Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990201

Dossier: 97-2376-IT-G

ENTRE :

SPLEND'OR INDUSTRIES LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur l'interprétation d'une clause figurant dans un bail conclu entre deux parties qui avaient entre elles un lien de dépendance, la question étant de savoir si le remplacement d'un toit constitue une « réparation à la charge du locateur » .

[2] Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a émis les hypothèses de fait qui suivent, figurant au paragraphe 14 de la réponse à l'avis d'appel (la « réponse » ) :

[TRADUCTION]

a)                    Durant la période en cause, M. Joseph Caporicci était l'unique actionnaire de l'appelante.

b)                    En 1994, l'appelante prenait à bail un bien immeuble situé au 8660, 8e avenue, à Montréal.

c)                    Les locaux loués par l'appelante appartenaient à M. Joseph Caporicci.

d)                    En 1994, l'appelante a dépensé 47 000 $ pour réparer le toit des locaux qu'elle louait.

e)                    L'appelante n'était pas, aux termes du bail conclu avec M. Joseph Caporicci le 1er février 1984, tenue de réparer le toit des locaux qu'elle louait. Sur ce point, l'article IX du bail se lit en partie comme suit :

9.1                  À compter de l'entrée en vigueur du présent bail, et tout au long de la période du bail, le locataire conservera, à ses frais, les lieux en bon état, notamment le bien-fonds, les bâtiments, les améliorations, les objets fixés à demeure et le matériel qui s'y trouvent ou qui seront installés au cours du bail; à cette fin, le locataire fera promptement les réparations d'ordre structural ou autre nécessaires et procédera sans tarder aux remplacements nécessaires, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur, le matériel utilisé devant être de qualité au moins égale à celle du matériel original. Le locataire n'est toutefois pas tenu de faire les grosses réparations ou de procéder aux remplacements d'importance, qui sont à la charge du locateur.

f)                     En 1994, le loyer payé par l'appelante conformément aux termes du bail a considérablement augmenté pour permettre au locateur, M. Caporicci, d'avoir des fonds supplémentaires aux fins de la réparation des locaux.

[3] M. Joseph Caporicci et M. Rabinovitch, soit le comptable de l'appelante, ont témoigné pour le compte de cette dernière tandis que Mme Lilianne Mehanna, agente de Revenu Québec, a témoigné pour le compte de l'intimée.

[4] L'hypothèse de fait figurant à l'alinéa 14a) de la réponse n'a pas été admise comme telle, mais il a été admis que M. Joseph Caporicci était actionnaire majoritaire. Les hypothèses de fait figurant aux alinéas 14b) et e) ont été admises. L'hypothèse de fait figurant à l'alinéa 14f) a été niée, et la preuve produite indique qu'elle était fort probablement fausse. Comme je conclus que cette question n'a aucune importance, je ne ferai pas état de la preuve produite à cet égard.

[5] Le bail a été déposé sous la cote A-1. On le retrouve également à l'onglet 10 de la pièce R-1. Pour être complète, la clause 9.1 du bail mentionné au paragraphe 2 des présents motifs devrait contenir le passage suivant :

[TRADUCTION]

Sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, le locataire maintiendra les lieux en bon état en tout temps, ainsi que les améliorations, les objets fixés à demeure et le matériel qui s'y trouvent et, à l'expiration prévue ou anticipée du bail, laissera les lieux en bon état, exception faite de l'usure normale. Le locataire avisera immédiatement par écrit le locateur en cas de dommages causés notamment aux conduites d'eau, aux tuyaux de vapeur, au matériel de chauffage ou de climatisation, au matériel électrique d'éclairage, aux ascenseurs et aux fils électriques se trouvant dans les locaux et en cas de défectuosité de ces éléments.

[6] M. Caporicci estimait que le remplacement du toit constituait une réparation d'entretien rendue nécessaire par l'usure normale. Un toit doit être remplacé environ tous les 20 ans. La facture a été produite sous la cote A-2. Elle figure également à l’onglet 11 de la pièce R-1. D'après le témoin, le bâtiment vaut un million de dollars. Par conséquent, selon l'appelante, la dépense de 47 000 $ n'était pas si considérable par rapport à la valeur du bâtiment. Le témoin a déclaré qu'au moment de la conclusion du bail, l'intention des parties était de conclure un « bail à loyer hypernet » , c'est-à-dire que les réparations seraient toutes à la charge du locataire.

[7] De l'avis de Mme Mehanna, la dépense en question ne correspond pas à des frais d'entretien puisqu'elle représente 30 pour cent du coût de location. Elle a interprété le bail conclu par les parties tel qu'il est libellé : l'article 9.1 stipule expressément que « les grosses réparations » sont à la charge du locateur.

