2017.

« J.R. Owen »

Juge Owen

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de janvier 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 86

Date : 20170524

Dossiers : 2012-950(IT)G, 2013-1251(IT)G,

2013-1252(IT)G, 2013-1253(IT)G,

2013-1254(IT)G, 2013-2961(IT)G,

et 2013-2962(IT)G

ENTRE :

CIT GROUP SECURITIES (CANADA) INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE MODIFIÉS

Le juge Owen

[1]  L’appelante a obtenu gain de cause dans ses appels concernant les nouvelles cotisations relatives à ses années d’imposition 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009 (collectivement, les « appels »). Les appels ont été entendus sur preuve commune. Lorsque j’ai rendu mon jugement, j’ai accordé aux parties un délai de 30 jours pour présenter des observations sur les dépens. J’ai par la suite autorisé l’intimée à présenter des observations supplémentaires en réponse aux observations de l’appelante.

[2]  L’appelante sollicite l’adjudication d’une somme globale (débours inclus) de 2 730 258,32 $. Elle décrit le calcul de l’adjudication en ces termes :

[traduction]

L’adjudication des dépens proposée, que sollicite l’appelante, comporte un certain nombre d’éléments :

  • a) une somme globale pour la période du 22 octobre 2011 au 10 août 2015, à savoir 1 351 793,37 $, correspondant à 40 % des honoraires juridiques des employés principaux de Blake comptabilisant leur temps (3 379 483,42 $) qui ont été payés du 22 octobre 2011 et au 10 août 2015 inclusivement (la date de la signification du rapport d’expert de Walwyn, défini plus loin dans les présentes observations, dont une copie figure à l’onglet 6 des présentes observations); PLUS

  • b) une somme globale pour la période du 11 août 2015 au 4 juillet 2016, à savoir 499 690,80 $, correspondant à 80 % des honoraires juridiques des employés principaux de Blake comptabilisant leur temps (624 613,50 $) qui ont été payés du 11 août 2015 (le lendemain de la date de la signification du rapport d’expert de Walwyn) au 4 juillet 2016 (la date du jugement); PLUS

  • c) des débours, à savoir 360 577,23 $ englobant la totalité des débours (décrits à la partie V des présentes observations) que l’appelante a payés du 22 octobre 2011 au 4 juillet 2016; PLUS

  • d) une somme globale supplémentaire pour les frais liés aux présentes observations, à savoir 25 600 $, soit 80 % des honoraires juridiques estimés (32 000 $) qui ont été engagés pour produire les présentes observations, plus tous les débours connexes (400 $); PLUS

  • e) la TVH, à savoir 492 596,92 $ (somme basée sur 1) le montant total des honoraires juridiques de 4 036 097 $ mentionnés aux alinéas 9a), b) et d) ci-dessus; 2) moins tout montant de TVH réclamé à titre de crédits de taxe sur les intrants; et 3) les débours mentionnés à l’alinéa 9c) qui étaient taxables);

  • f) toute autre réparation que la Cour pourrait adjuger.

[3]  Le facteur de 80 % est le même que celui prévu au paragraphe 147(3.5) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») dans les cas où les paragraphes 147(3.1) ou (3.2) des Règles s’appliquent. L’appelante concède que le paragraphe 147(3.1) des Règles ne s’applique pas en l’espèce, car son offre n’a pas été signifiée au moins 90 jours avant l’audience, ainsi que l’exige l’alinéa 147(3.3)b) des Règles.

[4]  L’intimée soutient que les dépens devraient être calculés pour un seul appel, conformément aux tarifs A et B de l’annexe II des Règles (le « tarif »), plus des débours de 23 922,15 $, ce qui donnerait en tout des dépens de 95 919,66 $. L’intimée soutient, subsidiairement, que la somme globale adjugée ne devrait pas excéder 20 % ou 30 % des honoraires rajustés de 3 082 527,34 $, plus des débours de 23 922,15 $. Si l’on fait abstraction des débours, cela donnerait un plafond d’environ 616 505 $ à 924 758 $.

