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Date: 19991117

Dossier: 98-1609-GST-I; 98-1732-GST-I

ENTRE :

THELMA LEE PENNEY,

LINCOLN GENE PENNEY,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] L'appelant Lincoln Gene Penney a interjeté appel de la cotisation de taxe sur les produits et services no 02356 établie par le ministre le 21 décembre 1995 ou vers cette date en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise. L'appelante Thelma Lee Penney a interjeté appel de la cotisation de taxe sur les produits et services no 02355 établie par le ministre le 21 décembre 1995 ou vers cette date en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”).

[2] Les cotisations ont été établies à l'égard des deux appelants en leur qualité d'administrateurs de Northern Arctic & Marine Inc. (la “ société ”) au titre de la TPS que la société a omis de remettre au receveur général, ainsi que des pénalités et des intérêts s'y rapportant, conformément au paragraphe 228(2) de la Loi.

[3] À l'ouverture du procès en l'espèce, les pièces A-1 à A-24 ont été admises en preuve sur consentement.

[4] Les parties ont admis qu'il n'y a aucun litige sur la question du montant de la taxe qui n'a pas été remise et que le véritable litige porte sur la responsabilité des appelants à l'égard de ce montant.

[5] Lincoln Gene Penney a témoigné qu'il était vendeur, qu'il connaissait bien la société et qu'il avait pris part à l'exploitation de celle-ci. C'est lui qui dirigeait les activités quotidiennes de la société. L'entreprise effectuait la vente de motoneiges “ Arctic Cats ”. L'appelant a constitué la société en 1989 sur les conseils d'avocats de St. Anthony (Terre-Neuve). Il avait travaillé dans une autre entreprise de motoneiges et de moteurs hors-bord dont il avait été le gérant, propriétaire, actionnaire, administrateur et président. Il avait pris part là aussi aux activités quotidiennes et aux ventes. Cette entreprise avait été lancée par son père en 1980, et l'appelant s'y était joint à titre de gérant, et détenait alors 50 p. 100 des actions.

[6] En 1989, il détenait 97 p. 100 des actions de C & G Enterprises Ltd., la compagnie en question. Les motoneiges, dans ce cas-ci, étaient fournies par Charles R. Bell, un distributeur de Corner Brook (Terre-Neuve). C & G Enterprises Ltd. effectuait ses ventes dans les limites du territoire qui lui avait été attribué. En 1989, elle vendait encore des motoneiges. Cependant, il lui était interdit de vendre des marques concurrentes. Ainsi en avait décidé Charles R. Bell, le distributeur. M. Penney a reçu une offre de vendre des Arctic Cats dans le secteur. Il a été informé qu'il ne pouvait en vendre que sous le nom de Charles R. Bell. Il a donc dû créer une nouvelle compagnie. Il a communiqué avec un avocat et avec sa soeur (l'appelante Thelma Lee Penney) car son nom ne pouvait être rattaché à une autre compagnie vendant un produit concurrent. Thelma Lee Penney vivait à Toronto. Elle détenait elle aussi une participation dans C & G Enterprises Ltd., qui était une entreprise familiale dont leur père et mère détenaient aussi des actions.

[7] Thelma Lee Penney ne s'occupait pas de l'exploitation de C & G Enterprises Ltd. et n'en recevait aucun montant d'argent. Elle ne prenait aucune décision relativement à l'entreprise et n'y participait d'aucune autre façon. Elle a vendu ou transféré ses actions de C & G Enterprises Ltd. à Lincoln Gene Penney. La compagnie a été formée, Thelma Lee Penney étant désignée comme propriétaire. Encore une fois, les appelants ont obtenu des conseils juridiques à cet égard. Il a été décidé que Thelma Lee Penney ne s'occuperait pas de l'exploitation de la compagnie, qui serait contrôlée par Lincoln Gene Penney. Leur avocat en a été informé.

[8] Le témoin a mentionné une lettre manuscrite datée du 22 février 1989, écrite par Gerard Gushue, leur avocat, au bureau de ce dernier. Cette lettre visait à montrer que la soeur de l'appelant était propriétaire en théorie seulement et qu'elle ne devait pas prendre part aux activités de la compagnie. Cette lettre devait être envoyée à la soeur de l'appelant. Ce dernier s'est rendu chez lui, où il en a fait imprimer une copie, qu'il a envoyée à sa soeur. Cette dernière a posé quelques questions au sujet du fait qu'elle n'était propriétaire qu'en théorie. L'appelant lui a répondu que Me Gushue lui avait conseillé d'agir ainsi et qu'il savait pourquoi. Elle a accepté que la compagnie soit créée à son nom. Elle n'y a investi aucun montant d'argent et elle n'en a rien tiré. Elle n'était pas consultée au sujet des activités quotidiennes. Les commandes étaient passées par M. Penney, qui ne consultait sa soeur sur rien.

[9] La pièce A-1 contenait les résolutions bancaires datées du 2 octobre 1989. M. Penney s'est occupé d'ouvrir le compte bancaire à la Banque Scotia de St. Anthony (Terre-Neuve).

[10] On lui a demandé pourquoi la signature de sa soeur figurait sur les résolutions, et il a indiqué qu'il les lui avait envoyées pour signature. À part cela, ses souvenirs sont imprécis. Il a envoyé d'autres documents à sa soeur sur une certaine période en vue d'obtenir sa signature.

