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Date: 19990201

Dossier: 97-1646-UI

ENTRE :

MARY SQUIRES,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MANUELS PLUMBING AND HEATING LTD.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cuddihy, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à St. John's (Terre-Neuve) le 7 décembre 1998.

I- L'appel

[2] Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en date du 19 juin 1997 dans laquelle il a été déterminé que l'emploi exercé par Mary Squires (l' « appelante » ) pour Manuels Plumbing and Heating Ltd. (le « payeur » ) au cours des périodes allant du 4 mars au 3 mai 1996 et du 31 mai au 7 novembre 1996 n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (l' « ancienne Loi » ), maintenant appelée Loi sur l'assurance-emploi (la « nouvelle Loi » ), parce que, selon le ministre, l'appelante et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance au sens du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de l'ancienne Loi ainsi que de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la nouvelle Loi et qu'il s'agissait donc d'un emploi exclu.

II- Les faits

[3] Dans sa décision, le ministre se fondait sur les faits et les motifs énoncés dans sa réponse à l'avis d'appel, notamment au paragraphe 4, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

4.a) le payeur est une société, dûment constituée en vertu des lois de la province de Terre-Neuve;

b) à l'époque pertinente, Herbert Squires était le seul actionnaire du payeur;

c) Herbert Squires est le frère du conjoint décédé de l'appelante;

d) le payeur exploite l'entreprise de plomberie et de chauffage à longueur d'année, à partir du domicile de Herbert Squires, et l'entreprise est ouverte sept jours sur sept;

e) les revenus mensuels du payeur pour l'exercice se terminant le 31 janvier 1997 sont les suivants :

MOIS REVENUS

Février 1996 34 992 $

Mars 1996 31 123 $

Avril 1996 32 248 $

Mai 1996 14 292 $

Juin 1996 13 431 $

Juillet 1996 9 766 $

Août 1996 26 287 $

Septembre 1996 19 064 $

Octobre 1996 34 011 $

Novembre 1996 32 603 $

Décembre 1996 29 300 $

Janvier 1997 30 443 $

REVENU TOTAL 307 567 $

f) l'appelante a reçu du payeur 2 relevés d'emploi concernant les périodes en question; le premier était un relevé pour la période de 9 semaines allant du 4 mars au 3 mai 1996 (la « première période » ) et indiquait 9 semaines d'emploi assurable, tandis que le second était un relevé pour la période de 23 semaines allant du 31 mai au 7 novembre 1996 (la « seconde période » ) et indiquait 12 semaines d'emploi assurable;

g) les fonctions alléguées de l'appelante durant la première période consistaient notamment à mettre à jour les comptes fournisseurs du payeur et à les convertir au système McBee;

h) les fonctions alléguées de l'appelante durant la seconde période consistaient notamment à tenir les comptes fournisseurs du payeur et à tenir et à mettre à jour les comptes clients ainsi que le journal de caisse et le journal des ventes;

i) l'appelante accomplit effectivement la plupart des travaux de tenue de comptabilité du payeur, y compris la tenue de tous les registres requis par le comptable pour l'établissement des états financiers;

j) l'appelante est inscrite dans le livre de paye du payeur comme ayant travaillé 15 ou 20 heures chaque semaine où des services ont été fournis et elle recevait 234 $ par semaine, quel que soit le nombre d'heures travaillées;

k) le salaire versé par le payeur à d'autres travailleurs se fondait sur le nombre d'heures effectivement travaillées;

l) le payeur ne fournissait pas de bureau à l'appelante, qui assurait les services à partir de son domicile et à partir de locaux de la Hilltop Manor Inc.;

m) la Hilltop Manor Inc. exploitait une maison de santé et avait embauché l'appelante pour qu'elle gère la maison de santé 24 heures sur 24 au cours de la période allant du 1er septembre au 15 novembre 1996;

n) l'appelante était capable de travailler pour le payeur lorsque ses obligations personnelles et ses fonctions à la maison de santé le permettaient;