I. Analyse

[5]  Les paragraphes 147(1) à (3), (4) et (5) des Règles sont libellés en ces termes :

Règles générales

147(1) La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

(2) Des dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

a) du résultat de l’instance;

b) des sommes en cause;

c) de l’importance des questions en litige;

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

e) de la charge de travail;

f) de la complexité des questions en litige;

g) de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;

h) de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i) de la question de savoir si une étape de l’instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

i.1) de la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

[…]

(4) La Cour peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l’annexe II et peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

(5) Nonobstant toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut, à sa discrétion :

a) adjuger ou refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question ou d’une partie de l’instance particulière;

b) adjuger l’ensemble ou un pourcentage des dépens taxés jusqu’à et y compris une certaine étape de l’instance;

c) adjuger la totalité ou partie des dépens sur une base procureur-client.

[6]  Le paragraphe 147(1) confère à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de fixer les frais et les dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les supporter [1] . Le paragraphe 147(2) précise que des dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle. Le paragraphe 147(3) dispose que la Cour, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, peut tenir compte des facteurs qui sont mentionnés dans cette disposition. Le paragraphe 147(4) prévoit que la Cour peut adjuger des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l’annexe II des Règles et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés [2] . Enfin, le paragraphe 147(5) confère à la Cour le pouvoir d’adjuger ou de refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question ou d’une partie de l’instance particulière, d’adjuger l’ensemble ou un pourcentage des dépens taxés jusqu’à et y compris une certaine étape de l’instance, ou d’adjuger la totalité ou une partie des dépens sur une base procureur-client.

[7]  Récemment, la Cour d’appel fédérale a décrit sommairement l’article 147 des Règles :

[…] En résumé, l’article 147 autorise la Cour de l’impôt à fixer les frais et dépens à l’égard des parties à l’« instance » (paragraphe 147(1)). Le terme « instance » est défini à l’article 2 comme étant « [u]n appel ou un renvoi ». Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de dépens, la Cour de l’impôt peut tenir compte de nombreux facteurs, y compris la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’« instance » (alinéa 147(3)g)) et la question de savoir si une étape de l’« instance » était inappropriée, vexatoire ou inutile (sous‑alinéa 147(3)i)(i)). La Cour de l’impôt peut, à sa discrétion, adjuger ou refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question ou d’une « partie de l’instance » (alinéa 147(5)a)) [3] .

[8]  Malgré le libellé conférant une vaste discrétion de l’article 147 des Règles, le pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour d’adjuger ou de refuser d’adjuger des dépens n’est pas illimité et doit être exercé dans le respect des principes établis. Dans l’arrêt Guibord c. Canada, 2011 CAF 346, la Cour d’appel fédérale a déclaré, aux paragraphes 9 et 10 :

[9]  L’article 147 des Règles régit l’attribution des dépens par la Cour canadienne de l’impôt. Cet article confère à la Cour de l’impôt un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les dépens. […]

[10]  L’attribution de tels dépens relève dans une grande mesure du pouvoir discrétionnaire du juge de la Cour de l’impôt, car celui‑ci est le mieux placé pour déterminer qui doit payer les dépens ainsi que leur montant. Quoique l’octroi des dépens soit hautement discrétionnaire, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en respectant les principes établis : Lau c. Canada, 2004 CAF 10. Une cour d’appel doit faire montre de déférence envers l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de l’impôt en matière de dépens et ne devrait intervenir que lorsque le juge de la Cour de l’impôt a considéré des facteurs qui ne sont pas pertinents, a omis de considérer des facteurs pertinents ou est parvenu à une conclusion déraisonnable [4] .

[9]  Il n’est pas obligatoire que la Cour tienne compte des facteurs énumérés au paragraphe 147(3) des Règles [5] . Toutefois, ces facteurs offrent un cadre très utile pour l’évaluation, selon les principes établis, de la question de savoir s’il y a lieu d’adjuger des dépens à une partie dans un ensemble donné de circonstances, et dans quelle mesure. Je me pencherai donc sur chacun des facteurs énumérés au paragraphe 147(3).