[11] Le témoin a reconnu la pièce A-5, un contrat d'exploitation se rapportant à la marge de crédit de la société. À la page 2 figure sa signature et celle du gérant. Ni l'un ni l'autre n'était actionnaire, administrateur ou dirigeant, mais ils ont signé pour le compte de la compagnie. La déclaration annuelle a été admise sous la cote A-9; elle porte la signature de l'appelant et de son épouse, mais l'appelant a déclaré que sa soeur n'avait rien eu à voir avec ce document. Les états financiers ont été admis sous la cote A-6, et le témoin a déclaré qu'il s'occupait entièrement de ce volet de l'entreprise. Il remettait l'information au comptable. La signature de sa soeur figure à la page 3 du document en question, mais il s'agit d'un timbre de sa signature. L'appelant avait fait faire ce timbre, mais il ne consultait pas sa soeur chaque fois qu'il l'utilisait. Il s'en servait sur les chèques également. Le timbre lui-même a également été admis en preuve; c'est un fac-similé de la signature de Thelma Lee Penney.

[12] La pièce A-7 contient les documents financiers se rapportant aux Arctic Cats qui ont été reconnus par le témoin. Ce dernier a mentionné la procuration, qui portait le timbre de la signature de sa soeur. Il l'utilisait régulièrement et les gens chargés des finances le savaient. L'appelant et son épouse ont signé également la garantie personnelle, mais le seul document que l'appelant avait dans lequel il était indiqué que sa soeur faisait partie de la compagnie était la déclaration sous serment. Il n'avait pas les documents de la société. L'appelante était théoriquement l'unique administratrice, actionnaire et dirigeante. Elle ne jouait aucun rôle dans les activités de la compagnie. Elle n'a signé aucune garantie. Elle se rendait dans les locaux de l'entreprise chaque fois qu'elle retournait à la maison, mais elle et son frère ne discutaient jamais d'affaires et elle n'a jamais demandé à consulter les registres. L'appelant ne consultait pas sa soeur au sujet de l'entreprise, mais cette dernière a effectivement demandé comment l'entreprise se portait. L'appelant n'estimait pas devoir consulter sa soeur au sujet de l'exploitation de la compagnie. Il avait pleins pouvoirs.

[13] L'entreprise a fermé ses portes le 24 octobre 1995. L'inventaire a été dressé à cette date. Les affaires étaient difficiles depuis un certain temps. La soeur de l'appelant ne s'est jamais occupée d'une réclamation d'assurance et n'a jamais participé au redémarrage de l'entreprise après que la réclamation eut été réglée. L'appelant n'a pas jugé nécessaire de la consulter.

[14] Deux ans avant de fermer ses portes, l'entreprise avait cessé d'être rentable. L'appelant ne touchait aucun salaire. Il n'a fait à sa soeur aucun rapport concernant l'entreprise, si ce n'est au cours de conversations anodines.

[15] L'appelant a pour la première fois entendu parler des difficultés concernant la TPS lorsque lui-même et sa soeur ont reçu leurs cotisations de Revenu Canada. L'appelant savait, avant de recevoir sa cotisation, qu'il y avait des problèmes, mais il en ignorait l'ampleur. Il n'en avait rien dit à sa soeur. Il n'avait fait parvenir aucune remise à sa soeur. Il doute qu'il lui ait dit quoi que ce soit au sujet des difficultés de l'entreprise. Il n'était aucunement tenu de l'en aviser.

[16] L'appelant a admis qu'il était au courant des exigences relatives à la TPS, mais qu'il n'en avait jamais parlé à sa soeur. Il lui a peut-être dit que l'entreprise était fermée. C'était une famille unie. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu'il ne pouvait vendre le produit des concurrents, mais qu'il avait décidé de le faire de toute façon. Il a cru que c'était correct. La Banque de Nouvelle-Écosse était la seule banque avec laquelle il faisait affaires. ITT était la compagnie de financement qui avait financé les achats jusqu'à ce que les articles en cause soient vendus, mais la compagnie a dû payer des intérêts. Pour autant que la Banque et ITT sachent, Thelma Lee Penney était une administratrice.

[17] L'appelant a été prié de se reporter à la page 2 de la pièce A-7, à savoir la déclaration qu'il a faite sous serment. Celle-ci précisait que Thelma Lee Penney était l'unique administratrice, dirigeante et actionnaire de la compagnie. On a indiqué à l'appelant que les gens qui traitaient avec la compagnie savaient exactement ce qui se passait car M. Penney leur avait indiqué qu'il agissait avec l'autorisation de sa soeur. Il n'a rien répondu à cela.

[18] On a demandé à l'appelant s'il avait eu des discussions avec son avocat au sujet de la responsabilité de sa soeur, et il a répondu que l'avocat lui avait affirmé que sa soeur n'aurait aucune responsabilité à assumer; il a transmis ce renseignement à cette dernière.

[19] Thelma Lee Penney a témoigné qu'elle ne vivait plus à Terre-Neuve depuis environ 35 ans, qu'elle a quitté la province à l'âge de 16 ans et qu'elle est devenue coordinatrice d'une clinique dans un hôpital spécialisé dans le traitement du cancer. Elle s'occupe de tout ce qui se rapporte au fonctionnement de cette clinique très spécialisée. Elle est aide-opthalmologiste accréditée, mais elle a suivi aussi un cours de commerce ou de secrétariat. Elle est avide d'apprendre. À 17 ou 18 ans, elle est revenue à Terre-Neuve, où elle est restée pendant 6 mois. Elle est la soeur de Lincoln Gene Penney.