o) le payeur ne contrôlait pas les heures de travail de l'appelante et n'avait pas priorité dans l'emploi du temps de l'appelante;

p) l'appelante n'était pas supervisée par qui que ce soit au nom du payeur;

q) l'appelante a été réinscrite dans le livre de paye du payeur après la période en question mais elle n'était pas payée pour les services fournis à l'époque de l'examen effectué par l'intimé;

r) l'appelante et le payeur avaient conclu un arrangement factice en vertu duquel l'appelante a reçu du payeur des relevés d'emploi destinés à la rendre admissible à des prestations d'assurance-chômage, et le payeur a reçu des services de tenue de comptabilité à longueur d'année, alors qu'il n'avait pas à verser un salaire à longueur d'année;

s) l'appelante et le payeur ont en fait un lien de dépendance.

5. Subsidiairement, le ministre considérait en outre ce qui suit :

a) il n'y avait pas de contrat de louage de services entre l'appelante et le payeur.

[4] Concernant le paragraphe 4, l'appelante a admis les allégations des alinéas a) à c), e) à g), k), m) et n). Les allégations des alinéas d) et l) ont été admises, des explications devant être données à l'audience. Les allégations des alinéas h) à j) et o) à s) ont été niées. En ce qui a trait au paragraphe 5, l'appelante niait l'allégation de l'alinéa a).

III- Droit et analyse

[5] i) Définitions tirées de la Loi sur l'assurance-emploi

« emploi » Le fait d'employer ou l'état d'employé.

« emploi assurable » S'entend au sens de l'article 5.

L'alinéa 5(1)a) de la nouvelle Loi se lit comme suit :

5.(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

« Restriction »

[6] L'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la nouvelle Loi se lisent comme suit :

(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[7] iii) Définitions tirées de la Loi de l'impôt sur le revenu

Lien de dépendance et personnes liées

L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit en partie comme suit :

Article 251 : Lien de dépendance.

(1) Pour l'application de la présente loi :

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

(2) Définition de « personnes liées » . Pour l'application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b) une société et :

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii) une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii) [...]

IV- Critère du lien de dépendance — jurisprudence

[8] Dans l'affaire Noranda Mines Limited and The Minister of National Revenue, [1987] 2 C.T.C. 2089, à la page 2093, le juge Bonner, de la Cour canadienne de l'impôt, disait ce qui suit :

Le mécanisme que l'on vient de décrire, et tout particulièrement l'étape (d), est loin de caractériser une démarche que l'on pourrait qualifier d'indépendante entre plusieurs parties traitant les unes avec les autres.

La question de la présence ou de l'absence d'une relation d'indépendance de fait a été abordée à maintes reprises par les tribunaux. La Cour suprême du Canada s'est penchée pour la première fois sur cette question dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd., 55 DTC 1110 [[1955] C.T.C. 174]. À la page 1113 [p. 180 des C.T.C.], le juge Locke a déclaré au nom de la Cour:

(TRADUCTION)

Lorsque des sociétés sont contrôlées directement ou indirectement par la même personne, physique ou morale, elles ne sont pas présumées, en vertu de l'article, traiter en toute indépendance les unes avec les autres. Indépendamment des dispositions de cet article, on ne peut soutenir raisonnablement, à mon avis, lorsque des biens amortissables sont vendus par un contribuable à une entreprise qu'il contrôle intégralement, directement ou par l'intermédiaire d'une autre société, le contribuable en question dictant les termes du marché en sa qualité d'actionnaire majoritaire, que lesdites parties traitent en toute indépendance les unes vis-à-vis des autres et que les dispositions du paragraphe 20(2) ne s'appliquent pas.