A. Le résultat de l’instance

[10]  L’intimée soutient que les parties ont eu partiellement gain de cause sur les questions en litige parce que j’ai reconnu sa thèse concernant l’interprétation du passage introductif de l’alinéa 95(2)l) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR). Je ne puis souscrire à cette observation. Je n’ai peut-être pas adhéré à la totalité des arguments juridiques de l’appelante sur l’interprétation de l’alinéa 95(2)l), mais l’appelante portait en appel l’application de l’alinéa 95(2)l) au revenu de CCG Trust Corporation (« CCG ») et, en fin de compte, elle a eu entièrement gain de cause dans chacun des appels [6] . À mon avis, le résultat est un facteur favorisant une adjudication appropriée de dépens à l’appelante.

B. Les sommes en cause

[11]  Le montant de revenu accru utilisé par le ministre du Revenu national (le « ministre ») dans les nouvelles cotisations était de 220 365 774 $. Selon l’appelante, le montant total d’impôts, d’intérêts et de pénalités sur acomptes provisionnels en litige s’élevait à 72 560 284 $, dont 46 884 370 $ représentaient des impôts sur le revenu. L’intimée reconnaît que les sommes en litige étaient considérables et que ce fait favorise l’adjudication de dépens majorés. Je conclus que les sommes en litige étaient élevées et que ce facteur favorise une adjudication appropriée de dépens à l’appelante.

C. L’importance des questions en litige

[12]  L’intimée reconnaît que les questions soulevées dans les appels étaient d’une grande importance pour le secteur des services financiers. Je souligne également que la disposition légale dont il était question dans les appels – l’alinéa 95(2)l) – fait partie du régime prévu à la sous-section I de la section B de la partie I de la LIR, qui s’applique au calcul de l’impôt des sociétés étrangères affiliées et de leurs propriétaires canadiens directs ou indirects. Avant ces appels, la Cour canadienne de l’impôt ne s’était jamais penchée sur l’alinéa 95(2)l). L’interprétation de cette disposition a nécessité l’interprétation de termes et de notions que l’on retrouve ailleurs dans la sous-section I de la LIR. En conséquence, ce facteur favorise une adjudication appropriée de dépens à l’appelante.

D. Toute offre de règlement présentée par écrit

[13]  L’appelante a présenté une offre de règlement par écrit, dans une lettre du 3 septembre 2015 (l’« offre »). L’offre est résumée dans le tableau ci‑dessous, où sont comparées les sommes que l’appelante a suggéré d’inclure dans son revenu et les sommes incluses dans les nouvelles cotisations dont il était question dans les appels (les « nouvelles cotisations ») :

Année d’imposition

Revenus visés par les nouvelles cotisations

Réduction des revenus

Différence

2003

41 366 142 $

40 277 599 $

1 088 543 $

2004

37 710 239 $

36 699 257 $

1 010 982 $

2005

44 024 634 $

42 833 524 $

1 191 110 $

2006

29 047 662 $

28 278 650 $

769 012 $

2007

23 375 091 $

22 729 449 $

645 642 $

2008

23 891 920 $

23 281 659 $

610 261 $

2009

20 950 086 $

20 312 519 $

637 567 $

[14]  L’offre ne présente pas les motifs justifiant les réductions apportées au revenu de l’appelante. Dans les nouvelles cotisations, étaient inclus dans les revenus de l’appelante, à titre de revenu d’actions, des revenus gagnés par les sociétés étrangères affiliées contrôlées (les « SEAC ») de l’appelante au cours de la période de 2003 à 2009. Cela s’explique par le fait que, d’après l’alinéa 95(2)l) de la LIR, ce revenu était un « revenu étranger accumulé, tiré de biens » (le « REATB ») au sens du paragraphe 95(1) de la LIR. De deux choses l’une : soit l’alinéa 95(2)l) s’appliquait de manière que les revenus visés des SEAC fussent présumés constituer des REATB, soit il ne s’appliquait pas. Il semble soutenu dans l’offre que certaines sommes (relativement) peu élevées pouvaient être incluse dans les revenus de l’appelante, sans explication quant au fondement juridique et factuel de cette conclusion. En raison de la nature claire et nette de la question de droit et de l’absence de toute explication quant à la position que l’appelante a adoptée dans son offre, je n’accorde aucun poids à l’offre pour ce qui est de l’adjudication des dépens [7] .