[20] L'appelante savait que cette affaire portait sur des taxes impayées pour le compte de la société. Elle jouait un rôle dans la société. Son frère l'avait appelée pour lui faire part de son projet de créer une compagnie de motoneiges et du fait que, parce qu'il était déjà propriétaire de C & G Enterprises Ltd., il ne pouvait pas vendre les deux produits. Il avait donc demandé à l'appelante l'autorisation d'utiliser son nom dans les documents seulement. L'appelante avait hésité, mais ils en avaient discuté. Elle a été informée que son frère devait rencontrer un avocat de St. Anthony. “ Il l'a assuré que c'était en théorie seulement ”. La conversation avec l'avocat a convaincu l'appelant qu'il pouvait créer sa compagnie en utilisant le nom de sa soeur et avec son autorisation, et qu'elle n'aurait rien à voir avec la compagnie. L'appelant se contenterait d'utiliser le nom de sa soeur, qui était actionnaire de C & G Enterprises Ltd.

[21] L'appelante ignorait quelle était la définition d'un administrateur. Elle n'a suivi qu'un cours de secrétariat. Elle sait comment produire des déclarations. Elle a été informée par son frère que son nom figurerait à titre de propriétaire sur les documents seulement. Elle ne prendrait aucune part à la gestion quotidienne de l'entreprise. Elle n'a retiré aucun montant d'argent de l'entreprise. Elle a parlé avec Me Gerard Gushue dans son bureau de St. Anthony peu après que la compagnie eut été créée en 1989 ou au moment de la création de celle-ci. Elle a dû y signer certains documents. Ils ont parlé de la compagnie et du fait que sa participation n'était que théorique. Ils ne sont pas entrés dans les détails.

[22] L'appelante a été priée de se reporter à la pièce A-25, une lettre manuscrite datée du 22 février 1989. Elle a vu la copie imprimée de cette lettre et l'a dactylographiée. Elle a signé la copie dactylographiée et l'a renvoyée à son frère. Elle a cru comprendre qu'elle faisait suite à leurs conservations et qu'elle-même ne participerait qu'en théorie aux activités de la compagnie et qu'elle transférerait ses actions de C & G Enterprises Ltd. à son frère. Elle devait n'assumer aucune responsabilité, Me Gushue lui ayant garanti que son rôle n'était que théorique. Elle se rendait dans les locaux de la compagnie chaque fois qu'elle retournait à Terre-Neuve. Elle vérifiait la marchandise. Elle n'a jamais examiné les livres. Cela ne la concernait pas.

[23] Lorsqu'elle a été reportée aux pièces A-1 à A-4, soit la résolution bancaire, la liste des dirigeants de la compagnie, le certificat d'emprunt et l'entente relative à la réactivation du compte, l'appelante a déclaré que la pièce A-1 contenait sa signature. Cependant, elle ne savait rien de ces documents, si ce n'est de façon générale. Elle n'était pas au courant de la pièce A-2 et n'en connaissait pas les détails. Elle savait qu'elle y figurait à titre de propriétaire. Elle a tenu pour acquis qu'à ce titre était rattaché celui d'administrateur. Elle n'avait jamais vu les états financiers auparavant, bien que sa signature y fût apposée. Lorsqu'on lui a demandé si elle savait que sa signature figurait sur les états financiers, l'appelante a déclaré que ces documents ne la concernaient en rien. On lui a montré les documents contenus dans la pièce A-7, où figurait sa signature. Elle a affirmé avoir signé des documents à l'occasion à la demande de son frère. Elle ne jugeait pas nécessaire de poser des questions sur la nature de ceux-ci.

[24] En ce qui concerne la déclaration sous serment, son frère lui avait demandé de le remplir. À la question de savoir si le juge de paix lui a expliqué ce que c'était, l'appelante a répondu qu'elle était propriétaire en théorie seulement.

[25] Elle n'a jamais reçu quelque relevé bancaire ou relevé de Revenu Canada que ce soit. Elle n'a jamais parlé des déclarations avec son frère. Elle était au courant de l'incendie. Elle n'avait rien eu à voir avec la réclamation. Elle ignorait que les éléments d'actif avaient été saisis. Elle ne croit pas qu'ils aient parlé de problèmes financiers. Cela ne faisait pas partie des choses dont les membres de la famille discutaient. L'appelante a reconnu la lettre que Revenu Canada lui avait fait parvenir le 14 juin 1996, produite sous la cote A-27. En réponse à cette lettre, elle a transmis par télécopieur une lettre datée du 26 juin, qui a été produite sous la cote A-28. Elle ignorait tout de la TPS non remise. Puis elle a dit : [TRADUCTION] “ Je ne crois pas. Je ne crois pas que mon frère m'ait dit que Arctic éprouvait des difficultés financières. Je n'ai jamais participé aux activités quotidiennes ou aux décisions de nature financière ”. Lorsqu'elle a été priée de se reporter au document produit sous la cote A-7, l'appelante a déclaré qu'elle n'avait jamais discuté du fait que l'entreprise devrait fermer ses portes. Elle a été informée que l'entreprise avait été fermée.