La décision prise par le Juge Cattanach dans l'affaire M.N.R. c. T.R. Merritt Estate, 69 DTC 5159 [[1969] C.T.C. 207] se révèle aussi d'une grande utilité. À la page 5165 [p. 217 des C.T.C.], le juge a en effet déclaré:

(TRADUCTION)

À mon avis, le principe qui sous-tend cette analyse veut que, lorsque la "volonté" qui a dirigé les négociations au nom de l'une des parties à un contrat est la même que celle qui a dirigé les négociations au nom de l'autre, on ne peut dire que les parties en cause ont traité en toute indépendance. En d'autres termes, lorsqu'il est établi que la même personne a "dicté" les "termes du marché" au nom des deux parties, on ne peut pas dire que les parties ont négocié en toute indépendance.

Quelques années plus tard, l'importance de la négociation entre deux parties distinctes, chacune cherchant à protéger ses propres intérêts en toute indépendance, a été de nouveau soulignée dans la décision prise par la Cour de l'échiquier dans l'affaire Swiss Bank Corporation v. M.N.R., 71 DTC 5235 [[1971 C.T.C. 427]. À la page 5241 [p. 437 des C.T.C.], le Juge Thurlow (tel était son titre à l'époque) a déclaré:

(TRADUCTION)

J'ajouterai que lorsque plusieurs parties, que ce soit des personnes morales ou physiques ou encore une combinaison des deux, agissent de concert et dans le même but, pour orienter ou dicter la conduite d'un tiers, à mon avis, la "volonté" dirigeante peut être aussi bien celle de l'ensemble du groupe que de l'une quelconque de ses parties oeuvrant en fonction du bien commun. De plus, je considère qu'il n'y a pas à établir de distinction entre des personnes qui exercent un contrôle sur autrui pour leur propre compte et des personnes qui exercent un contrôle par l'intermédiaire d'un représentant. Par contre, lorsque plusieurs parties à une transaction représentent des intérêts divers, ce n'est pas parce que le but commun est de faire en sorte qu'un tiers agisse d'une certaine manière que la transaction implique automatiquement des partenaires n'agissant pas en toute indépendance les uns des autres. L'affaire Sheldon's Engineering (supra) en est à mon avis un bon exemple.

Enfin, il pourrait être utile de noter que l'existence d'une relation d'indépendance est exclue lorsque l'une des parties à la transaction en cause est en mesure de contrôler de fait les deux parties. À cet égard, il pourra être utile de se reporter à la décision prise par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Robson Leather Company Ltée c. le M.R.N., 77 DTC 5106 [[1977] C.T.C. 132].

Cet appel porte essentiellement sur une question de fait. Il incombe à l'appelante de prouver, en fonction de la crédibilité respective des thèses en présence, que Noranda et Orchan traitaient en réalité en toute indépendance l'une vis-à-vis de l'autre. Elle n'a pas réussi à s'acquitter de ce fardeau.

[9] Puis il disait, à la page 2095 :

[...] le fait de conclure qu'une même volonté ait présidé aux agissements des deux parties à la transaction n'implique pas nécessairement que cette volonté n'agissait pas honnêtement et de bonne foi vis-à-vis de ces deux sociétés et en tenant compte de leurs intérêts les mieux compris.

Il a été fait valoir par ailleurs au nom de l'appelante que la contrepartie fournie par Orchan correspondait à la juste valeur sur le marché de la propriété. Le critère de l'indépendance se rapporte au pouvoir d'influencer ou de contrôler son partenaire. Un prix inhabituel peut très bien indiquer l'absence d'une relation d'indépendance, mais ce n'est pas parce que le prix correspond bien à ce que l'on pouvait attendre de deux parties traitant en toute indépendance qu'il n'y a pas de lien de dépendance.

[Le soulignement est du soussigné.]

[10] En 1991, dans l'affaire Peter Cundill & Associates Ltd. v. Her Majesty the Queen, [1991] l C.T.C. 197, le juge Cullen disait, à la page 203 :

La question de savoir si les parties en l'espèce n'avaient aucun lien de dépendance est une question qui doit être examinée selon les propres faits particuliers de l'affaire. Pour trancher cette question, on peut tenir compte de plusieurs facteurs, tels que la propriété et le contrôle d'une société. Toutefois, le contrôle des actions (ou son absence) n'est pas nécessairement déterminant; il s'agit seulement d'un facteur à prendre en considération pour trancher la question d'absence de lien de dépendance (Robson Leather Co. Ltd. c. M.R.N., [1974] 74 D.T.C. 6666 [C.T.C. 872], le juge Collier, confirmé par 77 D.T.C. 5106 [[1977] C.T.C. 132] (C.A.F.).