E. La charge de travail

[15]  L’appelante soutient que la charge de travail requise pour contester les nouvelles cotisations a été [traduction] « très importante » et [traduction] « nettement supérieure » à celle que requiert un [traduction] « appel moyen » devant la Cour canadienne de l’impôt. Elle déclare que les associés chargés des appels y ont consacré au total 4 770,7 heures. De plus, quatre avocats ont consacré 1 384,8 heures aux appels, et deux techniciens juridiques leur ont consacré 1 159,1 heures.

[16]  L’intimée avance que l’avocat de l’appelante a peut-être fait preuve d’excès de zèle pour ce qui est de la préparation de son exposé. À mon avis, il s’agit là d’un aspect quelque peu difficile à évaluer, dans des circonstances qui mettent en cause des questions complexes de droit et de faits que la Cour canadienne de l’impôt n’a jamais examinées. Certes, faute d’excès de zèle évident, il n’appartient pas à la Cour de remettre en question le jugement d’un avocat sur le travail à accomplir pour bien se préparer à une telle affaire [8] . Cependant, je conviens que dans des circonstances qui comportent des enjeux aussi importants pour l’appelante, l’efficacité et la frugalité ont peut-être cédé le pas à la minutie.

[17]  Quoi qu’il en soit, il est important de reconnaître que la charge de travail n’est que l’un des facteurs dont on peut tenir compte pour déterminer s’il y a lieu d’adjuger des dépens à une partie, et dans quelle mesure. Il ne faut pas confondre la prise en compte de ce facteur avec la détermination ultime du montant des dépens, s’il y en a, qui sont adjugés à une partie. Cette détermination doit être faite en fonction de principes bien établis, en tenant compte de tous les facteurs pertinents, lesquels, outre les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles, comprennent toute autre question susceptible d’influer sur la détermination des dépens.

[18]  En l’espèce, les appels ont constitué pour les avocats de l’appelante une importante charge de travail juridique, ce qui favorise une adjudication appropriée de dépens à l’appelante.

F. La complexité des questions en litige

[19]  L’appelante soutient que les appels portaient sur de multiples questions hautement complexes et techniques relevant du droit de la fiscalité, des services financiers et des valeurs mobilières et de la réglementation en la matière applicable au Canada et à la Barbade. L’intimée reconnaît que le fait que les appels avaient trait au régime du REATB, dans la LIR, favorise des dépens majorés. Je conviens que les questions qui ont été analysées dans les appels étaient complexes, ce qui favorise une adjudication appropriée de dépens à l’appelante.

G. Les facteurs énumérés aux alinéas 147(3)g) à i.1)

[20]  L’appelante traite de façon collective des facteurs énumérés aux alinéas 147(3)g), h), i) et i.1) des Règles. Cependant, elle semble mettre l’accent sur les alinéas 147(3)g) et h).

[21]  L’appelante soutient que l’intimée, par sa conduite, a prolongé inutilement la durée des appels. Elle fait état d’une requête que l’intimée a présentée à l’audience au titre de l’article 98 des Règles, de certains arguments juridiques que l’intimée a invoqués, de l’insistance de l’intimée à ce que l’appelante se conforme aux exigences en matière d’avis de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada (la « LPC ») ainsi que du temps qui a été perdu lors des conférences de gestion de l’instance.