[26] Pendant son contre-interrogatoire, l'appelante a indiqué qu'elle était propriétaire en théorie seulement. En mai 1989, elle est retournée chez elle à Terre-Neuve et elle a rencontré Me Gushue au bureau de ce dernier. Elle ne devait avoir aucune obligation. Elle n'a retenu les services d'aucun conseiller juridique indépendant et n'a jamais demandé à quiconque ce que les différents postes impliquaient.

[27] Elle a admis que l'association professionnelle dont elle fait partie tient un budget, distribue des dépliants publicitaires, organise des réunions et retient les services de conférenciers; l'appelante en a été considérée comme une des dirigeantes pendant nombre d'années, soit entre 15 et 20 ans.

[28] On a demandé à l'appelante ce qu'elle entendait par être administrateur en théorie seulement. Elle a déclaré qu'elle n'était pas chargée de la gestion quotidienne de l'entreprise et qu'elle ne jouait aucun rôle. Elle connaissait l'existence du timbre de sa signature et elle avait dû en autoriser expressément par écrit la fabrication. Il était utilisé dans le cadre des activités quotidiennes de l'entreprise. L'appelante lisait les documents, mais elle ne comprenait pas vraiment ce qu'ils signifiaient. Elle n'a jamais parlé aux gens de la banque, à ceux des finances ou au distributeur. Le fait qu'elle fût membre de la direction ne l'a pas amenée à s'occuper des déclarations à produire auprès de Revenu Canada ou des budgets.

Argumentation de l'avocat des appelants

[29] Dans son argumentation écrite, l'avocat des appelants a admis que la seule question en litige portait sur ce qu'on appelle la défense de diligence raisonnable, à savoir la question de savoir si les appelants sont responsables en vertu du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise, qui prévoit ceci :

(3) L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[30] De plus, il a admis que l'appelant Lincoln Gene Penney n'avait pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances, mais que l'appelante Thelma Lee Penney avait agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[31] L'avocat a mentionné l'arrêt Soper v. The Queen, 97 DTC 5407, où le juge Robertson, de la Cour d'appel fédérale, a indiqué que la norme de prudence est souple et comporte un élément subjectif. L'avocat a conclu que, du fait de cette affaire, les administrateurs que l'on dit externes ou qui ne jouent aucun rôle dans la gestion quotidienne de la compagnie et qui n'ont aucune influence sur la conduite de la compagnie ont plus de chance de satisfaire au critère de la diligence raisonnable.

[32] L'appelante Thelma Lee Penney ne s'est intéressée à la compagnie que pour rendre service à son frère. Celui-ci avait demandé des conseils juridiques et la décision avait été prise de constituer la compagnie en utilisant le nom de Thelma Lee Penney, le contrôle réel devant demeurer entre les mains de son frère. L'appelante a été informée par son frère et par l'avocat de ce dernier qu'elle ne courait aucun risque et n'avait aucune obligation.

[33] L'avocat a fait valoir que la signature des documents bancaires et financiers par Thelma Lee Penney n'était pas incompatible avec le fait qu'elle avait cru comprendre que sa participation dans la compagnie n'était que théorique. Elle avait fait confiance à son frère et avait suivi les conseils de l'avocat de ce dernier. Forte de cette information et de cette conviction, elle avait signé les documents bancaires et financiers, ce qui n'était pas déraisonnable si l'on considère surtout les choses du point de vue de Mme Penney.

[34] Mme Penney n'a signé aucune garantie; seules l'appelant Lincoln Gene Penney et son épouse, Jean Penney, ont signé des garanties. Cela concorde avec son témoignage sur la nature limitée de sa participation et sur le fait qu'elle ne devait avoir aucune obligation personnelle.

[35] L'avocat a fait valoir que les témoignages des appelants sont crédibles lorsqu'ils indiquent que Thelma Lee Penney n'a participé ni aux activités ni à la gestion quotidiennes de la compagnie, qu'elle n'a jamais vu les registres financiers, états financiers ou relevés bancaires compris, qu'elle n'a investi aucun montant d'argent dans la compagnie ni n'en a retiré et que, essentiellement, elle avait juste permis l'utilisation de son nom afin de constituer la compagnie et de signer les documents bancaires et financiers.

[36] De fait, elle ne croyait pas avoir le droit d'examiner les livres et les registres de la compagnie. Elle n'a été mise au courant du manquement de la compagnie qu'au mois de juin 1996, date à laquelle M. Keith Rees, de Revenu Canada, a communiqué avec elle. À ce moment-là, la compagnie n'était plus en affaires et il était trop tard pour que Mme Penney puisse faire quoi que ce soit au sujet de l'omission de la compagnie de remettre les montants dus.

[37] L'avocat a fait valoir que, compte tenu du fait que l'appelante Thelma Lee Penney ne participait pas aux activités quotidiennes de la compagnie ni à la gestion de celle-ci, qu'elle avait une connaissance très limitée des responsabilités d'un administrateur ou des obligations personnelles qui peuvent s'y rattacher, étant donné la confiance qu'elle avait mise en son frère et les conseils qu'elle avait reçus de l'avocat de son frère, elle avait agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les même circonstances.

[38] L'avocat a cité un certain nombre d'autres causes à l'appui de sa thèse selon laquelle il n'était pas déraisonnable que Thelma Lee Penney crût qu'elle agissait à titre d'administrateur en théorie seulement et qu'il n'était pas déraisonnable pour elle d'agir ainsi. Ces affaires, a-t-il fait valoir, étaient très semblables au cas en l'espèce.