[8] L'avocat de l'appelante a fait valoir que la dépense en question représentait le vingtième de la valeur du bâtiment, et qu'elle n'était donc pas assimilable à une grosse dépense. Elle a été occasionnée par la vétusté du bien. Se reportant à la clause 9.1, l'avocat a déclaré que la réparation en cause était une réparation structurale. Il s'est fondé sur les clauses 12.1 et 7.1 du bail pour prétendre que les parties au bail avaient l'intention de faire porter la responsabilité de remplacer le toit au locataire et non au locateur.

[9] L'avocat de l'appelante a également soutenu que le ministre ne devrait pas contester l'interprétation que les deux parties ont donné au contrat. Aucune disposition du Code civil du Québec n'empêche les parties de conclure un bail relevant le locateur de ses obligations pour ce qui est des réparations. Les parties avaient convenu que le coût du remplacement du toit serait pris en charge par le locataire et non par le locateur, alors pourquoi ne pas accepter cette interprétation? L'avocat n'a toutefois reporté la présente cour à aucune autorité exigeant que le ministre agisse ainsi.

[10] L'avocate de l'intimée a invoqué l'article 1864 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit :

Art. 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure.

[11] Se fondant sur cet article, l'avocate soutenait que les réparations résultant de la vétusté du bien étaient à la charge du locateur et ne constituaient pas de menues réparations d'entretien. Il s'agissait de « grosses réparations » . L'avocate a également référé la Cour à l'ouvrage de Pierre-Gabriel Jobin, intitulé Le louage, 2e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1996, plus particulièrement au paragraphe 147, portant le titre « Grosses réparations » . Elle a cité l'extrait suivant de ce paragraphe : « Les réparations au toit et au système de chauffage sont considérées comme des grosses réparations » . L'avocate a soutenu que, si les réparations au toit étaient considérées comme de « grosses réparations » , cela était d'autant plus vrai dans le cas du remplacement d'un toit.

[12] Je crois qu'il est tout à fait clair que le remplacement d'un toit constitue une « grosse réparation » ; il est inutile d'ajouter quoi que ce soit sur cette question.

[13] Le ministre devrait-il suivre l'interprétation d'un contrat qui a été suggérée par les deux parties qui l'ont signé? Selon le principe général, la Loi doit être appliquée en conformité avec le droit applicable. Dans des affaires touchant un éventuel évitement fiscal, alors que des opérations sont conclues par des parties qui ont entre elles un lien de dépendance, il faut s'attendre à ce que le ministre procède à un examen minutieux. Lorsque le libellé de la loi est clair quant à une situation donnée, l'interprétation des parties n'est pas pertinente, tandis qu'elle pourrait l'être dans des cas où ce libellé soulève des doutes.

[14] De nombreuses décisions portent sur ce sujet : Stubart Investments Limited v. The Queen, 84 DTC 6305, The Queen v. John J. Daly, 81 DTC 5197, Amelia Rose v. M.N.R., 73 DTC 5083, Cornerstone Properties Limited v. The Queen, 95 DTC 614. Je voudrais me reporter à l'opinion exprimée par le juge Urie dans la cause Atinco Paper Products Ltd. V. The Queen, [1978] CTC 566, aux pages 577 et 578 :

Je ne peux terminer sans faire connaître ma position sur la question générale des transactions censées avoir été effectuées à des fins de programmes successoraux et d'évitement fiscal. C'est un lieu commun que de dire que chaque contribuable a le droit de conduire ses affaires comme il l'entend pour réduire sa dette fiscale. On n'a jamais dit que cette pratique était contraire à l'ordre public. Il est aussi vrai que la présente cour n'est pas la gardienne du ministre du Revenu national. Quoi qu'il en soit, la Cour a l'obligation d'examiner minutieusement tous les gestes d'un contribuable afin de s'assurer qu'ils sont, de fait, conformes à la loi applicable. Le fait d'utiliser certains moyens pour parvenir au résultat souhaité ne suffit pas; il faut s'assurer que non seulement ces moyens paraissent réguliers, c'est-à-dire en règle quant à la forme mais, de fait, qu'ils constituent, à tous égards, des transactions juridiquement valables et réelles. Si la présente cour, ou si toute autre cour, négligeait de s'acquitter de son obligation fondamentale d'examiner avec soin tous les aspects des transactions en cause, elle ferait preuve de négligence non seulement dans l'exécution de ses fonctions judiciaires, mais à l'égard du public en général. C'est pour cette raison que je ne peux souscrire à la proposition quelquefois formulée voulant qu'une transaction ou qu'une série de transactions faites en vue de réduire l'impôt à payer, (c'est du moins, ce qu'espère le contribuable) fassent l'objet d'une interprétation stricte ou large. La seule ligne de conduite permise à la Cour est d'appliquer la loi comme elle la comprend aux faits constatés dans la transaction en question. Si la transaction résiste à cet examen minutieux, alors la Cour peut, bien entendu, y faire droit; sinon, elle doit échouer. C'est cette dernière conclusion qui s'impose en l'espèce.

[15] L'appel est rejeté, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 1999.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.