[22]  À mon avis, l’appelante confond, dans ses observations sur la temporisation, la joute habituelle d’un litige fiscal complexe, où les enjeux sont importants, avec une conduite qui donne lieu à des retards inutiles. Par exemple, le fait de déposer une requête au procès en vue d’exclure certains éléments de preuve au titre de l’article 98 des Règles ne constitue pas une conduite qui donne lieu à des retards inutiles. L’intimée était en droit de déposer une telle requête et de demander à la Cour de la trancher. Tout le processus a duré environ une heure. Dans le même ordre d’idées, l’intimée était en droit d’insister pour que l’appelante réponde aux exigences en matière d’avis de l’article 30 de la LPC en vue de l’introduction en preuve de pièces commerciales en vertu de l’exception à la règle du ouï-dire prévue à cet article.

[23]  L’appelante soutient également que l’intimée aurait dû admettre un certain nombre de faits, notamment que l’exemption prévue au sous-alinéa 95(2)l)(iii) s’appliquait à CCG et que la teneur des rapports d’expert de l’appelante sur le droit étranger rendait cette conclusion inévitable. L’intimée n’était pas tenue d’admettre la preuve sur le droit étranger qui était présentée dans les rapports d’expert que l’appelante a produits. Elle n’était pas tenue non plus d’adopter les conclusions de droit qui, d’après l’appelante, découlaient de ces preuves. Il appartenait à juste titre à la Cour de déterminer l’importance des preuves d’expert ainsi que les conclusions juridiques à tirer dans les circonstances.

[24]  L’appelante a inclus dans ses observations sur les dépens une copie d’une demande d’aveux et la réponse de l’intimée à cette demande. Il ressort clairement de ces documents que l’appelante demandait à l’intimée d’admettre plusieurs éléments qui comportaient des questions mixtes de fait et de droit. Je ne vois par ailleurs aucune preuve que l’intimée a refusé d’admettre des faits qu’elle aurait dû admettre. Pour pouvoir déterminer, en vue de l’application de l’alinéa 147(3)h) des Règles, qu’un fait aurait dû être admis mais qu’il ne l’a pas été, il faut qu’il soit évident et manifeste que, au moment où la demande a été faite, le fait admis était véridique.

[25]  L’intimée soutient que les observations volumineuses de l’appelante soulevaient et examinaient des questions qui n’étaient pas en litige et qui ont prolongé inutilement l’instance. Je conviens que les observations étaient volumineuses, mais non qu’elles aient rallongé inutilement l’audience. Un avocat est en droit (sans qu’il y soit encouragé) d’analyser en détail la totalité des arguments qui, croit-il raisonnablement, peuvent être pertinents à l’égard des questions en litige. Si la précision et la concision dans un argument peuvent rarement être critiquées, il en va de même de la minutie, sauf si cette minutie mène à des excès évidents. Je ne relève ici aucun excès de cette nature.

[26]  L’intimée soutient également que l’appelante a retardé l’audition des appels en omettant de produire un rapport d’expert avant le début de l’audience en janvier 2015, ce qui a obligé l’appelante à déposer une requête en présentation d’une preuve d’expert. J’ai fait droit à cette requête pour les motifs que j’ai exposés oralement alors et j’ai adjugé à l’intimée des dépens de 25 000 $, indépendamment de l’issue de la cause. L’accueil de la requête a eu pour effet de retarder l’audience jusqu’à novembre 2015. L’intimée soutient que les agissements de l’appelante ont obligé les parties à se préparer au procès deux fois et qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés à l’appelante pour la période postérieure au 22 janvier 2015, sauf pour ce qui est de la présence d’un avocat aux conférences de gestion de l’instance ainsi qu’à la continuation de l’instance en novembre 2015.

[27]  Les dépens adjugés à l’intimée dédommagent cette dernière du temps consacré à la préparation au procès en janvier 2015. Cependant, le fait que l’audience ait été retardée à la demande de l’appelante a aussi obligé les parties à se préparer au procès une seconde fois. Cette circonstance sera prise en compte dans l’adjudication des dépens.

[28]  Je n’ai relevé aucune preuve montrant que l’une ou l’autre des parties se soit conduite d’une manière visée à l’alinéa 147(3)i) des Règles.