[39] L'avocat a invoqué l'affaire Susan Sheremeta v. M.N.R., 91 DTC 867, où la Cour a conclu qu'une enseignante, qui était administratrice en théorie seulement, mais qui ne savait rien de l'exploitation de l'entreprise et qui n'avait rien à voir avec l'exploitation de celle-ci, n'avait aucune responsabilité en tant qu'administratrice. Dans cette affaire, la Cour a dit ceci :

[...] Le critère devant être appliqué en l'espèce ainsi que dans toutes les affaires mettant en cause la responsabilité d'un administrateur est à mon avis à la fois objectif et subjectif. Il est objectif en ce sens qu'il faut qu'il y ait une norme pour juger l'administrateur soit, en l'occurrence, le critère de l'homme raisonnable; il est subjectif parce qu'il faut que cet homme raisonnable soit mis à la place de l'administratrice, dans la même situation, affublé dans chaque cas de toutes ses qualités et de toutes ses limites.

En conséquence, la norme qui sera retenue en définitive sera dans certains cas très sévère et dans d'autres cas plus indulgente, selon les circonstances. Compte tenu des faits qui m'ont été présentés en l'espèce, et dont je reconnais la véracité, je situe ici l'administratrice dans une catégorie faisant appel à une grande indulgence et je n'exigerais d'elle, dans toutes les circonstances rapportées dans les témoignages, qu'un degré de soin limité. La question se pose alors de savoir si elle s'est acquittée du degré de soin limité qui était exigé d'elle. Compte tenu des éléments de preuve qui m'ont été présentés, je suis convaincu que c'est bien le cas.

[40] L'avocat a assimilé la situation factuelle dans cette affaire à celle de la présente affaire. Il a souligné que, en l'espèce, Thelma Lee Penney s'était fiée aux conseils d'un avocat et, en outre, qu'elle se trouvait à des milles de l'endroit où l'entreprise de la compagnie était exploitée. Cela rendait encore plus difficile l'exercice d'un contrôle. Mme Penney n'était pas en mesure de s'informer facilement de ce qui se passait dans l'entreprise au jour le jour, ce qu'elle aurait pu faire si elle avait vécu dans la ville, le village ou la région où l'entreprise était exploitée.

[41] Bref, l'avocat a fait valoir que, compte tenu du droit et de tous les faits de l'affaire, Mme Penney a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement d'effectuer les remises que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances et que, par conséquent, l'avis de cotisation établi à son égard devrait être annulé.

[42] L'avocat a déposé également une réponse écrite aux observations écrites de l'intimée, où il a soutenu que la Cour devait tenir compte des titres de compétence, des habiletés et des attributs d'un administrateur donné, en l'occurrence l'appelante Thelma Lee Penney. La Cour doit ensuite examiner toutes les circonstances de l'omission d'effectuer les remises. Ces deux éléments pris ensemble doivent ensuite être comparés à ce qu'une personne raisonnablement prudente aurait fait dans les mêmes circonstances.

[43] Dans la présente affaire, les titres de compétence, les habiletés et les attributs de Mme Penney en tant qu'administratrice, y compris sa connaissance des fonctions et responsabilités d'un administrateur, étaient très limités. Bien qu'elle pût avoir eu du succès sur le plan professionnel, elle n'avait aucune expérience antérieure à titre d'administratrice. Elle ignorait ce qu'un administrateur était censé faire.

[44] De plus, elle ne participait pas du tout aux activités de la compagnie et, partant, elle n'avait aucune connaissance des difficultés financières de celle-ci, dont le fait que la TPS n'était pas remise. Elle n'avait pas abandonné complètement son rôle d'administratrice, mais, plutôt, elle n'avait absolument aucune idée de son rôle et de ses responsabilités. Cela se comprend étant donné l'information que lui avait donnée son frère et les conseils que l'avocat de ce dernier lui avait dispensés.

[45] L'avocat estimait en outre que les causes qu'avait citées l'avocate de l'intimée dans ses observations écrites peuvent être différenciées de la présente affaire.

[46] L'avocat a contesté par ailleurs l'argument de l'avocate de l'intimée relativement au fait que Me Gushue n'avait pas été appelé à témoigner; il a donné les raisons pour lesquelles l'avocat n'avait pas été appelé, à savoir qu'il aurait fallu engager des frais pour le faire venir à l'audience de l'endroit où il pratique actuellement, et que cette question n'avait pas été soulevée dans le contre-interrogatoire des appelants. En outre, les deux appelants ont témoigné sur les conseils qu'ils avaient reçus de l'avocat et il n'y avait aucune contradiction dans leurs versions.

Argumentation de l'avocate de l'intimée

[47] Dans son argumentation écrite, l'avocate de l'intimée a convenu que la question à régler était celle de savoir si Thelma Lee Penney avait agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[48] Elle a soutenu également que tous les autres moyens d'appel avaient été abandonnés soit à l'étape de l'audition, soit à l'étape des observations écrites des appelants, alors que l'avocat de ces derniers a fait valoir que ces moyens d'appel n'avaient pas été abandonnés, mais qu'ils avaient été réglés par voie de décisions préliminaires. En outre, il y a la question de savoir si Lincoln Gene Penney a reconnu sa responsabilité ou s'il a simplement convenu qu'il n'avait pas établi la défense de diligence raisonnable.