Dans le Bulletin d'interprétation IT-419, Revenu Canada a proposé les facteurs suivants pour trancher la question de savoir s'il y avait ou non des liens de dépendance

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle "de facto" (réel).

Les critères énoncés dans IT-419 sont également les critères que les tribunaux ont régulièrement examinés. En l'espèce, le facteur qui va éclairer la situation consiste, semble-t-il, à déterminer la personne qui dirige ces deux sociétés. Si le "cerveau" qui agit pour une partie est le même "cerveau" qui dirige la seconde partie, alors on ne saurait réellement pas dire qu'elles traitaient à distance (Oryx Realty Corp. and Shofar Investment Corp. v. M.N.R., [1972] 72 D.T.C. 6018, [1972] C.F. 33 [[1972] C.T.C. 35], confirmé par 919740 74 D.T.C. 6352 (C.A.F.) [[1974] 2 C.F. 44; [1974] C.T.C. 430].

[11] Dans l'affaire Penner et al. v. The Queen, 94 DTC 6567, à la page 6590, le juge Teitelbaum, de la Cour fédérale, disait :

Comme le demandeur l'a soutenu, les faits en litige ne permettent pas de conclure qu'une même personne a dirigé les négociations pour les deux parties à la transaction. En outre, la transaction décrite ci-dessus est compatible avec l'objet et l'esprit des dispositions de la Loi concernant le CIRS, qui visaient à permettre aux sociétés de recherche de renoncer à leurs avantages fiscaux en faveur des investisseurs qui achetaient des titres admissibles.

Par ailleurs, je ne suis pas convaincu, à la lumière de la preuve, que l'une ou l'autre des parties à la transaction a exercé un contrôle de facto sur l'autre ou qu'elle avait le pouvoir de le faire.

[Le soulignement est du soussigné.]

[12] Il ressort de ces jugements que des parties ont entre elles un lien de dépendance lorsque la considération prédominante, l'intérêt global ou la méthode utilisée équivaut à un mécanisme qui est loin de caractériser une démarche que l'on pourrait qualifier d'indépendante entre plusieurs parties traitant les unes avec les autres.

[13] Des parties ont entre elles un lien de dépendance si une même personne dirige les négociations de deux parties à une opération, si les parties à une opération agissent de concert sans intérêts distincts ou si l'une ou l'autre partie à une opération exerçait une influence ou un contrôle sur l'autre ou avait le pouvoir de le faire. Il en sera de même si les rapports des parties ne sont pas conformes à l'objet et à l'esprit de la loi et n'indiquent pas une juste participation dans le jeu normal des forces économiques du marché[1].

[14] Donc, l'existence d'un ou de plusieurs facteurs non conformes au processus normal de négociation entre l'employeur et l'employé et non conformes à l'objet et à l'esprit de la loi sera fatal dans l’application du critère du lien de dépendance.

[15] La Cour doit en outre, dans l'analyse de toutes les circonstances ainsi que de la preuve admise, veiller à ce que les parties ne contournent pas l'objet de la loi[2].

[16] La Cour a l'obligation de scruter avec soin les conditions des relations entre un travailleur et un payeur dans tous les cas[3].

[17] L'appelante avait la charge d'établir selon la prépondérance des probabilités qu'une relation entre parties n’ayant pas de lien de dépendance existait entre elle et le payeur.

[18] Toutefois, chaque appel doit être tranché au fond, selon les faits qui lui sont propres.

Bref résumé de la preuve et analyse

[19] L'appelante et Herbert Squires ont témoigné au soutien de l'appel. Les pièces A-1 à A-3 ainsi que les pièces R-1 et R-2 ont été versées au dossier de la Cour.