[29]  En ce qui concerne l’alinéa 147(3)i.1) des Règles, l’intimée soutient qu’un seul rapport d’expert sur le droit applicable de la Barbade était nécessaire. La preuve sur le droit étranger figurant dans les rapports d’expert de l’appelante était d’une importance cruciale pour la cause de cette dernière. Cependant, il y avait de nombreux recoupements dans ces rapports et cela sera pris en compte dans l’adjudication des dépens.

H. Tout autre élément pouvant influer sur la détermination des dépens

[30]  L’intimée a invoqué plusieurs éléments qui, croit-elle, peuvent influer sur la détermination des dépens. Ces éléments sont les suivantes :

  • a) L’intimée soutient qu’il ne faudrait pas adjuger de dépens à l’appelante pour la préparation de ses observations sur les dépens, car l’intimée a demandé un mémoire de frais pour tenter de régler la question des dépens, mais l’appelante a refusé. J’ai demandé des observations sur les dépens, donc j’estime qu’il ne s’agit pas d’un élément qui influe sur la détermination des dépens. Cependant, je conviens bel et bien qu’il faudrait encourager les parties à s’entendre sur les dépens chaque fois que c’est possible.

  • b) L’intimée soutient qu’un seul des trois avocats de l’appelante présents à l’audience a pris la parole à cette occasion et que ce fait favorise un recouvrement partiel seulement pour ces trois avocats. Je crois que cet élément s’inscrit dans le cadre des observations sur la minutie que j’ai formulées précédemment et j’en ai dûment tenu compte.

  • c) L’intimée soutient qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés pour les avocats et les techniciens juridiques qui n’ont consacré qu’un très petit nombre d’heures au dossier. Dans ce contexte, « très petit nombre » semble vouloir dire moins de 500 heures. Là encore, je crois que cet élément relève des observations sur la minutie que j’ai formulées et j’en ai dûment tenu compte.

  • d) L’intimée soutient que, malgré deux demandes écrites, l’appelante n’a pas fourni d’affidavit de débours et qu’elle ne devrait donc pas être autorisée à recouvrer ses débours. Elle souligne que, selon le paragraphe 157(3) des Règles, l’appelante est tenue d’établir qu’elle a fait les débours (à l’exception des droits versés au greffe). Bien que cette disposition s’applique à la taxation des dépens, je conviens que, en règle générale, qu’il n’y a lieu de rembourser les débours que s’il existe pour ces derniers une preuve que la Cour juge acceptable. En l’espèce, il incombera à l’officier taxateur de déterminer si les débours de l’appelante ont été convenablement prouvés.

  • e) L’intimée soutient que la demande de l’appelante pour les frais de photocopie de 66 249,88 $ est excessive. Là encore, il incombera à l’officier taxateur de trancher cette question.

II. Conclusion

[31]  Après avoir examiné avec soin chacun des facteurs décrits précédemment, je conclus qu’il convient dans les circonstances d’adjuger à l’appelante une somme globale au lieu des dépens taxés pour les honoraires d’avocat. Cependant, je ne suis pas disposé à souscrire à ce que suggère l’appelante, soit une adjudication de 1 877 084 $. Je ne suis pas disposé non plus à souscrire à ce que propose l’intimée, soit un plafond se situant entre 616 505 $ et 924 758 $.

[32]  À mon avis, le résultat de l’instance, les sommes en cause, l’importance des questions en jeu, la charge de travail (en tenant compte de la motivation probable de l’appelante à agir avec minutie), la complexité des questions en litige et le fait que l’appelante ait retardé l’audience justifient collectivement que l’on adjuge à l’appelante une somme globale de 1 100 000 $ au lieu des dépens taxés pour les honoraires d’avocat. Cette somme représente environ 36 % des honoraires d’avocat rajustés de 3 082 527,34 $. Je crois que, dans les circonstances, cette adjudication de dépens contribue de manière appropriée aux coûts que l’appelante a supportés au titre des honoraires d’avocat dans le cadre de l’instance, sans qu’elle soit extravagante ou punitive envers l’intimée [9] .