[49] L'avocate a fait valoir que Thelma Lee Penney avait choisi de devenir administratrice de son plein gré. Elle savait en tout temps qu'elle était administratrice de la société. Sa passivité, loin de démontrer une diligence raisonnable, a révélé une totale abdication de son rôle et de son obligation en tant qu'administratrice. C'est là l'essence de l'argumentation de l'avocate de l'intimée.

[50] En ce qui concerne la question des conseils juridiques, Mme Penney n'a posé aucune question précise sur son rôle d'administratrice et sur la responsabilité qui pourrait lui être imputée, bien qu'elle ait bénéficié de conseils juridiques.

[51] L'avocate s'est attardée sur la thèse selon laquelle Mme Penney avait consenti à devenir administratrice pour permettre à son frère de contrôler deux concessions concurrentes, ce qui lui était interdit aux termes d'une entente d'exclusivité conclue avec l'un de ses distributeurs. Cela aurait dû éveiller les soupçons de Thelma Lee Penney. De plus, cette dernière a lu et signé des documents bancaires sans en comprendre la portée. Elle savait qu'il s'agissait de documents très importants, mais elle n'a posé aucune question.

[52] Mme Penney a délégué ses pouvoirs à son frère et elle lui a donné l'autorisation d'utiliser à volonté un timbre de sa signature. Mme Penney doit accepter les conséquences de sa décision de déléguer ces pouvoirs à son frère. Elle a consenti à être désignée administratrice de la compagnie en théorie, et elle doit assumer les responsabilités qui vont de pair avec ce titre. Elle ne peut gagner sur les deux tableaux : elle ne peut être administratrice lorsque cela fait son affaire et celle de son frère, puis cesser de l'être lorsque sa responsabilité est en jeu.

[53] L'appelante Thelma Lee Penney n'est pas une femme d'affaires expérimentée, mais elle est instruite et intelligente. Elle occupe un emploi dans le cadre duquel elle dirige les activités quotidiennes d'une clinique médicale et traite avec des professionnels quotidiennement. Elle a été membre d'un organisme sans but lucratif pendant 15 ou 20 ans. Ces éléments doivent être pris en considération aux fins de l'application du volet subjectif du critère applicable.

[54] Contrairement aux appelants qui étaient en cause dans les affaires citées par l'avocat des appelants, Mme Penney n'a pas agi sous la contrainte et elle aurait pu facilement refuser d'être associée au projet de son frère. On ne l'a jamais empêchée de poser des questions sur l'entreprise, d'en examiner les livres, ou de participer aux activités de celle-ci. Elle n'a simplement jamais posé de questions et elle a complètement abdiqué ses responsabilités.

[55] Comme dans l'affaire Starkman v. The Queen, 97 DTC 220, même un administrateur passif ou inactif n'échappe pas nécessairement à toute responsabilité et, même dans le contexte d'une entreprise familiale, il faut prendre en considération les circonstances de l'affaire. Les faits en l'espèce ne sont pas identiques à ceux de l'affaire Fitzgerald v. M.N.R., 92 DTC 1019.

[56] L'avocate a souligné que, bien que l'on ait dit dans l'arrêt Soper v. The Queen, précité, que la norme de prudence est fondamentalement souple, il ne suffit pas qu'un administrateur se contente de dire qu'il a fait de son mieux.

[57] L'avocate a affirmé que les appels devraient être rejetés et que les cotisations du ministre devraient être ratifiées.

Analyse et décision

[58] La Cour est convaincue que la seule question à régler dans la présente affaire est celle de savoir si les appelants ont agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[59] Compte tenu de la thèse adoptée par l'avocate de l'intimée et la preuve produite à cet égard, la Cour est on ne peut plus convaincue que l'appel de Lincoln Gene Penney doit être rejeté. Il ne fait aucun doute qu'il n'a pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[60] L'appel de Lincoln Gene Penney est rejeté et la cotisation du ministre est ratifiée.

[61] Le cas de Thelma Lee Penney soulève des questions différentes. Il est indubitable que l'appelante n'a pas participé activement à l'exploitation quotidienne de l'entreprise de la compagnie et qu'en réalité, elle ne souhaitait pas y participer. Elle l'a précisé dès le début et l'ensemble de la preuve a permis d'établir que Lincoln Gene Penney envisageait son rôle de la même façon. La Cour est convaincue que l'avocat a été consulté à St. Anthony et qu'il a été informé que Lincoln Gene Penney allait être en charge des activités quotidiennes de la compagnie et que Thelma Lee Penney allait exercer son rôle à distance. L'avocat n'a pas été appelé à témoigner, mais les deux appelants ont affirmé que Thelma Lee Penney croyait qu'elle était administratrice en théorie seulement et qu'elle ne jouerait pas un rôle actif dans l'exploitation de la compagnie.