[20] En expliquant l'allégation de l'alinéa d) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante a produit deux séries de photos (pièces A-1 et A-2). La première série (pièce A-1) expliquerait pourquoi l'appelante ne voulait pas travailler dans la remise du payeur, qui est encombrée de toutes sortes d'outils, de matériaux, etc. En outre, les conditions sanitaires ne l'encourageaient pas à y travailler. L'appelante travaillait à partir d'un bureau qu'elle avait chez elle (pièce A-2). Cette entreprise de plomberie et de chauffage est exploitée à longueur d'année et est ouverte sept jours sur sept. Herbert Squires est la personne responsable et il a son propre petit bureau.

[21] En réponse aux allégations des alinéas g) et h) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante disait qu'elle tenait les comptes fournisseurs. Elle établissait l'état de rapprochement bancaire et, l'épouse du payeur étant en congé, elle s'est occupée pendant quelques semaines de mettre à jour les comptes clients, ainsi que le journal de caisse et le journal des ventes. L'épouse du payeur tient les comptes clients, ainsi que le journal de caisse et le journal des ventes, et s'occupe des dépôts bancaires et de la paye.

[22] L'appelante a dit que, durant sa première période d'emploi, elle avait mis à jour les livres du payeur pour 1995, et ce, pour le vérificateur, en les convertissant au système McBee. Durant sa seconde période d'emploi, soit du 31 mai au 7 novembre 1996, elle avait mis à jour les livres du payeur pour 1996 et avait reporté toute l'information selon le système McBee. Elle avait également établi l'état de rapprochement bancaire. Elle avait travaillé deux semaines à raison de 20 heures par semaine, tandis que, les autres semaines, elle avait travaillé à raison de 15 heures par semaine.

[23] En réponse à l'alinéa i) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante a dit qu'elle ne tenait pas la plupart des livres du payeur. Elle s'occupait seulement des comptes fournisseurs et de l'état de rapprochement bancaire, ainsi que d'autres fonctions consistant à faire des commissions.

[24] En réponse à l'alinéa j) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante a dit qu'elle travaillait seulement à toutes les deux semaines, car il n'y avait pas assez de travail chaque semaine. Elle a déposé sa feuille de paye pour 1996 et des copies de ses deux relevés d'emploi (pièce A-3).

[25] En réponse aux alinéas l), m) et n) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante a bel et bien affirmé qu'elle accomplissait ses fonctions, comme elle l'avait dit précédemment, à partir d'un bureau qu'elle avait chez elle. Elle a en outre admis qu'elle avait été embauchée pour gérer la maison de santé de la Hilltop Manor Inc. du 1er septembre au 15 novembre 1996, 24 heures sur 24. Elle fournissait bel et bien les services pour le payeur lorsque ses obligations personnelles et ses fonctions à la maison de santé le permettaient.

[26] En réponse à l'alinéa o) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante a dit que Herbert Squires contrôlait son travail. « Nous discutions des heures ainsi que du temps que cela prendrait. J'avais dit qu'il était à espérer que je puisse faire le travail en 15 heures par semaine, et il avait bel et bien priorité dans l'emploi de mon temps. »

[27] L'appelante a également dit qu'elle avait mis sur pied un bureau à la maison de santé de la Hilltop Manor Inc., où il y avait seulement 12 résidents. Elle avait reçu de la Hilltop Manor Inc. un relevé d'emploi, qui n'a pas été montré à la Cour par l'une ou l'autre partie.

[28] En réponse à l'alinéa p) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante a dit que Herbert Squires était son « superviseur distinct » .

[29] En réponse à l'alinéa q) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante a admis qu'elle avait été réinscrite dans le livre de paye du payeur après sa seconde période d'emploi « en février 1997, et ce, pour mettre la dernière main aux livres pour 1996 » .