[33]  En ce qui concerne les débours, y compris la TVH, j’ordonne que ceux que l’appelante réclame soient taxés conformément aux Règles, suivant la condition que les dépens qui lui sont adjugés pour les rapports d’expert n’excèdent pas 175 000 $, compte tenu des recoupements relevés dans les rapports produits par Chancery Chambers et Lex Caribbean et de l’omission de produire le rapport de North Star Compliance.

Conformément à l’article 172 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), les présents motifs de l’ordonnance modifiés sont rendus en remplacement des motifs de l’ordonnance du 11 avril 2017, pour corriger une erreur typographique dans le numéro de référence neutre.

Signé à Toronto (Ontario), ce 24e jour de mai 2017.

« J.R. Owen »

Juge Owen

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de janvier 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 86

Nos DE DOSSIER DE LA COUR :

2012-950(IT)G, 2013-1251(IT)G,

2013-1252(IT)G, 2013-1253(IT)G,

2013-1254(IT)G, 2013-2961(IT)G

et 2013-2962(IT)G

INTITULÉ :

CIT GROUP SECURITIES (CANADA) INC. c. LA REINE

MOTIFS DE L’ORDONNANCE SUR LES DÉPENS MODIFIÉS :

L’honorable juge John R. Owen

DATE DE L’ORDONNANCE SUR LES DÉPENS INITIALE :

Le 11 avril 2017

DATE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE MODIFIÉS :

Le 24 mai 2017

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Mes Edwin G. Kroft, c.r.,
Deborah J. Toaze et Paul K. Tamaki

 

Avocats de l’intimée :

Mes Elizabeth Chasson, Darren Prevost et
Leonard Elias

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Pour l’appelante :

Nom :

Edwin G. Kroft, c.r.,
Deborah J. Toaze et Paul K. Tamaki

 

Cabinet :

Blake Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]  Dans la décision Velcro Canada Inc. c. La Reine, 2012 CCI 273 (Velcro), le juge en chef adjoint Rossiter (aujourd’hui juge en chef) a écrit, au paragraphe 11 :

[…] Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 147(1) est extrêmement large : cette disposition accorde à la Cour une discrétion absolue quant à la fixation des frais et dépens, à leur répartition et à la désignation des personnes qui doivent les supporter.

Le libellé, conférant une vaste discrétion, des paragraphes 147(1) à (3), (4) et (5) concorde avec le pouvoir implicite qu’a la Cour de contrôler sa propre procédure : R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 19, et Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, aux paragraphes 35 et 36.

[2]  Dans la décision Velcro, le juge en chef adjoint Rossiter (aujourd’hui juge en chef) a insisté sur le pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour canadienne de l’impôt d’adjuger des dépens sans tenir compte du tarif, aux paragraphes 6 et 16 :

[...] À mon avis, les circonstances exceptionnelles dont il a fait mention dans Banque continentale comprenaient des circonstances pouvant justifier l’adjudication des dépens sur la base procureur-client, ce qui n’est certainement pas prévu au tarif. À mon sens, il n’est pas nécessaire d’établir des circonstances exceptionnelles pour s’écarter du tarif, loin de là. Le pouvoir de la Cour canadienne de l’impôt est tout à fait clair.

[…]

[I]l est difficile d’imaginer comment le pouvoir discrétionnaire dont la Cour canadienne de l’impôt jouit en matière d’adjudication des dépens pourrait être plus large, eu égard au libellé des paragraphes 147(1), (3), (4) et (5) des Règles. Ces dispositions de l’article 147 font de la mention du tarif B de l’annexe II une question laissée à l’entière discrétion de la Cour.

Dans l’arrêt Nova Chemicals Corporation c. The Dow Chemical Company et al, 2017 CAF 25 (« Nova Chemicals »), la Cour d’appel fédérale a confirmé le pouvoir discrétionnaire qu’exerce la Cour fédérale sur le montant et la répartition des dépens et elle a souligné les avantages de l’adjudication d’une somme globale en analysant les paragraphes 400(1) et (4) des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) (voir les paragraphes 10 à 12).

[3]  Canada c. Martin, 2015 CAF 95, au paragraphe 21. Pour un examen plus détaillé de la démarche que suit la Cour pour  l’adjudication des dépens, voir la décision Ford du Canada Limitée c. La Reine, 2015 CCI 185.