[62] Cela étant dit, la Cour doit poser la question suivante : est-il suffisant, pour se soustraire à une responsabilité aux termes de la disposition législative en cause, d'être informé que l'on sera administrateur en théorie seulement et que l'on n'assumera aucune responsabilité, et d'omettre ensuite de consulter un conseiller juridique indépendant pour se faire expliquer le rôle et la responsabilité d'un administrateur, comme Thelma Lee Penney l'a fait dans la présente affaire? Cette dernière n'a pas demandé conseil sur l'entente datée du 22 février 1989, aux termes de laquelle elle devait transférer ses actifs à M. Penney sur demande pour permettre à ce dernier de prendre contrôle de la société à n'importe quel moment et probablement de dégager Thelma Lee Penney de toute responsabilité. Thelma Lee Penney a signé plusieurs documents bancaires chez elle à Toronto sans se rendre à la banque pour poser des questions sur la nature des documents en question. Même si elle a lu les documents avant de les signer, elle a admis qu'elle n'en avait pas saisi toute la portée et qu'elle n'avait posé aucune question à leur égard. Elle a permis qu'un timbre de sa signature soit fabriqué et elle a délégué le pouvoir d'utiliser ce timbre à son frère, sans aucune restriction. Elle n'a jamais demandé à voir les procès-verbaux des réunions de la compagnie, ni n'a-t-elle demandé à voir le livre des procès-verbaux ou tout autre livre de la compagnie. Elle s'est rarement rendue sur les lieux et n'a fait aucun effort pour savoir ce qui ce passait dans l'entreprise, se contentant simplement de croire, comme elle l'a dit, qu'elle n'assumait aucune responsabilité légale relativement à la compagnie.

[63] Elle n'a jamais demandé à voir les états financiers et n'a jamais posé de questions sur la situation financière de la compagnie, même pour savoir si elle était rentable. Elle n'a jamais demandé si des remises étaient effectuées ou si les remises étaient effectuées normalement, et elle a déclaré qu'elle ignorait l'existence des problèmes jusqu'à ce qu'elle reçoive de Revenu Canada, en 1996, une lettre l'informant de sa responsabilité possible à titre d'administratrice.

[64] Peut-on raisonnablement dire qu'elle a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances? Il n'y a, bien sûr, aucune preuve qu'elle a pris des mesures pour prévenir le manquement, et elle a essentiellement agi sur la foi des conseils de son frère et, censément, de son avocat, selon lesquels elle n'aurait aucune responsabilité légale dans ce cas-ci, quoi que la compagnie fasse.

[65] La Cour retient l'argument des deux avocats selon lequel la norme de prudence en cause ici et formulée dans l'arrêt Soper, précité, est souple. Par conséquent, la Cour accepte l'argument selon lequel tous les administrateurs ne sont pas nécessairement les mêmes, et leur conduite ne peut être subordonnée à des normes objectives seulement. Le critère doit comporter un élément subjectif qui prend en considération les connaissances personnelles et le passé de l'administrateur, ses connaissances du monde des affaires et le fait qu'il soit ou non un homme ou une femme d'affaires chevronné de qui on peut attendre davantage.

[66] Cependant, cet arrêt appuie aussi l'argument selon lequel les administrateurs ne peuvent pas se contenter de dire qu'ils ont fait de leur mieux car, si cela était permis, on assortirait la disposition de normes purement subjectives. Le critère doit comporter des éléments objectifs et des éléments subjectifs.

[67] Dans l'affaire Susan Sheremeta, précitée, la Cour a tenu des propos essentiellement semblables et elle était convaincue, compte tenu de la preuve produite dans cette affaire, que l'administratrice en cause devait être située dans une catégorie faisant appel à une grande indulgence et qu'un degré peu élevé de soin était exigé d'elle. La Cour était convaincue dans cette affaire que l'administratrice avait agi avec le degré de soin qui était exigé d'elle.

[68] Toutefois, la Cour en l'espèce est convaincue que les faits dans l'affaire Susan Sheremeta, précitée, ne sont pas les mêmes que les faits dans la présente affaire. Dans cette affaire, l'enseignante n'était rien de plus qu'une administratrice en nom, et elle ignorait tout de l'entreprise. Une fois effectuée la constitution de la compagnie, elle n'a joué aucun rôle au sein de celle-ci, n'a signé aucun document, ne savait pas ce que la compagnie faisait, ne faisait rien de plus que rendre service à son époux et permettre que son nom soit associé au rôle d'administratrice. De fait, elle n'a demandé aucun conseil, n'en a reçu aucun et n'a signé aucun document de façon courante; de surcroît, elle n'avait aucune compétence en affaires ni aucune connaissance des questions commerciales.

[69] Dans la présente affaire, la Cour ne peut appliquer la même norme peu exigeante aux actions de Thelma Lee Penney. Dans l'affaire Sheremeta, précitée, la contribuable ne savait pas ce qui se passait, alors que Thelma Lee Penney ne voulait pas savoir ce qui se passait en dépit du fait qu'elle savait qu'elle avait signé des documents de nature financière pour le compte de la compagnie. Elle a permis à son frère d'utiliser une copie de sa signature, sans en limiter le moindrement l'utilisation. On l'a priée d'approuver et de signer des documents financiers et autres documents de la société, qu'elle a lus, mais que, semble-t-il, elle n'a pas compris. Elle croyait avoir été informée par l'avocat de son frère qu'elle n'aurait aucune responsabilité légale. Elle a accepté ces conseils sans les mettre en doute et sans chercher à savoir s'ils étaient justes ou non.