[30] L'appelante était payée comme l'indiquent les registres de paye versés au dossier de la Cour par l'intimé. Le ministre alléguait que l'appelante n'avait pas été payée pour les services fournis à l'époque de l'examen effectué par l'intimé. La Cour ne peut que présumer que les registres de paye étaient en la possession du ministre à l'époque où ce dernier a examiné l'appel de l'appelante. Il était donc difficile de conclure que l'appelante n'avait pas été payée en 1997.

[31] En contre-interrogatoire, l'appelante a admis au sujet de ses responsabilités à la Hilltop Manor Inc. qu'elle était « chargée de l'immeuble, ainsi que des résidents et du personnel, et ce, 24 heures sur 24 » . Elle demeurait sur place et était payée à toutes les deux semaines.

[32] On lui a demandé de produire ses relevés d'emploi (pièce R-1). À ce stade, elle a dit : « J'étais payée à l'heure, je consignais les heures et je les communiquais par téléphone à Junior [Herbert Squires]. J'ai établi les deux relevés d'emploi, et Doreen Squires, la femme de Herbert Squires, était la préposée à la paye du payeur. »

[33] L'appelante a également été contre-interrogée au sujet des registres de paye (pièce R-2). On lui a indiqué certaines semaines où sa paye nette avait été moins élevée que d'habitude. Elle a expliqué qu'elle avait demandé à la préposée à la paye de retenir plus d'impôt sur le revenu une semaine donnée et moins une autre semaine parce qu'elle ne voulait pas « se faire avoir avec l'impôt sur le revenu » . Ce que j'ai compris qu'elle voulait dire par là, c'est qu'elle demandait que des sommes suffisantes au titre de l'impôt sur le revenu soient déduites de son chèque de paye de manière que, au moment de faire sa déclaration de revenu, elle n'ait pas à débourser une somme importante à l'égard d'arriérés d'impôt. Cela n'a pas semblé inhabituel à la Cour.

[34] Herbert Squires a déclaré que lui et son frère (Fred), qui était l'époux de l'appelante, ont lancé l'entreprise du payeur il y a de nombreuses années. Fred Squires est décédé en 1988. L'appelante travaillait pour le payeur à cette époque. Par suite du décès de son époux, elle ne pouvait plus travailler à l'entreprise du payeur. Herbert Squires avait alors dû embaucher quelqu'un pour que cette personne accomplisse le travail qui avait été accompli par l'appelante. L'appelante avait formé Doreen Squires, l'épouse de Herbert Squires, concernant la paye, les comptes fournisseurs et les dépôts bancaires. Quelques mois après le décès de son époux, l'appelante ne pouvait plus s'occuper des livres. Elle avait toutefois bel et bien dit à l'époque que, si elle le pouvait, elle reviendrait.

[35] En 1994 et en 1995, le payeur avait un aide-comptable, un certain Paul Moore, qui a travaillé pendant une période de deux ans, huit heures par jour à 6 $ l'heure. Paul Moore est tombé malade et ne pouvait plus s'acquitter des fonctions. C'est à ce moment que Mary Squires a de nouveau été intéressée à tenir les livres pour le payeur. Ce dernier lui versait 15 $ l'heure. L'appelante se présentait à toutes les deux semaines et ramassait toutes les factures. Son travail était bien fait. Si elle s'occupait des livres du payeur pendant qu'elle travaillait à la Hilltop Manor Inc., cela ne dérangeait pas le payeur. Il a dit : « Pourvu que les livres soient tenus, je n'avais aucun problème en matière d'impôt sur le revenu » . Il connaissait les heures de travail de l'appelante lorsque le chèque de celle-ci était fait, et il doit être admis que le payeur avait un droit de supervision à l'égard de l'appelante, même si celle-ci ne travaillait pas en la présence du payeur.