[4]  Voir aussi Canada c. Lau, 2004 CAF 10, au paragraphe 5, et Canada c. Landry, 2010 CAF 135, au paragraphe 22. Comme l’a indiqué le juge Boyle dans la décision Spruce Credit Union c. La Reine, 2014 CCI 42, le changement qui est intervenu (depuis les arrêts Lau et Landry) dans le libellé du paragraphe 147(1) des Règles « ne change en aucune manière la nature, l’ampleur ou la portée du pouvoir de la Cour quant aux dépens, à condition que ce pouvoir s’exerce selon les principes établis » (paragraphe 18). Dans l’arrêt Nova Chemicals, dans le contexte des paragraphes 400(1) et (4) des Règles des Cours fédérales, la Cour d’appel fédérale a indiqué, au paragraphe 19 :

Comme je l’ai mentionné, le juge qui accorde les dépens sous forme de somme globale dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire, qui n’est toutefois pas absolu. Je le répète, il ne s’agit pas d’en fixer le montant de façon arbitraire. Le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire avec circonspection […]

[5]  Le paragraphe 147(3) des Règles indique que la Cour « peut » tenir compte des facteurs qui y sont énumérés. Dans l’arrêt Martin, précité à la note 3, la Cour d’appel fédérale fait observer au paragraphe 21 que la Cour canadienne de l’impôt « peut tenir compte de nombreux facteurs ». Dans la décision Velcro, au paragraphe 17, le juge en chef adjoint Rossiter (aujourd’hui juge en chef) a souligné l’importance pratique des facteurs énumérés au paragraphe 147(3) :

J’estime que, dans tous les cas, le juge devrait examiner la question des dépens à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles et appliquer ces facteurs en se fondant sur des principes avant même de décider s’il doit se tourner vers le tarif B de l’annexe II.

Dans l’arrêt Nova Chemicals, la Cour d’appel fédérale a déclaré que les critères énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales sont des facteurs pertinents.

[6]  Dans la décision General Electric Capital Canada Inc. v. The Queen, 2010 TCC 490, le juge Hogan a fait la remarque suivante, au paragraphe 31 :

[traduction] En ce concerne le résultat de l’instance, l’appelante a obtenu tout ce qu’elle a demandé en l’espèce. On note dans la jurisprudence une forte tendance à souscrire au principe selon lequel l’adjudication de dépens ne devrait pas être distributive, c’est-à-dire fondée sur l’issue d’arguments particuliers […]

[7]  Dans l’arrêt CIBC World Markets Inc. c. La Reine, 2012 CAF 3, la Cour d’appel fédérale a fait observer, au paragraphe 24 :

[…] Mais le ministre ne peut convenir de faits que dans les limites du principe de Galway : il ne lui est pas permis de donner son accord à une cotisation injustifiable en fait et en droit. […]

[8]  Dans la décision RMM Canadian Enterprises Inc. c. R., [1997] A.C.I no 445 (QL) (C.C.I.), le juge Bowman (devenu plus tard juge en chef) a fait observer, au paragraphe 5 :

[…] Il arrive fréquemment, dans un litige, que des arguments soient avancés à l’appui de positions, lesquels considérés après coup, s’avèrent inutiles. À moins que pareils arguments ne soient clairement futiles ou insoutenables, je ne crois pas qu’une partie doive être pénalisée au point de vue des frais simplement parce que son avocat décide de débattre la question à fond, et je ne crois pas non plus qu’il m’incombe de revenir après coup sur la décision de l’avocat, et de dire en fait que s’il avait pu prévoir comment j’allais trancher l’affaire, il aurait été possible d’économiser énormément de temps en s’en tenant à une seule question. En outre, l’avocat est entre autres tenu de constituer un dossier qui permettra à un tribunal d’appel d’examiner toutes les questions en litige.

[9]  Martin c. La Reine, 2014 CCI 50, au paragraphe 14, appel accueilli par 2015 CAF 95.

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