[70] Elle savait que son frère ne pouvait pas lancer la nouvelle entreprise en question en apposant son nom sur les documents de la société. Elle devait bien savoir que d'autres personnes croiraient qu'elle occupait une fonction officielle dans la compagnie, compte tenu particulièrement du fait que son nom figurait sur certains des documents financiers et autres documents de la société. Quiconque examinerait les registres de la société verrait que son nom figurait comme actionnaire et dirigeante principale de la société. En d'autres termes, pour les besoins de son frère ainsi que les siens, elle voulait être considérée comme un élément important de la société et, à d'autres fins, particulièrement en ce qui concerne sa responsabilité, elle voulait pouvoir dire qu'elle n'acceptait aucune responsabilité et qu'elle ne devait pas être tenue responsable si la société faisait défaut de remettre les taxes applicables qui, son frère le savait, devaient être remises.

[71] Avant que le problème surgisse, l'appelante n'a jamais cherché de quelque façon que ce soit à s'informer de la situation de la compagnie. Elle a continué à signer les documents qui lui étaient envoyés sans poser de questions et à permettre que sa signature soit apposée sur des documents sans qu'on la consulte sur la nature de ceux-ci.

[72] La Cour est convaincue que les actions de l'appelante Thelma Lee Penney dans les circonstances équivalaient à un refus volontaire de voir la vérité et qu'elles ne se comparent pas du tout aux actions de l'administratrice dans l'affaire Sheremeta, précitée, ou à toute autre affaire où l'administrateur a été jugé non responsable.

[73] La Cour n'accepte pas l'argument de l'avocat des appelants qu'il n'était pas déraisonnable pour Mme Penney de croire que le fait de signer des documents comme les documents bancaires et financiers faisait partie de la tâche d'un administrateur en théorie seulement parce que son frère et l'avocat lui avaient donné l'assurance qu'il était parfaitement approprié de signer ces documents. Un tel argument est d'autant plus insoutenable à la lumière de l'expérience qu'avait acquise Thelma Lee Penney sur le plan professionnel. Il est vrai qu'elle ne participait pas à l'entreprise de son frère, mais son expérience n'était pas aussi limitée que celle des administrateurs en cause dans les affaires qui ont été citées par les deux avocats.

[74] Il ne faut pas oublier que Thelma Lee Penney détenait une participation dans C & G Enterprises Ltd., qui était une compagnie familiale à laquelle participaient leur mère, leur père et leur frère. L'appelante avait une certaine expérience car elle avait transféré ses actions de C & G Enterprises Ltd. à Lincoln Gene Penney.

[75] L'avocat des appelants s'est dit disposé à admettre que l'entente du 22 février 1989 signée par Mme Penney et M. Penney est un document juridique mal rédigé dont le libellé ne paraît pas accomplir ce que Mme Penney a dit avoir cru qu'il allait accomplir. Toute personne raisonnable dotée de l'expérience de Thelma Lee Penney aurait cherché à en savoir plus sur sa responsabilité légale.

[76] Le témoignage de Mme Penney a permis d'établir que cette dernière était coordinatrice d'une clinique dans un hôpital se spécialisant dans le traitement du cancer. Elle s'occupait de tout ce qui se rapporte au fonctionnement de cette clinique hautement spécialisée. Elle est aide-ophtalmalogiste accréditée et a suivi un cours commercial ou un cours de secrétariat. Elle a dit elle-même qu'elle était avide d'apprendre. Lorsque son frère lui a demandé s'il pouvait utiliser son nom sur papier seulement, elle a hésité, puis elle s'est laissée convaincre après avoir parlé uniquement à l'avocat de son frère.

[77] Elle a déclaré qu'elle ne savait pas trop comment produire les déclarations, mais qu'elle a signé des documents au bureau de l'avocat et qu'à ce moment-là, ils ont parlé de la compagnie et du fait qu'elle n'y serait rattachée qu'en théorie. Elle a indiqué qu'ils n'étaient pas entrés dans les détails. Cela en soi révèle qu'elle a abdiqué sa responsabilité; l'appelante aurait sûrement dû être avertie que sa responsabilité n'allait pas se limiter simplement à l'utilisation de son nom dans les documents de la société.

[78] Elle s'est bornée à signer des documents bancaires et des documents de la société; elle a dit cependant qu'elle ne savait rien de ces documents, sinon de façon générale seulement. Son nom figurait sur les états financiers, mais elle a dit qu'elle ne les avait jamais vus. Elle a déclaré qu'elle avait signé des documents à l'occasion à la demande de son frère et qu'elle n'estimait pas devoir s'informer sur leur nature. Une personne raisonnable, et encore plus une personne ayant l'expérience de l'appelante, aurait certainement jugé bon d'en savoir un peu plus sur la nature de ces documents. L'appelante a rempli un affidavit en présence d'un juge de paix, mais elle n'a pas indiqué si ce dernier lui en avait expliqué le contenu ou non, et elle s'est contentée de dire qu'elle était propriétaire en théorie seulement.

[79] Dans ces circonstances, la Cour n'est pas convaincue que l'appelante Thelma Lee Penney a établi qu'elle avait agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. Elle n'est pas visée par les affaires que les avocats ont citées, où les administrateurs ont été jugés non responsables. Elle n'a pas satisfait au critère de la “ diligence raisonnable ” au sens de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise.

[80] L'appel de Thelma Lee Penney est rejeté et la cotisation du ministre est ratifiée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de novembre 1999.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de juillet 2000.

Benoît Charron, réviseur

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