Résumé de l'analyse et conclusion

[36] Le 19 juin 1997, le ministre avait avisé l'appelante qu'elle et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance. Dans la réponse à l'avis d'appel, la principale allégation du ministre était que l'appelante et le payeur avaient conclu un arrangement factice en vertu duquel l'appelante avait reçu du payeur un relevé d'emploi destiné à la rendre admissible à des prestations d'assurance-chômage et que le payeur avait reçu des services de tenue de comptabilité à longueur d'année sans avoir à payer un salaire à longueur d'année. Le ministre avait également conclu que l'appelante et le payeur avaient en fait un lien de dépendance. Le ministre alléguait ensuite dans la réponse à l'avis d'appel que, subsidiairement, il considérait qu'il n'y avait pas de contrat de louage de services entre l'appelante et le payeur.

[37] La décision du 19 juin 1997 et l'allégation de la réponse à l'avis d'appel apparaissaient à la Cour comme deux thèses différentes adoptées par le ministre.

[38] L'appelante et Herbert Squires sont les deux seuls témoins qui aient été entendus. L'agent des appels n'a pas témoigné. On n'a présenté aucun élément de preuve pour contredire la preuve de l'appelante ou de son témoin. Ces deux personnes inexpérimentées sont bel et bien apparues à la Cour comme disant la vérité, comme des personnes qui, à leur propre façon, ont expliqué de leur mieux ce qui s'était passé.

[39] La preuve révélait bel et bien à mon avis l'existence d'un contrat de louage de services. L'appelante avait été embauchée et recevait un salaire. Elle avait en fait été embauchée pour remplacer Paul Moore. Ses heures de travail et son salaire ne semblaient pas exagérés. Le fait qu'elle travaillait chez elle ne semblait guère problématique. Une difficulté tenait au fait qu'elle travaillait à la Hilltop Manor Inc. du 1er septembre au 15 novembre 1996 en même temps qu'elle s'acquittait de ses fonctions d'aide-comptable pour le payeur. La preuve indiquait que sa soeur lui avait demandé d'aller à la Hilltop Manor Inc. pour cette brève période, jusqu'à ce que l'immeuble soit vendu. En fait, elle vivait là. La présence de l'appelante à cet endroit, d'après la preuve, était temporaire, et l'appelante avait beaucoup de temps à sa disposition pour s'acquitter des fonctions de tenue de comptabilité pour le payeur; c'est ainsi du moins que je voyais la preuve. Il n'était donc pas impossible que les deux occupations soient menées de front. On pourrait alors poser la question de savoir qui supervisait l'appelante. Le payeur était au courant de cette situation et acceptait que le travail soit accompli à cet endroit-là. On ne peut que présumer que cette situation temporaire n'influait pas sur le véritable contrat de travail entre l'appelante et le payeur.

[40] Je voudrais ajouter qu'il aurait été utile d'avoir le point de vue de l'agent des appels si des preuves contraires ou d'autres éléments de preuve étaient disponibles.

[41] Une fois les sérieuses allégations du ministre expliquées et écartées, la Cour, à qui il ne reste que des éléments de preuve véridiques, acceptables et non contredits, ne saurait parvenir à une conclusion sur la foi d'éléments de preuve autres que ceux qui lui ont été présentés par les témoins, plus les allégations admises.

[42] Par suite de ce que j'ai entendu dans cette affaire, je considère que l'appelante a établi selon la prépondérance des probabilités qu'elle et le payeur n'avaient pas conclu un arrangement factice comme cela était allégué à l'alinéa r) de la réponse de l'intimé à l'avis d'appel.

[43] En conséquence, je ne puis faire autrement que conclure qu'il existait une relation entre parties sans lien de dépendance entre l'appelante et le payeur.

IV- Décision

[44] L'appel est accueilli, et la décision du ministre est annulée.

Signé à Dorval (Québec) ce 1er jour de février 1999.

« S. Cuddihy »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour d'octobre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



    [1]       Attorney General of Canada v. Rousselle et al. (124 N.R. 339)

     [2]        Maurice Tanguay et autres c. Commission de l'assurance-chômage, 2 octobre 1985, C.A.F., dossier A-1458-84 (jugement non publié)

     [3]        Affaire précitée, note de bas de page no 1

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